AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l’article 16 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X…, chirurgien-dentiste, a prodigué, à compter de mars 2004 des soins à Mme Y…, consistant en une reconstruction prothétique ; qu’à la suite de l’échec de cette reconstruction et des reprises opérées par Mme X…, Mme Y… a interrompu les soins durant plusieurs mois et son état bucco-dentaire s’est aggravé ; qu’elle a, avec la société Filia-Maif, son assureur, assigné Mme X… et la société La Médicale de France, son assureur, en responsabilité et indemnisation de l’ensemble des préjudices subis ; qu’ont été retenus à l’encontre du praticien, outre des manquements dans l’exécution des soins prothétiques dispensés jusqu’en décembre 2007, des manquements à son devoir d’information et de conseil lors de l’aggravation de l’état bucco-dentaire de Mme Y… à partir de janvier 2008 ;
Attendu que, pour limiter le montant de l’indemnisation due à Mme Y… au titre de ces derniers manquements, l’arrêt retient qu’ils ont fait perdre à sa patiente une chance de stopper la dégradation de ses dents en l’absence d’interruption des soins et d’éviter un traitement plus lourd, laquelle doit être évaluée à 20 % ;
Qu’en relevant d’office ce moyen tiré de la perte de chance, sans inviter au préalable les parties à s’en expliquer, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit que les manquements de Mme X… à son obligation d’information et de conseil, lors de l’aggravation de son état bucco-dentaire à partir de janvier 2008, ont entraîné pour Mme Y… une perte chance fixée à 20 % et en ce qu’il condamne in solidum Mme X… et la société La Médicale de France à verser à celle-ci la somme provisionnelle de 7 000 euros à valoir sur l’indemnisation de la perte de chance, l’arrêt rendu le 20 mars 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Condamne in solidum Mme X… et la société La Médicale de France aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne in solidum à payer à Mme Y… et à la société Filia-Maif la somme globale de 3 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour Mme Y… et la société Filia-Maif.
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR dit que le Dr X… a manqué à son devoir d’information et de conseil lors de l’aggravation de l’état bucco-dentaire de Mme Y… à partir de janvier 2008 entraînant pour cette dernière une perte de chance fixée à 20 % et d’AVOIR, en conséquence, condamné in solidum le Dr X… et la société Médicale de France à verser à Mme Y… la somme provisionnelle de 19.500 euros à valoir sur l’indemnisation définitive de ses préjudices personnels et de la perte de chance ;
AUX MOTIFS QU’après l’annonce par Mme Cécile Y… de sa grossesse en mai 2007 et de son intention d’interrompre le traitement jusqu’à la naissance en décembre, le Dr Agnès X… lui a posé des bridges provisoires et conseillé d’aller consulter chez un praticien proche de son domicile en Bretagne en cas de descellement. Il ne fait aucun doute que cette interruption dans le traitement décidée par Mme Y… en raison d’une grossesse difficile n’a pas rencontré d’opposition de la part du Dr X…. A cette date, au vu des éléments du dossier, notamment de la radiographie du 23 mars 2007, Mme Cécile Y… ne présentait pas de lésions carieuses radiologiquement visibles. Puis, après la naissance de l’enfant, Mme Cécile Y… a rappelé le chirurgien-dentiste pour lui annoncer sa décision de reporter la reprise des soins ; en octobre 2008, elle a sollicité et obtenu un nouveau rendez-vous pour le 28 novembre 2008. Le Dr Agnès X… a alors constaté une aggravation importante de l’état bucco-dentaire de Mme Cécile Y…, en raison du fait que de nombreuses dents naturelles, supports des prothèses, étaient cariées. Selon ses déclarations à l’expert judiciaire lequel a expressément noté que « la reconstitution des faits a été validée de manière contradictoire par les deux parties lors de la réunion d’expertise » (23 juin 2010), le Dr Agnès X… expose qu’elle a été prévenue en décembre 2007 par Mme Cécile Y… de son souhait de reporter les soins au printemps, que sa patiente lui a indiqué qu’elle refixait régulièrement les bridges supérieurs antérieur et supérieur droit en employant du Fixodent et s’est plainte de ce qu’à la mandibule, les dents sous les prothèses seraient très cariées. Aux termes de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique, le professionnel de santé doit informer son patient des différentes investigations, traitements ou actes de soins qui lui sont proposés, de leur utilité, de leurs conséquences et des risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que des autres solutions possibles et des conséquences prévisibles en cas de refus ; l’information donnée par le praticien à son patient doit être loyale, claire et appropriée. La charge de