Le 6 novembre 2013 voit le prononcé de trois très belles décisions de sous-section du Conseil d’Etat qui seront publiées au recueil. Parmi celles-ci, la décision Commune de Marsannay-la-Côte est peut-être la plus notable, et intéressera au-delà du large cercle des amateurs de vins de Bourgogne (Conseil d’Etat, SSR., 6 novembre 2013, Commune de Marsannay-la-Côte, requête numéro 365079, publié au recueil).
Le Conseil d’Etat applique la jurisprudence la plus récente de la CJUE dans l’identification de la relation in-house, en considérant qu’une relation in-house à détention conjointe ne peut être reconnue que si la collectivité actionnaire détient non seulement une part du capital mais participe « également aux organes de direction de cette société ». Le Conseil fait ainsi application de la jurisprudence Econord Spa (CJUE, 29 novembre 2012, Econord Spa c/ Comune di Cagno et Comune di Varese, affaire C-182/11) (1).
L’autre intérêt de cette décision est de faire une très belle application de la jurispudence Société Ophrys en ordonnant, après avoir annulé l’acte détachable du contrat, la résiliation de celui-ci dans le délai de trois mois (2).
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1. Transposition de la jurisprudence Econord en droit français
Le Conseil était saisi par l’association pour la défense du cadre de vie de Marsannay-la-Côte d’un pouvoir contre l’arrêt de la CAA de Lyon (CAA Lyon, 7 novembre 2012, Association pour la défense du cadre de vie de Marsannay-la-Côte, requête numéro 12LY000811) ayant annulé l’acte détachable d’une concession d’aménagement attribuée par la commune à une SPLA, la Société publique locale d’aménagement de l’agglomération dijonnaise (SPLAAD).
La commune possédait certes 1,076% du capital de la SPLAAD, mais ne disposait d’aucun représentant au sein de son conseil d’administration. La collectivité avait pourtant attribué, sans publicité ni mise en concurrence, une concession d’aménagement à la SPLA sur le fondement de l’article L. 300-5-2 du code de l’urbanisme qui dispose que « les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 300-4 ne sont pas applicables aux concessions d’aménagement conclues entre le concédant et un aménageur sur lequel il exerce un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et qui réalise l’essentiel de ses activités avec lui ou, le cas échéant, les autres personnes publiques qui le contrôlent« .
Le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel qui avait jugé illégal le recours à la dérogation de l’article L. 300-5-2 car
11. […] la commune de Marsannay-la-Côte ne [pouvait] participer directement à l’édiction des décisions importantes de la société publique d’aménagement ; qu’elle ne [pouvait] donc être regardée comme exerçant, même conjointement avec les autres collectivités détenant le capital de la SPLAAD, un contrôle analogue à celui qu’elle exer[çait] sur ses propres services, dès lors qu’elle n’exer[çait], personnellement, aucun contrôle […]
Le Conseil d’Etat pose dans un considérant de principe
5. […] qu’une collectivité territoriale peut concéder la réalisation d’opérations d’aménagement à une société publique locale d’aménagement, créée sur le fondement de l’article L. 327-1 du code de l’urbanisme et qui ne peut dès lors exercer son activité que pour le compte de ses actionnaires et sur leur territoire, sans publicité ni mise en concurrence préalables, à la condition que cette collectivité exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services ; que pour être regardée comme exerçant un tel contrôle sur cette société, conjointement avec la ou les autres personnes publiques également actionnaires, cette collectivité doit participer non seulement à son capital mais également aux organes de direction de cette société ;
Le Conseil adopte ainsi la position de la CJUE (CJUE, 29 novembre 2012, Econord Spa c/ Comune di Cagno et Comune di Varese, affaire C-182/11), selon laquelle
[…] lorsque plusieurs autorités publiques, en leur qualité de pouvoir adjudicateur, établissent en commun une entité chargée d’accomplir leur mission de service public ou lorsqu’une autorité publique adhère à une telle entité, la condition établie par la jurisprudence de la Cour selon laquelle ces autorités, afin d’être dispensées de leur obligation d’engager une procédure de passation de marchés publics selon les règles du droit de l’Union, doivent exercer conjointement sur cette entité un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services est remplie lorsque chacune de ces autorités participe tant au capital qu’aux organes de direction de ladite entité.
