Un expert en œuvres d’art, le sieur Lefranc, a été licencié par suppression d’emploi par le ministère des régions libérées; quelques jours après, il est remplacé dans son emploi par un autre expert. Le Conseil d’Etat décide que : l’Administration, en congédiant le sieur Lefranc, a fondé sa décision sur un fait matériellement inexact et lui a ainsi donné une cause juridique inexistante, qu’il y a lieu, dès lors, de prononcer son annulation pour excès de pouvoir.
A notre connaissance, et à moins que des arrêts similaires de 1924 et de 1925 non encore publiés, nous aient échappé, c’est la troisième fois que le Conseil d’Etat emploie la formule : fait matériellement inexact, cause juridique inexistante. Nous avions laissé passer sans les annoter les deux premiers arrêts (Cons. d’Etat, 20 janv. 1922, Trépont, et 23 mars 1923, Blanchard, S. 1925.3.51), parce que nous avions besoin de réfléchir à cette nouveauté et aussi de voir si cette jurisprudence se consoliderait. S’étant répété après un intervalle de quatre années, il est probable que le Conseil d’Etat a l’intention de persévérer, et nous ne pouvons que l’y encourager, parce que, par cette formule hardie, d’une part, il a dissipé les obscurités qui s’amoncelaient dans sa jurisprudence sur la fausse application de la loi par fausse allégation des faits, et d’autre part, il a exprimé une idée doctrinale d’une grande justesse et d’une grande importance pour l’intelligence de la difficile théorie de la cause.
I. — Depuis un certain nombre d’années, en effet, il s’était créé une jurisprudence sur la fausse application de la loi par fausse allégation des faits, d’autant plus obscure qu’on pouvait également la qualifier de jurisprudence sur l’appréciation de la matérialité des faits, comme condition de l’appréciation de l’illégalité comme conséquence de l’erreur de fait. Cette dernière formule, qui, dans l’ordre historique, s’était présentée la première, était même la plus incompréhensible de toutes, car l’illégalité étant de la catégorie de l’erreur de droit, on ne voyait pas bien par quel détour l’erreur de fait pouvait être ramenée à l’erreur de droit constitutive de l’illégalité.
Lorsque, pour la première fois, le Conseil d’Etat se trouva en présence d’allégations d’erreur de fait, il se cabra devant l’obstacle et refusa tout net de voir dans cette sorte d’erreur un excès de pouvoir ou une violation de la loi (Cons. d’Etat, 25 juill. 1890, Auscher, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 719; 21 avril 1899, Brochier, Id., p. 297; 23 févr. 1906, Dlle Abadie, S. 1908.3.60; 22 mai 1908, Rolland, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 560; 18 mars 1910, Hubersen, Id., p. 259). La décision Hubersen est particulièrement catégorique : « Considérant que l’unique grief relevé par la requête du sieur Hubersen contre la décision de la commission spéciale de Béthune est tiré de ce qu’elle contiendrait une erreur de fait; que, même en la tenant pour établie, cette erreur ne saurait constituer un excès de pouvoir ou une violation de la loi. » A la vérité, dans cette affaire comme dans l’affaire Rolland, il s’agissait de décisions de commissions spéciales intervenant dans la procédure d’établissement de la pension des ouvriers mineurs et l’on pourrait croire que ces commissions spéciales avaient des pouvoirs souverains pour l’appréciation des faits; le refus du Conseil d’Etat s’expliquerait alors par un partage de compétence analogue à celui qui existe entre la Cour de cassation et les Cours d’appel. Mais la loi du 31 mars 1903 ne confère à ces commissions ni pouvoirs souverains ni pouvoirs définitifs pour l’appréciation des faits; d’ailleurs, le Conseil d’Etat n’invoque point cette circonstance qu’il n’eût pas manqué d’invoquer, et l’on sent très bien qu’il se détermine par la conviction que du côté de l’erreur de fait il ne peut trouver aucune ouverture à l’excès de pouvoir.
