« Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable »
John Fitzgerald Kennedy.
L’été 1789 est véritablement le déclenchement de la Révolution française. C’est indéniable. Dire des signes avant-coureurs qu’ils étaient pressentis bien antérieurement à cette période relève d’un tout autre débat que celui du présent propos. Voltaire ne disait-il pas en 1764 déjà que tout ce qu’il avait devant les yeux « jetait les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement » ? En revanche, la plupart des historiens s’accordent pour considérer que l’année 1792, et plus particulièrement ses mois d’août et de septembre, constituent à bien des égards « une révolution dans la Révolution ». Ceux-ci seront des moments décisifs pour le sort de la France et surtout pour le devenir de son régime politique et institutionnel dont il est ici précisément question. Ainsi, près d’une année s’était écoulée depuis que la première constitution écrite, adoptée le 3 septembre 1791, était en application. Ses contemporains, entendons par-là les acteurs de la vie politique, faisaient l’expérience quotidienne de cette nouvelle loi fondamentale sur laquelle ils eurent au fur et à mesure des évènements de moins en moins de prise ; si tant est qu’ils en aient vraiment eu une sur elle un jour. En effet, une assemblée constituante, ainsi dénommée, a d’abord et avant tout pour principale mission de garantir les droits et libertés des citoyens et d’organiser les pouvoirs en dotant souverainement le pays d’une constitution. C’est là la sentence de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. C’est aussi la caractéristique du fameux « pouvoir constituant » que Sieyès venait tout juste de théoriser. Ses membres sont donc invités à se séparer par la suite et laisser place, entre autres, à une nouvelle assemblée avec les prérogatives afférentes et qui trouvent leur fondement juridique dans le corps même du texte fondamental qui vient d’être édicté. De surcroit, avant que ne se mette en place la première législature, encore fallait-il prévoir évidemment, comme dans toute démocratie qui se respecte mais que l’on souhaite « représentative », les règles relatives à son élection. La particularité en France fut que, pétris de bonnes intentions mais sans le recul nécessaire pour anticiper les méfaits d’une telle mesure, les députés de l’Assemblée nationale constituante avaient décidé pour ce faire de voter un texte portant sur leur inéligibilité à la prochaine assemblée législative élue. Son promoteur, Maximilien de Robespierre, parvint à arracher le décret en question le 16 mai 1791. L’esprit qui l’animait alors se trouve dans les premières lignes du discours prononcé à cette occasion : « les plus grands législateurs de l’antiquité, après avoir donné une constitution à leur pays, se firent un devoir de rentrer dans la foule des simples citoyens et de se dérober même quelquefois à l’empressement de la reconnaissance publique ». Pour aussi honorable que cela puisse être perçu, il n’en demeure pas moins que l’absence totale des auteurs de la constitution au sein même des institutions nouvellement créées est pour le moins radicale et non sans quelques conséquences. La première et la plus notable sera le peu de poids que ces derniers peuvent peser dans les débats alors même que leurs successeurs manipulent inadéquatement les outils institutionnels qu’on leur a mis dans les mains. Certes, des conseils peuvent être prodigués. Les innombrables prises de parole des anciens de la Constituante au sein des sociétés politiques situées aux quatre coins de la capitale peuvent également avoir l’effet de piqûres de rappel. Mais justement, la décision reste toujours dans les mains de ceux à qui le pouvoir de la prendre est conféré. Voilà un point considérable qui n’aurait sans doute pas dû échapper aux constituants-rédacteurs. Les régimes postérieurs en prendront note mais pour verser dans l’autre extrémité. Ce sera le cas avec le décret dit des « deux tiers » adopté en 1795 par la Convention nationale juste avant l’entrée en vigueur de la Constitution de l’An III (22 août 1795) instaurant le Directoire et dont l’objectif était d’assurer la réélection de la majorité de ses membres au sein des nouvelles institutions républicaines. L’opinion publique reçut très mal cette mesure et plus particulièrement en sa frange royaliste qui ne tardera pas à organiser un soulèvement populaire lequel finira sa course sur les marches de l’Église Saint-Roch puisque maté par un jeune général fraîchement promu répondant au nom de Bonaparte. Toujours est-il qu’entre septembre 1791 et septembre 1792, son incapacité à juguler l’accumulation d’épisodes bouleversant le cours de la Révolution française confortera l’idée selon laquelle la première constitution, tant dans sa théorie que dans sa pratique, était un échec auquel il faudra remédier au plus vite. Le 10 août 1792 finira par tout accélérer. Louis XVI suspendu, la Monarchie se trouvait sans lui au bord du précipice au moment même où le peuple appelait vivement la réunion d’une nouvelle assemblée constituante – la Convention nationale – et un nouveau régime, la République.
