Troisième Partie – L’issue de la procédure administrative juridictionnelle
-Une issue très classique. Comme cela a été vu, les décisions juridictionnelles ne tranchent pas nécessairement une contestation. Il en résulte qu’elles ne sauraient emporter toujours les mêmes effets (TITRE I). Les décisions juridictionnelles n’en revêtent pas moins une importance déterminante dans tous les cas, en tant qu’elles prescrivent, au nom du peuple français. La soumission qui leur est due n’est cependant pas sans limite. Plus précisément, dans l’intérêt général autant que dans celui des parties et des tiers, des voies de contestation doivent être organisées (TITRE II), qui permettent de les parfaire.
TITRE I – LES EFFETS DE LA DÉCISION JURIDICTIONNELLE
-Entre autorité et opposabilité. Les décisions juridictionnelles n’ont pas toutes le même effet. Certaines sont revêtues de l’autorité de la chose jugée (CHAPITRE I), mais certaines seulement. En revanche, et l’article L. 11 du code de justice administrative l’énonce clairement, elles sont exécutoires et doivent donc être exécutées (CHAPITRE II).
CHAPITRE I – L’AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE
-De la nécessaire précision. Les conséquences de l’autorité de la chose jugée (Section 2) ne peuvent être correctement cernées qu’à la condition de comprendre le sens qui doit être assigné à cette notion (Section 1).
Section 1 – Le sens de l’autorité de la chose jugée
-Autorité de la chose jugée et autres notions connexes. L’autorité de la chose jugée est parfois l’objet de confusion regrettable parce que nuisibles à la compréhension de l’économie générale du contentieux administratif. Bien qu’elles soient liées les unes aux autres, on ne saurait tenir les notions d’autorité de la chose jugée, de force de chose jugée, de force exécutoire, notamment. Appréhender à sa juste mesure l’autorité de la chose jugée suppose donc de comprendre, en premier lieu, sa signification (Sous-section 1) et, en second lieu, les conditions (Sous-section 2).
Sous-section 1 – La signification de l’autorité de la chose jugée
-De la poule et de l’œuf. L’autorité de la chose jugée remplit deux fonctions. Elle est, d’une part, consubstantielle à la fonction de juger (§ 1) et concoure donc à l’accomplissement de sa fonction par la juridiction administrative. Elle est, d’autre part, la condition autant que la conséquence de la séparation des pouvoirs (§ 2).
§ 1 : Autorité de la chose jugée et fonction juridictionnelle
-Une autorité communément admise. L’autorité de la chose jugée est une notion aussi ancienne que nécessaire. Elle n’en est pas moins permise, eu égard aux « formes solennelles qui président à l’élaboration de la décision juridictionnelle [et qui] garantissent ainsi la stricte application de la loi » (R.-G. Schwartzenberg, L’autorité de chose décidée, Paris, LGDJ, 1969, p. 11). La chose est tellement admise que la doctrine administrative contemporaine reste passablement laconique sur la question la doctrine administrative, préférant pour l’essentiel souligner les effets plutôt qu’en expliciter les causes. Ce n’est pourtant qu’une fois que cette autorité de la décision est comprise et acceptée qu’il est permis d’en tirer les enseignements. Avant toute chose, il importe donc de rappeler que l’autorité de la chose jugée est un attribut de l’acte juridictionnel. La décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ne doit pas être confondue avec la décision passée en force de chose jugée. En effet, l’autorité de la chose jugée bénéficie à toute décision rendue au principal quand la force de chose jugée concerne les décisions que certains qualifient abusivement de « définitives », qui embrassent en réalité l’ensemble des décisions qui ont été rendues en dernier ressort. Par delà cette précision, il convient de souligner que l’autorité de la chose jugée revêt deux dimensions, l’une formelle, l’autre matérielle.
-L’autorité formelle de la chose jugée. La première dimension de l’autorité de la chose jugée est formelle. En tant qu’il tend à mettre fin à une contestation, l’acte juridictionnel doit être revêtu d’une telle autorité, qui lui accorde une force de vérité légale, fiction que l’intérêt général commande. Contrairement à la décision administrative, l’acte juridictionnel doit être pérenne, pour ne pas dire intangible. Ceci renvoie à la première acception, formelle, de l’autorité de la chose jugée et c’est celle, somme toute, la plus communément admise. Il en résulte que le jugement, après l’expiration des délais ou l’épuisement des voies de recours, n’est plus susceptible d’être remis en cause. La notion d’autorité de chose jugée se confond alors avec la notion de force de chose jugée. C’est l’autorité négative de la chose jugée. L’exception de chose jugée emporte irrecevabilité de la nouvelle demande. Adopter une solution inverse conduirait, peu ou prou, à permettre la contestation de la décision juridictionnelle par d’autres voies que celles des recours organisés. Or, et c’est inhérent à toute justice, l’intérêt général postule qu’une décision juridictionnelle ne soit pas éternellement contestable : « le besoin social de stabilité (…) est à la base de la force de chose jugée » (G. Jèze, « De la force de vérité légale attachée par la loi à l’acte juridictionnel », RDP 1913, pp. 439-441).
-L’autorité matérielle de la chose jugée. La seconde dimension de l’autorité de la chose jugée est matérielle. Ce que le jugement contient doit être respecté à l’occasion des procès ultérieurs. Ainsi appréhendée, l’autorité de la chose jugée tend à éviter la contradiction de jugements, préoccupation non moins tournée vers l’intérêt général.
§ 2 : Autorité de la chose jugée et séparation des pouvoirs
-Le respect de la chose jugée. La question du respect de l’autorité de la chose jugée est une question en lien avec celle de la séparation des pouvoirs. Il serait en effet attentatoire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 que d’autoriser les pouvoirs exécutif et législatif à priver les décisions juridictionnelles de leur autorité, par leurs actes ou leurs comportements. On ne saurait à cet égard se surprendre de ce que les lois de validation aient endossé les qualificatifs les plus sévères par la doctrine. Elles ne sont pourtant pas sans utilité ni légitimité, qui permettent notamment de mettre un terme à des situations anormales génératrices d’insécurité juridique.
La position du Conseil constitutionnel passe pour être à cet égard conciliatrice. Le principe est bien celui suivant lequel les pouvoirs constitués ne peuvent censurer, enjoindre, ni se substituer aux juridictions dans ce qui relève de leur champ de compétence. Cependant, rien ne s’oppose à ce que, à l’exception bien comprise de la matière pénale, le législateur intervienne rétroactivement pour modifier les règles qui doivent être appliquées. La circonstance que la loi intervienne dans une matière ayant donné lieu à des recours actuellement pendants devant la juridiction n’est pas de nature à faire regarder cette loi comme non conforme à la Constitution (Cons. const., décision numéro 80-119 DC du 22 juill. 1980, Validation d’actes administratifs, Rec. Cons. const., p. 46 ; AJDA 1980, p. 602, note G. Carcassonne ; RDP 1980, p. 1658, note L. Favoreu), sauf à ce que les modifications aux droits des personnes soient excessives (Cons. const., décision numéro 2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Viviane L., Rec. Cons. const., p. 105).
