« Citoyens, vouliez-vous une révolution sans révolution ? »
Maximilien de Robespierre, le 5 novembre 1792 à la Convention nationale
C’est un coup rude et soudain qui fut porté en plein cœur du peuple français réuni le 17 juillet 1791 au Champ-de-Mars pour signer sur l’autel de la Patrie une pétition républicaine. Voilà deux ans que les États Généraux avaient été convoqués à Versailles pour mettre un terme à la banqueroute que subissait le Royaume de France. On ne saurait que trop répéter à quel point les mois de juin-juillet 1789 ont été décisifs puisque c’est à ce moment que les députés du Tiers État se constituent « Assemblée nationale » (17 juin) avant d’être rejoints, sur ordre du Roi, par les membres du Clergé et de la Noblesse (27 juin) et de s’autoproclamer le mois suivant « constituante » (9 juillet). Juridiquement, la Révolution était faite. Il faudra encore attendre la nuit du 4-5 août 1789 pour que les privilèges soient abolis faisant ainsi tabula rasa d’une organisation féodale qui caractérisait si bien la France depuis l’époque moyenâgeuse. Pourtant, au milieu de l’année 1791, la première constitution écrite de la France n’était encore pas adoptée et ne le serait à vrai dire qu’en septembre. On n’avait beau avoir créé de toute pièce le mythe de la « Nation », les désaccords en son sein n’étaient que plus grands depuis le début des évènements révolutionnaires. En effet, ceux qu’on appelait alors les « noirs » et qui formaient l’ancienne aristocratie, fuyaient à l’étranger et intriguaient avec les puissances voisines pour provoquer une intervention armée. Quant aux aristocrates restés sur le territoire français, leur opposition ne se jaugeait pas que sur un plan constitutionnel. C’est ainsi que le 28 février 1791, une horde de gentilshommes se rendit aux Tuileries pour enlever Louis XVI. Ces « Chevaliers du poignard » échouèrent dans leur entreprise mais le constat était là ; la vieille Noblesse passait maintenant aux armes. De même, en juin 1791, un certain Baron de Lézardière tenta un soulèvement en Vendée où l’on sait que la tension serait toujours plus palpable jusqu’en 1793. S’agissant de l’ancien Clergé, le traitement qui lui était infligé depuis 1790 ne fit qu’accentuer la division de la population sur le plan religieux. Pour parvenir à mettre en place une Église nationale, l’Assemblée constituante avait adopté le 12 juillet 1790 une Constitution civile du Clergé qui faisait des membres de cet ancien ordre de simples fonctionnaires tenus de prêter serment à la Révolution. Si certains s’affairaient, ce ne fut pas le cas de tous et on distinguerait bientôt parmi les prêtres les jureurs ou assermentés et les réfractaires ou insermentés. C’est envers les seconds que l’empathie populaire se dirigeait majoritairement ; à tel point que le 7 mai 1791, l’Assemblée nationale autorisa l’exercice du culte réfractaire dans les conditions d’un culte toléré. Le désordre n’en fut pas moins conséquent puisque les assermentés craignirent à cet instant d’être concurrencés. Enfin, la poussée populaire enflait sur les thèmes de la crise sociale et des revendications politiques. Ayant séparé les citoyens en actifs et en passifs sur le mode du suffrage censitaire, ceux qui ne pouvaient s’acquitter de l’impôt pour voter n’avaient pas d’autre choix que celui d’intégrer un club populaire comme la « Société fraternelle des deux sexes » ou le « Club des Cordeliers » lesquels faisaient pression sur les membres de l’Assemblée nationale pour faire entendre les aspirations de la partie de la population française qui n’avait pas voix au chapitre. Sur le plan social, le coût de la vie devenait d’autant plus cher que le chômage augmentait. L’industrie quant à elle ne faisait que péricliter. Nombreux furent les ouvriers qui réclamaient déjà un minimum salarial tandis que d’autres faisaient tout pour dénoncer une nouvelle féodalité, celle de l’entreprenariat. Les mesures prises par l’Assemblée nationale, dominée par le Triumvirat composé de Lameth – Barnave – Du Port depuis la mort de Mirabeau le 2 avril 1791, n’iraient cependant pas dans le sens souhaité par le peuple. Les citoyens passifs furent exclus de la Garde nationale ce que Robespierre déplora à de multiples reprises et le poussa même au cours de l’un de ses discours à utiliser le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité » que la France a depuis lors adopté en devise. On interdit les pétitions en nom collectif tandis que la loi Le chapelier des 14 et 17 juin 1791, dans la continuité du décret d’Allarde (2 et 17 mars), consolidait les libertés économiques et prohibait le droit de grève ainsi que la coalition. On ne peut donc que souligner l’atmosphère tendue dans laquelle ce milieu de l’année 1791 se déroulait. La fuite de la famille royale vint couronner le tout. Il s’ensuivit au niveau interne une scission politique à laquelle s’ajouta l’usage des armes par des Français contre des Français. Sur le plan international, juin-juillet 1791 ne seraient également pas sans un certain retentissement.
I – Varennes ou la manifestation d’un désaveu royal de la Révolution
Si Nostradamus l’aurait déjà prédit en 1555 dans le « quatrain de Varennes » (Prophéties, centurie IX quatrain 20), la fuite de Louis XVI en surprit plus d’un ; à commencer par les membres de l’Assemblée nationale qui espéraient que ce dernier serait acquis aux idées révolutionnaires. Pourtant, cet épisode n’eut rien de spontané et les découvertes faites en novembre 1792 parmi les documents retrouvés dans l’armoire de fer confortent l’idée d’une tentative envisagée de longue date – sans doute dans les toutes premières heures de la Révolution française.
En effet, depuis que le décret du 7 novembre 1789 avait écarté Mirabeau de tout ministère, ce dernier fut acheté par la Cour pour laquelle il travailla ardemment. Comme on peut le lire dans son premier mémoire datant du 10 mai 1790, il était partisan d’un pouvoir royal renforcé ce qui explique les raisons qui l’ont amené à revendiquer pour le Roi le droit de paix et de guerre. Un plan avait également été préparé lequel reposait sur la propagande et la corruption.
Il conviendrait ainsi de fédérer un parti autour du Monarque sur lequel compter pour l’aider à quitter le Royaume, dissoudre l’Assemblée nationale et en appeler à la Nation pour un retour à la situation antérieure à 1789. Par la corruption, on multiplierait les agents et complices pour travailler en son sein à la division des membres de l’Assemblée nationale. La Cour, qui ne faisait pas confiance à Mirabeau, n’entérina que le second versant du plan proposé ; avec un succès mitigé.
En parallèle, des contacts avaient été noués avec les garnisons stationnées dans les régions frontalières de l’Allemagne d’où l’on pensait que Louis XVI pourrait reprendre le pouvoir grâce au soutien des puissances étrangères. C’est finalement le Comte Suédois Axel de Fersen, ami et amant de la Reine Marie-Antoinette, qui prépara l’opération laquelle devait terminer à Varennes le 22 juin.
Alors que les Tuileries faisaient l’objet d’une surveillance accrue par les hommes de La Fayette, ce dernier avait tout de même pris pour habitude de laisser l’une des portes du palais sans surveillance laquelle permettait à Fersen de rejoindre la Reine en toute discrétion. C’était l’occasion de s’en servir pour un autre usage. En pleine nuit de ce vingtième jour du mois de juin, le Roi, déguisé en valet de chambre, et sa famille empruntèrent cette issue pour échapper à la vigilance des gardes.
Sur un plan logistique, des relais et piquets avaient été placés tout le long du chemin que devait suivre le cortège royal. Le prétexte avancé était celui de la protection d’un trésor devant être transmis à l’armée commandée par le Marquis de Bouillé. En outre, une imposante berline avait été construite pour l’occasion. Toutefois, l’attelage prit du retard sur le temps prévu et arrivé à hauteur de Chalons, les postes devant l’accueillir s’étaient retirés.
A Sainte-Menehould, un dénommé Drouet, fils du maitre des postes, avait reconnu le Roi qui n’avait pourtant pas redoublé de vigilance pour ne pas être repéré. C’est à Varennes que le périple prit fin puisqu’on fit barricader le chemin après que Drouet eut averti les autorités de la ville. Le 22 juin au matin, on prit la direction de Paris dans laquelle le « convoi de la Monarchie » entra le 25 au soir dans un silence de mort.
Par péché d’orgueil, croyant sans doute son plan infaillible, Louis XVI avait laissé une proclamation adressée au peuple français dans laquelle il explicitait ses intentions de rejoindre Bouillé puis l’armée autrichienne des Pays-Bas pour revenir sur Paris, dissoudre l’Assemblée et restaurer son pouvoir absolu. C’était une erreur qui serait fatale ultérieurement pour lui au cours de son procès mais immédiatement fatale pour les députés siégeant à l’Assemblée nationale qui ne trouvaient déjà pas de compromis sur le plan constitutionnel.
II – La vie politique intérieure dans la tourmente
Entre les partisans d’un pouvoir royal fort et ceux qui plaidaient plutôt pour des prérogatives plus limitées le désaccord était profond. Le comportement du Roi allait conforter les intentions des seconds quand les premiers voulurent que l’on passe tout simplement l’éponge sur un épisode qui ne devait pas marquer selon eux l’Histoire de la Révolution française.
Que dire de l’opinion publique qui craignait à présent une invasion étrangère ? On augmenta les troupes au niveau des frontières tandis qu’il n’y eut pas un paysan pour lequel l’émoi n’était pas à son comble. Il faut dire que Varennes avait eu pour effet d’accroitre la conscience nationale puisqu’on ne criait plus à présent « vive le Roi » mais bien « vive la Nation ». Les symboles de la Monarchie étaient conspués et le nom de « République » figurait sur de nombreuses lèvres en dehors de l’Assemblée nationale.
Le 22 juin au soir, un seigneur de la région, le Comte de Dampierre, vint saluer le Roi à Sainte-Menehould. Il fut massacré par des paysans. Chaumette, membre du Club des Cordeliers, rédigea son « Appel à la Nation » à travers lequel il militait pour la création d’un nouveau gouvernement. De plus, l’idée germait dans plusieurs esprits que pour s’assurer de ce que la loi était vraiment l’expression de la volonté générale, il fallait la soumettre à un contrôle de constitutionnalité.
Toutes ses manifestations défavorables à la continuation d’une Monarchie constitutionnelle telle qu’on la concevait alors imposaient à l’Assemblée nationale de se poser la question qui était de savoir comment traiter l’épisode de Varennes et que faire à présent du Roi. On le suspendit jusqu’à ce qu’il accepte la Constitution qu’on planifiait d’achever sous peu mais on décida de traiter la fuite comme un enlèvement. Par cette fiction, on souhaitait créer le doute s’agissant des craintes de la population.
« La Constitution, voilà notre guide ; l’Assemblée nationale, voilà notre point de ralliement. Allons-nous terminer la Révolution, allons-nous la recommencer ? Un pas de plus serait un acte funeste et coupable, un pas de plus dans la ligne de la liberté serait la destruction de la royauté, dans la ligne de l’égalité la destruction de la propriété. »
Antoine Barnave, discours prononcé le 21 juin 1791 au Club des Jacobins
Cela ne ferait cependant qu’augmenter les dissensions politiques lesquelles étaient déjà grandissantes. Entre les 15-16 juillet 1791, le parti des patriotes se scinda en deux groupes avec les Jacobins politiquement plus démocrates et les Feuillants du nom du couvent où les hommes plus conservateurs tels que les Lamethistes, Fayettistes et autres constitutionnels se réunirent car se disant prêts à s’entendre avec le Roi et opérer quelques concessions.
Bien que la révision des articles constitutionnels avant son adoption définitive eut été demandée, rien ne bougea. La majorité de la population restée exclue de la Garde nationale tandis que le suffrage conservait son caractère censitaire. Le 3 septembre 1791, la Constitution fut adoptée. Dix jours plus tard, Louis XVI l’accepta et le 14, il jura fidélité à la Nation. Les conséquences politiques n’en furent pas moins irrémédiables.
III – La valse des pétitions
Selon Eugène Pierre (1848-1925), le droit de pétition est « un droit naturel qui subsiste et s’exerce tant qu’il n’est pas interdit par un texte formel ». Or, comme cela a été mentionné plus haut, l’Assemblée nationale s’était chargée d’en prohiber l’usage ce qui ne rebuta pas les différentes sociétés politiques, soutenues par la population française, d’y recourir.
Dès le 15 juillet, ayant appris que l’on envisageait de faire passer la fuite du Roi pour un enlèvement et qu’il était question d’adopter un décret qui rétablirait ce dernier dans toutes ses prérogatives, les membres du Club des Cordeliers ainsi que quelques milliers de personnes se rassemblèrent au Champ-de-Mars pour signer sur l’autel de la Patrie une pétition qui désapprouvait les mesures que comptaient prendre les députés de l’Assemblée nationale.
Lorsqu’un cortège officiel, escorté par quelques badauds, approcha la Salle du Manège où siégeait l’Assemblée, on fit donner l’ordre à la cavalerie de procéder à la dispersion des manifestants. Ceux-ci se dirigèrent donc au Palais-Royal pour rendre compte de l’évènement au Club des Jacobins. De leur côté, les Jacobins avaient également rédigé une pétition laquelle serait destinée à être envoyée dans tous les départements pour faire connaitre leur opposition au rétablissement de Louis XVI.
C’est encore une fois au Champ-de-Mars que le rendez-vous fut pris le 16 juillet afin de signer une nouvelle pétition à l’initiative des Jacobins et sur laquelle des désaccords persistaient. Un appel au rassemblement le 17 juillet fut tout de même lancé. On ira sur les ruines de la Bastille pour préparer et parapher une pétition de compromis qui ferait connaitre aux députés les volontés du peuple.