I – Un début de mois difficile, les « septembrisades »
Si les révolutionnaires étaient conscients qu’en proclamant leurs idéaux, ils finiraient par trouver inévitablement sur leur passage des réticences de la part des puissances étrangères, lesquelles étaient principalement rappelons-le des monarchies, l’ennemi le plus redoutable et le plus redouté n’était pourtant pas celui qui attendait aux frontières en scrutant la moindre brèche pour s’y engouffrer en vue d’envahir la France mais bien plutôt celui qui se trouvait déjà à l’intérieur du pays et ferait tout pour empêcher que la Révolution française n’achève ce sur quoi et ce pour quoi elle a commencé.
Très vite, la théorie du complot fit son apparition tant dans les débats politiques menés au sein de l’assemblée législative qu’en dehors de son enceinte. Son exploitation par les thuriféraires de la Terreur ne manquera pas plus tard lorsqu’il sera question de véhiculer et maintenir un climat de suspicion et de peur dans l’esprit des Français.
Pour lors, il s’agissait d’éradiquer le courant contre-révolutionnaire à la tête duquel figuraient en bonne place les royalistes. La détention du Roi et de sa famille à la Prison du Temple depuis le 13 août était ce contre quoi ces derniers pestaient avec le plus de véhémence. En outre, la guerre qui sévissait depuis avril 1792 ternit fortement l’élan patriotique en dehors duquel, parce qu’exclus, se trouvaient la plupart des membres de la noblesse.
Distillée dans la vague d’émigration de l’époque, la noblesse avait fourni jusque-là un contingent considérable d’officiers professionnels pour l’armée. Leur fuite fut considérée comme une trahison et tenue pour principale cause des défaites essuyées sur les champs de bataille. Et que dire des émigrés – et ils furent nombreux – à prendre les armes contre la France ?
Pour les fuyards, une multitude de lois portant proscription seront adoptées sur l’ensemble de la période révolutionnaire (1789-1799). En revanche, afin d’éviter la propagation du mouvement royaliste contestataire, les députés siégeant à la Législative se mirent d’accord pour créer une juridiction d’exception chargée de juger les actes qui lui étaient imputables ; c’est le fameux « tribunal du 17 août » qui aura une existence très courte mais suffisamment intense pour insuffler l’idée dans la tête de certains d’aller plus loin. On y trouvera le germe du Tribunal révolutionnaire de mars 1793.
Mais les solutions ou les réponses ne pouvaient être que juridiques. C’est ce qu’en conclut en tous les cas la population française. Ainsi, le peuple de Paris – bien que des massacres eurent lieu dans d’autres villes de France (Orléans, Versailles et jusqu’à Reims) – prit sur lui d’agir mais cela évidemment, en dehors des limites de la légalité. Partant du simple principe que le contraire du Droit étant la Force, les actes ne pouvaient être en conséquence que d’une extrême violence. Les cinq à six premiers jours de ce mois de septembre 1792 allaient donc être le théâtre de massacres sanglants perpétrés par des hommes et des femmes en liesse, tou(te)s persuadé(e)s par les rumeurs qu’un complot les menaçait et qu’il fallait mettre à mort quiconque se trouverait suspecté.
Les suspects ? Principalement les prisonniers enfermés dans les geôles parisiennes et qui ont préféré enfreindre la loi, expression de la volonté générale, plutôt que de s’y conformer. Ces derniers, susceptibles de tisser entre eux des liens de connivence et former par là même des réseaux d’influence, pourraient à terme, s’unir dans le cadre de menées contre-révolutionnaires.
