L’administration italienne souffre d’une incapacité chronique de prendre des décisions dans un délai raisonnable. Cette problématique est liée à la complexité et mutabilité du cadre législatif et réglementaire, mais aussi à la fragmentation des compétences à l’intérieur de l’administration étatique et entre différents échelons au niveau local. Pour cette raison, la réforme initiée par la loi Madia a comme objectif de s’attaquer à l’organisation des services de l’Etat, en ce qui concerne, en particulier, les services déconcentrés – nous examinerons ce volet de la réforme dans l’un des prochains articles. Elle contient, néanmoins, des mesures spécifiques pour essayer de garantir que l’instruction des affaires de la part de l’administration soit complétée dans les délais prévus (ou, au moins, dans le plus court délai possible).
Pour ce faire, la loi Madia agit sur deux plans : d’un côté, elle intervient sur la conferenza di servizi, qui constitue le principal instrument de coordination entre administrations1 ; de l’autre, elle introduit une procédure accélérée pour les investissements les plus stratégiques2.
En ce qui concerne le premier volet, la conferenza di servizi peut se dérouler à trois stades de la procédure administrative non contentieuse. En premier lieu, elle peut être convoquée lors de l’instruction que mène une administration, lorsqu’elle a à prendre en compte différents aspects de l’intérêt général (par exemple, lorsque dans l’octroi d’une autorisation d’urbanisme surgissent à la fois des questions environnementales ou de santé publique). En outre, sa convocation peut être requise à un stade préliminaire par un tiers, en cas de projets particulièrement complexes, afin d’obtenir une sorte de rescrit relatif aux démarches nécessaires. Enfin, et c’est l’hypothèse la plus significative, la conferenza di servizi peut se substituer à la phase décisoire de la procédure, la délibération finale de la conferenza remplaçant toutes les manifestations de volonté des administrations intéressées. Dans un but de simplification, la loi italienne a rendu obligatoire la convocation d’une conferenza lorsque plusieurs administrations doivent donner leur accord avant qu’un acte administratif puisse être adopté3. Cependant, d’outil de simplification, la conferenza di servizi est devenue une procédure ubuesque qui prend souvent beaucoup de temps à arriver à sa fin.
Concernant le second volet, la loi Madia introduit une procédure dérogatoire qui ne s’applique qu’à certains projets d’investissement d’envergure, censés avoir un impact majeur en termes d’emplois ou de croissance économique. Ces projets seront identifiés chaque année par décret du président du Conseil des ministres, qui pourra s’appuyer sur les indications que lui fourniront les collectivités territoriales.
Dans les deux cas, la loi Madia semble vouloir apporter la même réponse à l’exigence de rendre plus rapide et efficace la prise de décision de la part de l’administration : mieux encadrer les délais (I) et clarifier les responsabilités (II).
I. Une prise de décision plus rapide
En ce qui concerne le temps de l’action administrative, la mesure concernant les investissements stratégiques est radicale : pour les projets listés dans le décret annuel du président du Conseil, tous les délais sont réduits jusqu’à la moitié par rapport à ce qui est prévu par les lois et règlements. C’est le même décret par lequel les projets sont identifiés qui fixe les délais applicables au cas d’espèce.
Plus compliqué est le cas de la conferenza di servizi. Pour garantir la rapidité de la procédure, il est tout d’abord prévu que la conferenza se déroule par voie informatique, seul les cas les plus complexes devant, en principe, être examinés au cours d’une ou plusieurs réunions où les administrations intéressées se retrouvent physiquement dans le même lieu4. La réforme Madia a, ensuite, fixé les délais dans lesquels doit se dérouler la conferenza di servizi¸ en les clarifiant par rapport au passé.
Après le dépôt d’une demande, l’administration chargée de l’instruction de l’affaire (amministrazione procedente) dispose de cinq jours pour informer les autres administrations intéressées de l’objet de la demande et leur transmettre la documentation y afférente. Elles ont, ensuite, quinze jours pour demander des compléments d’information et quarante-cinq jours pour faire connaître leur position, qui peut être en faveur ou contre l’adoption de l’acte demandé. Si elles envisagent d’opposer un refus, elles doivent le motiver de façon détaillée, en précisant les conditions auxquelles pourrait être subordonné leur accord.
Pour pousser les administrations à s’exprimer dans ces délais, la réforme prévoit que le silence de l’administration vaut consentement. Cette règle existait déjà dans le droit antérieur, mais la réforme l’étend aussi en matière environnementale, qui était auparavant exclue. Si la règle du silence valant consentement devrait consentir une prise de décision rapide une fois le délai expiré, l’expérience montre qu’en réalité l’amministrazione procedente ne s’en prévaut pas toujours, et la procédure reste de fait bloquée pour l’inertie de l’un des participants à la conferenza. En effet, face à des intérêts publics particulièrement importants, tels que la défense de l’environnement ou du patrimoine historique, l’amministrazione procedente ne souhaite pas avancer dans la procédure, même si l’administration qui en a la charge ne s’est pas prononcée, pour peur de prendre sur soi l’impopularité de certaines décisions. La réforme ne s’attaque pas vraiment à cette problématique, qui requerrait une augmentation des moyens pour permettre aux administrations de suivre toutes les affaires et se prononcer en temps utile, mais se borne à rappeler que la responsabilité de l’administration et des agents peut être engagée en raison du consentement implicite.
