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Une personne publique peut-elle, plutôt que d’émettre un titre exécutoire, demander au juge de condamner les auteurs de pratiques anticoncurrentielles avec lesquels elle n’a pas conclu de contrat ? Le juge administratif peut-il condamner in solidum les auteurs de pratiques anticoncurrentielles dont a été victime une personne publique ?

Extrait du Bulletin juridique des collectivités territoriales, juillet/août 2018, p. 560.

Citer : François-Xavier Bréchot, 'Une personne publique peut-elle, plutôt que d’émettre un titre exécutoire, demander au juge de condamner les auteurs de pratiques anticoncurrentielles avec lesquels elle n’a pas conclu de contrat ? Le juge administratif peut-il condamner in solidum les auteurs de pratiques anticoncurrentielles dont a été victime une personne publique ?, Extrait du Bulletin juridique des collectivités territoriales, juillet/août 2018, p. 560. ' : Revue générale du droit on line, 2018, numéro 68189 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=68189)


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Décision(s) commentée(s):
  • CAA Nantes, 27 avril 2018, Société Signalisation France, Société Signaux Girod, Société Franche-Comté Signaux et Société Lacroix Signalisation c/ Département de l’Orne, requête numéro 17NT01719, 17NT01740, 17NT01741 et 17NT01770

1. Par une décision du 22 décembre 20101, l’Autorité de la concurrence a sanctionné huit fabricants de panneaux de signalisation routière verticale2 pour avoir mis en place, entre 1997 et 2006, une entente sur les prix et sur la répartition des marchés publics de la signalisation routière verticale. La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 29 mars 2012, a confirmé que des infractions au droit de la concurrence3 avaient été commises par les huit sociétés condamnées, tout en diminuant le montant des sanctions prononcées. Parmi les sociétés appelantes, la société Signature, devenue Signalisation France, a été condamnée à une sanction de 10 M€, la société Lacroix-Signalisation à 7,7 M€, la société Signaux Girod à 6,9 M€ et la société Franche-Comté Signaux à 356 000 €. Le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt par certaines sociétés a été rejeté par la Cour de cassation (arrêt du 28 mai 2013).

2. Plusieurs départements ont alors intenté des actions devant la juridiction administrative pour demander l’annulation des marchés publics de signalisation conclus durant la période de l’entente et, surtout, pour obtenir réparation des préjudices subis du fait des surcoûts induits par cette entente dans les marchés de signalisation routière verticale passés avec les sociétés condamnées.

3. Vous avez déjà eu à connaître des recours engagés par les départements du Calvados, de l’Orne, du Morbihan, des Côtes d’Armor et de la Manche. Par des arrêts du 2 février 20164 et du 10 mai 20175, vous avez rejeté les requêtes de la société Signalisation France ou de la société Signaux Giraud contre des ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Caen les condamnant à verser des provisions de plusieurs millions d’euros à ces départements ou ordonnant la désignation d’un expert pour procéder à l’évaluation de leur préjudice. Par deux arrêts du 16 mars dernier6, vous avez rejeté les appels formés par la société Signalisation France et par la société Signaux Girod Nord Ouest contre des jugements les condamnant au fond à verser plusieurs millions d’euros au département de la Manche.

4. Vous êtes aujourd’hui saisi de deux jugements du tribunal administratif de Caen : un jugement du 6 avril 2017 (N° 1500227.) condamnant les sociétés Signalisation France, Lacroix Signalisation, Signaux Girod et Franche-Comté Signaux à verser au département de l’Orne la somme de 2 239 819 € ; un autre jugement du 22 juin 2017 condamnant la société Signalisation France à verser au département du Calvados une somme 4 561 999,39 €. Les sociétés condamnées relèvent appel de ces jugements.

5. Compte tenu de la similitude des moyens invoqués par les parties dans ces deux affaires, nous avons fait le choix de prononcer des conclusions communes.

I. Sur la recevabilité de la demande de première instance

6. Les appelantes soutiennent que les demandes de première instance étaient irrecevables dès lors que les départements, qui pouvaient émettre un titre exécutoire à leur encontre pour recouvrer les créances litigieuses, ne pouvaient demander directement au juge administratif de les condamner à verser les sommes correspondantes.