On se rendrait donc à la Prison de la Force, des Carmes, de Bicêtre, de l’Abbaye ou encore à la Salpêtrière munis de fourches, pics, gourdins et autres objets pouvant servir à donner la mort pour sauver ou préserver aux noms de la liberté et de l’égalité la Révolution française. Les principales victimes seront des prêtres puisqu’ils seront en nombre à occuper des cellules pour ne pas avoir prêté serment à la Constitution civile du Clergé adoptée le 12 juillet 1790. Ces « insermentés » ne sont-ils pas source de divisions au sein même de la société qui oscille entre culte régulier et culte clandestin ?
Les « septembriseurs » – nom donné aux auteurs de ces tueries du mois de septembre – s’en prendront également aux aristocrates ainsi qu’aux prisonniers de droit commun pour qui on ne ferait pas de distinction en fonction de l’infraction commise. En période de troubles, généralité rime avec vérité. Pèseront donc sur ces derniers les soupçons tendant à dire qu’ils chercheraient à affamer le peuple ; ce qui pouvait encore tenir, peu ou prou, pour les faux-monnayeurs et autres fabricants de faux assignats (monnaie d’échange introduite en 1789 dans le cadre de la vente des biens appartenant au Clergé) mais tous évidemment ne tombaient pas pour le même fait délictueux.
Illégaux nous l’avons dit, ces « septembrisades » ne furent pas pour autant réprimées par les pouvoirs publics qui, et c’est le moins que l’on puisse dire, ont davantage brillé ici pour leur inertie. Une commission avait été mise en place pour demander des comptes à certains membres de la Commune insurrectionnelle pour avoir participé directement ou indirectement aux massacres. Celle-ci fut néanmoins enterrée par la suite. L’actualité quotidienne avait vite fait de refermer cette sombre parenthèse au profit d’épisodes plus glorieux.
Quelques jugements, notamment en province où d’autres massacres analogues furent recensés, ont été sporadiquement rendus. A Paris, le tribunal criminel extraordinaire n’était pas compétent pour connaitre des actes commis au cours de cette période et il n’était évidemment pas question d’adopter un texte pour étendre sa compétence. En somme, le concours des autorités aura pour le moins était implicite ce qui, au regard du droit, contribuera à jeter sur celles-ci une sorte de discrédit juridique.
Quelques tentatives en vue de donner des suites judiciaires à ces massacres seront à souligner sous le Directoire mais la tâche demeure malgré tout difficile car condamner un seul participant, c’est presque comme si l’on condamnait le peuple lui-même lequel a pris massivement part à ces exactions. Plus le nombre de condamnations prononcées serait important, plus les actions du peuple seraient stigmatisées.
Des remarques négatives ont été émises çà et là comme ce fut le cas pour le girondin Brissot ou encore la « féministe » Olympe de Gouges qui retint à juste titre que « Le sang, même celui des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les révolutions ». Elles restèrent tout de même marginales. En sus, on connait le sort de leurs auteurs (même si ce n’est pas la cause directe de leurs exécutions mais l’une de celles amenant à leur déconsidération auprès des politiques) ce qui n’encouragera pas à abonder en ce sens.
Les estimations quant au nombre des victimes sont fluctuantes. Elles dépendent bien souvent de celui qui les donne ou plus exactement de ce que nous appellerions aujourd’hui sa « sensibilité politique ». Un royaliste, par exemple, sera plutôt porté à en exagérer le nombre afin de dénoncer et condamner les massacres visant principalement le courant royaliste contre-révolutionnaire. A l’inverse, un républicain – mais ici pas au sens politique actuellement usité – fera tout le contraire en minimisant le bilan. A l’évidence, le chiffre excède le millier.
L’évènement aura tout de même été assez marquant pour enrichir le vocabulaire français par des néologismes tels que « septembriser » (syn. massacrer), « septembriseurs » (syn. massacreurs) ou encore « septembrisades » (en références aux massacres de septembre 1792).
II – Les joyaux de la Couronne dérobés
Premier musée des arts décoratifs parisien, l’hôtel du Garde-Meuble fut construit à partir de 1757 mais ne fut achevé qu’en 1774. Organisé en trois salles d’exposition, il était ouvert périodiquement au public lequel pouvait venir contempler les armes, étoffes et bijoux de la Couronne. Lieu où les richesses les plus inestimables furent entreposées, il a logiquement été l’objet de convoitises ce qui se manifesta à deux reprises au cours de la Révolution française.
