Contexte : Cette décision rendue le 12 novembre 2015 par la première chambre civile tranche une difficulté tenant à la compétence du juge pour connaître des actions en responsabilité dirigées contre des établissements de santé privé pour des produits sanguins contaminés, tout en apportant une utile précision sur les conditions désormais requises pour obtenir leur condamnation à réparer les dommages en résultant.
Litige : A l’occasion d’un acte médical pratiqué en mars 1985 dans un établissement de santé privé, une patiente subit plusieurs transfusions sanguines de produits sanguins fournis par le centre de transfusion sanguine de Quimper, aux droits desquels est venu l’Etablissement français du sang (EFS) puis, par l’effet de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, l’ONIAM. Rapidement, la patiente a présenté des troubles des fonctions hépatiques. Courant 1990, une hépatite C est diagnostiquée. La victime est indemnisée à l’issue d’une procédure ayant abouti à une décision définitive. Après son décès, ses proches introduisent une nouvelle action destinée à obtenir réparation de leurs propres préjudices subis par ricochet. L’établissement de santé privé soulève l’irrecevabilité de cette demande, en faisant valoir qu’elle était dirigée devant une juridiction incompétente pour en connaître et au surplus à l’encontre d’une personne qui n’était pas habilitée à en répondre puisqu’en application de la loi du 17 décembre 2008, l’ONIAM serait désormais seul compétent pour connaître des demandes tendant à l’indemnisation des dommages résultant de la fourniture de produits sanguins ou de médicaments dérivés du sang. Infirmant l’ordonnance sur incident du juge de la mise en état du TGI de Quimper qui avait suivi cette analyse, la cour d’appel de Rennes a retenu la compétence du juge judiciaire pour connaître de ce litige par un arrêt qui est attaqué par la voie du pourvoi en cassation.
Solution : La Cour de cassation rejette le pourvoi en jugeant que :
« l’article 15 de [l’ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005], unifiant au profit des juridictions administratives les contentieux transfusionnels dans lesquels l’EFS vient aux droits et obligations des centres de transfusions sanguines, concerne les demandes tendant à sa condamnation à indemniser les dommages résultant de la fourniture des produits sanguins élaborés par ces centres et qu’en application de l’article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, l’ONIAM est chargé, depuis le 1er juin 2010, de l’indemnisation des victimes de ces dommages ; que les demandes tendant à la condamnation des établissements de santé privés, au titre de l’administration de produits sanguins contaminés, demeure de la compétence des juridictions judiciaires, appréciant seules la responsabilité de ces établissements qui ne peut, cependant, être engagée qu’en cas de faute ; qu’il s’ensuit qu’en écartant l’application de l’article 15 précité, après avoir retenu que M. X ne recherchait pas une indemnisation par l’ONIAM, mais la responsabilité de la clinique sur le fondement des règles contractuelles de droit privé, la cour d’appel n’a commis aucun excès de pouvoir ».
Par ces motifs, la Cour de cassation statue sur l’incident de procédure qui a été soulevé durant la mise en état tout en donnant des instructions claires à l’intention du juge du fond qui sera ultérieurement amené à statuer sur la responsabilité de l’établissement de santé privé au titre des produits sanguins contaminés.
Analyse : Deux informations peuvent être tirées de cette décision, l’une comme l’autre étant parfaitement prévisibles.
La première concerne la compétence du juge judiciaire pour connaître des actions en responsabilité dirigées contre des établissements de santé privé dans lesquels la victime a été contaminée à l’occasion de transfusions sanguines.
En effet, si le juge administratif est indiscutablement compétent pour statuer sur toute demande dirigée contre l’ONIAM, peu important si le centre de transfusion sanguine était une personne morale de droit privé ou de droit public, il ne résulte pas des termes de l’article 15 de l’ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 que le juge administratif est également compétent pour connaître des actions en responsabilité dirigées contre une clinique sur le fondement de l’article 1147 du code civil. En outre, le Tribunal des Conflits n’a nullement statué en faveur d’une compétence exclusive du juge administratif lorsqu’il a décidé que ce dernier devait connaître de l’action introduite par une victime contaminée par le virus de l’hépatite C à l’encontre de l’EFS, venant aux droits d’un centre de transfusion sanguine de droit privé (TC, 28 février 2011, n° C3750).
Dans ces conditions, c’est sans surprise que la Cour de cassation retient que le juge judiciaire demeure compétent pour examiner les actions en responsabilité dirigées contre les établissements de santé privés pour les dommages résultant de la fourniture de produits sanguins.
La seconde concerne les conditions de la responsabilité des établissements de santé privés au sein desquels un patient a été contaminé par transfusion de produits sanguins contaminés par un virus, en l’occurrence le virus de l’hépatite C.
Jusqu’alors, la Cour de cassation jugeait que les cliniques étaient responsables de plein droit du défaut des produits sanguins transfusés (Cass. 1re civ., 14 novembre 1995, n° 92-18.199, Bull. I, n° 414 ; JCP G 1996, I, p. 3985, obs. n° 7, par G. Viney). Cependant, comme pouvait le laisser supposer le revirement de jurisprudence opéré au sujet des prothèses défectueuses utilisées par un chirurgien (Cass. 1re, 12 juillet 2012, n° 11-17.510, à paraître au bulletin ; Resp. civ. et assur. 2012, étude 8 par S. Hocquet-Berg ; D. 2012, p. 2277, note M. Bacache ; JCP G 2012, p. 1768, note P. Sargos), la Cour de cassation revient sur cette position qui reposait sur une lecture erronée de la directive du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité des produits défectueux. En effet, contrairement à ce que le juge national avait cru, la directive entend faire peser la responsabilité de plein droit du fait des produits défectueux que sur le seul producteur, c’est-à-dire le fabricant. L’établissement de santé n’en étant qu’un simple fournisseur, voire un simple utilisateur, il n’est donc pas visé par ce régime de responsabilité dérogatoire au droit commun, lequel nécessite en principe la démonstration d’une faute de l’auteur du dommage (V. pour une critique de cette solution, Ch. Radé, panorama du droit des accidents médicaux, Lexbabase Hebdo, édition privée n° 642 du 4 février 2016).
Le message de la Cour de cassation, qui n’était pas utile pour rejeter le pourvoi dont elle était saisie, est indiscutablement destiné au juge du fond qui, dans le présent litige, devra donc rejeter la demande en réparation des proches de la patiente contaminée, dont l’indemnisation de son préjudice personnel avait ordonnée en l’état d’une jurisprudence désormais révolue.