Si, dans ces dernières années, on constate dans les recueils d’arrêts une jurisprudence abondante par laquelle le Conseil d’État se refuse à entrer dans l’examen des faits sur lesquels se sont prononcées des commissions administratives variées au-dessus desquelles il joue le rôle du juge de l’excès de pouvoir et presque de juge de cassation (Commissions cantonales pour l’assistance médicale, L. 15 juillet 1893 ; Commissions cantonales pour l’assistance aux vieillards, L. 14 juill. 1905 ; Commissions cantonales pour l’assistance des femmes en couches, L. 17 juin 1913; Commission supérieure pour l’impôt sur les bénéfices de guerre, L. 1er juill. 1916; Cours régionales de pensions d’invalidité pour les militaires, L. 31 mars 1919; Commissions de classement pour les établissements de luxe, impôt sur le chiffre d’affaires, L. 25 juin 1920), c’est parce que les lois constitutives de ces commissions leur ont attribué des pouvoirs souverains ou des pouvoirs définitifs pour l’appréciation des faits, et que, dès lors, le Conseil d’Etat, juge de l’excès de pouvoir, estime qu’il y a une séparation des compétences qui lui interdit de revenir sur les faits pour en vérifier la matérialité, alors même qu’une erreur de fait serait articulée contre la décision de la commission. Il casse, au contraire, dès que la commissions statue en droit (Cfr. Cons. d’Etat, 25 juin 1920, Préfet de la Savoie, S. 1922.3.57, et notre note).
Son abstention est donc commandée, ici, par une séparation des compétences et non pas par un scrupule doctrinal, comme elle le fut dans les affaires Hubersen et Rolland. Aussi faut-il s’attendre à ce que cette abstention soit durable et, peut-être, même à ce que le Conseil mette une certaine complaisance à s’abriter derrière des juges du fait qu’il pourra les déclarer souverains.
Mais un persévérant destin n’allait pas tarder à mettre le Conseil d’Etat en présence de faits matériellement inexacts ayant servi de base à des décisions pour lesquelles il ne pouvait être question de partage des compétences; il était saisi de recours pour excès de pouvoir ; il ne pouvait fonder l’annulation que sur l’illégalité pour erreur de fait ou pour faits matériellement inexacts et, d’un autre côté, l’équité lui imposait d’annuler. Il prit, en effet, le parti de prononcer l’annulation tantôt pour violation de la loi, tantôt pour excès de pouvoir en procédant par affirmations et sans aucun essai d’explication.
Voici une liste d’arrêts qui, sans avoir la prétention d’être complète, jalonne la route entre 1910, année où le Conseil d’Etat paraît s’être décidé à annuler, et 1922, année où il a inauguré le considérant de la cause juridique inexistante :
1° Cons. d’Etat, 13 mai 1910, Dessay (S. 1912.3.147) : congé de réforme n. 1 réclamé par un militaire; refus du ministre fondé sur des faits matériellement inexacts; illégalité; annulation;
2° 28 novembre 1913, Comm. de Chambon (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 1164); location de presbytère; le prix est suffisant pour qu’il n’y ait pas subvention déguisée au culte ; la délibération du conseil municipal n’est donc pas illégale, et c’est l’arrêté du préfet annulant cette délibération qui est illégal, comme basé sur un fait matériellement inexact; annulation;
3° 15 mai 1914, Comm. de Jazennes (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 593); même hypothèse;