La veille de la prise de la Bastille, le 13 juillet 1789, tandis que les émeutiers se dirigeaient à l’hôtel des Invalides pour se procurer des armes avant de retourner à la forteresse du faubourg Saint-Antoine pour se fournir en poudre, certains bifurquèrent en direction de l’hôtel du Garde-Meuble. Il fut pillé pour la première fois sous les yeux de l’Intendant depuis 1784, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray.
Ce dernier, anobli de fraîche date, attisait la jalousie ce qui poussera ses contempteurs à critiquer sa gestion. L’Assemblée nationale, faisant œuvre de « transparence » avant l’heure mais aussi pour couper court à toute rumeur, fera publier le 17 juin 1791 un inventaire complet des objets qui se trouvaient au Garde-Meuble.
Néanmoins, cela ne suffira pas à le laver de tout soupçon car, le 20 juin suivant, Louis XVI et sa famille fuiront la capitale et seront arrêtés à Varennes avant de revenir aux Tuileries mais certains avancent déjà l’idée selon laquelle le Roi aurait vendu une partie du Trésor royal pour rémunérer une armée contre-révolutionnaire. La surveillance autour du Baron d’Avray va donc se resserrer. Il sera appelé à maintes reprises devant les membres de l’Assemblée nationale pour rendre compte de sa gestion.
Au printemps de l’année 1792, il fera aménager une cachette dans ses appartements du Garde-Meuble où il y stockera plus de la moitié des joyaux de la Couronne. Un nouvel inventaire mettra l’accent sur le fait qu’il manquait des portions d’or. L’Intendant sera donc soupçonné puis, après l’épisode de la prise des Tuileries (10 août) enfermé à la Prison de l’Abbaye. Il y trouvera la mort lors des massacres de septembre. On ne connaitra donc jamais la raison d’un tel comportement de la part de Ville d’Avray.
Toujours est-il que le Roi déposé, l’euphorie meurtrière grondant depuis le début du mois de septembre dans les rues de la capitale suffisent à convaincre des malandrins qu’une opération de pillage au Garde-Meuble n’est pas irréaliste voire irréalisable ; et pour cause. Entre les 11 et 17 septembre 1792, le bâtiment sera pillé une seconde fois. Ce ne sont pas moins de 9000 pierres précieuses qui seront ainsi dérobées sous les yeux mêmes des gardes trop occupées par les femmes de petite vertu que les brigands ont savamment jetées dans leurs bras.
Chargé de mener une enquête en vue de récupérer l’équivalent de sept tonnes d’or – soit actuellement plus d’un demi-milliard d’euros – le Ministre de l’Intérieur Roland parviendra à mettre la main sur les malfrats et leurs larcins mais certains objets royaux comme les joyaux de la Toison d’Or ou l’épée de diamant de Louis XVI ne réapparaitront plus.
Le Régent et le Sancy, les plus célèbres bijoux de la collection royale – ceux ayant également le plus de valeur – seront retrouvés au même moment que l’instruction du procès de Georges Danton (avril 1794), celui-là même qui était alors Ministre de la Justice à l’époque du vol et dont l’absence d’initiative avait été sévèrement reprochée. Soupçonné de complicité, ce sera l’un des chefs d’accusation retenus contre lui lesquels le mèneront tout droit à l’échafaud.
III – Valmy, premier succès militaire
Les causes qui seront à l’origine de la déclaration de guerre en avril 1792 sont multiples mais il était évident que les ennemis héréditaires de la France, à commencer par l’Autriche et l’Angleterre, ne tarderaient pas à montrer leur rejet face aux idées de la Révolution française par peur avant tout de l’effet contagieux qu’elles pouvaient susciter.
En revanche, il était plus que douteux d’inscrire le déclenchement de la guerre à l’initiative de la France, elle qui, par un décret du 22 mai 1790 avait juridiquement déclaré la paix au monde.