La Cour européenne des droits de l’Homme se montre plus exigeante, ce qui est logique dès lors que son raisonnement ne se fonde pas sur la séparation des pouvoirs mais sur le droit à un procès équitable au sens de l’article 6 §1 de la Convention. Ainsi, « si, en principe, le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacré par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige » (CEDH, 28 oct. 1999, Zielenski et a. c. France ; AJDA 2000, p. 533, chon. J.-F. Flauss). Cette jurisprudence n’a pas manqué d’influencer celle du Conseil d’Etat, lequel exige également, aujourd’hui, que la validation législative soit justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général (Conseil d´Etat, 23 juin 2004, Société Laboratoires Genevrier, requête numéro 257797, Rec., p. 256 ; Conseil d´Etat, Ass., 27 mai 2005, Provin, requête numéro 277975, Rec., p. 213, concl. C. Devys ; AJDA 2005, p. 1455, chron. C. Landais et F. Lenica), condition à laquelle le Conseil constitutionnel s’est finalement rallié (Cons. const., décision numéro 2013-366 QPC du 14 févr. 2014, SELARL PJA, ès qualités de liquidateur de la société Maflow France ; AJDA 2012, p. 1204, note J. Roux).
Sous-section 2 – Les conditions de l’autorité de la chose jugée
-L’étendue de la chose jugée. L’autorité de la chose jugée est circonscrite par le dispositif de la décision juridictionnelle. Il convient cependant de ne pas écarter trop brutalement les motifs qui président à la décision. En effet, le Conseil d’Etat ne se démarque pas de son homologue judiciaire en énonçant que, si l’autorité de la chose jugée ne s’adosse normalement pas sur les motifs (CE, 26 janv. 1940, Courajoux, Le Gall et Guédon, requêtes numéros 65218, 65187 et 65188, Rec., p. 33 ; Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 9 mai 2005, Société nouvelle de construction et de travaux publics, requête numéro 256912, Rec., T., p. 1055), elle s’étend néanmoins à ceux qui constituent le « support nécessaire » du dispositif (CE, Sect., 28 déc. 1949, Sté des Automobiles Berliet, requête numéro 4162, Rec., p. 579 ; Conseil d´Etat, 10ème et 7ème SSR, 6 janvier 1995, Assemblée territoriale de la Polynésie française, requête numéro 152654, Rec., p. 10 ; Conseil d´Etat, 28 décembre 2001, Syndicat CNT des PTE de Paris et autres, requête numéro 205369, Rec., p. 673). L’étude de l’autorité de la chose jugée fait apparaître, d’une part, une constante en ce qu’il doit exister une chose jugée (§ 1), d’autre part, une variable, dès lors que l’autorité peut être absolue ou relative (§ 2).
§ 1 : La constante : la chose jugée
-De la nécessité d’une chose jugée. Certaines décisions prises par la juridiction administrative restent des décisions administratives. Elles échappent alors à toute possibilité de se voir reconnaître une autorité de la chose jugée. C’est le cas, par exemple, de la décision d’un tribunal administratif désignant un commissaire-enquêteur en vue de mener l’enquête publique préalable à l’adoption d’un document d’urbanisme CE, 1er mars 1989, Association syndicale des arrosants de la Foux, requête numéro 99317). C’est le cas encore de l’autorisation de plaider (Conseil d´Etat, Ass., 26 juin 1992, Pezet et San Marco, requêtes numéros 134980 à 134985, Rec., p. 247, concl. G. Le Chatelier ; AJDA 1992, p. 477, chron. C. Maugüé et R. Schwartz et p. 506, concl. G. Le Chatelier). Par-delà, certains actes s’inscrivent dans l’activité juridictionnelle sans constituer des jugements (I) et ne seront pas plus revêtus d’une telle autorité. Seules les décisions ayant le caractère de jugement sont revêtues de l’autorité de la chose jugée (II).
I. Les actes non constitutifs de jugements
-Les mesures d’administration de la justice. Ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée les mesures d’administration de la justice, en tant précisément qu’elles n’ont pas la qualité de décision juridictionnelle. Il en va ainsi des décisions de saisir le Conseil d’Etat pour avis, sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative (Conseil d´Etat, 7 juillet 2000, Clinique chirurgicale du Coudon, requête numéro 199324, Rec., p. 313) autant que de l’avis rendu par le Conseil d’Etat à la suite de cette saisine (Conseil d´Etat, 9ème et 8ème SSR, 17 novembre 1997, Doukouré, requête numéro 188163, Rec., p. 426). Il en va encore ainsi des ordonnances rendues par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, sur le fondement des articles R. 351-1 et suivants du code de justice administrative (Conseil d´Etat, 7ème et 5ème SSR, 24 juin 2002, Office public d´aménagement et de construction de Saône-et-Loire, requête numéro 242647, Rec., T., p. 887).
-Les actes ne tranchant pas un litige au fond. Ne sont pas davantage revêtus de l’autorité de la chose jugée les actes juridictionnels ne tranchant pas un litige au fond.
Il en va ainsi, en premier lieu, des ordonnances rendues en référé, dont il est classiquement admis qu’elles ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée (pour une ordonnance rendue en référé suspension, Conseil d´Etat, Section, 5 novembre 2003,Association Convention vie et nature pour une écologie radicale et Assocation pour la protection des animaux sauvages, requête numéro 259339, Rec., p. 444 ; pour une ordonnance rendue en référé provision, Conseil d´Etat, 3ème et 8ème SSR, 11 décembre 2015, Commune de Colmar, requête 383625, Rec.). L’article L. 511-1 du code de justice administrative le rappelle, en énonçant que ces ordonnances n’ont qu’un effet provisoire (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 14 septembre 2007, Ministre de la jeunesse et de la vie association c. Société Vacances éducatives, requête numéro 300911 ; AJDA 2008, p. 51, note A. Ciaudo). Il en résulte, d’une part, que le juge des référés n’est pas indéfectiblement lié par ce qu’il a ordonné, et peut dès lors modifier ou mettre fin aux mesures ordonnées (Conseil d´Etat, juge des référés, 7 novembre 2003, SA d´Habitations à lier modéré Trois vallées, requête numéro 261475 , Rec., T., p. 911). Il en résulte, d’autre part, qu’une nouvelle demande de suspension, par exemple, puisse être formulée après un rejet initial (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 10 octobre 2007, Barbero, requête numéro 304184). Bien que la solution nécessite confirmation, il semble qu’une nuance doive être apportée à ce qui vient d’être exposé : l’absence d’autorité de la chose ordonnée en référé ne s’étend pas à ce qui constitue en lui-même un jugement dans l’ordonnance, comme ce peut être le cas de la mise à la charge de la partie perdante des frais exposés et non compris dans les dépens (TA Rennes, 6 nov. 2014, Préfet des Côtes-d’Armor, requête numéro 134850, AJDA 2015, p. 285, concl. P. Report).
Il en va ainsi, en deuxième lieu, des jugements avant dire droit (CE, 8 nov. 1940, Administration des chemins de fer d’Alsace et de Lorraine, requête numéro 56070, Rec., p. 201), sauf en ce qui concerne les jugements mixtes, hypothèse dans laquelle la part tranchée du litige est revêtue de l’autorité de la chose jugée (par ex. Conseil d´Etat, 12 novembre 1969, Administration générale de l´Assistance publique à Paris c. dame veuve Benoit, requête numéro 76323, Rec., p. 497).
Il en va ainsi, en troisième lieu, du sursis à statuer (Conseil d´Etat, Section, 9 décembre 1977, Ministre de la Défense c. Malmenaide, requête numéro 03452, Rec., p. 490), ou de la décision de non-lieu (CE, Sect., 19 mars 1948, Dame Ventura, requête numéro 83152, Rec., p. 137), sauf à ce qu’il contienne des dispositions sur le fond. En effet, un jugement de non-lieu fondé sur la disparition de l’objet de la demande fait obstacle à une nouvelle demande ayant le même objet (Conseil d´Etat, Section, 23 décembre 1988, SA des techniciens et ouvriers du bâtiment, requête numéro 40591, Rec., p. 473).
