Contexte : Cette décision rendue le 15 juin 2016 énonce que les juges du fond ne peuvent pas soulever d’office le moyen tiré de la perte de chance sans soumettre préalablement celui-ci à un débat contradictoire.
Litige : A compter de mars 2004, un chirurgien dentiste prodigue à une patiente des soins consistant en une reconstruction prothétique. A la suite de l’échec de cette reconstruction et des différentes reprises effectuées par le praticien, la patiente interrompt les soins. En novembre 2008, la patiente consulte à nouveau le chirurgien dentiste qui constate une détérioration très importante de son état bucco-dentaire mais, compte tenu de l’importance des travaux réparateurs à effectuer, l’adresse à un confrère. C’est dans ce contexte que la patiente sollicite une indemnisation. En première instance, le tribunal de grande instance de Paris retient une faute à l’encontre du chirurgien dentiste et le condamne in sodium avec son assureur à indemniser la patiente. La cour d’appel de Paris infirme le jugement et, statuant à nouveau, dit que le chirurgien dentiste a commis des manquements dans l’exécution des soins prothétiques dispensés jusqu’en décembre 2007 et qu’il a manqué à son devoir d’information et de conseil lors de l’aggravation de l’état bucco-dentaire de la patiente à partir de janvier 2008 entraînant pour cette dernière une perte de chance fixée à 20 %.
Solution : Le pourvoi formé par la victime à l’encontre de cet arrêt est accueilli par la Cour de cassation aux motifs que :
« pour limiter le montant de l’indemnisation due à Mme Y… au titre de ces derniers manquements, l’arrêt retient qu’ils ont fait perdre à sa patiente une chance de stopper la dégradation de ses dents en l’absence d’interruption des soins et d’éviter un traitement plus lourd, laquelle doit être évaluée à 20 % ;
Qu’en relevant d’office ce moyen tiré de la perte de chance, sans inviter au préalable les parties à s’en expliquer, la cour d’appel a violé le texte susvisé (article 16 du code de procédure civile) »
Analyse : La cassation de la décision de la cour d’appel de Paris était fondée sur la violation d’une règle de procédure qui garantit l’équilibre du procès.
En l’espèce, aucune des deux parties n’avaient invoqué la perte de chance dans leurs écritures. Ce moyen a été soulevé d’office par la cour d’appel.
Il suffit ici de rappeler qu’aux termes de l’article 16 du code de procédure civile :
« Il [le juge] ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».
Rien n’interdit aux juges du fond de limiter l’indemnisation d’une patiente en se fondant sur la perte de chance. Toutefois, comme tout moyen relevé d’office, le juge a l’obligation d’inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, en rouvrant si nécessaire les débats.
La Cour de cassation a déjà censuré des juges du fond qui avaient limité le montant des dommages-intérêts, aux motifs que la victime a seulement été privée d’une chance d’éviter le dommage, alors que ce moyen n’avait été pas soutenu par les parties (Cass. com., 8 juillet 2014, n° 12-25.754 ; Cass. 2e civ., 12 avril 2012, n° 11-16.134). Il est vrai aussi qu’on trouve des arrêts dans lesquels elle a aussi considéré que les juges du fond statuent sur des éléments de fait qui sont nécessairement dans le débat lorsqu’ils décident que la faute du responsable a seulement privé la victime d’une perte de chance d’éviter le dommage (Cass. com., 30 octobre 2012, n° 11-22.528 ; Cass. 1re civ., 15 mai 2007, n° 05-15.246).
Nul doute que les conditions de la perte de chance seront, devant la cour d’appel de renvoi, cette fois bien au coeur des débats.