« […] ; l’Assemblée nationale déclarant à cet effet que la nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et qu’elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. »
Article 4 du Décret du 22 mai 1790
La Nation française avait donc renoncé pour une bonne partie au jus ad bellum (le droit de la guerre) sans négliger évidemment le jus in bello (le droit dans la guerre) encore embryonnaire à cette époque.
Cette question avait de surcroit entrainé de nombreux débats au sein de l’Assemblée nationale et qui plus est divisé ses membres entre ceux favorables à la guerre (principalement les girondins) et ceux qui y étaient fermement opposés (notamment Robespierre). Il faut dire que les arguments de chacun se tenaient. Protéger la France contre ses ennemis extérieurs pour garantir les acquis révolutionnaires avait autant de poids que l’idée selon laquelle les ennemis de l’intérieur profiteraient de la situation belliqueuse pour affaiblir le pays et favoriser ainsi la contre-révolution.
Ce fut pourtant le parti de la guerre qui l’emporterait sans doute parce que les conditions en faveur d’une déclaration se prêtaient davantage que celles en sens contraire. Le Roi lui-même y était favorable, parce qu’il avait plus à gagner qu’à y perdre. Il le regrettera sûrement au moment de son procès en décembre de la même année. En attendant, en cas de victoire de la Maison d’Autriche, cette dernière ferait en sorte que Louis XVI, beau-frère de l’Empereur, soit rétabli dans ses anciennes prérogatives.
De plus, la famille royale avait largement préparé le terrain. En effet, l’une des erreurs parmi celles commises par les constituants, fut de donner au Roi le monopole de la diplomatie. Les échanges entre lui et les familles régnantes d’Europe, dévoilés au cours de son procès, démontreront que le maximum a été fait en ce sens. Et il n’était pas seul. La Reine elle-même écrira à son frère Léopold II, dans une missive datée du 8 septembre 1791 et de manière non dissimulée : « il n’y a que la force armée qui puisse tout réparer ».
Cette dernière se fera même communiquer les plans de stationnement des armées françaises pour les transmettre aux autorités autrichiennes. Elle aussi le paiera de sa vie car acte qualifié d’intelligence avec l’ennemi, Marie-Antoinette sera exécutée entre autres – sans doute le seul chef d’accusation véritablement fondé et vérifié – pour haute trahison le 16 octobre 1793.
En attendant, la France s’était engagée dans un conflit armé et sera à vrai dire un combattant assez malheureux entre avril et septembre 1792. Ce n’est qu’en cette journée du 20 septembre 1792 qu’elle se réconciliera enfin avec la victoire. Les généraux François-Christophe Kellermann et Charles-François Dumouriez réussirent effectivement à stopper l’avance prussienne près du village de Valmy situé à l’est de Paris, en Champagne-Ardenne.
Cette bataille permit ainsi de fonder le mythe du citoyen en arme et fut à la base de la justification de la conscription pour sauver la patrie en danger. De plus, tous les observateurs et contemporains, à commencer par le célèbre dramaturge Johann Wolfgang von Goethe, s’accordèrent pour avancer l’idée d’une ère nouvelle après cette victoire des armées françaises. Quant aux mauvaises langues, elles feront courir le bruit que le Duc de Brunswick aurait été payé par Danton pour essuyer des pertes et quitter le territoire français, de quoi mettre à son actif un succès diplomatique et militaire tout en alimentant une nouvelle fois les traits de corrupteur et de corruptible propres à son caractère.
Quoi qu’il en coûte, cet évènement est donc un symbole et rien ne s’opposait alors à la Convention nationale, fraîchement élue, pour abolir la royauté et proclamer enfin en France la Première République.
IV – La Monarchie est morte, vive la République !
Mi-septembre 1792, le pouvoir à Paris manquait cruellement de légitimité après la destitution du Roi Louis XVI et les sombres journées de ce début de mois. Décisive, la bataille de Valmy permit de revigorer et les autorités publiques et les forces armées qui ne croyaient plus ni l’une ni l’autre en la Déesse Victoire. Maintenant que cette dernière souriait à nouveau à la France, on pouvait franchir un pas (révolutionnaire) supplémentaire. Ce fut chose faite les 21 et 22 septembre 1792 où après avoir aboli la Monarchie, on déciderait de dater dorénavant tous les actes officiels de l’An I de la République.