II. Les actes constitutifs de jugements
-Les décisions rendues au principal. Les décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée sont d’abord, et c’est l’évidence, les décisions juridictionnelles qui règlent une contestation sur le fond. Il y a plus, dès lors que le Conseil d’Etat a conféré la même autorité aux mesures d’exécution. En effet, il a été jugé que, si le juge de l’exécution peut préciser la portée des mesures initialement édictées sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, et éventuellement les compléter en fixant notamment un délai d’exécution et en assortissant ces mesures d’une astreinte, il ne saurait en revanche les remettre en cause (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, SCI La Lauzière et a., requêtes numéros 327080, 327256 et 327332C, Rec., p. 308).
-Le donné acte d’un désistement d’action. Le donné acte d’un désistement est une décision juridictionnelle. Il est donc revêtu de l’autorité de la chose jugée (CE, 12 déc. 1928, Clause, requêtes numéros 80866, 80867 et 81460, Rec., p. 1296). Encore doit-on préciser ici que seuls les désistements d’action sont concernés, le désistement d’instance ne fermant pas la voie à une nouvelle saisine de la juridiction. L’évolution de la jurisprudence administrative va limiter le nombre d’hypothèses de désistements d’action puisque, par défaut, le désistement reste à présent un désistement d’instance (Conseil d´Etat, Section, 1er octobre 2010, M. et Mme Rigat, requête numéro 314297, Rec., p. 352). Evidemment, le principe ne vaut pas pour une ordonnance par laquelle le juge des référés a donné acte d’un désistement (Conseil d´Etat, 28 décembre 2012, Mme Chakour, requête numéro 353459, Rec., T., p. 908).
-L’homologation d’une transaction. Le jugement statuant sur une demande d’homologation d’une transaction est une décision juridictionnelle (Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 4 avril 2005, Société Cabinet JPR Ingénierie, requête numéro 273517 , Rec., p. 139) et elle est, à ce titre, revêtue de l’autorité de la chose jugée.
-La décision de non-admission d’un pourvoi en cassation. La décision de non-admission d’un pourvoi en cassation est dotée de l’autorité de la chose jugée et fait donc obstacle à la répétition de la demande, pour une cause juridique identique, par voie de pourvoi principal, incident ou provoqué (Conseil d´Etat, 8ème et 9ème SSR, 16 mai 1994, Société Arcus Air Logistic, requête numéro 120893, Rec., T., p. 1131). A tout prendre, il en va de même de l’ordonnance par laquelle le président de la juridiction rejette une demande pour défaut de motivation. Si en effet, dans pareil cas, une seconde requête enregistrée à la suite de cette ordonnance est recevable, c’est parce qu’elle ne repose pas sur la même cause juridique (Conseil d´Etat, 3ème et 5ème SSR, 11 juin 1999, Grabias, requête numéro 185169, Rec., T., p. 945), ce qui signifie implicitement mais nécessairement que l’ordonnance est revêtue de l’autorité de la chose jugée.
§ 2 : La variable : autorité absolue et autorité relative
-De la nécessité de distinguer. L’autorité des décisions rendues par la juridiction administrative est variable. Suivant les contentieux dans lesquels elles surviennent, les décisions juridictionnelles ne seront pas revêtues de l’autorité de la chose jugée dans les mêmes conditions. Il convient donc de distinguer clairement l’autorité absolue (I) et l’autorité relative (II) de la chose jugée.
I. L’autorité absolue de la chose jugée
-Dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir. L’autorité absolue de la chose jugée se manifeste essentiellement dans le contentieux de l’annulation et donc, au premier chef, dans le contentieux de l’excès de pouvoir, contentieux objectif s’il en est. Les conséquences de l’annulation sont simples : l’acte annulé disparait rétroactivement de l’ordonnancement juridique et il est réputé n’avoir jamais existé à compter de la lecture de la décision d’annulation (Conseil d´Etat, 26 décembre 1925, Rodière, requête numéro 88369, Rec., p. 1065 ; RDP 1926, p. 32, concl. Cahen-Salvador). La faculté au juge de différer la date d’effet de l’annulation du refus d’abroger un acte réglementaire illégal (Conseil d´Etat, 6ème et 4ème SSR, 27 juillet 2001, Titran, requête numéro 222509, Rec., p. 411 ; AJDA 2001, p. 1046, chron. M. Guyomar et P. Collin) et, plus largement, de moduler les effets de l’annulation dans le temps (Conseil d´Etat, Ass, 11 mai 2004, Association AC! et a., requêtes numéros 255886 à 255892, Rec., p. 197, concl. C. Devys ; AJDA 2004, p. 1183, chron. C. Landais et F. Lenica) reste ici indifférente. L’effet de cette disparition est radical : contrairement aux déclarations d’illégalité sans annulation (Conseil d´Etat, 3 juillet 1996, Ministre de l´Equipement, du logement, des transports et du tourisme c. Société ABC Ingineering, requête numéro 112171, Rec., p. 259), distinction que la Cour de cassation ne retient d’ailleurs pas (Cass. civ. 1ère, 19 juin 1985, Bull. civ. I, n° 200), la décision d’annulation vaut erga omnes (Conseil d´Etat,3ème et 5ème SSR, 4 oct. 1972, Sté civile immobilière de construction des 5 et 5 bis rue des Chalets à Bourges et Ministre de l’Équipement et du Logement c. Guillaumin et a., requêtes numéros 81445 et 81469, Rec., p. 598) ou, si l’on préfère, à l’égard de tous. L’autorité absolue de la chose jugée semble bien réfuter la notion de parties. Il n’y a là rien que de très conciliable avec la nature même du recours pour excès de pouvoir puisque, suivant le dogme, il s’agit d’un procès fait à un acte (Conseil d´Etat, Assemblée, 26 octobre 1944, Société Dockès Frères, requête numéro 72642, Rec., p. 120).
En revanche, traduction de l’asymétrie qui s’impose suivant le sens de la décision rendue, le rejet d’un recours pour excès de pouvoir n’a une autorité que relative (CE, 27 oct. 1965, Blagny, requêtes numéros 46007 et 46740, Rec., p. 559). Il n’est donc pas opposable aux autres requérants, lesquels, hors l’hypothèse de la jonction des requêtes, verront leur affaire jugée à l’occasion d’une autre instance avec, potentiellement, la rétention d’un moyen propre à faire prospérer le recours. Il n’est pas même opposable au même requérant qui pourra, le cas échéant, soulever de nouveaux moyens à l’occasion d’une nouvelle instance, procédant cependant sur une cause juridique distincte. Seule l’annulation est donc revêtue de l’autorité absolue de la chose jugée.
