À l’origine de cette affaire est le verbe du Général de Gaulle, griffonné à la main sur des brouillons de télégrammes entre 1940 et 1942, destinés aux forces de la France libre. Le Musée des lettres et manuscrits et la société Aristophil en détenaient la pleine propriété.
Dans le cadre d’une action en revendication engagée par l’État en 2012, la Cour d’appel de Paris a saisi en 2015 le Tribunal administratif d’une question préjudicielle relative à la qualité d’archives publiques de ces documents historiques. Le Tribunal, par jugement du 12 mai 2017, avait fait droit aux conclusions de la ministre de la culture demandant de constater ce caractère, en application de l’article L.211-4 du Code du patrimoine.
Le Conseil d’État, saisi par l’association du musée des lettres et manuscrits, la société Aristophil et d’autres requérants en application de l’article R. 771-2-2 du Code de justice administrative, renvoya l’examen de l’affaire à l’Assemblée du contentieux. L’article L. 211-4 du Code du patrimoine dispose que constituent des archives publiques les documents qui procèdent de l’activité de l’État, ou ceux qui procèdent de la gestion d’un service public ou de l’exercice d’une mission de service public. Le Conseil d’État ne pouvait donc faire l’impasse d’une solution claire. Afin de résoudre la question de la qualification des documents litigieux, il revenait à la Haute Assemblée de déterminer au préalable, et explicitement, qui, de l’État français ou des institutions en exil (France libre, France combattante, Comité français de libération nationale et enfin Gouvernement provisoire de la République française) assurait l’exercice légal de l’État entre 1940 et 1944.
Dans la continuité de ses décisions récentes, le Conseil d’État, statuant comme juge constitutionnel, donne plein effet à l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine et ne reconnaît alors comme légales que les institutions en exil, au prix toutefois d’une construction audacieuse (I.). Cette étape du raisonnement lui permet toutefois de circonscrire la notion d’archives publiques de façon beaucoup plus cohérente que la Cour de cassation tout en évitant un conflit de jurisprudence (II.).
I En droit, la République n’a jamais cessé d’exister.
La présente décision intéresse en premier lieu la matière du droit administratif des biens. Elle autonomise de sa définition législative la notion d’archive publique (A.). Mais elle présente également, sur le plan du droit constitutionnel un intérêt fondamental, en articulant clairement, pour la première fois, le statut juridique de la France libre avec celui du gouvernement de Vichy (B.).
A) L’autonomisation de la notion d’archives publiques
Les archives publiques définies à l’article L. 211-4 du Code du patrimoine, constituent des biens du domaine public mobilier en application du 2° de l’article L. 2112-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.
La notion d’archives publiques, telle que définie par cette première disposition, a connu plusieurs modifications dans la période récente. Les catégories d’archives publiques sont aujourd’hui au nombre de 3 :
« Les archives publiques sont :
1° Les documents qui procèdent de l’activité de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public. Les actes et documents des assemblées parlementaires sont régis par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ;
2° Les documents qui procèdent de la gestion d’un service public ou de l’exercice d’une mission de service public par des personnes de droit privé ;
3° Les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels et les registres de conventions notariées de pacte civil de solidarité. »
Outre les documents qui résultent des activités des personnes publiques stricto sensu, y sont intégrés les documents des personnes privées chargées d’une mission de service public (et alors qu’on distingue mal la différence entre ceux qui « procèdent de la gestion d’un service public » de ceux qui « procèdent (…) de l’exercice d’une mission de service public » par une personne privée. L’exercice d’une mission de service public implique nécessairement la gestion d’un service public, sauf à considérer que la gestion exige une habilitation formelle de la personne publique responsable d’un service public par voie de délégation, là où le simple exercice d’une mission de service public ne requiert que l’exercice physique, matériel, y compris de fait ou spontané, par une personne physique) ainsi que les actes produits et conservés par les officiers publics ou ministériels. La première hypothèse – qui concerne les documents produits « qui procèdent » de l’activité des personnes publiques – est celle qui intéresse plus particulièrement la présente espèce.
L’article L. 211-4 du Code du patrimoine a été créé par l’ordonnance n° 2004-178 du 20 février 2004 relative à la partie législative du Code du patrimoine. L’ordonnance codifiait à droit constant dans ce nouveau code, la définition issue de l’article 3 de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives. Entre 1979 et 2009, la définition est restée identique. L’article 12 de l’ordonnance n° 2009-483 du 29 avril 2009 prise en application de l’article 35 de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives a substantiellement modifié la définition du 1° de l’article L. 211-4 du Code du patrimoine. Il limitait, en effet, les archives publiques aux seuls documents qui, procédant de l’activité des personnes publiques, avaient été créés « dans le cadre de leur mission de service public ». L’objectif du Gouvernement était alors « l’utilisation d’une terminologie commune, pour harmoniser les définitions des documents administratifs et des archives publiques » (Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2009-483 du 29 avril 2009 prise en application de l’article 35 de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives), définition des documents administratifs posée à l’article 1er de la Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public que l’ordonnance de 2009 modifiait également. Les rédacteurs de l’ordonnance estimaient que « Les modifications proposées (…)(étaient) de coordination ou de pure forme », sous-entendant que le périmètre des archives publiques n’était pas réduite.
Cette appréciation n’était pourtant pas celle du législateur de 2016. Le retour à la définition de 1979 est dû à un amendement en commission au Sénat, dont l’exposé des motifs ne souffre aucune ambiguïté :
Cet amendement vise à réintégrer dans le champ des archives publiques la totalité des documents produits et reçus par les personnes morales de droit public ainsi que tous les documents relatifs aux PACS. Cette mesure serait rétroactive afin d’éviter la coexistence d’archives publiques et d’archives privées pour le même type de document. L’ordonnance n° 2009-483 du 29 avril 2009 codifiée à l’article L.211-4 du code du patrimoine avait réduit le périmètre des archives publiques, il est donc proposé de retenir cette date comme date de rétroactivité. Celle-ci permet également d’inclure les registres de conventions notariés de PACS puisqu’ils ont été créés en 2012. (Amendement n° COM-225 du 21 janvier 2016 introduit en commission au Sénat en première lecture du projet de loi Liberté de création, architecture et patrimoine, devenu Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine)
L’évolution législative n’aurait, en tout état de cause, pas contraint le Conseil d’État à modifier sa propre définition de l’archive publique. L’on est, en effet, tenté de suivre l’argumentation du Rapporteur public Crépey en ses conclusions sur la décision commentée : « Nous sommes porté à considérer, dans ces conditions, que, très transitoirement, la loi a donné une définition incomplète, sur ce point, de la notion d’archives publiques, qui n’a jamais cessé d’être plus englobante par l’effet du principe qui subsistait, pour le surplus, praeter legem ». De fait, cette considération suit explicitement la voie tracée par la décisions Chasseloup-Laubat du Tribunal des conflits (TC, 9 juillet 2012, Ministre de la défense c/ Murat de Chasseloup-Laubat, req. n° C3857) par laquelle il avait admis l’existence d’un principe prétorien antérieur – et, finalement, supérieur – à sa « consécration » par le législateur.
Cette approche n’est pas sans interroger la compétence – de fait, résiduelle – du législateur pour délimiter la notion d’archives publiques et, par conséquent, pour en définir le régime. On croit cependant deviner, dans l’argumentation du Rapporteur public, qu’il s’agirait d’un principe ayant rang constitutionnel, dès lors qu’il rappelle la décision QPC 2017-655 du 15 septembre 2017 du Conseil constitutionnel (M. François G. [Accès aux archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement]), dont il fait la lecture suivante :
Ce faisant la Révolution matérialisait sans délai la promesse contenue dans l’article 15 de la Déclaration de 1789 proclamant le droit de la société de demander compte à tout agent public de son administration, dont le Conseil constitutionnel a récemment jugé qu’il garantissait le droit d’accès aux documents d’archives publiques.
C’est bien, au final, dans cette voie que s’est engagé le Conseil d’État, dès lors qu’il affirme, en tête du 3e considérant que « Tout document procédant de l’activité de l’État constitue, par nature, une archive publique », ajoutant immédiatement après que « Cette définition a été reprise par l’article 3 de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives aujourd’hui codifié à l’article L. 211-4 du code du patrimoine ».
Cette position appelle deux commentaires rapides.
D’abord, le Conseil confirme l’existence d’un principe, en quelques sortes, « détaché » du texte législatif, et qui donne toute sa consistance à la notion d’archive publique. On note, à ce titre, que le Conseil juge que la définition n’a été que « reprise » par le législateur. Elle lui préexistait donc. Et, très sûrement, lui survivra, dans l’hypothèse d’une autre modification législative.