Pourtant, trois ans auparavant, le 22 septembre 1789, alors que des attroupements de boulangers se formaient un peu partout dans la capitale pour obtenir une augmentation du salaire, l’Assemblée nationale constituante avait décrété : « le gouvernement français est monarchique ». Que de chemin parcouru jusqu’ici !
Que dire de ce mot de « République » ? D’abord, qu’il est utilisé sous diverses acceptions. Étymologiquement, il vient du latin « res publica » autrement dit la « chose publique ». Ainsi compris, il est à la base des théories développées par les romains à des fins tant politiques que juridiques pour expliquer que lorsqu’il y va de la « chose publique », on ne peut appliquer les mêmes règles que celles utilisées entre les particuliers. Ulpien, préfet du prétoire (sorte de Ministre de la Justice et Premier conseiller de l’Empereur), repris dans les Pandectes du Code justinien (Corpus Iuris Iustiniani, 529-534 ap. J-C), disait :
« La matière (le droit) se divise en deux parties : le droit public et le droit privé. Le droit public s’occupe de ce qui touche à l’organisation du gouvernement de Rome ; le droit privé concerne ce qui relève de l’intérêt des particuliers parce qu’il y a certaines choses qui sont utiles à tous et d’autres qui concernent l’intérêt des personnes privées. Le droit public concerne les cérémonies sacrées, les devoirs des prêtres et ceux des magistrats. Le droit privé comprend les préceptes du droit naturel, ceux du droit des nations et ceux du droit civil ».
Constitution antonine (Constitutio Antoniniana, 212 ap. J-C)
C’est sur cette base que repose la distinction opérée encore aujourd’hui en droit français entre la branche publique et privée. Mais la « res publica » sert aussi à définir un mode de gouvernement. Ainsi, Cicéron dira en 54 avant Jésus Christ que « la République est une confusion entre la Monarchie, l’Aristocratie et la Démocratie » (De Republica, -54). En somme, il dissertait sur une question non dépourvue d’intérêt sous l’Antiquité à savoir le gouvernement mixte.
Au Moyen-Âge, la notion sera également reprise mais encore une fois sans acception homogène. Dans la Renaissance bien avancée, un célèbre légiste angevin, Jean Bodin, retiendra quant à lui de la République qu’il s’agit « d’un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qu’ils ont en commun avec puissance souveraine » (Les Six Livres de la République, 1576). En d’autres termes, ce qu’il cherchait avant tout à définir était la souveraineté reconnue de manière absolue par un prince en charge du salut public. La République ici renvoyait plutôt à l’idée d’« État ».
Quid en 1792 ? A cet instant de notre Histoire et du cours que tendait à prendre la Révolution française, il vaut mieux entendre la République comme un gouvernement du peuple au sein duquel le chef n’est pas héréditaire mais élu. Ce fut un renversement complet de nos institutions qui s’était alors produit car si l’on songe au temps qu’il aura fallu à nos monarques durant ces treize siècles de règne pour remplacer le mode électif – car les Rois de France étaient à l’origine élus par des assemblées de Grands du Royaume – et imposer le baptême puis le sacre et enfin l’hérédité par le prisme de la Loi salique, l’aboutissement est pour le moins bouleversant.
Notons par la même occasion que la succession au trône en ligne agnatique, c’est-à-dire par ordre de primogéniture de mâle en mâle était rangée parmi les « Loys fondamentales du Royaume », sorte de constitution coutumière à laquelle nul ne pouvait déroger – c’est d’ailleurs la raison de son existence qui a conduit à la Guerre de Cent ans – et que la première fois qu’elle fut juridiquement consacrée selon la conception moderne que nous nous faisons du constitutionnalisme date du 3 septembre 1791 ; au moment donc de l’adoption de la première constitution écrite en France soit un an presque jour pour jour avant qu’elle ne soit abolie. C’est dire la force du précédent en droit comparativement à ce qui se trouve parfois rédigé dans les textes.
