REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 6 janvier 2004, Mme X… a été victime d’un accident vasculaire cérébral dont elle a gardé de graves séquelles, après avoir subi, la veille, une sclérothérapie, réalisée par Mme Y…, médecin généraliste ; qu’elle a saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation d’Auvergne qui, à l’issue de deux expertises médicales, a conclu à une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique ; que Mme X… a accepté les offres d’indemnisation qui lui ont été faites par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM) ; que celui-ci, estimant que Mme Y… n’avait pas informé sa patiente des risques inhérents à la sclérothérapie et ne disposait pas de la qualification requise pour la réaliser, a exercé contre elle et son assureur, la société Médicale de France, l’action subrogatoire prévue par l’article L. 1142-17 du même code ;
Sur la recevabilité du mémoire en défense, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :
Vu l’article 982 du code de procédure civile ;
Attendu que le mémoire en demande de l’ONIAM a été déposé et signifié le 25 novembre 2016 à Mme Y… et à la société Médicale de France qui ont déposé un mémoire en défense le 11 mai 2017 discutant l’étendue du recours de l’ONIAM ; que ce dernier mémoire, déposé au-delà du délai fixé par le texte susvisé, est irrecevable ;
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1111-2, L. 1142-1 et L. 1142-17 du code de la santé publique ;
Attendu que, pour rejeter les demandes de l’ONIAM fondées sur le défaut d’information, l’arrêt retient qu’en l’absence de caractère d’urgence du traitement par sclérothérapie, la perte de chance subie par Mme X… s’analyse, à la suite de la réalisation du risque lié à la survenue d’un accident vasculaire cérébral, en un préjudice moral lié au défaut de préparation psychologique aux risques encourus et au ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle et que ce préjudice moral n’a pas été indemnisé dans le cadre des protocoles d’accord signés entre l’ONIAM et Mme X… ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la perte de chance d’éviter le dommage, consécutive à la réalisation d’un risque dont le patient aurait dû être informé, constitue un préjudice distinct du préjudice moral résultant d’un défaut de préparation aux conséquences de ce risque et consiste, dès lors que son existence est retenue par les juges du fond, en une fraction des différents chefs de préjudice déterminée en mesurant la chance perdue, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes de l’ONIAM fondées sur un défaut d’information, l’arrêt rendu le 25 mai 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;
Condamne Mme Y… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’ONIAM ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales
Il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir débouté l’ONIAM de toutes ses demandes et de l’avoir condamné à payer à madame Y… et à la société Médicale de France la somme de 1.800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Aux motifs propres que, sur la responsabilité du docteur Y…, il n’est pas contestable que les deux expertises ne sont pas parvenues à fournir aux premiers juges des éléments médicaux certains permettant d’imputer une faute technique au docteur Y… lors de la sclérothérapie pratiquée par ce médecin pour traiter les varices dont souffrait madame X… ; qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner l’existence d’un lien de causalité entre la faute – qui n’est pas caractérisée – et le préjudice puisque manque l’élément nécessaire à la condamnation de ce médecin à raison de l’accident vasculaire cérébral dont a été victime madame X… le 6 janvier 2004 ; qu’en effet, tant le premier expert – le professeur Z… – que les seconds, le professeur A…, le docteur B… experts dans le domaine cardiovasculaire auprès de la cour d’appel de Besançon intervenus avec l’aide d’un sapiteur neurologue, ont estimé aux termes de leurs rapports que le docteur Y… avait prodigué les soins conformément aux pratiques préconisées, d’autant que ce médecin ne pouvait pas savoir que sa patiente était porteuse d’un foramen ovale perméable (FOP) et qu’il est exclu que tous les patients nécessitant une sclérothérapie bénéficient d’une échographie cardiaque pour détecter cette anomalie congénitale ; qu’en outre, les seconds experts susvisés ont estimé qu’il existait deux causes possibles à l’AVC subi par madame X… ; que la première étant celle relevée par le docteur C… (médecin intervenu dans les soins de l’AVC) à savoir une embolie paradoxale à partir d’une thrombose veineuse provenant des suites des soins pratiqués par le docteur Y…, le caillot serait passé dans la circulation à travers le foramen ovale perméable (FOP), qui est une anomalie congénitale de la victime, puis ledit caillot serait remonté dans la circulation cérébrale et aurait provoqué l’hémiplégie ; que les experts précisent que ce médecin ne savait pas au moment de ce diagnostic que la
patiente souffrait également d’une seconde anomalie congénitale (l’anévrysme du septum interauriculaire ou ASIA) ; que la seconde hypothèse étant une embolie à point de départ non veineux mais à partir de l’ASIA qui favorise la thrombose in-situ et l’embolisation secondaire de cette dernière ; que les experts ajoutent que le FOP n’est pas un facteur favorisant les AVC alors que l’ASIA l’est ; qu’ils précisent que nul ne peut affirmer que l’une des deux origines est préférentiellement en cause, les fréquences de ces deux causes étant faibles, d’autant que les chiffres de la littérature médicales sont très variables ; que messieurs A… et Kieffer concluent que si le rapport des risques est plutôt en faveur de l’ASIA, le facteur chronologique est en faveur de la complication de la sclérose des varices pratiqué par le docteur Y…, mais que la probabilité est de 50 % pour chacune des deux causes ; qu’ils retiennent la notion d’aléa thérapeutique en faveur