7. Il est vrai que, selon une jurisprudence centenaire, une personne publique, qui dispose du privilège du préalable, n’est pas recevable à demander au juge le prononcé de mesures qu’elle a le pouvoir de prendre7. En particulier, elle ne peut lui demander une condamnation pécuniaire dans les cas où elle a la possibilité de recouvrer elle-même les sommes qui lui sont dues en émettant un état exécutoire8.

8.Pour autant, vous savez également que ce principe connaît de rares exceptions, dont la principale concerne la matière contractuelle. Selon une jurisprudence constante et presque aussi ancienne que celle Préfet de l’Eure, les collectivités publiques peuvent, en matière contractuelle, soit constater elles-mêmes les créances qu’elles détiennent sur leurs cocontractants et émettre des titres exécutoires, soit saisir le juge administratif d’une demande tendant au recouvrement de ces créances9.

9. Le Conseil d’État a, pour l’application de cette exception au principe posé par la décision Préfet de l’Eure, une conception relativement extensive de la notion de créance née de l’application d’un contrat10. Il a ainsi admis que la dérogation s’appliquait à des créances nées d’un fait postérieur à la période de validité du contrat, mais liées au contrat11?12. Surtout, le Conseil d’État a jugé13 que l’action tendant à l’engagement de la responsabilité quasi délictuelle de sociétés en raison d’agissements dolosifs susceptibles d’avoir conduit une personne publique à contracter avec elles à des conditions de prix désavantageuses, qui tend à la réparation d’un préjudice né des stipulations du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l’être dans des conditions normales, doit être regardée comme trouvant son origine dans le contrat pour l’application de la dérogation à la jurisprudence Préfet de l’Eure.

10. Ainsi, il ne fait aucun doute que la demande du département du Calvados, dirigée uniquement contre son ancien cocontractant, la société Signalisation France, était bien recevable : le département avait le choix entre émettre un titre exécutoire ou saisir le juge d’une demande de condamnation ; il a fait le choix de saisir le juge.

11. En revanche, la recevabilité de la demande de première instance du département de l’Orne pourrait prêter davantage à hésitation. En effet, se démarquant de la plupart des autres départements, celui de l’Orne a demandé au tribunal non pas de condamner seulement son ancien cocontractant, la société Signalisation France, mais de condamner in solidum cinq sociétés qui ont participé à l’entente. Le Conseil d’État n’a pas encore tranché la question de savoir si une telle action, dirigée contre des personnes avec lesquelles l’administration n’a pas contracté, entrait dans le champ de la dérogation à la jurisprudence Préfet de l’Eure. La décision Département de l’Eure ne concernait que le cas où une personne publique recherchait la responsabilité de son ancien cocontractant.

12. Il nous semble cependant que cette jurisprudence Département de l’Eure doit être étendue également au cas où la personne publique recherche la responsabilité quasi délictuelle de sociétés qui ont participé à une entente dont elle a été victime, même si ces sociétés n’ont pas contracté avec ladite personne publique. En effet, une telle action doit être regardée, elle aussi, comme trouvant son origine dans le contrat.

13. Certes, une telle action ne repose pas sur la méconnaissance d’une obligation contractuelle, et donc sur la responsabilité contractuelle, mais sur la méconnaissance d’une obligation générale de respecter les règles de mise en concurrence, c’est-à-dire sur une responsabilité quasi délictuelle. En outre, les agissements dolosifs, constitués par l’entente, ont eu lieu avant la conclusion du contrat, durant la procédure de passation, et ont impliqué plusieurs acteurs, dont certains n’ont pas contracté avec la personne publique voire n’ont pas participé à la consultation des entreprises.

14. Toutefois, l’altération des stipulations du contrat et le préjudice qui en a résulté pour la personne publique trouve son origine non seulement dans l’entente, mais aussi dans la conclusion du contrat. Si le contrat n’avait pas été conclu, le département n’aurait pas subi de préjudice lié au surcoût généré par l’entente. Ainsi, c’est bien la conclusion du contrat qui est à l’origine de la créance indemnitaire, de nature quasi délictuelle, que la personne publique détient non seulement sur son cocontractant, mais aussi sur les autres participants à l’entente – puisque, par construction, une entente anticoncurrentielle suppose la pluralité de ses auteurs.