Ensuite, cette « consécration » du principe qui définit largement la notion d’archive publique permet de qualifier tels les documents dont l’existence est antérieure à la définition de 1979. La problématique de l’application dans le temps d’une norme de définition du domaine public est toujours complexe. L’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques avait permis au Conseil d’État de bâtir un mécanisme d’articulation entre deux définitions du domaine public. Le juge des référés du Conseil d’État avait jugé (CE, 3 octobre 2012, Commune de Port-Vendres, req. n° 353915) qu’en « l’absence de toute disposition en ce sens, l’entrée en vigueur de ce code n’a pu, par elle-même, avoir pour effet d’entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1 ». Coexistent donc deux définitions du domaine public immobilier artificiel selon que le bien préexistait ou non à l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques. L’appartenance d’un bien au domaine public s’apprécie donc à la date d’existence de ce bien (Sauf l’exception d’anticipation issue de la théorie du domaine public virtuel ressuscitée par la décision CE, 13 avril 2016, Commune de Baillargues, req. n° 391431), de la même façon que la qualification d’un contrat administratif s’apprécie à la date à laquelle il a été conclu (TC, 11 avril 2016, Société Fosmax LNG, req. n° C4043).
Dans cette logique, il faut considérer que la qualification d’archive publique s’acquiert en fonction de la définition, prétorienne ou légale, « en vigueur » au moment où le document est produit. Quant à la « parenthèse » s’étalant de 2009 à 2016, elle a, en tout état de cause, été fermée et effacée par le législateur de 2016 (Le II. de l’article 65 de la loi n° 2016-925 fait rétroactivement entrer en vigueur la reprise de l’ancienne définition des archives publiques, plus large, au 1er mai 2009, c’est-à-dire à la date d’entrée en vigueur de la loi de 2009).
Le Conseil d’État déduit donc de la lecture du principe relatif aux archives publiques et de l’article L. 211-4 du Code du patrimoine la conclusion suivante : « Il en résulte que revêtent le caractère d’archives publiques tous les documents procédant de l’activité de l’État quelle que soit la date à laquelle ils ont été produits, quel que soit leur état d’achèvement et quelle que soit l’intention de leur auteur. ». La nature des documents, l’intention de leur auteur, le degré d’achèvement de ces documents n’importent pas. Le Conseil rejoint alors l’intention du législateur de 2016. Appliquant cette définition large de l’archive publique constituée par « Tout document procédant de l’activité de l’État », le Conseil d’État valide le raisonnement tenu par le Tribunal administratif de Paris :
Il s’ensuit que c’est sans entacher son jugement d’erreur de droit, ni d’inexacte qualification juridique que le tribunal administratif de Paris a jugé qu’étaient sans incidence sur la qualification d’archives publiques des documents en litige le fait qu’il s’agisse de brouillons de télégrammes et que leur auteur les aurait regardés comme des documents privés.
Restait à la Haute juridiction à trancher l’épineuse question – qui confère un surplus d’intérêt à la décision commentée – de savoir qui, du régime de Vichy ou de la France libre, était entre 1940 et 1944 dépositaire de la souveraineté nationale et, partant, seul État légal.
B) La légalité décidée de l’Ordonnance du 9 août 1944
Le Conseil d’État prend appui sur l’Ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine pour reconnaître au Général de Gaulle, entre 1940 et 1944, l’exercice d’une fonction d’État de nature faire tomber ses écrits dans le champ des archives publiques dont la définition est reprise par l’article L. 211-4 du Code du patrimoine (Sans toutefois qu’il n’en fasse, à strictement parler, application).
Le 4ème considérant de la décision commentée propose une lecture sans ambiguïté des dispositions de l’ordonnance de 1944 :
Ainsi que l’expriment ces dispositions, la France libre et la France combattante et, par la suite, le Comité français de la libération nationale et le Gouvernement provisoire de la République française, ont été, à compter du 16 juin 1940, dépositaires de la souveraineté nationale et ont assuré la continuité de la République. Il s’ensuit que les documents qui émanent de ces institutions et de leurs dirigeants et représentants procèdent de l’activité de l’État et constituent, dès lors, des archives publiques.
Autant l’admettre d’emblée, aucun des choix auxquels était confronté le Conseil d’État n’était juridiquement parfaitement satisfaisant. La décision de faire prévaloir l’ordonnance de 1944 sur la délégation du pouvoir constituant de juillet 1940, si elle peut solidement s’appuyer sur des précédents jurisprudentiels, n’est toutefois pas exemptes de vices logiques.
