Contexte : Par cette décision rendue le 22 juin 2017, la Cour de cassation confirme l’autonomie du préjudice d’impréparation par rapport à celui qui résulte d’une perte de chance d’éviter le dommage par une décision éclairée par une information suffisante sur les risques encourues (V. déjà en ce sens, Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 15-27.898, JurisData n° 2017-000976, à paraître au bulletin ; Resp. civ. et assur. 2017, comm. 115, note S. Hocquet-Berg).
Litige : Une patiente est victime d’un accident vasculaire cérébral après avoir subi une sclérothérapie pratiquée la veille par son médecin généraliste. Elle engage une procédure de règlement amiable devant la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux d’Auvergne. Celle-ci retient l’existence d’un accident médical non fautif en lien avec l’acte médical pratiqué. Sur la base de cet avis, l’ONIAM indemnise la victime puis, comme l’y autorise l’article L. 1142-17, dernier alinéa, du code de la santé publique, exerce une action subrogatoire à l’encontre du professionnel de santé en demandant de rembourser les sommes versées. Le fonds fait notamment valoir que ce dernier est responsable du dommage puisqu’il n’a pas informé sa patiente des risques inhérents à la sclérothérapie. La cour d’appel de Riom rejette la demande de l’ONIAM en considérant, qu’en l’absence d’urgence du traitement, la perte de chance s’analyse, à la suite de la réalisation du risque d’un accident vasculaire cérébral, en un préjudice moral lié au défaut de préparation psychologique aux risques encourus et au ressentiment de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporel, lequel n’a pas été indemnisé dans le cadre des protocoles d’accord signés avec la victime.
Solution : La première chambre civile casse cet arrêt aux motifs :
« Qu’en statuant ainsi, alors que la perte de chance d’éviter le dommage, consécutive à la réalisation d’un risque dont le patient aurait dû être informé, constitue un préjudice distinct du préjudice moral résultant d’un défaut de préparation aux conséquences de ce risque et consiste, dès lors que son existence est retenue par les juges du fond, en une fraction des différents chefs de préjudice déterminée en mesurant la chance perdue, la cour d’appel a violé (les articles L. 1111-2, L. 1142-1 et L. 1142-17 du code de la santé publique) ».
Analyse : Il faut d’abord retenir de cette décision qu’elle censure une approche globalisante des préjudices résultant d’un défaut d’information. Le préjudice d’impréparation à un risque qui s’est réalisé et la perte d’une chance d’échapper à ce même risque par une décision éclairée sont distincts, sans toutefois correspondre à des situations différentes puisqu’ils résultent du même fait générateur de responsabilité. Se trouve ainsi condamnée l’analyse selon laquelle il y aurait une contradiction à dire que le patient a perdu une chance d’éviter un risque et en même temps qu’il n’a pas été préparé à celui-ci (M.-L. Moquet-Anger, note sous CE, 10 oct. 2012 : Dr. adm. déc. 2012, comm. n° 98).
Ensuite, la décision illustre la singularité de la perte de chance qui, bien que traditionnellement analysée comme un préjudice distinct du préjudice final qui s’est réalisé, n’en a pas moins qu’une autonomie relative par rapport à celui-ci. En effet, non seulement l’évaluation de la perte de chance est faite sur la base de celle du préjudice final mais encore, comme le retient ici la première chambre civile, l’indemnisation du préjudice final inclut nécessairement celle de la perte de chance d’éviter ce préjudice final. Par conséquent, contrairement à ce qu’avait jugé la cour d’appel de Riom, à partir du moment où il a intégralement réparé les atteintes corporelles subies par la victime, l’ONIAM dispose bien d’un recours subrogatoire contre le praticien, même s’il est évidemment limité à la fraction des différents chefs de préjudice déterminée en mesurant la chance perdue.