-En dehors du contentieux de l’excès de pouvoir. Au regard de ce qui précède, l’affirmation ne surprendra pas : c’est moins la nature particulière du recours pour excès de pouvoir que les effets de l’annulation qui impose l’autorité absolue de la chose jugée. Le contentieux électoral en est une manifestation : si, en la matière, une décision de rejet n’a qu’une autorité relative (CE, 30 janv. 1931, Élections municipales de Saint-Pierre-Azif, requête numéro 12414, Rec., p. 122), les décisions d’annulation ont un effet erga omnes (CE, 29 avr. 1938, Jeanpierre, requête numéro 58570, Rec., p. 386) et on ne peut, dès lors, renoncer à se prévaloir d’un jugement d’annulation (Conseil d´Etat, 3ème et 5ème SSR, 12 mai 1978, Elections municipales de Zonza, requetes numéros 08771 et 08814, Rec., T., p. 826). Le contentieux électoral n’est pas le seul à rendre compte de ce que la pleine juridiction ne s’oppose pas à l’autorité absolue de la chose jugée dans ce cadre. Le contentieux des décrets d’extradition en témoigne, puisque le Conseil d’Etat tient pour acquise à l’égard de tous la reconnaissance la qualité de réfugié décidée par la commission de recours des réfugiés (Conseil d´Etat, Assemblée, 1er avril 1988, Bereciartua Echarri, requête numéro 85234, Rec., p. 135). Il en va encore ainsi du contentieux de la grande voirie (Conseil d´Etat, 6ème et 2ème SSR, 27 juillet 1988, Bellay, requête numéro 68672, Rec., p. 301 ; AJDA 1988, p. 763, obs. J.-B. Auby).
II. L’autorité relative de la chose jugée
-« Res inter alios judicata aliis neque nocet neque prodest ». L’article 1355 du code civil, dont fait application la juridiction administrative (CE, Sect., 26 févr. 1937, Société des ciments Portland de Lorraine, requête numéro 29606, Rec., p. 254), dispose que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité ». L’autorité relative de la chose jugée suppose donc, cumulativement, identité de cause (A), de parties (B) et d’objet (C).
A. La cause
-Définition de la cause. La cause permet de mesurer l’étendue de la chose jugée « à partir d’un rapprochement entre la cause juridique invoquée par les parties dans une première demande et sur laquelle le juge s’est prononcé et celle d’une nouvelle demande présentée par les mêmes parties avec le même objet. La cause juridique telle qu’elle a été tranchée avec autorité de chose jugée par une décision de justice comprend tout ce qui, dans l’argumentation des parties, a été expressément retenu ou écarté pour concourir à l’adoption du dispositif, ou des motifs qui sont le soutien nécessaire de celui-ci » (Bertrand, concl. sur Conseil d´Etat, Section, 29 novembre 1974, Epoux Gevrey, requête numéro 89756, Rec., p. 600). Lorsque les conditions d’identité de parties et d’objet sont remplies, l’autorité de la chose jugée attachée au jugement ayant statué sur la première demande fait obstacle à ce qu’il soit fait droit à la nouvelle demande du requérant, si celle-ci repose sur la même cause (Conseil d´Etat, 3ème et 8ème SSR, 10 février 2014, M.Boerlen, requête numéro 356657, Rec., T., pp. 728 et 809).
-La question des moyens d’ordre public. La cause a pu ne pas toujours être ouverte par le demandeur lors de la première action. Très logiquement, une nouvelle demande pourrait alors reposer sur celle-ci. Mais alors faut-il distinguer suivant que le moyen sur lequel cette cause aurait pu être ouverte était ou non d’ordre public. En effet, c’est une obligation pour le juge de le soulever d’office. Et c’est alors que survient la fiction : si le juge ne l’a pas fait expressément, c’est que le moyen ne pouvait prospérer, mais le moyen est réputé avoir été examiné. Ainsi peut-on considérer que la décision juridictionnelle a implicitement, mais nécessairement, répondu à ce moyen. Une nouvelle demande, fondée sur cette cause, ne serait pas distincte (par ex., Conseil d´Etat, Section, 29 novembre 1974, Epoux Gevrey, requête numéro 89756, Rec., p. 600, concl. Bertrand). Ceci appelle deux observations : d’une part, le demandeur débouté n’est pas à proprement parler sacrifié, puisqu’un tel moyen, non soulevé lors de l’instance initiale, pourra l’être en appel ou en cassation ; d’autre part, la méthode du jugement implicite n’a pas toujours été retenue (CE, Sect., 12 juill. 1955, Grunberg, requête numéro 7811, Rec., p. 407, concl. Guionin), ce qui ne facilite pas la compréhension de l’ensemble…
-Identification des causes. Le contentieux de l’excès de pouvoir ne connaît que deux causes : la légalité interne et la légalité externe. En pleine juridiction, les causes sont plus nombreuses et leur recensement s’avère périlleux. Le contentieux contractuel connaît ainsi plusieurs causes juridiques distinctes. Ne reposent pas sur une identité de cause :
– la demande d’annulation de la résiliation d’un contrat tirée de la violation de ses clauses par l’administration et la même demande, fondée sur la nullité du marché (CE, 16 mai 1924, Jourda de Vaux c. Ministre de la Guerre, requêtes numéros 60400 et 60401, Rec., p. 483) ;
– la demande indemnitaire fondée sur les clauses du contrat et celle formulée au titre de l’imprévision (CE, Sect., 10 févr. 1950, Ville de Commercy, requête numéro 82824, Rec., p. 96) ;
– la demande indemnitaire reposant sur la violation d’un traité de concession et celle invoquant l’existence de charges extracontractuelles (CE 3 mars 1937, Sté de distribution d’électricité de l’Ouest, requête numéro 30189, Rec., p. 266) ;
En revanche, il y a identité de cause pour deux demandes indemnitaires successives invoquant toutes deux la responsabilité décennale des constructeurs (CE, 25 mai 1970, Sté Flamia Frères, requête numéro 75435, AJDA 1970, p. 570, concl. M. Rougevin-Baville). Il y a encore identité de cause lorsque les deux demandes sont fondées sur la responsabilité contractuelle, alors que la seconde demande indemnitaire a été formée pour demander un complément d’indemnisation en raison de l’intervention d’une circulaire explicitant les modalités du règlement transactionnel des contentieux encore en cours et dont le requérant n’a pu profiter (Conseil d´Etat, 10 février 2014, M.Boerlen, requête numéro 356657, préc.).
Dans le contentieux extracontractuel, deux actions indemnitaires reposent sur des causes distinctes dès lors que l’une se fonde sur la responsabilité pour faute et l’autre sur la responsabilité sans faute (Conseil d´Etat, 7 novembre 1969, Dame veuve Agusol, requête numéro 73378, Rec., p. 482). Les choses peuvent s’avérer moins simples lorsque les deux demandes reposent sur la responsabilité pour faute ou sur la responsabilité sans faute. Des demandes d’indemnisation successives causées par un même événement relèvent d’une même cause juridique si elles sont fondées sur la faute (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 29 novembre 2006, Marseille, requête numéro 273877, Rec., T., p. 1028). En revanche, la demande d’indemnité formée sur le fondement de la tardiveté d’une décision régularisant la situation d’un fonctionnaire à la suite de sa révocation a une cause différente de la demande fondée sur l’illégalité d’une décision le révoquant à nouveau (CE, 16 mai 1958, Commune de Marnia c. Mekkidèche, requête numéro 36507, Rec., p. 274). La question ne se posera pas s’agissant de la succession de deux actions indemnitaires fondées sur la responsabilité sans faute : la responsabilité sans faute étant d’ordre public, le juge est tenu de la soulever d’office. Peu importe ici qu’elle repose sur le risque ou sur la rupture d’égalité devant les charges publiques… Ainsi, une seconde action sera appréhendée par le juge comme comportant nécessairement sur une identité de cause, quand bien même le moyen n’aurait pas été soulevé dans la première instance.
