Cet arrêt est aussi voisin que possible de l’arrêt Cadot, du 13 décembre 1889 (S. 1892.3.17; P. 1892.3.17). Il confirme la jurisprudence du Conseil d’Etat sur les trois points suivants : 1° les employés municipaux peuvent être révoqués ad nutum sans indemnité; 2° si un litige s’élève entre l’employé municipal révoqué et la commune, sur la question d’indemnité, le Conseil d’Etat est le juge compétent, parce qu’en l’absence de textes, il est le juge de droit commun en premier ressort; 3° l’employé municipal révoqué n’a point droit au remboursement des retenues qu’il a versées à la caisse des retraites.
Il est même à remarquer que, sur la question de compétence, notre arrêt reproduit absolument les termes de l’arrêt Cadot : « Considérant que, du refus du maire et du conseil municipal, exprimé dans les délibérations des 5 juin et 25 septembre 1886, de faire droit aux réclamations du sieur Drancey, il est né entre les parties un litige dont il appartient au Conseil d’Etat de connaître…, etc… »
Par conséquent, sur ces trois points, et particulièrement sur la doctrine si importante du Conseil d’Etat juge de droit commun en premier ressort, nous ne pouvons que renvoyer à la note sous l’arrêt Cadot.
Toutefois, il y a dans l’affaire Drancey, tant sur la question de compétence que sur la question de fond, quelques particularités qui méritent d’être signalées.
I. — Question de compétence. — Il est à remarquer qu’ici le conseil de préfecture, qui avait été saisi primitivement par l’employé communal de ses réclamations contre la commune, s’était déclaré compétent et avait statué au fond. De telle sorte que le Conseil d’Etat a été saisi à l’occasion d’un appel formé par l’employé révoqué contre l’arrêté du conseil de préfecture et par des conclusions subsidiaires. Dans l’affaire Cadot, au contraire, le requérant s’était adressé au Conseil d’Etat, parce qu’il n’avait pas trouvé d’autre juge, le conseil de préfecture et le ministre s’étant successivement déclarés incompétents.
D’où provient cette contrariété de décisions entre deux conseils de préfecture sur une question qui se présentait absolument dans les mêmes termes, car, dans les deux affaires, il s’agit d’architectes municipaux révoqués qui demandent une indemnité ? Elle provient de ce que les deux conseils ont apprécié de façon différente leur propre compétence en matière de travaux publics. Un architecte municipal ayant pour mission de préparer ou de diriger les travaux publics de la ville, la question se pose, en effet, de savoir si toutes les contestations qui s’élèvent entre l’architecte et la ville ne touchent pas directement ou indirectement à des travaux publics, et, par conséquent, ne rentrent pas à ce titre dans la compétence du conseil de préfecture.
La jurisprudence du Conseil d’Etat semble bien établie en ce sens que le conseil de préfecture n’est compétent que si la contestation se rattache directement à une opération de travaux publics déterminée. C’est ainsi, par exemple, que, dans l’arrêt Amiard, du 8 décembre 1882 (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 1006), le conseil de préfecture était compétent, parce que la révocation était intervenue en cours d’exécution d’un travail déterminé et à l’occasion de ce travail.
C’est ainsi que, dans l’arrêt Ville de Castres, du 28 juillet 1882 (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p.739), le conseil était encore compétent, parce que, bien que la révocation ne fût pas intervenue à propos d’un travail déterminé, les réclamations de l’architecte étaient basées sur des conventions passées avec la ville à l’occasion de réduction d’honoraires pour des travaux déjà faits. Mais, toutes les fois que la révocation de l’architecte intervient sans pouvoir être rattachée à une opération de travaux publics déterminée, et que la réclamation de l’architecte se fonde uniquement sur le fait de la révocation, il n’y a plus aucune raison d’appliquer la législation et la compétence spéciale des travaux publics. L’architecte est alors un simple employé ordinaire. C’est cette jurisprudence que le conseil de préfecture avait appliquée dans l’affaire Cadot, et le Conseil d’Etat l’avait approuvée par l’arrêt du 12 janvier 1883, Cadot (S. 1884.3.76; P. chr.). C’est de cette jurisprudence que le conseil de préfecture s’était écarté dans l’affaire actuelle, sans que rien dans les faits de la cause justifiât cet abandon. C’est pour cela que, le Conseil d’Etat annule son arrêté, en tant qu’il se déclarait compétent.
