1. Deux décisions qui encadrent la pause estivale, l’une du 8 juillet l’autre du 14 septembre, méritent d’être rapportées bien qu’elles soient fichées B et ne soient destinées qu’à être mentionnées aux tables du recueil.
Par ces deux décisions (CE SSR., 8 juillet 2015, M. B c. Ministre de l’écologie, requête numéro 390154, T. et CE, SSR., 14 septembre 2015, Société NotreFamille.com, requête numéro 389806, T.) le Conseil d’Etat était saisi de questions prioritaires de constitutionnalité et devait examiner la question de leur renvoi devant le Conseil constitutionnel.
2. Dans la première affaire Monsieur B., que l’on imagine chasseur aguerri, contestait la constitutionnalité de l’article L. 424-2 du code de l’environnement qui dispose notamment que » Les oiseaux migrateurs ne peuvent en outre être chassés pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification ». Or cet article est la transposition de l’article 7 de la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 du Conseil concernant la conservation des oiseaux sauvages, dont les termes sont repris par l’article 7 de la directive n° 2009/147 CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 qui dispose que « Lorsqu’il s’agit d’espèces migratrices, [les Etats] veillent en particulier à ce que les espèces auxquelles s’applique la législation sur la chasse ne soient pas chassées pendant leur période de reproduction et pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification ».
Le requérant reprochait à l’article L.424-2 du code de l’environnement de porter une atteinte excessive au droit chasser, composante du droit de propriété protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En effet le Conseil constitutionnel a déjà jugé que le droit de chasser sur un bien foncier « se rattache au droit d’usage de ce bien, attribut du droit de propriété ; qu’il ne peut être apporté de limitations à l’exercice de ce droit qu’à la double condition que ces limitations obéissent à des fins d’intérêt général et n’aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée du droit de propriété s’en trouveraient dénaturés » (CC, décision n°2000-434 DC du 20 juillet 2000).
On le comprend, le renvoi d’une telle question à supposer qu’elle ait été jugée sérieuse aurait contraint le Conseil constitutionnel à examiner la constitutionnalité d’une disposition législative constituant la transposition de dispositions inconditionnelles d’une directive.
Or, sur le fondement de l’article 88-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la constitutionnalité de dispositions législatives qui assurent la transposition des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive en se bornant à en tirer les conséquences nécessaires (CC, 10 juin 2004, décision numéro 2004-496 DC, loi pour la confiance dans l’économie numérique. – CC, 1er juillet 2004, décision numéro 2004-497 DC; CC, 27 juill. 2006, décision numéro 2006-540 DC. CC, 30 novembre 2006, décision numéro 2006-543 DC).
Ce refus s’applique également aux QPC (CC, 17 décembre 2010, décision numéro 2010-79 QPC) :
4. Considérant que les dispositions contestées se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la directive du 29 avril 2004 qui ne mettent en cause aucune règle ni aucun principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ; que, par suite, il n’y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, d’examiner la question prioritaire de constitutionnalité susvisée,
En l’espèce le Conseil d’Etat juge que
les dispositions législatives critiquées, qui proscrivent la chasse des oiseaux migrateurs pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification, se bornent à tirer les conséquences des dispositions précises et inconditionnelles du troisième alinéa du point 4 de l’article 7 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages et ne mettent en cause aucune règle ni aucun principe inhérents à l’identité constitutionnelle de la France
Le Conseil constitutionnel réserve le cas dans lequel les dispositions en cause porteraient atteinte à l’identité constitutionnelle de la France, notion dont le contenu est aussi indéterminé que celle d’identité constitutionnelle de la Loi fondamentale dégagée par la Cour constitutionnelle de Karksruhe (2 BvR 2134, 2159/92, BVerfGE 89, 155, Maastricht, 12 octobre 1993).
Le Conseil d’Etat dans le considérant ci-dessus reproduit évoque la question et l’écarte sans explication. Les conclusions du rapporteur publique Suzanne von COESTER reproduites dans Ariane Web, c’est assez rare pour être noté, explicite l’analyse du Conseil. Le rapporteur public rappelle que selon les conclusions de Mattias GUYOMAR sur la décision ARCELOR (CE, Assemblée, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique, requête numéro 287110, rec.), cette référence permet de réserver l’hypothèse de « dispositions spécifiques à la Constitution française, qui ne trouvent aucun équivalent dans l’ordre juridique communautaire ».
Or le droit de propriété est garanti par l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
3. Dans la seconde décision, lue le 14 septembre 2015, le Conseil rejette une QPC déposée par la société NotreFamille.com à l’occasion d’un pourvoi tendant à l’annulation de l’arrêt n° 13BX00856 du 26 février 2015 de la cour administrative d’appel de Bordeaux concernant la légalité de la décision du président du conseil général de la Vienne rejetant sa demande tendant à l’abrogation de la délibération fixant les conditions de réutilisation par des tiers des archives publiques.
Il n’est pas nécessaire de revenir sur les fondements de la décision du Conseil d’Etat, qui sont absolument identiques à ceux de la décision du 8 juillet.
Notons qu’était ici en cause la constitutionnalité l’article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que :
Le producteur de bases de données a le droit d’interdire :
1° L’extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ;
2° La réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme.
Ces droits peuvent être transmis ou cédés ou faire l’objet d’une licence.
Le prêt public n’est pas un acte d’extraction ou de réutilisation.
En l’espèce le Conseil juge que cette disposition se borne à tirer les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données.
Nous laisserons à d’autres le soin de préciser si les dispositions nationales sont effectivement directement conditionnées par le texte de la directive.