La décision QPC de sous-sections réunions du 21 janvier 2015, Commune d’Aigremont (requête numéro 382902) est intéressante à plusieurs égards. En droit de l’urbanisme, elle indique que la prescription de 10 ans du droit de reconstruire à l’identique un bâtiment détruit par un sinistre ne commence à courir qu’à partie de l’entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009.
Sur le plan du contentieux administratif, cette décision montre l’ampleur de l’office du Conseil d’Etat saisi d’une QPC qui procède à une interprétation neutralisante de la loi pour en devenir l’interprète authentique .
Enfin, mais la solution n’est pas nouvelle, le Conseil d’Etat rappelle dans des termes ayant valeur de principe, qu’en l’absence de disposition relative à son entrée en vigueur, un texte législatif créant un nouveau délai de prescription ne peut, sauf à être rétroactif, avoir prévu que ce délai s’applique aux situations antérieures à l’entrée en vigueur de la loi.
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Le Conseil d’Etat était saisi d’une QPC portant sur l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme.
Dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, cet article disposait que :
» La reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit par un sinistre est autorisée nonobstant toute disposition d’urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d’urbanisme en dispose autrement, dès lors qu’il a été régulièrement édifié « .
L’article avait été modifié par la loi 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures. Dans sa nouvelle rédaction, l’article prévoit que :
» La reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit ou démoli depuis moins de dix ans est autorisée nonobstant toute disposition d’urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d’urbanisme en dispose autrement, dès lors qu’il a été régulièrement édifié «
Dans sa nouvelle rédaction l’article prévoyait donc une péremption du droit de reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit pas un sinistre ou ayait fait l’objet d’une démolition.
L’EURL 2B avait demandé le 11 février 2009 au maire d’Aigremont l’octroi d’un permis de construire pour reconstruire un bâtiment détruit pas une inondation et un incendie en 1996 et 1998. Le permis ayant été refusé par un arrêté du 22 juillet 2009, un contentieux s’est engagé. Le TA puis la CAA de Versailles ayant rejeté la requête de l’EURL celle-ci se pourvoit en cassation et introduit devant le Conseil d’Etat une question prioritaire de constitutionnalité.
Sans que l’on en connaisse le détail, il semble que le maire puis les deux juridictions saisies aient opposé à l’EURL l’article L. 111-3 c. urb. dans sa rédaction issue de la loi du 12 mai 2009, considérant que la société pouvait se voir opposer la prescription de 10 ans.
Le Conseil d’Etat opère une interprétation « neutralisante » de la loi en considérant que la loi nouvelle, en l’absence de dispositions expresses relatives à son entrée en vigueur, ne pouvait « sous peine de rétroactivité » être réputée s’appliquer aux situations antérieures à son entrée en vigueur.
Ainsi la prescription de dix ans s’applique à tous les cas de sinistre, mais elle ne commence à courir à l’égard des sinistres intervenus antérieurement qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009.
Ainsi un immeuble détruit antérieurement au 12 mai 2009 pourra être reconstruit à l’identique jusqu’au 12 mai 2019. Un immeuble détruit en 2012 pourra être reconstruit jusqu’en 2022, etc…
Cette solution retiendra l’attention des spécialistes du droit de l’urbanisme.
Elle nous semble intéressante à un autre égard. Le Conseil d’Etat opère une lecture neutralisante de la loi en prenant pour guide un principe de non-rétroactivité de la loi, dans le silence de cette dernière sur ses conditions d’entrée en vigueur.
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La solution retenue par le Conseil d’Etat n’est pas nouvelle. Le principe en a été posé dans une décision du 7 novembre 1979 SCI L’Orée du bois (Conseil d’Etat, SSR., 7 novembre 1979, SCI L’Orée du bois, requête numéro 12844, publié au recueil; v. aussi Conseil d’Etat, SSR., 9 février 2001, Société Westco Trading Corporation, requête numéro 214564, rec. p. 52; Conseil d’Etat, SSJ., 8 juin 2010, M. Christian A c. Association foncière urbaine « Les Côtes », requête numéro 321175, inédit).
Mais une nuance sépare la jurisprudence antérieure de la décision commentée. Sauf erreur de notre part, le Conseil d’Etat avait toujours eu affaire à des délais de prescription nouveaux qui modifiaient des délais de prescription déjà existants.
Dans la décision Westco, le Conseil indiquait par exemple :
Considérant que, lorsqu’une loi nouvelle modifiant le délai de prescription d’un droit, abrège ce délai, le délai nouveau est immédiatement applicable, mais ne peut, à peine de rétroactivité, courir qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ; que le délai ancien, s’il a commencé de courir avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, ne demeure applicable que dans l’hypothèse où sa date d’expiration surviendrait antérieurement à la date d’expiration du délai nouveau;
La décision rapportée porte sur une loi qui n’abrège pas un délai de prescription, mais l’instaure. Elle vient donc compléter la jurisprudence antérieure et fait des principes précédemment posés une application logique.
Le principe prend d’autant plus de relief qu’il est posé dans le cadre d’une QPC : interprétant la loi à la lumière de sa jurisprudence antérieure (et non de celle du Conseil constitutionnel), le Conseil d’Etat neutralise les effets d’une éventuelle rétroactivité mais surtout, d’une violation du principe d’égalité qui aurait pu justifier un renvoi au Conseil constitutionnel.