La lenteur de l’action administrative et la nécessité pour les administrés de pouvoir se prévaloir d’une réponse de l’administration même en cas d’inaction ont conduit le droit administratif italien à attribuer une valeur au silence de l’administration.
Il faut distinguer la valeur du silence dans les relations entre l’administration et les administrés, d’une part, et dans les relations entre administrations, d’autre part.
En ce qui concerne les relations entre administration et administrés, il existe trois types de silences : le silence valant accord (silenzio assenso), le silence valant rejet (silence diniego) et le silence correspondant à un manquement de la part de l’administration (silenzio inadempimento ou silenzio rifiuto). Il y a une différence de taille entre ce dernier et les deux premiers types de silence : alors que le « silence valant accord » et le « silence valant rejet » équivalent à des actes de l’administration, le silence « manquement » est considéré comme un simple fait. Cela implique une différence dans les recours qui peuvent être introduits par les administrés en cas d’inaction de l’administration.
Les cas de « silence valant rejet » sont prévus par la loi, le « silence valant accord » étant devenu depuis 2005 le principe en droit administratif italien dans les relations entre administration et administrés. Il implique, comme en droit français, que toute demande des administrés restée sans réponse après l’expiration du délai prévu par les textes donne lieu à une décision implicite favorable aux particuliers (le decreto legge n° 35 du 14 mars 2005, ratifié par la loi n° 80 du 14 mai 2005, a modifié l’article 20 de la loi n° 241 du 7 août 1990 pour prévoir que le silence de l’administration face à une demande d’un administré vaut accord). Dans les hypothèses de silence valant rejet, qui sont peu nombreuses, l’administré dispose du recours pour excès de pouvoir pour faire annuler la décision implicite de l’administration.
Tout en étant devenu le principe, même dans les rapports entre administration et administrés le silence valant accord n’est pas généralisé. En effet, la loi n° 241/1990 (« Nuove norme in materia di procedimento amministrativo e di diritto di accesso ai documenti amministrativi », « Normes en matière de procédure administrative non contentieuse et droit d’accès aux documents administratifs ») dispose que le principe du silence valant accord ne s’applique pas dans différents domaines : le patrimoine culturel et naturel, l’environnement, la défense nationale, la sécurité publique, l’immigration, l’asile et les décisions portant sur la nationalité, la santé et la sûreté publiques, les cas dans lesquels le droit de l’Union requiert l’adoption d’une décision explicite ainsi que d’autres procédures déterminées par décret (art. 20, al. 4).
Dans les cas où le silence valant accord ne s’applique pas, mais dans lesquels la loi ne qualifie pas le silence de l’administration en tant que rejet, intervient la notion de « silence manquement ». Dans cette hypothèse, l’administré ne dispose d’aucune décision, même implicite, qu’il pourrait contester devant le juge, mais peut seulement s’adresser à ce dernier pour qu’il intervienne pour contraindre l’administration à l’adoption d’une décision explicite – ce que la loi l’oblige à faire, n’attribuant aucune valeur à son silence. A l’expiration du délai dont dispose l’administration pour adopter sa décision, l’administré peut demander au juge qu’il lui enjoigne d’adopter la décision. Le juge peut nommer, le cas échéant, une personne qui se substitue à l’organe de l’administration pour prendre la décision (commissario ad acta). Les règles contentieuses sont particulièrement favorables aux administrés car il n’est pas nécessaire de mettre en demeure l’administration et le délai pour agir est plus long que celui du recours pour excès de pouvoir (un an au lieu de soixante jours).
Ces règles régissent les rapports entre les administrés et l’administration en cas d’inaction de cette dernière. Jusqu’à la loi n° 124/2015, il n’existait pas un principe général qui qualifiait comme accord le silence gardé par une administration vis-à-vis d’une autre dans le cadre de la procédure administrative non contentieuse. Les mécanismes prévus par cette loi ont été conçus comme des instruments de la simplification administrative (I). La nouveauté apportée par la loi Madia dans ce domaine renforce cette exigence dans les rapports entre administrations (II).
I. Le silence entre administrations, un outil de simplification
La loi n° 241/1990 prévoit trois mécanismes de simplification dans le cadre de la procédure administrative non contentieuse, qui servent à passer outre l’inertie d’une administration appelée à intervenir dans une procédure lancée par une autre administration (dite amministrazione procedente, c’est-à-dire administration responsable de l’adoption de l’acte). Il s’agit des avis, des évaluations techniques et de la conferenza di servizi, qui est une modalité particulière d’examen d’une affaire qui ressort de la compétence de plusieurs administrations.