B. Les parties
-Définition de l’identité de parties. Une décision isolée du Conseil d’Etat a retenu une conception singulière de l’identité de parties, en exigeant identité de demandeur et identité de défendeur (CE, 21 mai 1948, Ministre des Travaux public c. Commune de Thun-l’Evêque, requête numéro 85981, Rec., p. 228). Cette solution n’a pas prospéré, le Conseil d’Etat s’étant finalement rallié à l’approche traditionnellement retenue par la Cour de cassation (Conseil d´Etat, Section, 10 mars 1995,Chambre de commerce et d’industrie de Lille-Roubaix-Tourcoing, requête numéro 112439, Rec., p. 127). Il y a identité de parties lorsque celles-ci se sont déjà opposées dans une autre instance. Eu égard aux liens qu’ils entretiennent juridiquement, l’on doit considérer que la partie est dans une telle situation lorsqu’était présent dans la précédente instance, un codébiteur solidaire (Conseil d´Etat, Section, 4 mai 1973, Entreprise Matière, requêtes numéros 78110 et 81364, Rec., p. 324) ou un ayant cause (CE, 18 janv. 1963, Truffaut et a., requête numéro 51288, Rec., p. 32). En revanche, il n’y a pas identité de parties entre deux coïndivisaires, la chose jugée à l’égard de l’un ne concernant que ses droits dans l’indivision (CE, Sect., 13 juill. 1965, Arbez-Gindre, requête numéro 60133, Rec., p. 442).
-Identité de mandant et identité de mandataire. Comme on peut s’en douter sans trop de difficultés, l’autorité de la chose jugée dépend de la seule identité de mandant et non de l’identité de mandataire. Il n’y aura donc pas identité de parties en présence initiale du représentant légal d’un mineur (Conseil d´Etat, Section, 29 novembre 1974, Epoux Gevrey, requête numéro 89756, préc.) ou du syndic d’une société en faillite (Conseil d´Etat, Section,11 juill. 1969, Synd. intercommunal d’assainissement de l’agglomération bordelaise c. Entreprise Ussel Frères et Cts Ferradou, requête numéro 69604, Rec., p. 376).
C. L’objet
-Les prétentions du demandeur. Pour dire les choses simplement ici, l’objet correspond aux prétentions du demandeur. L’identité d’objet peut dès lors se réaliser entre deux instances, parce que les prétentions du demandeur seront les mêmes. L’identité d’objet ici n’est pas sans rappeler l’identité de litige en matière d’appel incident, avec des effets diamétralement opposés puisque, dans le premier cas, le recours devra potentiellement être rejeté en raison de l’autorité relative de la chose jugée, dans le second cas, l’appel incident ne pourra être accueilli qu’à la seule condition d’une telle identité (par ex., en matière de contestation de validité du contrat et de recours indemnitaire y afférent : Conseil d´Etat, 7ème et 2ème SSR, 21 octobre 2015, Société AGL Services, requete numéro 384787, Rec.).
-L’impossible identité d’objet entre un recours pour excès de pouvoir et un recours de pleine juridiction. Eu égard à l’exception de recours parallèle, il n’est pas permis de concevoir, en présence d’un recours pour excès de pouvoir et un recours de pleine juridiction, une identité d’objet et, partant, l’opposabilité de l’autorité de la chose jugée (CE, Sect., 3 mai 1963, Alaux, requête numéro 56932, Rec., p. 261, concl. M. Combarnous). Tout au plus peut-on envisager une identité d’objet partielle en présence, pour l’une des deux instances, d’une requête mixte comportant également des conclusions à fins d’annulation. Alors l’autorité relative de la chose jugée pourra-t-elle, le cas échéant, être partiellement constatée.
-Objets distincts entre deux recours pour excès de pouvoir. Deux recours pour excès de pouvoir peuvent être dirigés contre le même acte sans pour autant reposer sur le même objet.
Tel est le cas, par exemple :
– de deux demandes d’annulation partielle portant sur deux parties distinctes de l’acte ;
– de deux recours exercés contre des dispositions identiques contenues dans deux décisions distinctes, aux champs d’application différents (Conseil d´Etat, 22 novembre 1968, Syndicat chrétien de l´administration centrale des Affaires sociales, requete numéro 72940 , Rec., p. 583) ;
– de deux recours dirigés contre deux refus d’abroger un décret pour incompatibilité avec une directive de l’Union européenne, l’un ayant été formé avant, l’autre après l’expiration du délai de transposition (Conseil d´Etat, 27 juillet 2001,Coopérative de consommation des adhérents de la mutuelle assurances des instituteurs de France – CAMIF, requête numéro 218067, Rec., p. 401).
-Objets distincts entre deux recours de pleine juridiction. Le contentieux de pleine juridiction offre un panel de possibilités bien plus grand que ne l’autorise le contentieux de l’excès de pouvoir. Les choses sont parfois simples, elles le sont parfois moins…
Sont distinctes :
– la réclamation en matière d’impôt sur le revenu et la réclamation en matière d’impôt sur les sociétés (Conseil d´Etat, Section, 6 décembre 1995, Navon, requete numéro 90914, Rec., p. 426) ;
– deux demandes indemnitaires portant sur des préjudices intervenus durant deux périodes différentes (CE, Sect., 17 mars 1961, Ducout c. Commune du Mont-Dore, requête numéro 34127, Rec., p. 189), sauf à ce que la première condamnation ait porté indemnisation globale et définitive de l’ensemble des conséquences dommageables de l’acte (CE, Sect., 16 nov. 1960, Ducousso, requête numéro 32586, Rec., p. 623) ;
– deux demandes indemnitaires portant sur des préjudices résultant de la même cause, à des endroits toutefois différents (CE, 25 mai 1970, Sté Flamia frères, requête numéro 75435, préc.) ;
– deux demandes indemnitaires, dont la seconde tend à obtenir réparation pour l’aggravation du préjudice (Conseil d´Etat, Section, 8 juillet 1998, Département de l´Isère, requete numéro 132302, Rec., p. 308, concl. J.-D. Combrexelle). Il y a, en revanche, identité d’objet lorsque la seconde demande tend seulement à la réévaluation de l’indemnité que le requérant aurait trouvé insuffisante, en l’absence de toute aggravation du préjudice (Conseil d´Etat, Section, 8 novembre 1968, Entreprise Poroli et dame Marin, requêtes numéros 62778, 64028, 64424, Rec., p. 561).
Section 2 – Les conséquences de l’autorité de la chose jugée
-Des conséquences à l’égard de tous. L’autorité de la chose jugée emporte des conséquences, non seulement à l’égard des juridictions (Sous-section 1) mais également à l’égard des autres pouvoirs (Sous-section 2).
Sous-section 1 – Les conséquences à l’égard des juridictions
-Le juge administratif n’étant pas le seul… L’autorité de la chose jugée s’impose à l’ensemble des juridictions, y compris d’ailleurs au Tribunal des conflits (TC, 18 oct. 2010, Commune de Draveil c. Sté Unifergie et Sté Avenance Enseignement et Santé, requête numéro 3762, Rec., p. 585). Mais on ne saurait appréhender la question d’une manière parfaitement équivalente suivant qu’on se situe au sein de la juridiction administrative (§ 1) et en dehors d’elle (§ 2).
§ 1 : Au sein de la juridiction administrative
-Autorité de la chose jugée et autorité de la jurisprudence. Une confusion est à ne pas commettre entre autorité de la chose jugée et autorité de la jurisprudence. L’autorité de la jurisprudence se manifeste de deux manières.
En premier lieu, il n’est plus besoin de souligner l’existence d’une hiérarchie, à tout le moins de fait, entre les décisions du Conseil d’Etat, suivant le degré de solennité de la formation de jugement. Et encore faut-il préciser que l’autorité de la décision juridictionnelle se limite à ce que contient le « fichage ». Pour dire les choses autrement, l’autorité d’une décision du Conseil d’Etat, même rendue en assemblée ou en section, est variable suivant son classement en A (publication au Recueil Lebon), B (mention aux Tables du Recueil Lebon) ou C (inédit au Recueil Lebon).
