Contexte : Cette décision rendue le 15 avril 2015 illustre une différente d’approche entre le Conseil d’Etat et la Cour de cassation sur la qualification juridique du comportement du professionnel de santé qui lèse un organe du patient à l’occasion d’un acte chirurgical.
Litige : Le 4 avril 2003, un chirurgien de l’Hôpital Bichat Claude Bernard pratique une opération de gastroplastie avec mise en place d’un anneau gastrique destiné à traiter l’obésité dont la patiente était atteinte. Quelques jours plus tard, une nouvelle intervention chirurgicale avec une résection œsogastrique doit être pratiquée, entrainant des séquelles importantes, à la suite de l’apparition d’une péritonite. Cette dernière est due à une perforation minime de l’estomac survenue lors de la première intervention et qui s’est ensuite agrandie pour atteindre deux centimètres.
La patiente saisit le tribunal administratif de Paris en lui demandant de mettre à la charge de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) la réparation de ses préjudices. Le tribunal rejette sa demande en estimant, d’une part, son dommage n’est pas la conséquence d’une faute médicale de nature à engager la responsabilité de l’AP-HP et, d’autre part, qu’il ne présente pas le caractère d’anormalité auquel les dispositions du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique subordonnent le droit à indemnisation des accidents médicaux par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale. Par un arrêt du 31 janvier 2013, la cour administrative d’appel de Paris annule la décision des premiers juges en considérant que la responsabilité de l’AP-HP est engagée à hauteur de 50 % des préjudices au titre d’un manquement des médecins à leur obligation d’informer la patiente des risques de l’opération de gastroplastie. La patiente forme un pourvoi contre cette décision en faisant grief à la cour administrative d’appel d’avoir rejeté le surplus de ses demandes.
Solution : Le Conseil d’Etat approuve les juges du fond d’avoir écarté l’existence d’une faute à l’encontre du chirurgien après avoir relevé « qu’une telle perforation peut trouver son origine dans le geste de dissection au contact de la paroi gastrique nécessaire pour passer la languette de l’anneau, sans qu’aucune erreur ou maladresse soit imputable au praticien qui l’effectue, et que si la plaie instrumentale a pu être considérée par l’expert comme résultant d’une « faute technique », il ne résulte pas de l’instruction que le chirurgien ait méconnu les règles de l’art ».
En revanche, la haute juridiction administrative censure l’arrêt attaqué qui a débouté la patiente de ses demandes à l’encontre de l’ONIAM au motif que « les troubles résultant de cet accident n’étaient pas notablement plus graves que ceux auxquels l’intéressée était exposée par l’obésité sévère dont elle était atteinte ». Pour le Conseil d’Etat, une telle circonstance n’est pas, « à elle seule, de nature à exclure un droit à réparation au titre de la solidarité nationale ». En effet, les juges du fond ne pouvaient rejeter la demande tendant à une indemnisation par l’ONIAM « sans vérifier que le dommage ne résultait pas de la réalisation d’un risque de l’intervention présentant une faible probabilité ».
Analyse : Concernant la perforation accidentelle de l’estomac, la position du Conseil d’Etat apparaît différente de celle de la Cour de cassation qui retient que le chirurgien répond, sauf à établir qu’elle était inévitable ou inhérente à l’acte pratiqué, de toute atteinte à l’intégrité corporelle du patient qui lui cause un dommage s’ajoutant à sa pathologie initiale.
Le juge judiciaire a ainsi retenu une faute de technique médicale en cas de perforation de la cloison recto vaginale provoquée soit par le bistouri soit par le doigt de l’opérateur (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 95-10.939, Bull. I, n° 7) ou en cas de perforation de l’intestin lors de la réalisation d’une coloscopie (Cass. 1re civ., 18 sept. 2008, n° 07-12170 : Bull. I, n° 205. V. égal. Cass. 1re civ., 28 mai 2009, n° 08-13.406 ) ou encore en cas de perforation de l’œsophage (Cass. 1re civ., 1er déc. 2011, n° 10-25573).
La position de la Cour de cassation n’est cependant pas linéaire. C’est ainsi qu’il a été également considéré que le chirurgien n’avait pas à répondre d’une perforation du colon ayant entraîné une péritonite nécessitant une intervention d’urgence (Cass. 1re civ., 26 novembre 2002, n° 01-00.390), ni d’une perforation digestive, ayant également provoqué une péritonite, qui est apparue très vraisemblablement à la suite d’une brûlure viscérale à distance par phénomène d’arc électrique (Cass. 1re civ., 10 mai 2005, n° 03-16.272).
La position du Conseil d’Etat apparaît manifestement plus constante. La juridiction administrative a ainsi jugé que la perforation sigmoïdienne survenue au cours d’une hystérectomie n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’AP-HP dès lors qu’il s’agit d’une des complications rares et connues de cette intervention et que la prise en charge de cette lésion a été diligente et conforme aux règles de l’art (CE, 15 déc. 2004, n° 358287, inédit au recueil Lebon), de même que la perforation accidentelle de l’intestin grêle (CE, 2 févr. 2011, n° 323970, inédit au recueil Lebon).
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, l’appréciation rigoureuse du juge judiciaire en matière de geste chirurgical ne nous semble davantage justifiée, du moins lorsque le dommage du patient atteint un certain seuil de gravité, puisqu’il peut être pris en charge au titre de la solidarité nationale (C. santé publ., art. L. 1142-1, II). En effet, comme le rappelle ici le Conseil d’Etat, si le risque d’atteinte à un organe, un nerf ou une artère présentait une faible probabilité, un droit à réparation peut être envisagée au titre de la solidarité nationale.
La Cour de cassation devrait sans doute s’inspirer de l’approche à la fois plus simple et plus respectueuse des textes issus de la loi Kouchner. Il en résulterait que, devant les deux ordres de juridiction, la survenance d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical ne pourrait engager la responsabilité du chirurgien qu’en cas de manquement aux règles de l’art lors de la prise en charge postopératoire du patient. A défaut, et en cas de conséquences graves, l’indemnisation demeurerait toutefois possible mais seulement si les conditions de la solidarité nationale étaient réunies.