4° 4 avril 1914, Gomel (S. 1917.3.25, avec notre note); refus de permis de bâtir opposé par le préfet de la Seine à un propriétaire, motif pris de ce que la place Beauveau serait une des perspectives monumentales dont l’art. 118 de la loi du 13 juillet 1911 prescrit la protection et de ce que la construction projetée serait de nature à porter atteinte à cette perspective; à noter que la loi de 1911 n’avait point subordonné l’exercice des pouvoirs du préfet à un classement préalable des perspectives monumentales, de telle sorte qu’il était obligé d’apprécier lui-même l’existence du fait. Le Conseil d’Etat statue : « Considérant qu’il appartient au Conseil d’Etat de vérifier si l’emplacement de la construction projetée est compris dans une perspective monumentale existante…; considérant que la place Beauveau ne saurait être regardée dans son ensemble comme formant une perspective monumentale; qu’ainsi en refusant par la décision attaquée au requérant l’autorisation de construire, le préfet de la Seine a fait une fausse application de la loi du 13 juillet 1911, etc. » ;
5° 1er août 1914 (2 arrêts), Wiriat et Pillot (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 1011 et 1012); même hypothèse, sauf que les places de l’Étoile et de la Madeleine étant des perspectives monumentales, après vérification des faits, il n’y a pas fausse application de la loi ;
6° 18 juin 1915, Ponsonnaille (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 206) ; un agent a été révoqué, mais il n’établit pas que les fait sur lesquels est basée la révocation soient matériellement inexacts, donc pas d’illégalité ;
7° 14 janvier 1916, Camino (S. 1922.3.10, avec les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Corneille); maire révoqué, loi du 8 juillet 1908 ; vérification des faits; l’un des faits allégués étant matériellement inexact, décret annulé pour excès de pouvoir;
8° 22 février 1918, Congrégation des Sœurs hospitalières de Lyon (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p.187); suppression de la congrégation fondée sur le fait erroné que le dernier établissement aurait disparu; décret annulé pour excès de pouvoir;
9° 5 juillet 1918, Général de Nouë (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 660); décision le plaçant dans la 2ᵉ section du cadre de l’état-major général, fondée sur un fait matériellement inexact; annulation pour excès de pouvoir;
10° 3 février 1919, Cazade (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 134) ; agent révoqué pour des faits dont il ne conteste pas la matérialité;
11° 29 octobre 1920, Grégoire (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 882); mise à la retraite d’un agent faussement qualifiée sur demande; fait matériellement inexact; excès de pouvoir;
12° 21 janvier 1921, Joseph Sei (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 75); prétendue démission d’un secrétaire de mairie, remplacement, fait matériellement inexact, l’arrêté du maire, par suite, de base légale ; excès de pouvoir.
Ce mouvement de jurisprudence n’avait pas été sans appeler l’attention de la doctrine, surtout depuis l’arrêt Gomel, mais elle se montra généralement déconcertée et hésitante et ne fut pas pour le juge d’un grand secours, d’autant qu’elle arriva en retard (Cfr. Chalvon-Demersay, De l’examen du fait par le Conseil d’Etat statuant en matière de recours pour excès de pouvoir, thèse Paris, 1922, tentative intéressante; Bonnard, Le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives et le recours pour excès de pouvoirs, 1923; Jèze, Théorie générale sur les motifs déterminants des actes juridiques en droit public, Rev. du dr. publ., 1922, p. 377 et s.; Marc Noël, Les motifs dans les décisions des juridictions administratives, Rev. du dr. publ., 1924; notre note sous l’affaire Gomel précitée; Réglade, Du prétendu contrôle juridictionnel de l’opportunité en matière de recours pour excès de pouvoir, Rev. du dr. public, 1925, p. 413 et s.).