Sur le strict plan de la légalité, le régime de Vichy naît du vote de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, par lequel l’Assemblée nationale (réunion de la Chambre des députés et du Sénat, équivalent du Congrès de la Ve République, titulaire du pouvoir constituant dérivé) attribue la compétence pour modifier la Constitution au seul Philippe Pétain, alors président du Conseil. Cette délégation est admise, par une majorité de la doctrine, comme étant inconstitutionnelle. L’argument décisif réside dans l’application du principe selon lequel les organes constitutionnels ne peuvent disposer de leur compétence, et, en particulier, ne peuvent déléguer à un autre organe les compétences qu’ils tirent eux-mêmes d’une délégation. En ce sens, le pouvoir constituant à l’origine des lois constitutionnelles de la IIIe République avait attribué à la seule Assemblée nationale le pouvoir constituant dérivé (Art. 8 loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs).
De son côté, l’ordonnance du 9 août 1944 a été adoptée et promulguée par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Au moment de l’adoption de l’ordonnance de 1944, cette organisation (Le terme « organisation » est employé à défaut d’un terme plus adéquat. Il reste difficile de considérer qu’il s’agissait effectivement du Gouvernement de la République, en l’absence d’exercice effectif d’un pouvoir souverain sur la totalité du territoire de la République. Le terme « organisation » se veut neutre. Il permet d’éviter d’entrer pour le moment dans le débat de fond historique et juridique, tout en en soulignant l’un de ses caractères essentiels : il s’agissait bel et bien d’une structure hiérarchisée, dotée d’un mécanisme de production normatif et d’instances organisées en vue de l’exercice du pouvoir étatique) venait tout juste de prendre la suite du Comité français de Libération nationale ( L’article 1er de l’Ordonnance du 3 juin 1944 substituant au nom du Comité français de la Libération nationale celui de Gouvernement provisoire de la République française dispose : « L’adoption de cette nouvelle dénomination ne modifie en rien les dispositions des textes en vigueur relatives, d’une part, à l’institution et au fonctionnement des pouvoirs du Comité français de la Libération nationale, d’autre part, à la constitution du Gouvernement provisoire lors de la libération de la France suivant les termes de l’article 3 de l’ordonnance du 3 juin 1943 et de l’article 25 de l’ordonnance du 21 avril 1944 ».).
On note, dans tous les actes constitutifs du pouvoir en exil (Ordonnance n° 1 du 27 octobre 1940 organisant les pouvoirs publics durant la guerre et instituant le Conseil de défense de l’Empire ; Ordonnance n° 16 du 24 septembre 1941, portant organisation nouvelle des pouvoirs publics de la France libre et créant le Comité national français ; Déclaration et ordonnance du 14 mars 1943 du Commandant en chef civil et militaire concernant la validité de la législation en vigueur dans les territoires relevant de son autorité ; Déclaration du 3 juin 1943 ; Ordonnance du 3 juin 1943 portant institution du Comité français de la Libération nationale) la volonté tant de disqualifier le pouvoir de Vichy que d’assurer la continuité de l’exercice de la souveraineté « dans l’attente » de la (re)constitution d’un Gouvernement démocratique (Déclaration et ordonnance du 14 mars 1943). La théorie de l’usurpation avait, du reste, déjà été émise en 1941 (Ordonnance n° 16 du 24 septembre 1941) et l’ordonnance du 14 mars 1943 déclarait (Et non ordonnait) « nuls les actes constitutionnels, lois et décrets postérieurs à la date du 22 juin 1940 ». L’article 2 de l’Ordonnance du 9 août 1944 reprend, en substance, cette disposition, à ceci près qu’elle englobe tous les actes adoptés non depuis le 22 juin 1940, mais depuis le 16 juin 1940, date de nomination du cabinet Pétain.
Alors que l’ordonnance de 1941 ne mentionne que « l’exercice des pouvoirs publics », celle du 3 juin 1943 anticipe le dénouement du conflit et dote les structures de la France Libre de la capacité d’exercer tant la souveraineté interne que la souveraineté externe, assumant pleinement le « dédoublement fonctionnel » (Pour reprendre une notion chère à Georges Scelle) de l’État. Son article 3 dispose que « Le Comité français de la Libération nationale exerce la souveraineté française sur tous les territoires placés hors du pouvoir de l’ennemi » et que « Le Comité conclut les traités et accords avec les puissances étrangères » et « accrédite (…) les représentants diplomatiques auprès des puissances étrangères ».
Le fonctionnement du GPRF était régi par l’Ordonnance du 3 juin 1943
portant institution du Comité français de la Libération nationale. L’Ordonnance du 9 août 1944 trouve sa base dans le Décret du 3 juin 1943 fixant l’organisation et le fonctionnement du Comité français de la Libération nationale (Dont l’article 4 disposait : « Les décisions du Comité français de la Libération nationale prennent la forme soit d’ordonnances, soit de décrets. L’ordonnance est nécessaire pour toutes les matières qui, sous la République ou antérieurement, ont été l’objet d’une loi ou d’un acte ayant la valeur d’une loi. Elle est délibérée en séance plénière du Comité français de la Libération nationale. Elle est signée par les deux présidents et contresignée par le ou les commissaires intéressés. Les décisions, prises en en exécution d’une loi ou d’une ordonnance antérieures, font l’objet d’un décret, signé par les deux présidents et contresigné par le ou les commissaires intéressés. »). On peut, en premier lieu, s’étonner que la date retenue par l’Ordonnance du 9 août 1944 pour la déclaration de nullité des actes du régime de Vichy soit celle du 16 juin 1940 et non celle du 10 juillet 1940. En effet, à la date du 16 juin 1940, l’application des lois constitutionnelles de la IIIème République n’avait pas encore été suspendue. Le Conseil d’État a, du reste, déjà jugé en ce sens (CE, 4 juin 1947, Premier Président Frémicourt, D. 1947, jur., concl. Céuer, pp. 518- 519). L’Ordonnance de 1944 déborde, sur le plan juridique, la période a-constitutionnelle.
Cela implique que l’on s’interroge sur le statut juridique du Général de Gaulle entre le 16 juin 1940 et le 27 octobre 1940, date d’adoption de l’Ordonnance n° 1 constituant le Conseil de défense de l’Empire. L’Accord conclu le 7 août 1940 entre le Premier ministre britannique Churchill et le Général de Gaulle ne saurait valablement être admis comme conférant à ce dernier le rôle de chef de l’État. Outre le fait que le Général de Gaulle n’acquiert le titre de Chef des Français libres que par la reconnaissance du Gouvernement britannique, – ce qui doit interroger la souveraineté de l’organisation des Français libres – l’Accord permet uniquement la constitution d’une force militaire, non pas d’un gouvernement, et, encore moins, d’une structure administrative de nature étatique. Ce n’est qu’à compter du 27 octobre 1940 que les français résistants s’organisent afin d’assurer, sur la plan civil, l’exercice des pouvoirs publics.
Cette question n’a pas été abordée par le Conseil d’État dans la décision commentée, dès lors que n’étaient en cause que des documents datant, au plus tôt, de décembre 1940, soit postérieurement à la constitution du Conseil de défense de l’Empire le 27 octobre 1940. Il est, cependant, tout à fait possible qu’une interrogation de cette nature surgisse ultérieurement, si est revendiquée par l’État la propriété de documents de la France Libre créés entre juin et octobre 1940. Or, à s’en tenir à une lecture stricte des textes autant que de la situation historique, il apparaît que se crée un « vide » entre le 16 juin 1940 et le 27 octobre de la même année. L’Ordonnance du 9 août 1944 déclarant nuls tous les actes postérieurs au 16 juin 1940 et le Conseil de défense de l’Empire, première organisation proto-étatique, n’apparaissant que le 27 octobre 1940, il faudrait en déduire que personne n’exerçait « légalement » la souveraineté entre ces deux dates. Les documents du Général de Gaulle, par ex., de cette période ne devraient, en toute rigueur, pas pouvoir être qualifiés d’archives publiques.
On doit, par ailleurs, s’interroger sur le fait qu’un acte dit « décret », acte d’application d’un autre acte de nature, sinon constitutionnelle, au moins législative, organisât et répartit l’exercice du pouvoir normatif. Cette fonction de constitution et de répartition du pouvoir est, par essence, une fonction constitutionnelle. Dans la configuration ayant donné son existence à l’ordonnance du 9 août 1944, un acte dont la nature est admise comme étant législative trouve son fondement dans un acte de valeur juridique inférieure.
De fait, la valeur juridique de l’Ordonnance du 9 août 1944 surprend. Si elle est en mesure de défaire les conséquences du vote de l’Assemblée nationale du 10 juillet 1940, c’est qu’elle est elle-même l’expression d’un pouvoir constituant. La légalité constitutionnelle du vote de juillet 1940 n’est pas certaine. Mais si une majorité de la doctrine l’a admise au sortir de la guerre, le Doyen Vedel concluait sur une réserve : « En tous cas, l’irrégularité qui vicierait la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 est beaucoup moins perceptible que celle qui entachait la pratique des décrets-lois, couramment reçue entre les deux guerres » (G. Vedel, Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 277).
En laissant inexplorée l’hypothèse d’une disqualification totale du régime constitutionnel du gouvernement de Vichy du fait d’une contrariété à des principes fondamentaux supérieurs au droit positif, seule la théorie des circonstances exceptionnelles offre une grille de lecture admissible à la solution de la décision commentée. Alors que la jurisprudence issue des décisions Heyries (CE, 28 juin 1918, req. n° 63412) et Dames Dol et Laurent (CE, 28 février 1919, req. n° 61593) n’avait trouvé à s’appliquer qu’à des situations dans lesquelles le pouvoir réglementaire avait dérogé à des dispositions de valeur législative ou des principes généraux du droit, les faits de la présente espèce situaient le débat sur le plan constitutionnel. La reconnaissance de la France Libre et du GPRF comme seuls « dépositaires de la souveraineté nationale (…) (ayant) assuré la continuité de la République » impliquait préalablement et nécessairement de priver de toute portée juridique non seulement la délégation constitutionnelle accordée à Philippe Pétain le 10 juillet 1940, mais également tous les « actes constitutionnels » pris sur son fondement. On a pu parler « d’usurpation » s’agissant du régime de Vichy (G. Vedel, Droit constitutionnel, préc., pp. 275 et s. ; voir ég. E. Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), Paris, LGDJ, BCSP, 2005, T. 126). Il s’agissait donc d’apprécier, dans une situation de conflit irréductible entre deux actes de nature constitutionnelle contradictoires, lequel devait prévaloir.
Aussi, faut-il n’admettre qu’avec d’extrêmes réserves la harangue du Rapporteur public Crépey : « Considéreriez-vous néanmoins cette ordonnance comme outrageusement empreinte d’une volonté de réécriture de l’histoire qu’elle ne disparaîtrait pas pour autant de l’ordre juridique et que vous seriez tout autant tenus, en tant que juridiction, d’en faire application faute que sa validité juridique en soit affectée ». La validité de l’Ordonnance du 9 août 1944 n’est pas évidente. Elle ne s’impose pas sans discussion, sur le strict plan juridique. Elle relève d’un choix, qui doit être conscient et assumé. En un sens, le Conseil d’État a ici pleinement assumé son office de juge constitutionnel en tranchant – bien qu’implicitement – le conflit de lois (Sur cette question, voir la thèse remarquable de A. Faye, Les bases administratives du droit constitutionnel. Recherche sur la culture administrative du droit constitutionnel, Paris, Institut Universitaire Varenne, coll. Thèses, 2017).
II. En fait, l’autorité de l’État usurpée
La résolution du double problème de la détermination de l’État légal et du statut des archives souffre d’un écho. Admettre la France libre comme seul État légal à compter du 16 juin 1940 implique de prendre position quant au statut du régime Vichy, tout autant que de ses archives. Par la décision commentée, le Conseil d’État a réussi à se soustraire au piège du précédent contestable de la Cour de cassation (A.) en mobilisant la théorie de l’ « autorité de fait » (B.).
A) Un précédent contestable de la Cour de cassation
Concernant la question particulière des archives publiques durant la seconde guerre mondiale, le Conseil d’État n’intervenait pas en terrain vierge. L’année précédente, la Cour de cassation avait été amenée à prendre position sur l’appartenance au domaine public des archives de Philippe Pétain (Cass., 1ère Civ., 22 février 2017, n° 16-12922).
Saisie par la Libraire Vrain d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris ayant fait droit à l’action en revendication de l’administration des Archives de France (CA, Paris, 24 novembre 2015. Action engagée sur le fondement de l’article L. 212-1 du Code du Patrimoine), la Cour de cassation avait jugé que « le caractère public d’une archive de l’État est déterminé par le constat qu’elle procède de l’activité de celui-ci dans sa mission de service public ». La Cour reprenait, dans sa formulation exacte, les dispositions de l’article L. 211-4 du Code du patrimoine, en vigueur au moment de l’introduction de l’action en revendication.