15. D’ailleurs, c’est en raison de ce lien de causalité entre le contrat administratif conclu à des conditions de prix désavantageuses du fait d’une entente et le préjudice qui en est résulté pour la personne publique qui a conclu ce contrat que le Tribunal des conflits a, à la suite du Conseil d’État14 et de la Cour de cassation15, reconnu la compétence administrative pour statuer sur « les litiges relatifs à la responsabilité de personnes auxquelles sont imputés des comportements susceptibles d’avoir altéré les stipulations d’un contrat administratif, notamment ses clauses financières »16. Dans l’affaire jugée par le Tribunal des conflits, la région Ile-de-France avait ainsi recherché la responsabilité non seulement des personnes avec qui elle avait conclu des contrats administratifs, mais aussi d’autres personnes qui avaient seulement participé aux pratiques anticoncurrentielles. Alors même que rien n’oblige le juge administratif à calquer, pour déterminer le champ de l’exception à la règle de la jurisprudence Préfet de l’Eure, le critère retenu pour délimiter un bloc de compétence juridictionnelle pour tout ce qui relève de la passation et l’exécution des contrats administratifs, il nous semble que la même logique de bonne administration de la justice plaide en ce sens : il est préférable qu’un même juge soit, à l’occasion d’une même instance, saisi directement de l’ensemble des créances détenues par une personne publique à l’encontre des auteurs d’une entente, plutôt que d’être saisi de multiples recours en opposition à des titres exécutoires.

16. Par conséquent, nous vous proposons de juger que la demande de première instance du département de l’Orne était bien recevable à l’encontre de l’ensemble des sociétés appelantes.

II. Sur la responsabilité

17. Contrairement aux dossiers que vous avez eu à connaître jusqu’à présent, aucune des sociétés appelantes n’a soutenu dans ces affaires que les créances des départements étaient prescrites.

18. En premier lieu, nous pensons que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu la responsabilité des sociétés appelantes.

19. Cette conclusion ne fait aucun doute dans l’affaire du département du Calvados, la société Signalisation France ayant, par sa participation à l’entente, usé de manœuvres dolosives pour contracter avec ce département.

20. Elle pourrait prêter davantage à hésitation dans l’affaire du département de l’Orne. Rappelons que les premiers juges ont condamné non seulement le cocontractant du département, la société Signalisation France, avec laquelle trois marchés d’acquisition de panneaux de signalisation routière avaient été signés en 1999, 2002 et 2005, mais aussi trois autres sociétés qui avaient participé à l’entente sans conclure de contrat avec le département, voire sans participer à la procédure de passation des marchés précités (Lacroix Signalisation, Signaux Girod et Franche-Comté Signaux).

21. Pour autant, il nous semble que l’élément déterminant pour engager la responsabilité de ces différentes sociétés est leur participation à l’entente pendant la période considérée, quel que soit d’ailleurs leur degré de participation. Comme l’a jugé de façon définitive la cour d’appel de Paris, les sociétés Lacroix Signalisation, Signaux Girod et Franche-Comté Signaux ont participé à l’entente qui a eu pour effet direct de fausser gravement le jeu de la concurrence et de conduire le département de l’Orne à conclure des marchés à des conditions de prix désavantageuses durant la période de l’entente. Leur faute délictuelle est donc directement à l’origine du surcoût subi par le département du fait de l’atteinte à la concurrence, même si elles n’ont pas conclu de contrat avec lui.

22. Par ailleurs, la circonstance que certaines sociétés n’aient pas candidatées à la procédure de passation de certains des trois marchés conclus par le département est sans incidence sur l’engagement de leur responsabilité : dès lors que l’entente portait non seulement sur les prix, mais aussi sur la répartition des marchés publics de signalisation routière verticale, le fait qu’une société n’ait pas candidaté à une procédure donnée peut être regardé comme une démonstration de ce qu’elle a contribué, par son abstention à présenter une offre, à fausser le jeu normal de la concurrence.