II. — La formule, fait matériellement inexact, cause juridique inexistante est, croyons-nous, sortie toute naturellement du mouvement de jurisprudence sur la fausse application de la loi par fausse allégation des faits. Quand elle a jailli dans l’arrêt Trépont, du 20 janvier 1922, c’était un an après l’arrêt Joseph Sei, dans lequel le fait allégué de la démission du secrétaire de la mairie avait été qualifié de base légale de la décision de remplacement. Que le fait faussement allégué constitue une base légale inexistante pour la décision ou qu’il en constitue une cause juridique inexistante, l’écart entre les deux notions n’est pas grand, la cause juridique constitue simplement une notion à la fois plus précise et plus juridique que celle de base légale, mais on peut dire que c’est la même idée plus poussée parce que, en effet, c’est la cause juridique qui est la base légale de l’acte. Depuis dix ans on annulait les actes pour violation de la loi parce que les faits sur lesquels ils reposaient avaient été faussement allégués. C’est donc que les faits exactement allégués devaient servir de base légale aux actes. Le faussement de la loi par faussement des faits ne pouvait entraîner la nullité de l’acte que si les faits étaient la base légale de l’acte. La filière suivie par l’idée est donc celle-ci : faussement des faits déterminants; faussement de la base légale de l’acte; cause juridique inexistante; violation de la loi. Une fois l’évolution achevée, la formule se contracte, la mention « base légale » qui fait double emploi avec « cause juridique », disparaît, et il reste : fait matériellement inexact; cause juridique inexistante ; violation de la loi. Il y a violation de la loi, non plus directement à raison de l’inexactitude matérielle du fait, mais indirectement parce que ce fait était la cause juridique de l’acte, que cette cause juridique est inexistante, et que la loi exige pour la validité de tous les actes une cause juridique existante.
III. — Que faut-il maintenant entendre par cause juridique des actes ? C’est une question d’ordre général qui domine le droit tout entier, mais nous allons d’abord l’examiner à propos des actes administratifs.
La cause juridique d’un acte administratif est le fait déterminant qui classe cet acte dans une catégorie légale : la notion de cause juridique est liée à celle de catégorie légale. Ainsi, le congé sur demande des fonctionnaires constitue une catégorie légale des congés qui n’est pas la même que celle du congé pour maladie; ainsi encore, le licenciement de fonctionnaire par suppression d’emploi constitue une catégorie légale qu’il ne faut pas confondre avec la révocation. Dans la catégorie du congé sur demande, la demande est le fait déterminant, elle détermine à la fois la catégorie et la cause du congé ; dans la catégorie du licenciement par suppression d’emploi, la suppression d’emploi est le fait déterminant, elle détermine à la fois la catégorie et la cause juridique du licenciement.
Quand le fait déterminant a été faussement allégué, l’acte qui a été basé sur ce fait n’a plus de cause juridique parce qu’il n’appartient plus à la catégorie qui a été faussement alléguée en même temps que le fait. La fausse allégation du fait équivaut à fausse allégation de la catégorie, et celle-ci équivaut à absence de cause juridique. Les divers actes administratifs sont tous répartis en des catégories légales diverses, et un acte administratif n’est valable que s’il appartient réellement à la catégorie alléguée et s’il lui appartient par l’existence réelle du fait déterminant propre à la catégorie.
Cette notion de la cause juridique des actes administratifs, qui serait aussi bien nommée cause catégorique, puisqu’elle est tellement liée à l’existence des catégories, est une notion essentiellement objective; d’une part, les catégories d’actes, étant reçues dans la pratique et consacrées explicitement ou implicitement par la loi, ont une valeur objective; d’autre part, les catégories juridiques sont un moyen d’établir de l’ordre dans les matières juridiques et toutes les mesures d’ordre ont une valeur objective; enfin, la cause juridique et la catégorie sont fondées sur un fait déterminant, et rien n’est objectif comme un fait. Il suit de là que la cause juridique est la même pour tous les actes d’une même catégorie, pour tous les congés sur demande, pour tous les licenciements pour suppression d’emploi, etc.