Dans cet état du droit, deux conditions devaient être réunies pour qu’un document puisse être qualifié d’archive publique : émaner de l’État et avoir un lien avec une mission de service public. En jugeant que les documents « émanant » ou annotés par Philippe Pétain constituaient des archives publiques, la Cour de cassation a préalablement mais nécessairement admis d’une part que le régime dénommé « État français » était lui-même l’État, et d’autre part que Philippe Pétain, en tant que « Chef de l’État français » était chargé d’une mission de service public. La Cour n’avait cependant pas entendu préciser de quelle « mission de service public » in concreto était investie le chef de l’État. Elle avait, au contraire, estimé implicitement et de façon extensive, voire totalisante, que toutes les activités de Philippe Pétain en tant que chef d’État relevaient d’une mission de service public.
Il est possible de penser qu’en neutralisant cette condition restrictive liée à l’exercice de missions de service public, la Cour a pris en considération la décision du Tribunal des conflits du 9 juillet 2012 (TC, Chasseloup-Laubat, req. n° C3857). Le Tribunal semblait, de façon elliptique, considérer que la loi n’avait fait que « consacrer » les principes antérieurement reconnus par une jurisprudence constante. Tout en appliquant formellement les dispositions de l’article L. 211-4 du Code du patrimoine alors en vigueur, la Cour avait, en réalité, conduit à éviter des ruptures dans la consistance des archives publiques. La condition spécifique de l’exercice d’un service public ayant été, factuellement, neutralisée, l’approche retenue par la Cour coïncidait avec celle, plus large, antérieurement posée par la loi de 1979.
Ces contingences liées aux évolutions législatives interdisent de lire l’arrêt de la Cour de cassation à la lumière de la décision du Conseil d’État. Si les conclusions sont identiques, le fond des raisonnements respectifs des deux juridictions suprêmes diverge. Il n’est pas même certain que les dispositions de l’ordonnance de 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine aient été soulevées devant la Cour de cassation. En tout état de cause, les moyens du pourvoi demeurent centrés sur la nature même des archives et non pas le statut constitutionnel du régime de Vichy et donc, par voie de conséquence, de Philippe Pétain, « Chef de l’État français ». La Cour de cassation n’a ainsi pas été mise en mesure de prendre position sur cette question (On aurait toutefois pu penser qu’elle aurait s’exprimer en tant que moyen d’ordre public).
S’il est exact que cette question avait été soumise à la Cour d’appel de Paris, celle-ci l’avait, en toute état de cause, rapidement écartée : « Sur ce point il importe peu que l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ait annulé la portée légale des actes réglementaires et législatifs pris à partir du 16 juin 1940 par l’autorité dénommée Gouvernement de Vichy dès lors qu’il n’est plus discuté que celle-ci participe de la continuité de l’État Français pour la période du 16 juin 1940 jusqu’à la Libération. » (L’auteur souligne). Cette position ne se retrouve qu’implicitement dans la jurisprudence de la Cour de cassation (Notamment dans l’arrêt Papon : Cass. Crim, 23 janvier 1997, n° 96-83822). Peut-être s’agit-il d’un alignement « naturel » du juge judiciaire sur la jurisprudence du Conseil d’État, beaucoup plus explicite sur ce point (S’agissant des décisions récentes : CE, Ass, Papon, req.n° 238689 et l’avis contentieux CE, Ass, Avis, Mme Hoffman-Glémane, req.n° 315499).
La motivation de la Cour d’appel semble se heurter frontalement à la décision du Conseil d’État. Elle rejette l’idée selon laquelle la France libre, dans ses différentes organisations, ait été la seule à assumer la « continuité » de la République tout autant que la théorie de l’usurpation du gouvernement de Vichy.
B) L’extension de la théorie du fonctionnaire de fait à l’ensemble des institutions de l’État français : mécanisme nécessaire d’articulation avec la jurisprudence de la Cour de cassation
En reconnaissant au régime de Vichy le caractère d’autorité de fait, le Conseil d’État pérennise la doctrine politique gaullienne bâtie au sortir de la guerre. Il confirme, en outre, la caducité de sa jurisprudence antérieure qui, par formalisme excessif, lui niait toute existence juridique.
Les contentieux qui s’étaient élevés après-guerre avaient donné quelques occasions au Conseil d’État de préciser sa jurisprudence quant à l’imputabilité des fautes commises par le régime de Vichy à la République renaissante.
