Contexte : Dans une décision rendue le 4 octobre 2017 rendue dans une affaire déjà bien connue concernant le dommage subi par un enfant à l’occasion d’un accouchement difficile ayant nécessité l’utilisation de forceps, la première chambre civile persiste dans son affirmation que la faute médicale est présumée lorsque le dossier du patient est insuffisamment renseigné.
Litige : La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi dirigé par un arrêt rendu sur renvoi après une décision de cassation prononcée le 9 avril 2014 (pourvoi n° 13-14964) ayant donné à une analyse auquel il est renvoyé pour l’exposé des faits et des éléments de procédure. A l’occasion d’un nouveau pourvoi en cassation, le praticien reproche notamment à la cour d’appel d’avoir retenu que ses manquements sont la cause du dommage subi.
Solution : La première chambre civile rejette le pourvoi du praticien, mettant ainsi définitivement un terme à cette longue procédure, aux motifs :
« qu’après avoir relevé que manquaient au dossier de M. Stéphane Y… des éléments relatifs à son état de santé et à sa prise en charge entre le moment de sa naissance, où un important hématome au niveau du crâne avait été constaté, et celui de son hospitalisation, et qu’il incombait, en conséquence, au praticien d’apporter la preuve des circonstances en vertu desquelles l’hospitalisation de l’intéressé n’avait pas été plus précoce, un retard injustifié étant de nature à engager sa responsabilité, l’arrêt retient que le praticien ne verse aux débats aucun élément de nature à démontrer que l’état de santé de M. Stéphane Y…, compte tenu des circonstances de sa naissance, de l’importance de l’hématome qu’il présentait et du fait de l’absence de réalisation du test d’Apgar, ne justifiait ni examens complémentaires ni hospitalisation immédiate dans un service spécialisé ; qu’il écarte l’hypothèse d’un accident vasculaire cérébral en se fondant sur certaines constatations de l’expert et sur deux certificats médicaux établis par des neurologues ; qu’abstraction faite de motifs surabondants quant aux conditions de transport de l’enfant, la cour d’appel a pu en déduire, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et en tenant compte des données acquises de la science à la date de l’accouchement, que le praticien avait manqué à ses obligations en ne réalisant pas les actes de prévention et de diagnostic nécessaires à apprécier l’état clinique réel de M. Stéphane Y… à sa naissance et en tardant à le faire hospitaliser ; qu’elle a pu, en outre, alors qu’il n’était pas soutenu que le dommage subi par l’intéressé ne pouvait être indemnisé que sur le fondement d’une perte de chance, retenir que des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes permettaient d’admettre que son invalidité était la conséquence directe de ces fautes »
Analyse : Réaffirmée ici à propos d’un médecin pour des faits antérieurs antérieurs à la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, et retenue par ailleurs aussi à l’encontre d’une clinique par application des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique (Cass. 1re civ., 8 février 2017, n° 16-11.527), la règle est désormais bien établie : la faute du professionnel ou de l’établissement de santé est présumée si l’un ou l’autre n’est pas en mesure de fournir un dossier médical complet.
Le raisonnement de la Cour de cassation est particulièrement utile dans le contentieux de la responsabilité médicale où la partie défenderesse détient les éléments de preuve utiles pour faire prospérer la demande indemnitaire de la victime. Dans les faits, il n’est pas rare d’observer que certains éléments du dossier médical se sont volatilisés ou, comme cela semble avoir été le cas en l’espèce, que ce dernier n’est pas complet ou n’a pas été suffisamment renseigné.
Les juges en ont ici déduit que l’incapacité du praticien à s’expliquer sur les conditions de la prise en charge de l’enfant à la naissance la preuve qu’il a manqué à ses obligations en ne réalisant pas les actes de prévention et de diagnostic nécessaire pour apprécier son état réel et en tardant à l’hospitalisation. Autrement dit, parce qu’il n’est pas en mesure de s’expliquer, la faute du médecin est présumée. Pour la cour d’appel, dont le raisonnement est approuvé par la Cour de cassation, cette faute est bien en rapport de causalité avec le dommage de l’enfant. Le médecin n’ayant vraisemblablement pas prétendu, dans ses écritures d’appel, que le préjudice ne pouvait être réparé que sur le fondement de la perte de chance, il ne saurait être reproché à la cour d’appel d’avoir ordonné une réparation intégrale des conséquences de son invalidité.
En faisant ainsi peser sur le médecin la charge de la preuve des circonstances exactes dans lesquels l’accident médical s’est produit, plaçant ainsi l’expert judiciaire dans l’incapacité d’éclairer le juge, doit ainsi inciter tous les acteurs de santé à faire preuve de loyauté dans la recherche de la manifestation de la vérité mais aussi à tenir de façon particulièrement consciencieuse et conserver durant de très longues années (l’accouchement est ici intervenu en 1970) les dossiers de leurs patients.
Le fondement légal de cette présomption de faute, même si elle est simple, demeure toutefois mystérieux. Ni les principes généraux qui régissent la charge de la preuve, ni le principe de la responsabilité pour faute prouvée des professionnels et établissements de santé ne conduisent, de façon évidente, à cette solution. Il n’est d’ailleurs pas certain que le Conseil d’Etat suive la Cour de cassation dans la voie de cette interprétation des textes qui, tout en étant parfaitement équitable, est juridiquement audacieuse…