Il ne faut donc pas confondre la théorie de la cause juridique, ou du fait déterminant, qui est objective, avec celle du motif déterminant, qui est subjective — et à laquelle MM. Jèze et Bonnard ont donné beaucoup de développement dans des travaux cités plus haut. Aussi la théorie de la cause juridique ou du fait déterminant conduit-elle à l’application de l’ouverture de la violation de la loi, tandis que la théorie des motifs déterminants conduit à l’application de l’ouverture du détournement de pouvoir. Et même il convient d’affirmer que le véritable cas du détournement de pouvoir est celui d’un acte administratif, dont le fait déterminant, au point de vue catégorie légale, existe réellement, mais dont le motif subjectif n’est pas conforme au bien du service; la cause juridique existerait, mais serait viciée et le détournement de pouvoir apparaîtrait comme une variété de la cause illicite. Par exemple, dans l’affaire Carville, du 22 mai 1896, (S. 1897.3.121), lorsque le maire de Torigny-sur-Vire prenait un arrêté interdisant l’introduction et la vente dans la ville de viandes provenant d’animaux abattus ailleurs que dans l’abattoir communal ou tous autres abattoirs publics, son arrêté de police appartenait réellement à la catégorie des mesures destinées à assurer la fidélité du débit et la salubrité des denrées alimentaires, la cause juridique existait, mais elle était viciée par une arrière-pensée d’intérêt pécuniaire de la commune (Cfr. une série d’hypothèses où le Conseil d’Etat a refusé d’annuler l’acte parce que l’erreur ne porte pas suffisamment sur le fait déterminant : Cons. d’Etat, 23 janv. 1920, Guillaumette, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 89; 26 mars 1920, Petrucci, Id., n. 326; 18 févr. 1921, Dame Leducq, Id., p. 194).
Ce n’est pas à dire que la liste des hypothèses de détournement de pouvoir habituellement citées ne devrait pas être révisée et qu’on n’y découvrirait pas des cas d’application de la formule « fait matériellement inexact, cause juridique inexistante ». Par exemple, lorsqu’un conseil général emploie la procédure de l’élargissement d’un chemin vicinal par plan d’alignement et qu’il s’agit d’élargir le chemin non pas pour lui-même, mais pour loger sur ses accotements une voie ferrée, on pourrait soutenir que la cause juridique est inexistante parce qu’on est sorti de la catégorie légale de l’élargissement par plan d’alignement dont le fait déterminant est la capacité de débit du chemin lui-même (Cons. d’Etat, 17 janv. 1902, Favatier, et 14 févr. 1902, Lalaque, S. 1903.3.97, et la note; 30 juill. 1915, Bondaz, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 262).
IV. — Que le Conseil d’Etat ait retrouvé dans nos affaires Trépont, Blanchard, Lefranc, l’utilité des notions de cause juridique et de catégorie juridique, qu’il les ait pour ainsi dire, redécouvertes, cela est important pour le droit administratif, mais cela intéresse le droit tout entier et spécialement le droit civil. Bien que l’art. 1108, C. civ., fasse figurer la cause licite parmi les conditions de validité des conventions; bien que l’art. 1131 déclare sans effet l’obligation sans cause ou sur fausse cause, le droit civil semble avoir perdu la notion de la cause juridique objective et de la valeur des catégories. Le principe de l’autonomie des volontés posé par l’art. 1134 et interprété avec un imprudent libéralisme semble avoir submergé toute espèce de catégories dans l’immense domaine des conventions et, par suite, avoir totalement détruit l’intérêt pratique de la cause juridique objective. Sans doute, la matière de la cause illicite occupe une grande place en pratique et en jurisprudence, mais elle est dominée par l’autonomie des volontés et constitue une théorie entièrement subjective; il s’agit, en réalité, comme dans le détournement de pouvoir, de motifs déterminants illicites.
Un jour viendra certainement où le débordement du principe de l’autonomie des volontés paraîtra excessif, où l’on s’apercevra qu’à ce pouvoir des volontés correspond une fonction, et que, si l’art. 1134, C. civ., admet que les conventions légalement formées fassent la loi des parties, c’est afin qu’elles créent de l’ordre dans le commerce juridique. Avec la préoccupation de l’ordre dans le commerce juridique reparaîtra celle des catégories des actes et opérations et celle de leur cause juridique objective, basée sur leurs faits déterminants. A raison de ses besoins particuliers d’ordre dans la compétence, le droit administratif est ici en avance, mais, tôt ou tard, la jurisprudence de la Cour de cassation suivra celle du Conseil d’Etat dans une voie qui est celle de la reconstitution de l’ordre (Cfr. Gény, Méthode d’interprétation, 2ᵉ éd., et Gounot, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé).