C’est à croire que le droit administratif est voué, de toute éternité, à être jurisprudentiel, et c’est à croire qu’aucune entreprise de codification n’aura raison de l’autonomie de la juridiction administrative. Le Conseil d’Etat a une nouvelle fois signifié à tous son autonomie et, à certains égards, son indifférence aux règles qu’il considère ne pas devoir suivre.
Le 24 juin 1991, le ministre de l’économie et des finances signait un arrêté concédant à M. B. une pension de retraite, lequel arrêté ne prenait pas en compte la bonification pour enfants prévue par le code des pensions civiles et militaires de retraite. L’intéressé a reçu notification de cette décision le 26 septembre 1991. Si elle mentionnait le délai de recours juridictionnel, cette notification ne précisait pas devant quelle juridiction le recours pouvait, le cas échéant, être exercé. Plus de 22 ans plus tard, M. B. saisissait le tribunal administratif de Lille d’un recours tendant à l’annulation de l’arrêté et à ce que le ministre compétent fût enjoint à procéder à une nouvelle liquidation de la pension de l’intéressé prenant en compte la bonification. Ce recours a été rejeté par voie d’ordonnance le 2 décembre 2014, en raison de la tardiveté de la requête. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat devait annuler cette ordonnance, le tribunal administratif ayant méconnu la portée de l’article R. 421-5 du code de justice administrative. Il est en effet classiquement jugé que si l’absence d’indication de la juridiction territorialement compétente n’empêche pas les délais de courir, encore faut-il cependant que l’autorité administrative précise si la juridiction compétente est générale ou spécialisée (CE, 15 nov. 2006, Toquet, requête numéro 264636, Rec., T., p. 1002). Tel n’était pas le cas en l’espèce et l’annulation de l’ordonnance par le Conseil d’Etat s’imposait.
L’élévation de l’affaire devant la formation de jugement la plus solennelle laissait bien évidemment présager autre chose que la simple censure de la méconnaissance d’une disposition du code de justice administrative. Précisément, la question était posée à l’assemblée du contentieux de savoir si les dispositions de l’article R. 421-5 du code de justice administrative devaient être littéralement appréhendées ou si un principe pouvait s’opposer à ce qu’une contestation soit portée devant la juridiction administrative sans délai en raison d’une absence de notification de la décision individuelle ou d’une notification ne répondant pas aux exigences de l’article R. 421-5 du code de justice administrative.
Au nom du principe de sécurité juridique, parfaitement connu aujourd’hui en contentieux administratif, le Conseil d’Etat rend, au cas présent, une décision sur laquelle il y a sans doute plus à relever que son seul dispositif. Si, en effet, la présente décision a vocation à stabiliser les relations juridiques en limitant les conséquences d’une notification imparfaite (I), elle n’en est pas moins révélatrice d’une propension contemporaine de la juridiction administrative à l’émancipation, dont on doit à présent dire qu’elle devient excessive (II).
I. Le principe de sécurité juridique, fondement de l’ajout au texte
Aux termes de la présente décision, « le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance ». La référence au principe de sécurité juridique n’a rien de surprenant tant il innerve, depuis sa consécration formelle (CE, 24 mars 2006, Sté KPMG, requête numéro 288460, Rec., p. 154 ; AJDA 2006, p. 1028, chron. C. Landais et F. Lenica ; RFDA 2006, p. 463, concl. Y. Aguila ; BJCP 2006, p. 173, concl. Y. Aguila), le contentieux administratif. Le principe de l’indication des voies et délais n’en est au demeurant rien d’autre qu’une déclinaison. On rappellera à cet égard que la Cour européenne des droits de l’Homme considère que c’est à la lumière du principe de sécurité juridique que le droit au procès équitable doit être interprété (CEDH, 20 oct. 2011, Nedjet Sahin et Perihan Sahin c. Turquie, affaire numéro 13279/05).
Jusqu’alors, le principe de sécurité juridique était davantage tourné vers les destinataires des notifications des décisions plutôt que vers les autorités administratives. C’est ainsi que le Conseil d’Etat avait jugé que l’administration ne pouvait se réfugier derrière l’absence de notification des voies et délais de recours pour retirer un acte au motif que celui-ci était toujours susceptible de recours (CE, Ass., 24 oct. 1997, Mme de Laubier, requête numéro 123950, Rec., p. 371 ; RFDA 1998, p. 527, concl. V. Pécresse ; AJDA 1998, p. 936, chron. T.-X. Girardot et F. Raynaud). C’est encore en ce sens que l’erreur dans l’indication des voies et délais de recours profite au destinataire. Ainsi, si le délai indiqué dans la notification est inférieur à celui organisé par les textes, le délai à retenir est celui qui aurait dû être notifié (CE, 22 oct. 2010, Thiver, requête numéro 339363, Rec., T., p. 893). En revanche, si le délai indiqué s’avère supérieur à celui prévu par les textes, ce délai notifié bénéficie au requérant (CE, 8 janv. 1992, Masses, requête numéro 113114, Rec., T., p. 1204). Suivant la même logique, l’indication d’un point de départ erroné des délais profite à l’administré (CE, 29 mars 2000, Gluck, requête numéro 204611, Rec., T., p. 1150). C’est encore suivant le même raisonnement que la notification équivoque, laissant croire à tort, par exemple, en l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire ne prive pas le requérant de l’accès tardif au juge (CE, 4 déc. 2009, Ministre de l’Immigration c. Hammou, requête numéro 324284, Rec., T., p. 781 et 884 ; AJDA 2010, p. 555, note P. Caille ; JCP adm. 2010, n° 1, p. 32, note L. Domingo), pour peu cependant qu’un recours administratif ait bien alors été exercé (CAA Paris, 5 mai 2008, Nkongo Malumba, requête numéro 07PA03784).
Voici à présent que le Conseil d’Etat appréhende les effets de l’irrégularité de la notification, et notamment celle des voies et délais de recours, du point de vue du défendeur et non plus du requérant. Et il considère ainsi que « si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer le recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en en eu connaissance ». La première réaction suscitée par la décision est une interrogation : pourquoi un an ? Ce n’est certes pas la première fois que le Conseil d’Etat pose de manière toute prétorienne un délai pour agir. Notamment, un délai de quatre mois a été dégagé par la jurisprudence durant lequel l’administration peut retirer un acte individuel créateur de droits entaché d’illégalité (CE, Ass., 26 oct. 2001, M. Ternon, requête numéro 197018 ; RFDA 2002, p. 77, concl. F. Séners, p. 88, note P. Delvolvé ; AJDA 2001, p. 1034, chron. M. Guyomar et P. Collin). Mais, encore une fois, pourquoi un an au cas présent, loin du délai de la prescription quadriennale ou du délai de prescription de droit commun de cinq ans ? Il est à c’est égard remarquable qu’un tel délai n’ait pas été proposé à la formation de jugement par M. Olivier Henrard, rapporteur public sur cette affaire. Mais il est également vrai que le délai d’un an passe pour être l’un des plus longs aménagés par les textes pour contester une décision, comme c’est le cas en matière d’installations classées pour les recours exercés par les tiers (C. envir., art. R. 514-3-1).
Par delà, les effets de la présente solution ne seront pas négligeables.
En premier lieu, et à bien y regarder, il n’y a aucune raison de limiter les effets de la présente décision aux prescriptions de l’article R. 421-5 du code de justice administrative. Prenons acte de ce que le principe de sécurité juridique justifie qu’un recours juridictionnel ne puisse être exercé à tout moment, quand bien même le requérant y serait fondé par le code de justice administrative. Mais alors, le même principe doit justifier que la portée de l’article R. 421-3 soit également limitée à l’avenir. Ainsi, et contrairement à la formulation claire de cette disposition, devra être limité dans un temps raisonnable le droit d’agir contre une décision implicite lorsqu’il s’agit d’un contentieux de pleine juridiction, lorsque le recours en excès de pouvoir est exercé contre une décision ne pouvant être prise que par une décision ou sur avis d’une assemblée locale ou de tout autre organisme collégial, ou lorsque la réclamation tend à obtenir l’exécution d’une décision de la juridiction administrative.
En second lieu, la décision commentée autorise un nouveau souffle à la théorie de la connaissance acquise. La jurisprudence qui opérait un découplage logique entre connaissance de la décision et connaissance des voies et délais de recours ouverts contre cette décision (CE, Sect., 13 mars 1998, Mme Mauline et Assistance publique – Hôpitaux de Paris, requêtes numéros 120079, 175199 et 180306, Rec., pp. 80 et 81 ; AJDA 1998, p. 613, concl. J-D. Combrexelle ; RDP 1999, p. 759, étude P. Fraissex) est ici partiellement remise en cause, dès lors que la date où il est établi que le requérant a eu connaissance de la décision fait courir le délai de principe d’un an au-delà duquel il est susceptible, suivant les circonstances, de se voir opposer la forclusion.
On soulignera encore l’incohérence sur laquelle repose partiellement le raisonnement du Conseil d’Etat, au regard de sa jurisprudence traditionnelle. En effet, pour la haute juridiction, le principe de sécurité juridique fait dorénavant obstacle, au mépris de la volonté du pouvoir réglementaire, à ce que l’on porte atteinte à « la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ». Si en effet, comme au cas présent, le recours pour excès de pouvoir est un procès fait à un acte, qui évince l’hypothèse de défendeur à l’instance (CE, Ass., 21 avr. 1944, Sté Dockès Frères, requête numéro 72642, Rec., p. 120), avec toutes les conséquences contentieuses que l’on connaît (et notamment le refus de toutes conclusions reconventionnelles dans ce type d’instance), alors la situation des défendeurs potentiels ne devrait pas trouver à prise en compte et ne devrait donc pas justifier un ajout à l’article R. 421-5 du code de justice administrative. C’est donc bien, implicitement mais nécessairement, à une atténuation supplémentaire de la distinction des branches du contentieux administratif à laquelle la présente décision conduit.
II. Le principe de sécurité juridique, fondement prétexte à l’ajout
En énonçant, au cas présent, que la règle posée « ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours » et « qu’il appartient dès lors au juge administratif au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance », le Conseil d’Etat ne manque pas de surprendre. Car c’est bien en se conformant au principe de sécurité juridique que le Conseil d’Etat s’est reconnu le droit, sinon l’obligation, de moduler dans le temps les effets de ses revirements de jurisprudence (CE, Ass., 16 juill. 2007, Société Tropic travaux signalisation, requête numéro 291545, Rec., p. 360 ; RFDA 2007, p. 696, concl. D. Casas ; AJDA 2007, p. 1577, chron. F. Lenica et J. Boucher ; JCP gén. 2007, II, 10156, note M. Ubaud-Bergeron et 10160, note B. Sellier ; JCP adm. 2007, 2212, note F. Linditch et 2221, note M.-C. Rouault ; CE, Sect., 6 juin 2008, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Paris c. Banon, requête numéro 283141, Rec., p. 204 ; RFDA 2008, p. 689, concl. J.-P. Thiellay ; RFDA 2008, p. 964, note B. Pacteau ; Dr. adm. août 2008, comm. 118, note F. Melleray ; CE, 2 sept. 2009, Assistance publique de Marseille, requête numéro 297013, Rec., T., pp. 917 et 949). La rétroactivité de la présente jurisprudence est donc en apparente contradiction avec le principe sur lequel elle repose.
En apparence seulement… La référence à « la bonne administration de la justice » doit en effet retenir l’attention. Au fond, cette jurisprudence s’inscrit dans un mouvement entamé et dont on doit finir par redouter les excès. Si la lutte contre l’engorgement des juridictions a été remportée et si les durées anormalement longues de jugement ont pour l’essentiel disparu, le spectre d’un nouveau dérèglement des stocks d’affaires à traiter demeure, et tous les leviers sont aujourd’hui activés pour conserver les durées moyennes acquises de jugement des affaires. C’est en ce sens qu’il faut comprendre ce qui, finalement, tient lieu d’expérimentation en contentieux de l’urbanisme : cristallisation des moyens (Code de l’urbanisme, art. R. 600-4), faculté pour le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme litigieuse d’obtenir des dommages-intérêts en cas de recours en annulation abusif (Code de l’urbanisme, art. L. 600-7), resserrement de l’intérêt pour agir (Code de l’urbanisme, art. L. 600-1-1 et L. 600-1-2)… La limitation dans le temps de la faculté d’exercer un recours participe assurément de ce mouvement. Certes utile, l’expédient n’en est pas moins brutal et il prête le flanc, à cet égard, à la critique. Sans doute un recours exercé 22 années après la notification de l’acte peut-il, à l’évidence, être considéré comme tardif. Sans doute les hypothèses sont-elles nombreuses où l’excessive tardiveté d’un recours peut entrainer des conséquences en cascade passablement compatibles avec l’intérêt général. De telles considérations ne doivent cependant pas occulter le fait qu’il est également d’intérêt général qu’un texte, qui fonde les requérants à exercer un recours à tout moment, ne soit pas sèchement neutralisé.
Par delà, cette décision renvoie à la question plus large du rôle de la jurisprudence. On admettra que l’assise philosophique sur laquelle repose la justice n’a rien d’intangible. La considération suivant laquelle le juge est la « bouche de la loi » a sans doute quelque chose de suranné. Cependant, sans cesse plus grande, l’audace du Conseil d’Etat devient inquiétante. Déjà avait-on constaté l’apparition de formes plus ou moins inédites de techniques de décisions confinant à l’« injonction prétorienne » (C. Broyelle, « De l’injonction légale à l’injonction prétorienne : le retour du juge administrateur », Dr. adm. 2004, n° 3, pp. 8 et s.), découvert la modulation dans le temps des effets d’une annulation (CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC! et a., requêtes numéros 255886 à 255892, Rec., p. 197, concl. C. Devys ; AJDA 2004, p. 1183, chron. C. Landais et F. Lenica), la création ex nihilo d’un recours en contestation de validité du contrat au terme d’une décision finalement peu éloignée de l’arrêt de règlement (CE, Ass., 16 juill. 2007, Société Tropic travaux signalisation, requête numéro 291545, préc.)… Mais encore, voici que la juridiction administrative s’oppose de plus en plus ouvertement à la rédaction très claire de certaines dispositions aussi bien législatives (CE, 23 janv. 2013, Commune de Chirongui, requête numéro 365262, Rec., p. 6 ; AJDA 2013, p. 788, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; RFDA 2013, p. 299, note P. Delvolvé) que réglementaires. Il est certainement possible, dans la plupart des cas, de se satisfaire d’interventions somme toute longtemps réclamées. Reste que, en affaiblissant, fut-ce au nom de la sécurité juridique, la rigueur d’un texte, la juridiction administrative s’autorise une liberté qui ne s’impose pas avec une parfaite évidence.
Non seulement regrettable pour les motifs qui précèdent, la présente opposition du Conseil d’Etat au droit écrit est au surplus discutable au cas d’espèce, à un triple titre.
D’abord, le Conseil d’Etat se garde d’énoncer l’existence d’un principe général de procédure qui justifierait l’atteinte à la lettre de l’article R. 421-5 du code de justice administrative. Sans doute doit-on comprendre que le principe de sécurité juridique se suffit à lui-même. Mais c’est oublier que le code des relations entre le public et l’administration dispose, en son article L. 431-1, que « sous réserve des compétences dévolues à d’autres juridictions, les recours contentieux contre les décisions administratives sont portés devant les juridictions administratives de droit commun, dans les conditions prévues par le code de justice administrative ». Si, à proprement parler, l’article R. 421-5 conserve une valeur réglementaire, le renvoi par le législateur devrait être davantage respecté par le Conseil d’Etat. Car, finalement, il est temps de se plier à la logique des choses. La codification, qui vise à mettre l’administré en mesure de connaître les règles qui lui sont opposables, tend à l’objectif non moins fondamental d’intelligibilité du droit. Ce principe d’intelligibilité n’est d’ailleurs pas sans lien avec celui de sécurité juridique. Et voici que l’on va attendre de l’administré qu’il connaisse un principe en marge du texte, lequel principe limite l’accès au juge qu’il tient précisément et sans équivoque de ce texte. Il sera intéressant d’observer la position de la Cour européenne des droits de l’Homme qui pourra bien être saisie de la question un jour ou l’autre…
Ensuite, on s’interrogera encore sur le bien-fondé de cet ajout au texte, par le Conseil d’Etat, en rappelant que l’adoption du code de justice administrative a été pilotée, comme pour d’autres, par certains des membres parmi les plus illustres de leur temps. L’article R. 421-5 du code de justice administrative trouve ses origines dans un décret du 28 novembre 1983. Près de vingt années plus tard, voilà qu’il est réceptionné et systématisé (étant initialement applicable à la fonction publique d’Etat) sans plus de précision ni d’opposition. La sécurité juridique était-elle à ce point ignorée du Conseil d’Etat ? Par delà, faut-il se réjouir d’une décision qui sonne comme une prime à la maladministration ? Il y a lieu d’en douter. Au fond, aucune administration n’ignore l’obligation qui pèse sur elle d’indiquer les voies et délais de recours. En octroyant ainsi une planche de salut à finalement brève échéance aux autorités administratives, la décision commentée n’incite pas à davantage de rigueur. Au contraire, elle desserre l’étau. De ce point de vue, cette décision peut passer pour une forme de régression.
Enfin, si cette ouverture excessive du prétoire dans le temps pouvait être porteuse d’insécurité juridique et achopper sur l’intérêt général, la solution dégagée par le Conseil d’Etat n’est pas davantage satisfaisante. Plus exactement, si elle ne confine pas, en elle-même, à l’arbitraire, la référence à un délai « raisonnable » de saisine de la juridiction n’en est pas moins incertaine. Le droit a sans doute besoin de ces notions fonctionnelles qui permettent la conciliation d’impératifs antagonistes, et il s’agit ici bien de concilier, dans l’intérêt général, le droit au recours effectif et la sécurité juridique. Sans doute encore les notions de ce type finissent-elles par être circonscrites et clarifiées par la jurisprudence. On ne peut s’empêcher malgré tout de redouter l’instrumentalisation du « délai raisonnable », par lequel les juridictions du fond pourront – reste à déterminer si elles seront souveraines – déclarer le recours recevable ou non, au moyen d’un contrôle qui s’apparente à celui du bilan. Or, il faut bien rappeler que la mise en balance des intérêts en présence penche rarement du côté du requérant… Les décisions qui feront application de la présente jurisprudence ne contrediront certainement pas cette assertion.
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