Notre arrêt pourra donc être compté parmi ceux qui confirment cette jurisprudence très sage, que les réclamations d’un architecte municipal ne sont justiciables du conseil de préfecture qu’en tant qu’elles se rattachent à une opération de travaux publics déterminée… Et, à proprement parler, c’est seulement alors que l’architecte municipal agit en qualité d’architecte; en dehors de là, il n’est qu’un employé ordinaire. C’est un point sur lequel nous allons revenir.
II. — Question de fond. — Il ressort très clairement, à notre avis, de l’arrêt ci-dessus, que la situation d’un fonctionnaire ou employé ne renferme rien de contractuel. Nous avons déjà développé cette doctrine à propos de l’arrêt Cadot. Aux autorités citées, adde, Cons. d’Etat, 1er juillet 1885, Cheeret (S. 1887.3.18; P. chr., et la note). Mais il y a lieu de faire remarquer en quoi la présente décision la confirme.
1° D’abord, il est bon de faire observer que le requérant l’admettait en principe. Tout l’effort de son argumentation tendait à établir que lui, architecte de la ville, n’était pas un employé municipal, qu’il était lié avec la ville par une convention spéciale, et que c’est à raison de cette convention qu’il avait droit à une indemnité pour sa révocation. Il reconnaissait en conséquence qu’un employé ordinaire n’y a pas droit. Il est vrai qu’il n’apportait aucune preuve directe de cette convention spéciale. S’il l’eût apportée, il eût eu gain de cause (V. Conseil d’Etat, 12 janv. 1883, précité, et la note). Il argumentait de la disposition du règlement de la caisse municipale de retraites, qui lui donnait droit à la pension de retraite au bout de vingt-cinq ans de services. Mais ce n’était pas là une convention spéciale. Les dispositions réglementaires qui définissent la situation du fonctionnaire ne lui confèrent aucun droit acquis; elles peuvent être modifiées par des dispositions nouvelles, qui s’appliquent immédiatement d’une façon rétroactive; elles ne confèrent donc que de simples expectatives. Cela ne ressemble en rien aux droits qui résultent des contrats. Et il en est à ce point de vue des dispositions sur les pensions comme de celles sur les traitements, etc…
Le Conseil d’Etat n’a donc pas eu à s’arrêter à cet argument, et il a très justement décidé que l’architecte, ayant été nommé par arrêté municipal, et recevant un traitement fixe, était un employé municipal.
Est-ce à dire cependant que l’architecte municipal soit un employé municipal ordinaire, et que, dans tous les services qu’il rend à la ville, il doive être considéré comme un employé municipal ? Nous ne le croyons pas. Il y a peut-être à distinguer en lui deux qualités, celle d’employé et celle d’architecte. Mais la qualité d’architecte n’apparaît que lorsqu’il est fait un travail public déterminé sur ses plans ou sous sa direction. À propos d’un travail public déterminé, il est un architecte. En dehors de là, c’est un employé dont la mission est de diriger certains services et de donner à la municipalité certains conseils. Cela est si vrai que, presque toujours, et notamment dans notre hypothèse, l’architecte est rémunéré à la fois par un traitement fixe, et par des remises proportionnelles. Le traitement fixe correspond à la situation d’employé, et la remise proportionnelle à la situation d’architecte.
Mais cela n’empêche point notre décision d’être exacte; c’est comme employé que l’architecte avait été révoqué.
2° Là où il apparaît bien que le Conseil d’Etat écarte toute idée de contrat de louage à propos des fonctionnaires et employés, c’est qu’il ne se préoccupe pas du tout d’une question que la ville avait fort inutilement soulevée dans ses défenses. La ville faisait observer qu’il n’y aurait droit à indemnité que si la révocation avait été intempestive, et elle s’attachait à démontrer, qu’en fait, elle ne l’avait pas été. Le Conseil d’Etat ne relève pas ce moyen. C’est dire que, pour un employé municipal ordinaire la révocation est possible ad nutum et que, fût-elle intempestive, elle ne donne aucun droit à indemnité. C’est par conséquent s’écarter complètement de l’idée du contrat de louage de services.