En second lieu, il est indéniable que les juridictions inférieures se soumettent logiquement, dans la quasi-totalité des cas, aux interprétations du droit retenues par les juridictions supérieures. Se placer à contrecourant de ce qui a été décidé par les juridictions susceptibles de contrôler la décision juridictionnelle à rendre présente le risque d’une invalidation à l’occasion d’un appel ou d’un pourvoi en cassation. Mais encore peut-on considérer que c’est surtout moralement que la discipline verticale oblige (D. Chabanol, « Le dialogue des juges administratifs entre eux : discipline contentieuse et indépendance » in Mélanges en l’honneur du président Genevois, Paris, Dalloz, 2009, p. 171).
Pour autant, en cas de résistance, il n’y aura pas atteinte à l’autorité de la chose jugée. L’exemple des avis contentieux rendus par le Conseil d’Etat sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice est à cet égard très éclairant : ces avis contentieux ont vocation à être suivis par les juridictions inférieures, qu’importent qu’ils ne soient pas revêtus de l’autorité de la chose jugée.
Qu’elle soit absolue ou relative, l’autorité de la chose jugée doit en revanche, et en toute hypothèse, être respectée par les autres juridictions administratives, autant que par la juridiction qui a rendu la décision (Conseil d´Etat, 1ère et 4ème SSR, 14 décembre 1979, Mme Pointe, requete numéro 10755, Rec., T., p. 845) ou qui s’est prononcé sur la compétence de la juridiction à l’occasion d’un jugement avant-dire-droit (Conseil d´Etat, 3ème et 5ème SSR, 19 octobre 1979, Société d´économie mixte d´équipement de la ville d´Aix en Provence, requete numéro 02434, Rec., T., p. 857), étant précisé que, dans tous les cas, seule l’autorité absolue de la chose jugée est d’ordre public (CE, 6 juin 1958, Chambre de commerce d’Orléans et a., requête numéro 39829, Rec., p. 315 ; AJDA 1958, II, p. 261, concl. M. Long), le juge ne pouvant soulever d’office l’autorité relative (CE, Sect., 2 mai 1947, Vaudrey, requête numéro 62213, Rec., p. 175). En revanche, la place qu’occupe la juridiction dans la hiérarchie, n’importe pas, et l’annulation d’un acte par un tribunal administratif, par exemple, s’impose à l’ensemble des juridictions administratives. Il en résulte que l’illégalité d’un licenciement constatée par un jugement passé en force de chose jugée, même si elle a pu procéder d’une simple erreur d’appréciation, s’impose à la juridiction saisie d’une demande d’indemnisation fondée sur le préjudice résultant de ce licenciement jugé illégal (Conseil d´Etat, Section, 9 juin 1995, Ministre des Affaires sociales et de l´Emploi c. Lesprit, requête numéro 90504, Rec., p. 239). On précisera cependant qu’un recours dirigé contre une décision administrative annulée par un jugement contre lequel il a été interjeté appel reste recevable (Conseil d´Etat, 21 février 2011, Société Véolia-propreté et a., requetes numéros 335306, 335480). On mentionnera encore un cas intéressant dans lequel le juge du référé liberté a pu régulièrement suspendre la décision d’expulsion du territoire national d’un étranger qui avait pourtant été jugée légale. A première vue, il y avait bien eu une atteinte à l’autorité de la chose jugée. En réalité, il n’en était rien. En effet, le juge des référés a pu considérer que la durée anormalement longue mise par le préfet à exécuter l’arrêté d’expulsion révélait l’exécution d’une nouvelle décision (Conseil d´Etat, 10 avril 2009, Ministre de l´Intérieur, de l´Outre -mer et des collectivités territoriales c. M.Beddiaf, requête numéro 326863, Rec., T., pp. 781, 896 et 904).
-Le règlement de juges. L’autorité dont est revêtue la décision juridictionnelle à l’égard des juridictions, y compris supérieures, s’exerce sans préjudice de l’hypothèse du règlement de juges. Des divergences peuvent se manifester entre différentes décisions juridictionnelles, qu’il s’agisse de l’appréciation de certains faits ou de l’application d’une règle de droit. Il n’y a là rien de surprenant ni d’anormal : ces divergences sont inhérentes à la fonction de juger et se nivellent à la faveur des voies de l’appel et de la cassation. L’inadmissible intervient lorsque deux décisions interviennent, l’une étant mal fondée et devenue définitive, conduisant à ce que le litige ne puisse pas être tranché ou à ce qu’il soit mal tranché. Pour contrecarrer ces situations plus que regrettables, le Conseil d’Etat a, de manière prétorienne, consacré la technique du règlement de juges, en s’inspirant de ce qui existait déjà en procédure civile (CE, Sect., 15 janv. 1932, Rambaud, requête numéro 12648, Rec., p. 61 ; S. 1932, 3, p. 83, concl. Rouchon-Mazerat).
Les hypothèses ne sont pas nombreuses mais elles existent. On prendra ici trois exemples.
Premier exemple : un premier jugement d’incompétence est rendu par une juridiction pourtant compétente. Le requérant se heurtant à un second jugement d’incompétence rendu par la juridiction qu’il a saisie en second lieu, son affaire nécessite un règlement de juges (Conseil d´Etat, 10 novembre 1999, Société coopérative agricole de Brienon, requête numéro 208119, Rec., p. 351).
Deuxième exemple : un premier jugement intervient, qui reconnaît la responsabilité d’une personne publique. Un second jugement fixe le montant des dommages-intérêts ainsi que la condamnation solidaire d’une seconde personne publique. Le premier jugement est annulé en appel. Le second l’est également, mais seulement en ce qu’il a condamné solidairement la seconde personne publique. Reste alors la condamnation au paiement de dommages-intérêts alors que le jugement établissant la responsabilité a été annulé. Ici encore, le règlement de juges permet de mettre un terme à cette situation regrettable, en dépit de l’autorité de la chose jugée (Conseil d´Etat, 2ème et 6ème SSR, 14 mars 1986, Consorts Lornet, requête numéro 53176, Rec., p. 72).
Troisième exemple : la commission départementale d’aménagement commercial autorise la création d’un ensemble commercial. Cette décision est attaquée devant la juridiction administrative par un tiers. Dans le même temps, deux membres de la commission départementale saisissent la commission nationale d’aménagement commercial afin qu’elle prenne une décision devant se substituer à la première, décision que prend effectivement la commission nationale. Le tribunal administratif saisi par le tiers prend acte et rejette le recours porté devant lui en tant que la décision attaquée n’existe plus. Saisi en premier et dernier ressort contre la décision de la commission nationale, le Conseil d’Etat l’annule en tant que la commission nationale n’était pas compétente pour connaître de la demande sur laquelle elle s’était prononcée. Tout en annulant, le Conseil d’Etat est contraint ici, à peine d’entretenir un déni de justice, de déclarer nul et non avenu le jugement du tribunal administratif et de rejuger (Conseil d´Etat, 4ème et 5ème SSR, 7 octobre 2009,Sté Distribution du Bourget et Association pour la défense et la promotion des commerçants du Bourget, requêtes numéros 314763 et 314777, Rec., T., p. 927).