Autre fait notable en 1792, la République, première du nom, n’a pas été explicitement proclamée comme elle le sera plus tard dans sa deuxième et nouvelle version par l’écrivain et homme politique Alphonse de Lamartine en ce jour du 24 février 1848. Le texte du 22 septembre 1792 est issu d’une proposition du député de Paris Collot d’Herbois tendant uniquement à dater à partir de cet instant les documents officiels de l’An I de la République. On comprend bien ce que cela pouvait avoir comme signification politiquement parlant mais encore une fois, ce qui ne s’est pas dit de son instauration ne se dira pas non plus de son abolition si bien que là aussi un principe juridique va naitre en filigrane sans jamais se démentir.
En effet, de 1792 à 1799, aucun texte ne remet en cause le caractère républicain des institutions. Toutefois, la Première République va bénéficier d’une sorte de continuité alors même qu’on l’on change par trois fois la Constitution. Même la Constitution de l’An XII (18 mai 1804), qui proclame pourtant l’Empire, dispose en son article 1er que : « Le gouvernement de la République est confié à un empereur qui prend le titre d’empereur des Français ». Dans la même veine, un peu plus bas dans le texte constitutionnel, l’article 53 énonçait : « Je jure de maintenir l’intégrité du territoire de la République, de gouverner dans la seule vue de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français ». Napoléon lui-même avait précisé qu’il n’aimait pas ce terme de « République ». C’est donc sous la même acception que celle de Jean Bodin, à savoir « État », qu’il convient ici de le comprendre.
L’Empire français laissera place ensuite au retour de la Monarchie sous la période de la « Restauration ». Les historiens du Droit préfèrent alors parler de « Monarchie limitée » mais encore une fois, ni la Charte constitutionnelle de 1814, ni celle de 1830 ne feront référence à une quelconque abolition de la République. Certes, on comprend qu’un régime vient en remplacer un autre mais aucun d’eux n’a procédé à l’image des révolutionnaires le 21 septembre 1792 et par effet miroir en abolissant explicitement la République.
La continuité dont se revendiquera la République plus tard était peut-être trop évidente à l’endroit de la Monarchie comme le démontre si bien la fiction juridique opérée dans la Charte de 1814 par Louis XVIII, lequel affirmait sans ambages être dans la dix-neuvième année de son règne. Ne pas mentionner son remplacement peut aussi être interprété comme une sorte de mépris envers cette forme de gouvernement qu’est la République, à un point tel qu’il n’est même pas question d’en parler dans les textes constitutionnels.
La proclamation de la Deuxième République n’en profitera pas non plus pour abolir ouvertement l’ancienne. Après son coup d’État (2 décembre 1851), Louis-Napoléon, futur Napoléon III conservera son titre de Président de la République lorsqu’il dévoilera la Constitution du 14 janvier 1852. Il aimera en revanche se faire appeler « Prince-Président ». Le Sénatus-consulte du 7 novembre 1852 rétablira la dignité impériale mais la constitution du Second Empire, en décembre 1852, ne modifiera que parcimonieusement mais non substantiellement le texte déjà promulgué en janvier.
La guerre franco-prussienne de 1870 mettra définitivement fin au régime impérial en France. Si les institutions de la Troisième République ne se feront jour que très progressivement entre 1871 et 1875, ce sont les trois lois constitutionnelles des 24-25 février et 16 juillet 1875 qui tiendront lieu de Constitution de la Troisième République. Quant à sa proclamation, il faut se référer à la harangue ambigüe de Léon Gambetta le 4 septembre 1870 :
« Français ! Le Peuple a devancé la Chambre, qui hésitait. Pour sauver la Patrie en danger, il a demandé la République. Il a mis ses représentants non au pouvoir, mais au péril. La République a vaincu l’invasion en 1792, la République est proclamée. La Révolution est faite au nom du droit, du salut public. Citoyens, veillez sur la Cité qui vous est confiée ; demain vous serez, avec l’armée, les vengeurs de la Patrie ! ».
Loin d’abolir l’ancienne et d’en proclamer une nouvelle, il se réclame d’une continuité avec celle du 21 septembre 1792. Toutefois, qu’il s’agisse de 1870 ou de 1875, le régime républicain français ne s’est pas encore définitivement stabilisé. En effet, si l’on retient la distinction opérée par le juriste allemand Carl Schmitt entre Constitution (c’est-à-dire la « structure globale concrète qui fixe une unité politique et un ordre social ») et Loi constitutionnelle, la France n’avait procédé qu’à ce qu’il appelait un « compromis de façade dilatoire » lequel devait durer jusqu’à la révision constitutionnelle du 14 août 1884 interdisant de réviser la forme républicaine du gouvernement.
