Contexte : Par cette décision rendue le 6 janvier 2016, la Cour de cassation renvoie au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité posée à propos du régime d’indemnisation applicable aux victimes d’infections nosocomiales.
Litige : A l’occasion d’un pourvoi incident formé contre un arrêt ayant statué sur sa demande de réparation des préjudices consécutifs à l’infection nosocomiale dont il a été victime, un patient demande à la Cour de cassation de renvoyer au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à « la conformité de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er et alinéa 2 du code de la santé publique au principe d’égalité des citoyens devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».
Solution : La Cour de cassation juge qu’il y a lieu de renvoyer cette question prioritaire de constitutionnel en jugeant, après avoir relevée qu’elle était nouvelle et concernait une disposition n’ayant pas été déjà déclarée conforme à la Constitution :
« qu’elle revêt un caractère sérieux en ce que ce texte impose aux patients ayant contracté une infection nosocomiale à l’occasion de soins dispensés par des professionnels de santé, exerçant leur activité libérale, de prouver l’existence d’une faute de ces derniers, alors que, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère, les établissements, service et organismes de santé sont responsables de plein droit des dommages subis par leurs patients, victimes d’une telle infection ».
Analyse : Tandis que la Cour de cassation faisait peser à la fois sur le médecin et sur l’établissement de santé privé une obligation de sécurité de résultat, la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, applicable aux infections contractées à partir du 5 septembre 2001, a institué un régime d’indemnisation différencié selon l’auteur du dommage mis en cause, dont la cohérence s’est trouvée anéantie par la loi du 30 décembre 2002, applicable aux infections contractées à partir du 1er janvier 2003.
Pour schématiser, trois situations doivent être distinguées :
– si l’infection a été contractée l’occasion de soins dispensés dans un établissement de santé privé ou public et a occasionné des dommages entrainant une incapacité permanente partielle d’un taux inférieur ou égal à 25 %, la victime est en principe indemnisée par l’assureur de l’établissement (C. santé publ., art. L. 1142-1, I, alinéa 2) ;
– si l’infection a été contractée l’occasion de soins dispensés dans un établissement de santé privé ou public et a occasionné des dommages entrainant une incapacité permanente partielle d’un taux supérieur à 25 %, c’est alors l’Office national d’indemnisation (ONIAM) qui indemnise la victime, indépendamment de l’existence ou non d’une responsabilité civile (C. santé publ., art. 1142-1-1, 1°). La loi About du 30 décembre 2002 ayant posé cette règle précise qu’en cas d’aggravation du dommage initial, l’Office national d’indemnisation (ONIAM) rembourse à l’assureur les indemnités initialement versée à la victime (C. santé publ., art. L. 1142-17-1).
– si l’infection a été contractée à l’occasion d’un acte de soins pratiqués dans le cabinet du médecin, la victime doit prouver la faute de ce dernier pour être indemnisé, à moins d’établir les conditions de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale (C. santé publ., art. L. 1142-1, II).
En effet, la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a condamné la jurisprudence de la Cour de cassation qui jugeait « qu’un médecin est tenu, vis-à-vis de son patient, en matière d’infection nosocomiale, d’une obligation de sécurité de résultat, dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère » (Cass. 1re civ., 29 juin 1999, 3 esp., n° 97-21.903 : Bull. I, n° 222 ; D. 1999, jurispr. p. 559, note D. Thouvenin ; JCP G 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos ; Gaz. Pal. 1999, 3, doctr. p. 1619, note J. Guigue ; Gaz. Pal. 2000, 1, doctr. p. 624 par S. Hocquet-Berg ; LPA 15 nov. 1999, p. 5, note I. Denis-Chaubet ; Médecine et droit 1999, n° 37, p. 3, note P. Sargos ; La Revue du praticien 1999, n° 472, p. 1499, note F. Chabas ; F. Vialla, Médecine et droit 1999, n° 37 p. 4 ; JCP G 2000, I, 199, n° 15 s., obs. G. Viney ; RTD civ. 1999, p. 841, obs. P. Jourdain ; Resp. civ. et assur. 1999, chron. 20 par H. Groutel ; Defrénois 1999, p. 994, obs. D. Mazeaud ; D. 1999, somm. p. 395, obs. J. Penneau).
C’est la remise en cause de cette solution par la loi n° 2002-3003 du 4 mars 2002 qui contreviendrait, selon l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité renvoyée au Conseil Constitutionnel par cet arrêt, au principe d’égalité des citoyens devant la loi garanti par l’article 6 de la DDHC.
Même si l’on peut juger inopportun de subordonner l’indemnisation de la victime d’une infection nosocomiale à la preuve d’une faute du professionnel de santé lorsque les soins ont été dispensé dans le cadre leur activité à titre libéral, il est difficile d’y voir une atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la loi. En effet, et la Cour de cassation l’a jugé à plusieurs reprises (V. Crim., 6 août 2014, n° 14-81.244 ; Resp. civ. et assur. 2014, comm. 298 ; Resp. civ. et assur. 2014, Repère 9 par H. Groutel), ce principe n’interdit pas au législateur de traiter différemment des personnes qui se trouvent dans une situation différente, dès lors qu’il poursuit un but d’intérêt général. Reste donc à savoir, et c’est sur ce point que le Conseil Constitutionnel devra se prononcer, si la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 a poursuivi un intérêt de ce type en écartant les professionnels de santé exerçant à titre libéral du domaine du régime spécial de responsabilité en matière d’infection nosocomiale.
Addendum :
Dans une décision n° 2016-531 du 1er avril 2016, le Conseil Constitutionnel a jugé que le deuxième alinéa de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique était conforme à la Constitution aux motifs que la différence de traitement dans les conditions d’engagement de la responsabilité issue des dispositions contestées repose sur une différence de situation entre les professionnels de santé et les établissements, services et organismes de santé.
Il a relevé :
« Considérant que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins pratiqués dans un établissement, service ou organisme de santé se caractérisent par une prévalence des infections nosocomiales supérieure à celle constatée chez les professionnels de santé exerçant en ville, tant en raison des caractéristiques des patients accueillis et de la durée de leur séjour qu’en raison de la nature des actes pratiqués et de la spécificité des agents pathogènes de ces infections ; qu’au surplus, les établissements, services et organismes de santé sont tenus, en vertu des articles L. 6111-2 et suivants du code de la santé publique, de mettre en œuvre une politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et d’organiser la lutte contre les événements indésirables, les infections associées aux soins et l’iatrogénie ; qu’ainsi, le législateur a entendu prendre en compte les conditions dans lesquelles les actes de prévention, de diagnostic ou de soins sont pratiqués dans les établissements, services et organismes de santé et la spécificité des risques en milieu hospitalier ; que la différence de traitement qui découle des conditions d’engagement de la responsabilité pour les dommages résultant d’infections nosocomiales repose sur une différence de situation ; qu’elle est en rapport avec l’objet de la loi ; qu’il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l’article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté« .