23. De même, vous écarterez le moyen de défense de la société Franche Comté Signaux tiré de ce qu’elle n’a pas participé de façon continue à l’entente. Bien évidemment, cette circonstance devrait, dans son principe, être prise en compte : une société qui aurait, par exemple, participé à l’entente entre 1999 et 2001 ne devrait pas être tenue pour responsable du surcoût généré par l’entente du fait d’un marché conclu durant une période postérieure. Néanmoins, en l’espèce, s’il est vrai que l’Autorité de la concurrence a indiqué que la participation de la société Franche Comté Signaux devait « être retenue pour une période de quatre ans »17, elle n’a pas, contrairement à ce que soutient cette société, précisé quelles années étaient visées par cette période, alors de surcroît que sa participation a concerné des périodes discontinues. Il ressort de la décision de l’Autorité de la concurrence18 que la société Franche Comté Signaux participait à l’entente notamment pour un marché attribué en 1999 et pour un marché attribué en 2000, ce qui permet de conclure que cette société participait à l’entente lors du marché conclu en 1999 par le département de l’Orne. Quant aux marchés conclus en 2002 et 2005, la société Franche Comté Signaux ne produit aucun élément pour justifier qu’elle s’était retirée de l’entente à ces dates. Elle se borne à affirmer, de façon non circonstanciée, qu’elle ne participait plus à l’entente à cette époque, alors qu’il résulte des déclarations de ses dirigeants19 qu’elle participait encore à l’entente en 2006. Dans ces conditions, le département nous semble se baser sur un faisceau d’indices suffisant et non sérieusement contredit pour établir que la société Franche-Comté Signaux participait à l’entente lors de la conclusion des marchés de 1999, 2002 et 2005. La cour administrative d’appel de Douai s’est d’ailleurs prononcée dans le même sens, s’agissant d’un marché conclu en 2003 avec le département de la Seine-Maritime, dans un récent arrêt CAA Douai 22 février 2018, n° 17DA0059520.

24. En deuxième lieu, nous pensons que c’est à bon droit que le tribunal a conclu à la condamnation in solidum des sociétés Lacroix Signalisation, Signaux Girod, Franche-Comté Signaux et Signalisation France au profit du département de l’Orne.

25. Selon une jurisprudence aussi ancienne que constante, plusieurs personnes peuvent être condamnées in solidum à réparer l’entier dommage dès lors que chacune de leurs fautes respectives a concouru à le causer tout entier21. Cela a pour conséquence que la victime du dommage peut par la suite demander à l’un quelconque des coauteurs de verser la totalité de l’indemnité à laquelle elle a droit – le partage de responsabilités entre les coauteurs n’affectant que les rapports réciproques de ces derniers, dans le cadre d’une action récursoire ou d’un appel en garantie.

26. Or, en l’espèce, le surprix payé par le département de l’Orne a pour cause adéquate non pas tant la conclusion du contrat en elle-même que le fait qu’il ait été conclu à la suite de manœuvres ayant conduit à fausser gravement le jeu de la concurrence. La conclusion du contrat était un fait nécessaire mais pas suffisant pour causer le dommage du département, qui trouve sa cause déterminante dans l’entente dont il a été la victime. Par conséquent, toutes les entreprises qui ont, par leur participation à l’entente, contribué à fausser le jeu de la concurrence de façon illégale, ont chacune commis une faute qui a concouru à causer l’entier dommage du département.

27. D’ailleurs, même si ce texte n’est ni d’application directe, ni applicable ratione temporis, vous relèverez que la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’UE prévoit, à son article 11, paragraphe 1, que : « Les États membres veillent à ce que les entreprises qui ont enfreint le droit de la concurrence par un comportement conjoint soient solidairement responsables du préjudice causé par l’infraction au droit de la concurrence ; cela a pour effet que chacune de ces entreprises est tenue d’indemniser le préjudice dans son intégralité et que la partie lésée a le droit d’exiger de chacune d’elles la réparation intégrale de ce préjudice jusqu’à ce qu’elle ait été totalement indemnisée. » La transposition par la France de cette disposition ne constituera donc pas une novation par rapport à ce que permet déjà la jurisprudence administrative (transposition faite à l’art.

L. 481-9 du code du commerce, par l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles).

28. Par conséquent, nous vous proposons de rejeter les demandes des parties tenant à la limitation de leur responsabilité et de confirmer leur condamnation in solidum vis-à-vis du département de l’Orne.

29. En troisième lieu, ni le choix d’une procédure restreinte pour la passation de ces marchés, ni la pondération retenue pour le critère du prix, qui sont des circonstances sans lien avec les agissements dolosifs des appelantes, ne sont de nature à exonérer partiellement celles-ci de leur responsabilité.