Différent est le cas des administrations qui opposent un refus à la demande que la conferenza di servizi est chargée d’examiner : il s’agit de l’un des points les plus controversés de son fonctionnement, auquel la réforme Madia ne s’attaque que partiellement.
II. Une prise de décision plus claire
Dans le cadre de la conferenza di servizi, le principe pour l’adoption des décisions n’est pas celui de la majorité arithmétique des administrations qui y participent, mais celui de l’« opinion dominante ». Ce principe donne plus de poids aux administrations qui jouent un rôle plus significatif par rapport au projet examiné. Lorsque l’« opinion dominante » est favorable à la demande de l’administré, la conferenza di servizi se termine par une délibération, qui se substitue à tous les actes qu’auraient dû prendre les administrations individuellement.
Cependant, certaines administrations ont le pouvoir de bloquer le processus, car il n’est pas possible de passer outre leur désaccord. Il s’agit des administrations chargées de l’environnement, de la culture, de l’aménagement du territoire, de la santé et de la sécurité publiques. Dans le droit antérieur à la réforme Madia, leur désaccord, exprimé de façon expresse, avait pour conséquence automatique de renvoyer l’affaire au Conseil des ministres. La réforme a introduit un élément de rationalisation : il est maintenant nécessaire que ces administrations saisissent la Présidence du Conseil des ministres dans un délai de dix jours pour que l’affaire soit à nouveau examinée. La suite de la procédure reste inchangée : lorsque l’affaire concerne des matières de compétence des régions, il faut organiser un ou, en cas d’échec, deux réunions pour essayer de trouver une entente5, à défaut de laquelle elle est examinée par le Conseil des ministres.
Il est évident que le renvoi au Conseil des ministres, et en général le fait de faire remonter toutes les affaires, quel que soit leur importance, au niveau du gouvernement, constitue une lourdeur procédurale qui n’a rien à voir avec la nécessité de conclure dans un délai raisonnable l’examen de l’affaire. L’obligation qui est faite aux administrations de le saisir, plutôt que le maintien du caractère automatique du renvoi, semble exclusivement motivée par l’espoir qu’elles n’aient pas la réactivité et les moyens nécessaires pour le faire, mais cela risque de mettre en péril les intérêts qu’elles ont la charge de défendre.
L’attraction vers le haut du pouvoir de prendre les décisions que les administrations n’ont pas été à même d’adopter au cours de l’instruction de l’affaire ne caractérise pas que la conferenza di servizi. Dans le cadre de la procédure accélérée pour les investissements stratégiques de l’article 4 de la loi Madia, il est prévu qu’après l’expiration du délai fixé par la loi ou par le décret relatif au projet en cause, le président du Conseil des ministres peut adopter directement les actes administratifs. Il s’agit, là encore, d’une solution inhabituelle, dictée par la volonté d’éviter des scénarios kafkaïens qui ont pu caractériser la mise en œuvre de certains projets, qui n’est pas à l’abri de décisions discrétionnaires et du risque d’un examen des affaires à deux (ou plusieurs) vitesses.
- A la conferenza di servizi est consacré l’article 2 de la loi n° 124/2015, qui contient les principes généraux de la réforme, et le décret législatif n° 127 du 30 juin 2016 qui les met en œuvre. [↩]
- Cette mesure est prévue par l’article 4 de la loi. Ce dernier devra être complété par un décret du Président de la République, qui est en voie d’approbation définitive par le Conseil des ministres. [↩]
- Dans un avis n° 1640 du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat italien a précisé que, lorsqu’une seule administration outre que celle qui mène l’instruction de l’affaire doit donner son avis avant la conclusion de la procédure, le mécanisme du silence valant consentement introduit par la même loi Madia s’applique, sans besoin de convoquer une conferenza di servizi (v. notre commentaire de l’article 3 de la loi). [↩]
- La loi Madia a quand même prévu une échappatoire, en laissant la possibilité de déroger au déroulement par voie informatique « sur demande motivée des administrations impliquées ou du tiers ». Ceci reflet la difficulté pratique d’assurer l’application de ce principe, beaucoup d’administrations n’étant pas dotées des nécessaires ressources humaines et informatiques. [↩]
- L’organisation de ces réunions a été introduite à la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle italienne n° 179 des 2-11 juillet 2012, qui avait censuré l’absence de mécanismes permettant la participation des administrations régionales en cas d’examen d’affaires qui touchaient à leur sphère de compétences. [↩]
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