de la victime ce qui permettra par la suite l’indemnisation de cette dernière par l’ONIAM ; qu’en revanche, les mêmes experts affirment que le docteur Y… a manqué à son obligation d’information de sa patiente concernant les risques encourus et que ce médecin n’a pas pu fournir de document écrit attestant du fait qu’elle avait bien informé madame X… s’agissant des risques d’une sclérothérapie ; qu’ils ajoutent que le docteur Y… a également commis une « tromperie » en indiquant sur ses courriers et ordonnances la mention « phlébologie médicale » alors qu’elle est inscrite à l’ordre des médecins uniquement en qualité de médecin généraliste ; que, dès lors, les experts estiment que la victime aurait pu choisir un médecin diplômé et qualifié par l’ordre des médecins ce que le docteur Y… n’est pas dans la mesure où elle n’est pas parvenue à justifier de son inscription à l’ordre alors qu’elle a bénéficié d’un délai de 15 jours pour le faire lors des opérations d’expertise, même si elle a justifié être membre de la société de phlébologie depuis 1985 ; qu’à cet égard, il convient d’indiquer que l’article L.1111-2 du code de la santé publique en vigueur au moment de l’accident prévoyait notamment que toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé ; que cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent, ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ; que cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables ; que seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser ; que cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel ; qu’en cas de litige, il appartient au professionnel de santé de rapporter la preuve que l’information a été délivrée et ce par tout moyen ; qu’en l’espèce, le docteur Y… ne prouve pas qu’elle avait informé madame X… dans les conditions susmentionnées ; qu’en effet, elle ne verse aucun écrit de sa patiente, ni aucun autre moyen de preuve propre à satisfaire à son obligation d’information ; qu’à cet égard, il faut préciser que la délivrance d’une information quant aux soins envisagés est la condition du consentement éclairé qui est lui-même une condition du respect de la dignité humaine ; que, toutefois, ce droit à l’information ne constitue qu’un droit subjectif n’instituant pas un régime de responsabilité autonome et il doit s’appliquer en relation avec les dispositions de l’article 1382 du code civil et non avec celles posées par l’article 1147 du même code (Cass. Civ. 1ère – 3 juin 2010 Bull. I n° 128) ; qu’en l’absence de caractère d’urgence du traitement par sclérothérapie de madame X… (traitement dont il n’est pas contesté que l’objectif était esthétique) la perte de chance qu’elle a subie s’analyse, lorsque le risque se réalise et tel est bien le cas en raison de la survenance d’un accident vasculaire cérébral un jour après ces soins, en un préjudice moral lié au défaut de préparation psychologique aux risques encourus et au ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle ; que, néanmoins, ce préjudice moral n’a pas été indemnisé dans le cadre des protocoles d’accord signés entre l’ONIAM et madame X… qui ne mentionnent pas ce chef de préjudice ; que, dès lors, les transactions signées n’ouvrent pas d’action subrogatoire de l’ONIAM et seule madame X… pourrait éventuellement agir afin d’obtenir une telle indemnisation ; qu’enfin, il peut être ajouté que ce préjudice moral indemnisable au titre du défaut d’information en raison de la perte de chance est totalement distinct des atteintes corporelles constatées dans la mesure où il ne s’agit que de la perte d’une chance de se soustraire (que l’intervention médicale soit urgente ou non) au risque qui s’est réalisé ; que, par ailleurs, le fait que le docteur Y… mentionne son activité de phlébologie dans ses courriers et ses ordonnances est tout au plus de nature à motiver une saisine des autorités ordinales, mais n’a pas pu participer à une perte de chance dans le choix de ce praticien dans la mesure où, d’une part, l’intervention a respecté les règles de l’art ainsi que le reconnaissent les experts et où, d’autre part, la phlébologie n’est pas une spécialité médicale et que le médecin en cause était formé ainsi qu’en atteste le docteur D… et le fait qu’elle intervienne, en qualité de consultante en phlébologie, auprès du centre de cancérologie Jean Perrin à Clermont-Ferrand ;
Alors, de première part, que lorsque le défaut d’information sur les risques d’une intervention chirurgicale a fait perdre au patient une chance d’éviter le dommage résultant de la réalisation d’un de ces risques, en refusant définitivement ou temporairement l’indemnisation projetée, l’indemnité qui lui est due doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour lui et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de son dommage ; qu’il en découle que la perte de chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé, consécutive au manquement du médecin à son devoir d’information du patient, doit être indemnisée lorsqu’elle est constatée ; qu’ayant retenu que le manquement du docteur Y… à son obligation d’information avait fait perdre à la patient une chance d’échapper au dommage, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu l’article 1382, devenu l’article 1240, du code civil, ensemble l’article L.1142-17 du code de la santé publique ;
Alors, de seconde part, que la perte de chance causée par le manquement d’un médecin à son devoir d’information du patient est un préjudice distinct du préjudice moral lié au défaut de préparation psychologique aux risques encourus et au ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle ; qu’en limitant les conséquences préjudiciables du manquement du médecin à son obligation d’information à un dommage moral, cependant qu’elle constatait que le risque auquel la patient aurait pu échapper s’était réalisé, la cour d’appel a méconnu l’article 1382, devenu l’article 1240, du code civil, ensemble l’article L.1142-17 du code de la santé publique.