30. Il s’ensuit que c’est à bon droit que les appelantes ont été condamnées à indemniser le département du Calvados et celui de l’Orne de la totalité du préjudice qu’ils ont subi du fait des agissements dolosifs et des manœuvres anticoncurrentielles de ces sociétés.

III. Sur l’évaluation du préjudice

31. En premier lieu, vous ne vous attarderez pas sur le moyen visant à contester les opérations d’expertise : le principe du contradictoire n’a pas été méconnu dès lors que les parties ont eu largement l’occasion de discuter du rapport d’expertise dans le cadre de la procédure de référé provision et/ou dans celle de l’instance au fond.

32. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiennent certaines appelantes, le préjudice subi par les départements représente le montant des surcoûts générés par les agissements dolosifs constitués par les pratiques anticoncurrentielles des sociétés condamnées, et non seulement une perte de chance d’obtenir, en l’absence de pratiques anticoncurrentielles, des marchés à un moindre prix22.

33. En troisième lieu, nous vous proposons de confirmer l’évaluation des préjudices retenue par le tribunal, sur la base des rapports d’expertise.

34. La circonstance que, pour certains marchés, des sociétés ne participant pas à l’entente auraient présenté des offres supérieures à celles des sociétés participant à cette entente n’est pas, à elle seule, de nature à établir qu’aucun surcoût n’aurait résulté de l’entente.

35. De même, l’évolution des taux de marge des sociétés mises en cause pendant et après l’entente n’établit en rien l’absence de surcoût.

36. En outre, si l’expert fait état dans son rapport des difficultés inhérentes à l’exercice qui consiste à établir quel aurait été le prix d’un marché passé dans le respect de la concurrence, il explique la méthode retenue, basée sur une analyse contre factuelle qui prend notamment en compte les prix observés et les coûts. Il résulte de ce rapport que l’expert a mené une étude des causes extérieures à l’entente susceptibles d’expliquer le niveau des prix à l’époque des marchés, notamment l’évolution du coût des matières premières, ce qui l’a conduit à ajuster son évaluation du taux de surprix. Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence a précisé dans les motifs de sa décision que le surprix vraisemblable de 5 à 10 % était seulement un ordre de grandeur minimum. Nous vous proposons donc, comme l’expert et les premiers juges, de retenir un taux de préjudice, c’est-à-dire de surprix, de 29,38 % pour les marchés conclus par le département de l’Orne et de 35,47 % pour le département du Calvados.

37. Enfin, le marché conclu en 2005, pendant la période de l’entente, a été tacitement reconduit jusqu’en 2008 et a donc produit des effets, pour le département de l’Orne, jusqu’à cette date, quand bien même l’entente a été démantelée en 2006.

38. C’est pourquoi nous vous proposons de confirmer les condamnations prononcées par les jugements attaqués.

IV. Sur l’appel en garantie de la société Franche Comté signaux

39. En première instance, aucune société n’avait présenté de conclusions d’appel en garantie à l’encontre d’autres sociétés. En appel, la société Franche Comté Signaux a présenté de telles conclusions contre les autres sociétés appelantes. Mais ces conclusions sont nouvelles en appel et par suite irrecevables23. Vous avez informé les parties de ce que vous étiez susceptibles de relever d’office ce moyen.

40. Enfin, vous pourrez mettre à la charge des sociétés condamnées une somme de 2 000 € au profit de chacun des départements de l’Orne et du Calvados, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par ces motifs, nous concluons au rejet des requêtes d’appel et à ce que vous mettiez à la charge de chacune des sociétés appelantes, dans chaque affaire, une somme de 1 500 € au profit du département intimé au titre de ses frais liés à l’instance. ■

