Contexte : Dans une décision rendue le 12 novembre 2015, la Cour de cassation renvoie devant la CJUE plusieurs questions préjudicielles visant à résoudre la délicate question de l’imputabilité de la sclérose en plaques à la vaccination contre l’hépatite B.
Litige : Une personne vaccinée contre l’hépatite B décembre 1998 présente, à partir d’août 1999, des tremblements et divers troubles qui ont conduit, au mois de novembre 2000, au diagnostic de la sclérose en plaques. Elle a assigné la société Sanofi Pasteur MSD, fabricant du vaccin, aux fins d’obtenir une indemnisation. Par jugement du 4 septembre 2009, le tribunal de grande instance de Nanterre a retenu que la sclérose en plaques était en lien avec le défaut des vaccins produits par la société Sanofi Pasteur. Par un arrêt du 10 février 2011, la cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement et rejeté l’action en responsabilité dirigée contre le laboratoire. Pour statuer en ce sens, la cour d’appel a retenu que, s’il existait bien des présomptions graves, précises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit était suffisamment établi, il n’en demeurait pas moins que le défaut de sécurité objective du produit, au sens de l’article 1386-4 du code civil, n’était pas démontré. Les proches de la personne vaccinée, qui est décédée en cours d’instance, ont formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.
Solution : Au visa de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Cour de cassation a sursis à statuer dans l’attente que la Cour de justice se prononce sur les questions posées en ces termes :
« 1°/ L’article 4 de la directive 85/ 374/ CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux s’oppose-t-il, dans le domaine de la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques du fait des vaccins qu’ils produisent, à un mode de preuve selon lequel le juge du fond, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, peut estimer que les éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des présomptions graves, précises et concordantes, de nature à prouver le défaut du vaccin et l’existence d’un lien de causalité de celui-ci avec la maladie, nonobstant la constatation que la recherche médicale n’établit pas de lien entre la vaccination et la survenance de la maladie ?
2°/ En cas de réponse négative à la question n° 1, l’article 4 de la directive 85/ 374, précitée, s’oppose-t-il à un système de présomptions selon lequel l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices de causalité sont réunis ?
3°/ En cas de réponse affirmative à la question n° 1, l’article 4 de la directive 85/ 374, précitée, doit-il être interprété en ce sens que la preuve, à la charge de la victime, de l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage par elle subi ne peut être considérée comme rapportée que si ce lien est établi de manière scientifique ?« .
Analyse : Manifestement, la Cour de cassation cherche une issue au contentieux de la vaccination contre l’hépatite B en interrogeant la CJUE sur la conformité de sa jurisprudence avec la directive 85/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires ou administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.
En effet, depuis un revirement de jurisprudence intervenu en 2008, la Cour de cassation juge que la preuve d’un lien causal peut résulter « de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes » (Cass. 1re civ., 22 mai 2008, nos 06-14.952, 05-20.317, 06-10.967, 06-18.848 et 05-10.593 : Bull. civ. 2008, I, nos 147, 148 et 149 ; Resp. civ. et assur. 2008, étude 8 par Ch. Radé ; JCP G 2008, II, 10131, note L. Grynbaum ; RTD civ. 2008, p. 492, note P. Jourdain ; D. 2008, p. 1544, obs. I. Gallmeister, et p. 2897, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 9 oct. 2008, n° 283, p. 49, note S. Hocquet-Berg ; RDSS 2008, p. 578, obs. J. Peigné ; RTD com. 2009, p. 200, obs. B. Bouloc).
Plus récemment, elle semble avoir invité les juges du fond à déduire le défaut du vaccin à partir du constat de son lien causal avec le dommage (Cass. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-17.738 : JurisData n° 2012-021498 ; Bull. civ. I, no 187 ; Resp. civ. et assur. 2012, comm. 350, note S. Hocquet-Berg ; D. 2012, p. 2373, entretien avec Ch. Radé ; ibid. p. 2853, note J.-S. Borghetti ; JCP G 2012, n° 46, p. 1199, note Ch. Quézel-Ambrunaz ; D. 2012, p. 2304, obs. I. Gallmeister ; D. 2012, p. 2376, entretien avec Ch. Radé).
Ces positions jurisprudentielles sont critiquées par la plupart des auteurs. Certains reprochent à la Cour de cassation de ne pas aller assez loin et l’invitent à poser une véritable présomption de droit en matière de causalité, afin de partiellement neutraliser le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond en matière de présomptions. D’autres pensent au contraire que la position de la jurisprudence française n’est pas raisonnable et qu’il convient d’écarter toute réparation, dès lors qu’aucune preuve scientifique ne permet d’affirmer l’imputabilité de la maladie à la vaccination contre l’hépatite B.
La CJUE est donc invitée à jouer les juges de paix en tranchant entre ces deux approches. La réponse est donc attendue avec impatience en France mais aussi dans tous les pays de l’Union européenne qui sont confrontés à la même problématique.