Il appartient à la juridiction immédiatement supérieure d’intervenir et régler le problème : une cour administrative d’appel sera ainsi compétente pour déclarer « nul et non avenu » le jugement intervenu en contradiction avec d’autres jugements rendus par les juridictions de son ressort ; le Conseil Etat sera compétent pour régler les conflits entre les arrêts rendus par les cours administratives d’appel ; chaque juridiction ordinale d’appel connaîtra des décisions rendues par les juridictions ordinales de premier degré.
§ 2 : En dehors de la juridiction administrative
-Autorité de la chose jugée et pluralité des ordres juridiques. Il serait presque trop simple de ne devoir cantonner la question de l’autorité de la chose jugée à l’égard du seul juge judiciaire (I). La difficulté s’accroit lorsque l’on prend en considération les juridictions européennes (II). En effet, la confrontation des ordres juridiques est susceptible de générer des difficultés, tant la chose jugée en droit interne peut achopper sur les règles de droit supranationales.
I. A l’égard du juge judiciaire
-Suivant la nature du contentieux. L’autorité de la chose jugée par la juridiction administrative à l’égard du juge judiciaire diffère suivant que la décision juridictionnelle a été rendue en pleine juridiction (A) ou en excès de pouvoir (B).
A. L’autorité des décisions rendues en pleine juridiction
-Une autorité logiquement relative. Le juge civil (Cass. civ. 2ème, 18 janv. 1962, Bull. civ. II, n° 78) comme le juge pénal (Cass. crim., 14 juin 1961, Bull. crim., n° 294) considèrent que la chose jugée en pleine juridiction n’est revêtue d’une autorité que relative. Il en résulte que le moyen tiré de l’autorité de la décision administrative n’est pas d’ordre public, et ne peut être présenté pour la première fois devant la Cour de cassation (Cass. civ. 2ème, 10 janv. 1968, Bull. civ. II, n° 9). Il en résulte encore que, eu égard à la condition de l’identité de parties, de cause et d’objet, l’autorité de la chose jugée n’est pas fréquemment – loin s’en faut – reconnue par la juridiction civile aux décisions des juridictions administratives. Ce fût le cas, par exemple, dans une affaire où Gaz de France avait été reconnu responsable des dommages causés par une explosion et dans laquelle l’entrepreneur appelé en garantie avait été condamné à hauteur des deux tiers (CE, 26 juin 1970, Gaz de France c. Lambert et Poignant et c. Sté de Belly Frères, requêtes numéros 69532 et 69533, Rec., T., p. 1231). Une action de l’assureur, subrogé dans les droits de Gaz de France, contre l’entrepreneur, a été intentée par la suite devant la juridiction civile et tendant au remboursement des sommes versées à la victime. Le juge civil s’est alors déclaré lié par la décision rendue par la juridiction administrative relativement, d’une part, au partage des responsabilités, d’autre part, à la détermination des indemnités (Cass. civ. 1ère, 9 juill. 1975, Bull. civ. I, n° 232).
B. L’autorité des décisions rendues en excès de pouvoir
-Les décisions de rejet. La décision de rejet n’est revêtue d’une autorité, ici encore, que relative. Ainsi, alors même que l’acte servant de fondement aux poursuites aurait échappé à la censure du juge de l’excès de pouvoir, il est loisible au juge pénal, dans son office, de le contrôler à son tour et, le cas échéant, d’en écarter l’application (Cass. crim., 18 juill. 1957, Bull. crim., n° 564 ; Cass. crim., 10 oct. 1978, Bull. crim., n° 266 ; Cass. crim., 18 juin 1998, Bull. crim., n° 201). Il en ira également ainsi devant le juge civil et les aménagements de la jurisprudence Septfonds (Tribunal des conflits, 17 octobre 2011, Préfet de la Région Bretagne, Préfet d´Ille et Vilaine,SCEA du Chéneau c. INAPORC c. Cherel c. CNIEL, requêtes numéros 3828 et 3829, Rec., p. 698, concl. J.-D. Sarcelet ; AJDA 2012, p. 27, chron. M. Guyomar et X. Domino) rendent le cas de figure plus fréquent : le juge civil peut aujourd’hui connaître de la légalité de certains actes administratifs (supra). Les décisions de rejet seront revêtues de l’autorité de la chose jugée mais, si l’on se souvient qu’il appartient au juge civil de ne statuer qu’au vu d’une jurisprudence administrative établie, il y a lieu de soutenir ici que le résultat équivaudra, en fait, à une forme d’autorité absolue de la chose jugée.
-Les décisions d’annulation et déclarations d’illégalité. Il n’y a pas à douter de la pertinence de la solution dès lors que l’acte disparait alors rétroactivement de l’ordre juridique : la juridiction judiciaire reconnaît aux décisions d’annulation une autorité absolue de la chose jugée (Cass. com., 19 mai 1953, Sté La Ruche Picarde, S. 1954, I, p. 1. note R. Drago ; Cass. civ. 1ère, 23 oct. 1962, Bull. civ. I, n° 439). En revanche, la juridiction civile va plus loin que le Conseil d’Etat s’agissant des déclarations d’illégalité. En effet, le juge civil reconnait également une autorité absolue de la chose jugée aux déclarations d’illégalité du juge administratif (Cass. civ. 1ère, 19 juill. 1985, Bull. civ. I, n° 100 ; Cass. soc., 18 juin 1986, Bull. civ. V, n° 316).
II. A l’égard des juridictions européennes
-Le respect de la Cour de justice de l’autorité de la chose jugée par les juridictions internes. L’autorité de la chose jugée par la juridiction administrative est également respectée par le juge de l’Union européenne. Si, indéniablement aujourd’hui, la violation du droit de l’Union européenne par une juridiction d’un Etat membre est susceptible de justifier une condamnation en manquement de l’Etat sur le fondement du Traité sur l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne considère qu’il « importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause » (CJCE, affaire numéro C-224/01, 30 sept. 2003, Köbler, Rec., p. 10239) et que « l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique communautaire que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée (…) en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice » l’emporte sur le principe de primauté du droit communautaire (CJCE, affaire numéro C-234/04, 16 mars 2006, Kapferer, Rec., p. 2585). Lorsque l’on sait l’importance assignée par la Cour de justice de l’Union européenne au principe de primauté, l’on mesure l’ampleur du respect qu’elle témoigne ici à l’égard de l’autorité de la chose jugée…
-La Cour européenne des droits de l’Homme encore tenue en respect. Sans réfuter à proprement parler l’autorité de la chose jugée par les juridictions nationales, la Cour européenne des droits de l’Homme souligne toute l’importance qu’il y a à respecter les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Elle a pu ainsi recommander la réouverture d’une procédure en cas de violation constatée de l’article 6 §1 (CEDH, 12 mai 2005, Ocalan c. Turquie, affaire numéro 46221/99). Une telle démarche ne prête pas foncièrement le flanc à la critique. Il alerte cependant sur la nécessité de cantonner la juridiction de Strasbourg à la place qui doit rester la sienne. En effet, concevoir les effets des décisions rendues par elle pour autre chose que déclaratoires en ferait un nouveau degré de juridiction qu’on ne saurait approuver. Sans doute ce mécanisme de réexamen existe-t-il déjà en matière pénale. C’est déjà bien et cela suffira. Confirmant une jurisprudence déjà établie (Conseil d´Etat, 11 février 2004, Chevrol, requête numéro 257682, Rec., p. 67 ; AJDA 2004, p. 439, chron. F. Donnat et D. Casas ; RFDA 2005, p. 163, note J. Andriantsimbazovina), le Conseil d’Etat a ainsi pu rappeler qu’une condamnation prononcée par la Cour européenne ne saurait avoir pour effet de remettre en cause l’autorité de la chose jugée par une juridiction administrative (Conseil d´Etat, Section, 4 octobre 2012, Baumet, requête numéro 328502, Rec., p. 347 ; JCP adm 2013, n° 9, 2060, note F. Hoffmann). On y souscrira… On précisera cependant que l’absence d’effet des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme sur l’autorité de la chose jugée par les juridictions administratives s’accompagne de l’obligation faite à l’autorité administrative ayant prononcé une sanction toujours en cours d’exécution, dans pareils cas, d’apprécier si la poursuite de l’exécution de la sanction méconnaît les exigences de la Convention et, le cas échéant, d’en tirer les conséquences en y mettant fin en tout ou partie, eu égard aux intérêts dont elle a la charge, aux motifs de la sanction et à la gravité de ses effets ainsi qu’à la nature et à la gravité des manquements constatés par la Cour (Conseil d´Etat, Assemblée, 30 juillet 2014, M.Vernes, requête numéro 358564, Rec., p. 260). On y souscrira également…
Sous-section 2 – Les conséquences à l’égard des autres pouvoirs
-La séparation des pouvoirs l’imposant. Parce qu’elle est notamment l’expression de la séparation des pouvoirs, l’autorité de la chose jugée s’impose autant à l’égard de l’administration (§ 1) qu’à l’égard du législateur (§ 2).