  1. Décision (n° 10-D-39) du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale. [↩]
  2. Lacroix Signalisation, Signature SA, Signaux Girod, SES, Aximum, Laporte Service Route, FCS et Nadia Signalisation. [↩]
  3. En méconnaissance de l’article L. 420-1 du code de commerce et de l’article 81 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne [↩]
  4. Numéros 15NT01264 et 15NT00865. [↩]
  5. Numéros 16NT02222 et 16NT01778 : AJDA 2017, p. 1848, note F.-X. Bréchot. [↩]
  6. Numéros 17NT01722 et 17NT01526. [↩]
  7. CE 30 mai 1913, Préfet de l’Eure : Rec. CE 1913, p. 583 ; S. 1915, 3, p. 9, note Hauriou. [↩]
  8. CE 18 mai 1988, Ville de Toulouse, n° 39348 : Rec., T. p. 661-939 ; CE, 2 juillet 2007, Commune de Lattes, n° 294393 : Rec., T. p. 710. [↩]
  9. CE 26 décembre 1924, Ville de Paris c/ Chemin de fer métropolitain de Paris, n° 77229 : Rec., p. 1065 ; CE S. 5 novembre 1982, Société Propétrol, n° 19413 : Rec., p. 380 ; CE, 15 mai 2013, Communauté de communes d’Epinal-Golby, n° 357810 : Rec., p. 148 ; CE 24 février 2016, Département de l’Eure, n° 395194 : Rec., p. 44 ; CE 15 décembre 2017, Société Ryanair, n° 408550 : Rec., T., p. 683. [↩]
  10. Non sans limite : elle ne s’applique pas aux relations entre une personne publique et ses agents, fussent-ils contractuels (CE 2 juillet 2007, Commune de Lattes, n° 294393 : Rec., T., p. 710). [↩]
  11. CE 30 mars 1984, SCI Marjenco : Rec., n° 41090, p. 142 ; CE 13 février 1991, Thomas, n° 78404 : Rec., p. 55, concernant le maintien sans titre d’occupants du domaine public après la résiliation de la convention. [↩]
  12. Le lien avec le contrat est aussi la raison qui l’a conduit à étendre cette dérogation à l’action directe ouverte par l’article L. 124-3 du code des assurances au tiers victime d’un dommage à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable, dès lors que par cette action directe, la personne publique victime exerce une action pour l’exécution d’un contrat, alors même qu’elle est tiers à ce contrat (CE 15 mai 2013, Communauté de communes d’Epinal-Golbey, n° 357810 : Rec., p. 148). [↩]
  13. CE 24 février 2016, Département de l’Eure, n° 395194 : Rec., p. 44. [↩]
  14. CE 19 décembre 2007, Société Campenon-Bernard et autres, nos 268918, 268918, 269280 et 269293 : Rec. p. 507 ; CE 19 mars 2008, Société Dumez, n° 269134 : inédit. [↩]
  15. Cass. civ. (1re CH 18 juin 2014, Société Vinci Construction France c/ SNCF, n° 13-19.408 ; AJDA 2015, p. 352, note G. Berlioz et M. Durupty. [↩]
  16. TC 16 novembre 2015, Région Ile-de-France c/ Nautin et autres, n° 4035 : Rec., p. 512 ; AJDA 2015, p. 2401, note S. Braconnier ; ibid 2016, p. 786, note G. Eveillard. [↩]
  17. Point n° 239. [↩]
  18. Point 238. [↩]
  19. Cités points 234 à 237 de la décision de l’Autorité. [↩]
  20. Point 6. [↩]
  21. V. par exemple, CE S. 8 novembre 1968, Compagnie d’assurances générales contre l’incendie et les explosions : Rec., p. 132 ; CE 20 septembre 1999, Société Lyonnaise d’études techniques et industrielles, n° 163141 : Rec., T., p. 886 ; TC 14 février 2000, Ratinet, n° 02929 : Rec., p. 749. [↩]
  22. V. égal. en ce sens l’art. L. 481-3 du code du commerce, transposant les articles 2 et 12 de la directive 2014/104/UE. [↩]
  23. CE 4 mars 1988, Société d’économie mixte d’aménagement de Bures-Orsay et d’équipement en Essonne, n° 60307. [↩]

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Table des matières

  • I. Sur la recevabilité de la demande de première instance
  • II. Sur la responsabilité
  • III. Sur l’évaluation du préjudice
  • IV. Sur l’appel en garantie de la société Franche Comté signaux

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Rapporteur public

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  • I. Sur la recevabilité de la demande de première instance
  • II. Sur la responsabilité
  • III. Sur l’évaluation du préjudice
  • IV. Sur l’appel en garantie de la société Franche Comté signaux

François-Xavier Bréchot

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