prouver, par tous moyens, qu’il a rempli son obligation incombe au professionnel de santé. Or force est de constater qu’en l’espèce, le Dr Agnès X… n’établit pas avoir alerté Mme Cécile Y… qui l’a appelée en décembre 2007 ni des risques encourus pour son état bucco-dentaire en l’absence de consultation dans les meilleurs délais afin pour le moins de traiter les caries ni de la contre-indication à utiliser fréquemment du Fixodent pour resceller des bridges provisoires. Mais il ressort des éléments du dossier que Mme Cécile Y… a pris la responsabilité d’interrompre son traitement, qu’elle savait que les prothèses posées en mai 2007 étaient provisoires, que pendant sa grossesse, elle a consulté les docteur Z…, chirurgien-dentiste, à trois ou quatre reprises en raison de descellements de sorte qu’elle avait conscience de l’inadaptation du traitement provisoire en place, qu’elle ne justifie pas avoir été dans l’impossibilité de se déplacer au cabinet du Dr Agnès X…, ni avoir consulté un chirurgien-dentiste proche de son domicile après janvier 2008 alors qu’elle se plaignait de caries. Dans ces conditions, les manquements du Dr Agnès X… à son obligation de conseil ont fait perdre à Mme Cécile Y… une chance de stopper la dégradation de ses dents et d’éviter un traitement plus lourd que la cour évaluera à 20 % compte tenu du comportement négligent de la patiente ;
1) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent fonder leur décision sur un moyen qu’ils ont relevé d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu’en retenant d’office que le préjudice de Mme Y… lié à l’aggravation de son état bucco-dentaire à partir de janvier 2008 s’analyse comme une simple perte de chance ne devant être réparée que dans la limite de 20 %, sans avoir au préalable invité cette dernière à s’en expliquer, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE ne peut être indemnisé sous la forme d’une simple perte de chance, le préjudice dont la réalisation n’est assujettie à aucun aléa ; qu’il résulte des constatations de la cour d’appel que le Dr X… a manqué à son devoir d’information et de conseil en n’alertant pas Mme Y…, en décembre 2007, sur les « risques encourus pour son état bucco-dentaire en l’absence de consultation dans les meilleurs délais afin pour le moins de traiter les caries ni de la contre-indication à utiliser fréquemment du Fixodent pour resceller des bridges provisoires » ; qu’en décidant que Mme Y… ne peut prétendre, au titre du préjudice lié à l’aggravation de son état à partir de janvier 2008, qu’à l’indemnisation d’une simple perte de chance sans s’expliquer sur les effets qu’aurait pu avoir l’information omise par le Dr X… sur la décision de Mme Y… de consulter un praticien dans les meilleurs délais et d’interrompre l’utilisation du Fixodent, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble le principe de la réparation intégrale du dommage et les règles qui gouvernent l’indemnisation d’une perte de chance ;
3) ALORS QUE seule une faute du patient peut exonérer, totalement ou partiellement, le praticien de sa responsabilité ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que Mme Y… n’a interrompu son traitement bucco-dentaire que le temps de sa grossesse et quelques mois après son accouchement et ce, après avoir pris la précaution d’en informer son dentiste habituel qui, à cette occasion, n’a soulevé aucune objection et en particulier, ne l’a pas informée des risques encourus ; qu’en limitant à 20% l’indemnisation du préjudice de Mme Y… sans qu’il résulte de ses constatations que l’arrêt des soins dentaires présentait un caractère fautif, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
4) ALORS, en tout état de cause, QUE le fait pour une personne, victime d’une faute dans la mise en oeuvre d’un traitement dont un professionnel de santé a été reconnu responsable, de se soustraire à des traitements médicaux, qui ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l’intégralité des préjudices résultant de cette faute ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que l’échec de la réhabilitation de l’état parodontal de Mme Y… était imputable à la faute du Dr X… qui avait sous-estimé l’importance et l’évolution possible du bruxisme nocturne de sa patiente compte tenu de son état de santé général, et d’un mauvais respect des rapports d’inclusion mandibulo-maxillaire ; qu’elle a également relevé que le Dr X… a reconnu ses échecs successifs et proposé de refaire le traitement à deux reprises ; qu’en se fondant, pour limiter l’étendue de son droit à réparation, sur la décision de Mme Y… d’interrompre, durant sa grossesse et quelques mois après celle-ci, le troisième traitement mis en place par le Dr X…, la cour d’appel a violé les l’article 16-3 du code civil, ensemble les articles L. 1142-1 et L. 1111-4 du code de la santé publique.