Malgré tout, le 16 au soir, l’Assemblée nationale adoptait le décret qui mettait hors de cause le Roi pour la fuite du 20 juin dernier. Celui-ci était rétabli dans tous ses droits et l’affaire de Varennes fut légalement réglée. A Paris, tout le monde ne l’entendait pas ainsi.
IV – La répression sur le Champ-de-Mars
Si les Jacobins renoncèrent à faire partie du rassemblement prévu le 17 juillet, le décret ayant été adopté la veille et la peur d’une répression sanglante aidant, d’autres et particulièrement les Cordeliers maintinrent leur projet. Néanmoins, la Place de la Bastille étant fermée, on décida de se rendre au lieu de ralliement maintes fois utilisés depuis pour mener le processus envisagé à son terme.
D’une petite centaine en fin de matinée, la foule comptait près de vingt mille personnes au Champ-de-Mars dans l’après-midi. On rédigea une énième pétition dans laquelle on appelait à l’adoption d’une nouvelle Constitution sans pour autant utiliser le mot de « République ». Tout se fit pacifiquement ou presque. En effet, deux hommes retrouvés cachés sous l’autel de la Patrie le matin furent lynchés par la foule au quartier du Gros-Caillou. Ayant eu vent de la sinistre affaire, la Municipalité de Paris, qui avait eu l’autorisation de proclamer la loi martiale et surtout l’ordre d’empêcher toute manifestation, envoya d’abord deux cavaliers pour s’assurer contre tout débordement mais ils furent repoussés par des jets de pierre.
On envoya alors un détachement de gardes nationaux, drapeau rouge en tête, sous les ordres du Maire de Paris, l’astronome Bailly lequel donna l’ordre de faire feu une fois arrivés sur le Champ-de-Mars, sans même procéder aux sommations légales. Les manifestants prirent la fuite soit vers la Seine soit vers l’École militaire où se trouvait à chaque fois une partie du détachement de la Garde nationale.
Les estimations quant au nombre de victimes dans chaque camp est discutée. Sans vouloir pécher par trop d’indifférence, gageons que cela importe moins que le symbole qui, lui, est bien certain. On parlait déjà de la « Saint-Barthélemy des Patriotes » et on ne manquera pas une occasion de rappeler cet épisode lorsqu’il s’agira de combattre le régime antérieur à 1792.
Politiquement, la fusillade du Champ-de-Mars sonne également le glas pour les carrières respectives de La Fayette et Bailly car si le premier démissionnera de son commandement pour se retirer dans ses terres en octobre 1791, le second fut rendu responsable d’un crime intenté contre le peuple. Il sera jugé puis guillotiné le 12 novembre 1793 après avoir dit au cours de son procès « Je tremble, mais c’est de froid ».
V – Les regards extérieurs sur Varennes et ses conséquences
« Quel exemple effrayant » s’écria Frédéric-Guillaume, Roi de Prusse, lorsqu’il apprit l’arrestation du Roi et sa famille à Varennes. L’évènement suscita une vive émotion au sein des monarchies européennes mais c’est de la réaction de l’Empereur Léopold que tout dépendait. De Mantoue, ce dernier proposait aux autres cours de se concerter pour sauver et la famille royale et la Monarchie française.
Il en sortit la Déclaration de Pillnitz le 27 août 1791 par laquelle Léopold et Frédéric-Guillaume menaçait la France d’une intervention européenne conditionnée par la réunion des autres puissances décidées à joindre leurs efforts aux leurs. En réalité, la politique menée par les Feuillants suffisait à dissiper toute crainte quant à une possible atteinte à la vie du monarque Français.
En revanche, côté français, la Déclaration fut prise au pied de la lettre de sorte qu’on sentait la Révolution ainsi que tous ses acquis fortement menacés de l’extérieur. Cette ingérence dans les affaires de la France ne fit que surexciter le sentiment national et préfigurait déjà la guerre prochaine (avril 1792).
Sources bibliographiques :
SOBOUL (A) La Révolution française, Ed. Gallimard, octobre 1984, p. 608
SUEUR (Ph) Histoire du droit public français XV-XVIIIe siècles T1 & T2, Ed. PUF, octobre 2001
CARCASSONNE (G) La Constitution, Ed. Point Essai, 2011, p. 480
GIDARD (G) La berline, le retour de Varennes, Ed. Bisquine, septembre 2014, p. 249
BAINVILLE (J) Histoire de France, Ed. Tempus, 2014, p. 551