En ce qui concerne les avis (art. 16), la loi prévoit un délai de vingt jours à compter de la réception de la demande d’avis. Ce délai peut être interrompu une seule fois pour recueillir des éléments utiles, l’avis étant dû dans un délai de quinze jours à compter de la réception de ces éléments. Il est prévu que, lorsque l’administration dont l’avis est requis ne se prononce pas dans ces délais, l’administration qui l’a sollicitée peut passer outre. Il ne s’agit donc pas d’une obligation. En outre, ce mécanisme de simplification ne s’applique pas lorsque l’avis est demandé à une administration compétente en matière d’environnement, protection de la nature, aménagement du territoire et santé publique.
S’agissant des évaluations techniques (art. 17), les lois et règlements fixent les délais dans lesquels les organismes compétents doivent rendre leurs rapports. Dans le silence des textes, ce délai est de quatre-vingt-dix jours. Si ce délai expire sans que l’évaluation ne soit rendue, l’administration qui l’a requise peut s’adresser à d’autres organismes ou établissements publics qui disposent de capacités techniques équivalentes que celui qui était initialement prévu, voire à des universités. Sur le modèle de ce qui est prévu pour les avis, lorsque l’évaluation technique doit être rendue dans les domaines de l’environnement, la protection de la nature, l’aménagement du territoire et la santé publique, l’administration responsable ne peut s’adresser à d’autres administrations que celle indiquée par les textes.
Ces deux types de silences sont dits aussi « dévolutifs », car ils ont pour effet de soustraire à l’administration prévue par les textes la compétence d’adopter un avis ou une évaluation technique.
Le cas des conferenze di servizi, que nous analyserons de façon approfondie dans l’un des prochains articles, car l’article 2 de la loi Madia leur est entièrement consacré, est en partie différent. En effet, les conferenze di servizi consistent en des réunions entre administrations dont l’intervention est requise pour l’adoption d’un acte administratif et qui doivent donc se mettre d’accord sur son contenu. Dans cette hypothèse, si l’une des administrations intéressées ne s’exprime pas dans le cadre de la conferenza, elle est réputée avoir donné son accord. Cette solution s’applique dans tous les domaines, même dans ceux qui sont exclus des mécanismes de simplification en matière d’avis et évaluations techniques indiqués ci-dessus (environnement, santé publique etc.), sauf dans les cas d’évaluations préalables en matière environnementale.
Dans les conferenze di servizi, le silence d’une administration a donc comme conséquence de l’écarter du processus décisionnel. Le même objectif semble être poursuivi par les dispositions de la loi Madia analysées.
II. La généralisation du « silence valant accord » entre administrations
L’article 3 de la loi Madia introduit un nouvel article 17-bis dans la loi n° 241/1990, libellé « Silenzio assenso tra amministrazioni pubbliche e tra amministrazioni pubbliche e gestori di beni o servizi pubblici » (« Silence valant accord entre administrations et entre administrations et gestionnaires de biens ou services publics »).
Ce nouvel article de la loi n° 241 se réfère à une hypothèse de relations inter-administratives différente de celles que nous venons d’analyser. Il prévoit que, dans toutes les hypothèses dans lesquelles l’accord de plusieurs administrations et/ou de concessionnaires de biens ou services publics est requis pour l’adoption d’un acte administratif, même de nature réglementaire, ceux-ci disposent d’un délai de trente jours à compter de la réception du projet d’acte et de la documentation nécessaire. Ce délai ne peut être interrompu qu’une fois, à la demande de l’administration dont l’accord est requis, pour recueillir les informations nécessaires ou pour apporter des modifications au projet initial, un nouveau délai de trente jours recommençant à courir une fois que ces éléments sont disponibles. La demande de modifications doit être motivée. À l’expiration du délai de trente jours (initial ou après interruption), en cas de silence de l’administration, l’accord est réputé acquis. Il est également prévu que, si l’administration qui est restée silencieuse est une administration centrale de l’État, le Président du Conseil, après délibération du Conseil des ministres, se prononce sur les modifications qui doivent être apportées au projet de décision.
La portée novatrice de cette disposition est considérable, comme le démontrent les discussions relatives à son impact au cours des travaux parlementaires. Il n’était pas clair, en effet, si elle était destinée à s’appliquer exclusivement aux actes administratifs de valeur réglementaire ou si elle avait une portée plus générale. La réponse semble aller dans ce second sens car cet article a bien été inséré dans la loi sur la procédure administrative non contentieuse et non pas, comme il en avait été question pendant les débats, dans la loi qui règle l’adoption des actes réglementaires et de portée générale (loi n° 400 du 23 août 1988, « Disciplina dell’attività di Governo e ordinamento della Presidenza del Consiglio dei Ministri », « Normes portant sur l’activité du Gouvernement et organisation de la Présidence du Conseil »). Le but de ce dispositif est de pousser l’administration responsable à adopter l’acte dans les délais prévus : elle ne pourra pas mettre en avant le défaut d’accord des autres administrations car, une décision implicite s’étant formée en ce sens, elle est seule responsable de l’achèvement de la procédure.