Le considérant de principe du Conseil d’Etat a évidemment vocation à s’appliquer à toutes les situations de in-house, et non seulement à l’exception posée par l’article L. 300-5-2 du code de l’urbanisme, et frappe toutes les SPL et SPLA, quel qu’en soit le secteur d’intervention.
La restriction posée par la CJUE puis le Conseil d’Etat était une évidente nécessité, afin d’éviter que le principe de l’exception in-house à détention conjointe ne soit détourné de sa finalité, et permette à des sociétés publiques locales d’intervenir librement sur le marché concurrentiel, au prix d’une prise symbolique du capital par des collectivités clientes.
Cette problématique avait été identifiée il y a plus de dix ans en Italie (v. sur le sujet Cossalter (Philippe), Les délégations d’activités publiques dans l’Union européenne, Paris, LGDJ, 2007, notamment pp. 521 s.). Elle a été prise en compte par la CJUE et aujourd’hui par le Conseil d’Etat.
Nous continuons à penser qu’à ce critère du double contrôle sur le capital et sur les organes dirigeants, devrait éventuellement être ajouté un critère de contiguïté ou de proximité territoriale, afin d’empêcher que des SPL ne puissent diversifier leurs interventions au-delà du cercle, nécessairement restreint, de leurs collectivités d’origine.
2. L’office du juge du contrat
A titre accessoire, la décision rapportée constitue un intéressant rappel du mécanisme du recours contre les actes détachables du contrat, et des conséquences de leur annulation.
En premier lieu le Conseil rappelle (cons. 12) que « l’annulation d’un acte détachable d’un contrat n’implique pas nécessairement que le contrat en cause doive être annulé », position constante depuis la décision Institut de recherche pour le développement (Conseil d’Etat, Section, 10 décembre 2003, Institut de recherche pour le développement, requête numéro 248950, Rec. p. 501 ; BJCP 2004, n° 33, p. 136 et CJEG 2004, p. 246 ; concl. Piveteau ; AJDA 2004, p. 394, note Dreyfus ; Dr. adm. 2004, 59, note Ménémenis).
En second lieu, le Conseil rappelle le panel des possibilités offertes au juge de l’exécution depuis la décision Société Ophrys (Conseil d’Etat, SSR., 21 février 2011, Société Ophrys, requête numéro 337349, publié au recueil; BJCP 2011, p. 133, concl. Dacosta, obs. Dourlens et de Moustier, obs. R.S. ; LPA 2011, n° 127, p. 3, obs. Rouault ; Gaz. Pal. 2011, n° 149-151, p. 12, obs. Seiller ; Gaz. Pal. 2011, n° 140-141, p. 47, obs. Bain-Thouverez ; RD imm. 2011, p. 277, note Noguellou ; Procédures 2011, 190, note Deygas ; Contrats-Marchés publ. 2011, 123, note Pietri ; AJDA 2011, p. 356, obs. de Montecler).
Ce panel de solutions est justifié par le souci d’assurer la stabilité des relations contractuelles entre les parties (v. pour une comparaison Conseil d’Etat, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers (Béziers I), requête numéro 304802, rec. p. 509).
En l’espèce le Conseil d’Etat considère que le vice entâchant l’acte détachable ne vicie pas le contrat lui-même, et qu’une résolution n’est pas nécessaire. En revanche, l’absence totale de publicité et de mise en concurrence justifie, par sa gravité, que les parties soient invitées à résilier leur contrat dans le délai de trois mois.
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