§ 1 : A l’égard de l’administration
-La violation de la chose jugée comme cas d’ouverture d’un nouveau recours. En cas d’annulation d’un acte, et parce que la décision juridictionnelle est revêtue de l’autorité absolue de la chose jugée, l’administration doit s’y soumettre, et s’y soumettre réellement. Ainsi, les effets de la disparition rétroactive de l’acte ne doivent pas être contrecarrés par des agissements administratifs qui viendraient réduire à néant l’autorité de la décision juridictionnelle. Les conclusions du commissaire du gouvernement Romieu n’ont à cet égard laissé aucune place à l’ambiguïté : « lorsqu’un acte ou un jugement a été annulé par le Conseil d’État pour violation de la loi, cet acte ne peut être recommencé immédiatement dans les mêmes conditions, ce jugement ne peut être reproduit dans l’instance avec les moyens de droit qui ont été condamnés, sous peine d’annulation qui, cette fois, sera exclusivement fondée sur la violation de la chose jugée » (J. Romieu, concl. sur Conseil d´Etat,8 juillet 1904, Botta, requête numéro 11574, Rec., p. 557). La contrainte sur l’administration de respecter l’autorité de la chose jugée est telle qu’elle ne saurait justifier la méconnaissance de cette obligation par le caractère transitoire de l’acte litigieux (Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, 18 juin 2010,Syndicat national des professionnels de la santé au travail, requête numéro 326369, Rec., p. 620). L’autorité de la chose jugée contraint même parfois l’administration à déroger à certaines règles qui s’imposent normalement à elle. Le principe de non-rétroactivité des actes administratifs cède ainsi en cas d’annulation d’un acte réglementaire, l’administration se devant faire rétroagir l’acte pris en lieu et place de celui annulé, afin de se conformer à l’autorité de la chose jugée, lorsque le précédent acte ne pouvait pas revivre en raison de son illégalité (Conseil d´Etat, Section, 28 avril 2014, Mme Anchling et a., requête numéro 357090, Rec., T., p. 538).
Il serait hâtif de considérer que toute annulation lie totalement l’administration. Il a été ainsi jugé que l’annulation d’une mesure de suspension pour absence de service fait ne fait pas obstacle à ce que l’administration prononce à nouveau une telle mesure en se fondant sur un autre motif, en l’occurrence en raison de l’exercice irrégulier d’une activité privée durant cette période de suspension (Conseil d´Etat, 5ème et 4ème SSR, 6 mars 2015, Centre hospitalier Henri Guérin, requête numéro 369857, Rec., T.).
-La renonciation à la chose jugée. Il faut distinguer suivant que l’autorité de la chose jugée est relative ou absolue. S’il est possible de renoncer totalement (Conseil d´Etat, 26 juin 1974, Société « la maison des Isolants-France », requête 80940, Rec., p. 365) ou partiellement (Conseil d´Etat, 7 octobre 1970,Minsitre de la Défense nationale c. Hanriot-Colin, requête numéro 78496, Rec., p. 556) à la chose jugée dont l’autorité ne serait que relative, cette faculté est exclue s’agissant des décisions juridictionnelles revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée (Conseil d´Etat, Section, 13 juillet 1967, Ecole privée de filles de Pradelles, requête numéro 70777, Rec., p. 339 ; RDP 1968, p. 187, concl. Bernard). On notera toutefois qu’une évolution se dessine en la matière, qui s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause de cette distinction traditionnelle et à certains égards surannée qui oppose contentieux de l’excès de pouvoir et contentieux de pleine juridiction. Ainsi, dans le sillon creusé par certains rapporteurs publics (notamment, A. Courrèges, concl. sur Conseil d´Etat, 1ère et 6ème SSR, Ville de Paris, requête numéro 299675, Rec., p. 21), certaines juridictions du fond osent considérer aujourd’hui qu’une transaction puisse valablement porter sur un recours pour excès de pouvoir (TA Cergy-Pontoise, 8 janv. 2015, Sté Multi Dévelopment France, requête numéro 1209831, AJDA 2015, p. 993, note S. Merenne). Sans doute, dans cette espèce, s’agissait-il d’une transaction en cours de procédure. Mais la question peut bien se poser de déterminer dans quelle mesure une renonciation à l’autorité de la chose jugée en excès de pouvoir ne finira pas par être sérieusement envisagée par la juridiction administrative…
§ 2 : A l’égard du législateur
-Les conditions de régularité des lois de validation. La loi de validation ne doit porter atteinte à aucun principe de valeur constitutionnelle et ne doit aucunement attenter à l’exécution des décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée (Cons. const., décision numéro 80-119 DC du 22 juill. 1980, Validation d’actes administratifs, préc.) ni valider des actes qui ont été annulés (Cons. const., décision numéro 94-357 DC du 25 janv. 1995, Dispositions d’ordre social, Rec. Cons. const., p. 179). Aussi bien, si l’on ne doit pas confondre les décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée et les décisions passées en force de chose jugée, l’autorité absolue de la chose jugée s’impose au législateur. La loi ne saurait, « en l’absence de dispositions expresses en ce sens » faire échec à cette autorité (Conseil d´Etat, 4ème et 1ère SSR, 24 mars 1982, Boyer, requête numéro 05336, Rec., p. 129), sauf à engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement de la rupture d’égalité des citoyens devant les charges publiques (CE, Ass., 1er déc. 1961, Lacombe, requête numéro 41584, Rec., p. 674).
-La loi de validation, soumise à un contrôle concret du juge administratif. Le juge administratif contrôle très logiquement la loi de validation au regard, non seulement des stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, mais également au regard du droit de l’Union européenne. A cet égard, il convient de souligner que le contrôle abstrait tend à faire place à un contrôle concret (Conseil d´Etat, Section,Commune de Palavas-les-Flots et Commune de Lattes, requêtes numéros 314449 et 314580, Rec., p. 429 ; RFDA 2011, p. 124, concl. N. Boulouis ; AJDA 2010, p. 2416, chron. D. Botteghi et A. Lallet), ce qui signifie que la loi de validation peut être écartée ou non suivant l’objet du contentieux soumis à la juridiction administrative.
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