Si l’on considère que le principe du « silence valant accord » s’applique à l’adoption de tout acte administratif, son introduction pose des problèmes d’interprétation au regard des autres hypothèses de relations inter-administratives analysées ci-dessus.
Si le problème ne semble pas se poser pour les évaluations techniques, parce que dans ce cas le silence valant d’accord n’est pas évoqué, la question doit être examinée de façon plus approfondie pour les avis et pour les conferenze di servizi.
En ce qui concerne les avis, on peut considérer qu’ils sont en dehors du champ d’application de l’article 17-bis. En effet, dans le cas des avis, l’administration responsable peut adopter, seule, l’acte final, mais pour ce faire elle doit (avis obligatoire) ou peut (avis facultatif) demander l’avis d’un organe consultatif. L’article 17-bis porte sur une hypothèse différente, celle des « accords indépendamment de la dénomination choisie dans les textes » (« assensi, concerti o nulla osta comunque denominati »). L’article 17-bis fait référence aux hypothèses dans lesquelles l’intervention de l’administration dont l’accord est sollicité est nécessaire pour parvenir à l’adoption de l’acte. Il s’agit d’un véritable coauteur de l’acte. Pour les avis, les règles déjà prévues par la loi n° 241/1990 continueront de s’appliquer, même s’il est difficile de tracer la frontière entre avis et hypothèses d’accord, étant donnée la nature ouverte de la catégorie d’actes auxquels se réfère l’article 17-bis. Cela laisse imaginer que l’application du silence valant accord sera de plus en plus large.
Plus délicat est le cas des conferenze di servizi. Il est vrai que, dans les conferenze di servizi, à l’exception des évaluations environnementales préalables, le principe était déjà celui du « silence valant accord ». Néanmoins, il n’est pas simple de distinguer entre accord « simple » e accord donné dans le cadre d’une conferenza di servizi. Les conferenze di servizi devraient être regardées comme une modalité particulière d’organisation de la procédure administrative non contentieuse qui répond à ses propres règles – non seulement celle relative au silence, mais également celles qui régissent les temps de la procédure, l’adoption de l’acte, etc. Par conséquent, l’exception relative aux évaluations environnementales préalables semblerait être destinée à demeurer, les règles sur la conferenza di servizi devant être regardées comme spéciales par rapport à celles générales sur la procédure administrative contentieuse, auxquelles se réfère le nouvel article 17-bis.
Un point en particulier a soulevé beaucoup d’interrogations, voire d’inquiétudes. Comme nous l’avons vu ci-dessus, dans les autres hypothèses dans lesquelles il est possible de passer outre le silence d’une administration, des exceptions portant sur des matières particulièrement sensibles sont prévues. Tel n’est pas le cas du silence valant accord entre administrations de l’article 17-bis. En effet, la seule exception admise, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice (CGCE, 28 février 1991, Commission c. Italie, aff. C-360/87), est celle dans laquelle le droit européen exige que la procédure se termine par un acte explicite. En revanche, il est prévu que ce dispositif s’applique également en matière environnementale, culturelle, d’aménagement du territoire et de santé publique. La seule différence est que le délai pour donner l’accord dans ces domaines n’est pas de trente jours, mais de quatre-vingt-dix jours. Les dispositions qui prévoient la possibilité d’interrompre le délai initial pour recueillir des éléments complémentaires ou demander la modification du projet ne sont pas reproduites lorsqu’il est question de ce délai de quatre-vingt-dix jours, ce qui impose d’interpréter cet alinéa par analogie avec le précédent, pour éviter une différence qui ne serait pas justifiée.
En tout état de cause, l’allongement du délai vise à concilier la nécessité d’accélérer la procédure administrative non contentieuse avec la réalité des administrations qui interviennent dans ces secteurs. En effet, ces dernières, tout en étant chargées de la défense d’intérêts majeurs pour la collectivité, se lamentent d’un manque de moyens qui ralentit leur action et qui ne leur permet pas de réagir dans les délais prévus. Néanmoins, cette solution n’a pas rassuré certains commentateurs, qui craignent que cela ait des conséquences néfastes, notamment en matière culturelle et environnementale.
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