Du statut « en attente de Monarchie » pour reprendre l’expression de Joseph Barthélémy, la France est passée à celui de « République stabilisée et pleinement assumée ». En somme, par cette décision mêlant droit et politique, elle a enfin trouvé son régime légitime.
Elle crée en même temps une règle que l’on peut comprendre implicitement comme souhaitant que la République se doit toujours d’être continue ce qui tend à renforcer par là même sa légitimité mais corollairement, que nul ne saurait l’abolir. On en change mais on ne rompt pas la chaîne qui unit la nouvelle à l’ancienne même si un intervalle institutionnel, consciemment ou non (on peut penser aux monarchies de la Restauration) n’y fait pas ou peu voire très peu référence. La longue lignée de Rois dont l’Histoire de France se revendique, se trouve en quelque sorte transfigurée dans un schéma républicain continuellement en quête de légitimation.
Les exemples postérieurs à 1884 le prouvent. La Troisième République n’a pas été abolie mais en quelque sorte suspendue par la loi du 10 juillet 1940 donnant les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. L’ordonnance du 9 août 1944 rétablit la légalité républicaine et dispose d’ailleurs que : « la forme du gouvernement de la France est et demeure la République. En droit celle-ci n’a pas cessé d’exister ». Quant au référendum du 21 octobre 1945, il appelle à se prononcer en faveur ou contre l’élection d’une assemblée constituante chargée de doter à nouveau la France d’une constitution.
Celle-ci ne sera adoptée qu’au deuxième coup, en octobre 1946. Continuité oblige, la Quatrième République ne touche pas à la troisième et crée même un pont avec celle-ci et toutes celles qui la précèdent en faisant référence, en son préambule, au respect des droits et libertés de la Déclaration de 1789 ; les mêmes que le Commissaire du Gouvernement Corneille se plaisait à qualifier de « lois républicaines » inscrites au frontispice de nos institutions (CE, 17 août 1917 Baldy).
S’agissant de la Cinquième République, l’article 89 alinéa 5 de la Constitution du 4 octobre 1958 reprend l’interdiction déjà formulée en 1884 selon laquelle la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision. Guy Carcassonne disait aussi admirablement d’elle que la France avait enfin trouvé son régime « efficace » via la mise en place d’une démocratie moderne. Le caractère continuel subsiste mais après cinquante-sept ans au service de la France à l’heure actuelle, on doute du devenir de la Cinquième République et du texte fondamental qui la supporte. De toute façon, si l’on doit passer le cap de la Sixième, le jeu des institutions mis à part, il est certain qu’en termes de légitimité, elle ne rompra en rien avec la nôtre.
Sources bibliographique :
SOBOUL (A) La Révolution française, Ed. Gallimard, octobre 1984, p. 608
BARBEY (J) Etre roi. Le Roi et son Gouvernement en France de Clovis à Louis XVI, Ed. Fayard, 1992, p. 573
BLUCHE (F) RIALS (S) TULARD (J) La Révolution française, Ed. PUF, Collection Que sais-je ? 2003, p. 124
RABAULT (H) L’Etat entre théologie et technologie. Origine, sens et fonction du concept d’État, Ed. L’Harmattan 2007, p. 276
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LENTZ (T) Les 100 questions sur Napoléon, Ed. La Boétie, 2013, p. 214
SCHMITT (C) La théorie de la constitution, 2ème édition PUF, 2013, p. 576
ZOLLER (E) Introduction au droit public, 2ème édition Dalloz, 2013, p. 252
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COLIN (F) Droit public : Droit constitutionnel, droit administratif, institutions administratives, fonction publique, droit administratif des biens, finances publiques, 3ème édition Gualino, 2014, p. 669
NOIRIEL (G) Qu’est-ce qu’une Nation, Ed. Bayard, 2015, p. 104
Sources audiovisuelles :
FERRAND (F) « 1792, le casse du millénaire » in L’ombre d’un doute :
https://www.youtube.com/watch?v=2_vEi0p1oRo