Dans l’immédiat après-guerre, le Conseil d’État avait d’abord reconnu la responsabilité de l’État au profit d’un interné (CE, Ass, 30 janvier 1948, Sieur Toprower, rec. p.48, concl. Célier, S.1948.III.48) ou encore au profit d’un administré blessé par la milice (CE, Sect, 22 février 1950, Dame Duez, Rec.p. 118). Mais il a rapidement reviré sa jurisprudence pour adopter une position beaucoup moins favorable. Par deux arrêts de 1952 (CE, Ass, 4 janvier 1952, Époux Giraud, et CE, Sect., 25 juillet 1952, Demoiselle Remise), il a exclu que les agissements de agents servant sous le régime de Vichy puissent engager la responsabilité de l’État. Plus précisément, tel que présenté au Recueil (Recueil TV, 1935-1954, T.3, p.53), il a jugé que « la responsabilité de l’État ne peut être engagée qu’en vertu de la législation sur les dommages ou les victimes de guerre ».
Cette présentation pourrait laisser croire que le Conseil d’État a entendu limiter l’engagement de la responsabilité de l’État aux seuls régimes d’indemnisation admis par le législateur postérieurement à la guerre. Dans la mesure où les agissements des agents du régime de Vichy étaient fondés sur un acte législatif, une telle lecture permettrait de maintenir cohérente la jurisprudence, dans ses contours alors admis, relative à la responsabilité de l’État du fait des lois (CE, 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers « La Fleurette »). L’application du critère relatif à l’absence de volonté du législateur d’interdire toute indemnisation rend bien évidemment impossible la reconnaissance d’une responsabilité du fait des lois de Vichy : il est incontestable que le « législateur » de Vichy n’avait pas entendu indemniser les internés ou les victimes de la milice.
Une autre lecture est possible. Elle conduit à considérer que le Conseil d’État a souhaité, en quelques sortes, effacer de la mémoire juridique collective la parenthèse autoritaire vichyssoise. Il aurait alors tiré toutes les conséquences juridiques de l’article 1er de l’ordonnance de 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine. Cette jurisprudence, du fait de son rigorisme n’a pas manqué de susciter une très vive critique de la doctrine (M. Waline, RDP1952.151). Mais selon cette lecture, les solutions dégagées dans le champ de la responsabilité de la puissance publique font écho aux solutions prononcées dans le cadre du contentieux de l’annulation, dans lequel la technique de l’inexistence fut, là aussi, largement mobilisée. C’est ainsi que le Conseil d’État a jugé dépourvu d’objet, et prononcé un non-lieu à statuer, le recours dirigé contre un décret prononçant une déchéance de nationalité (CE, 8 novembre 1944, Henri de Rotschild, Rec. p. 285) ou contre un arrêté ministériel déclarant un maire démissionnaire d’office sur le fondement d’une loi ayant fait l’objet d’un constat express de nullité (CE, 26 juin 1946, Rambaud, Rec. p. 180).
Ce n’est qu’avec les arrêts Pelletier (CE, Ass, 6 avril 2001, req. n° 224945) – timidement et implicitement – et, plus explicitement, Papon (CE, Ass, 12 avril 2002, req. n° 238689) que le Conseil d’État a admis le principe de l’imputabilité à l’État républicain de la responsabilité des fautes commises par le régime de Vichy :
si l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental constate expressément la nullité de tous les actes de l’autorité de fait se disant » gouvernement de l’État français » qui » établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif « , ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de créer un régime d’irresponsabilité de la puissance publique à raison des faits ou agissements commis par l’administration française dans l’application de ces actes, entre le 16 juin 1940 et le rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental
L’avis contentieux Hoffman-Glémane (CE, Ass, Avis, 16 février 2009, req. n° 315499) achève la reconnaissance, sinon d’une continuité entre le régime de Vichy et l’État républicain, du moins d’une assomption par le second des fautes commises par le premier. Cette solution est, en un sens, plus « conforme à la vérité historique » (S. Boissard, concl. sur CE, Ass, 12 avril 2002, Papon, préc.) (Bien que légalement fondée, ne serait-ce que par la reconnaissance sous forme de principe, issu d’une lecture systématisée de divers actes de l’État postérieur au régime de Vichy – et notamment la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 qui prévoit l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, la déclaration faite le 16 juillet 1995 par le Président de la République reconnaissant, à l’occasion de la commémoration de la grande rafle du « Vél’ d’Hiv », la responsabilité de l’État au titre des préjudices exceptionnels causés par la déportation et le décret du 26 décembre 2000 déclarant d’utilité publique la Fondation pour la mémoire de la Shoah – il ne doit pas s’agir d’une confusion entre les deux régimes, d’autant que l’ordonnance de 1944 proclame l’inexistence même sur le plan du droit de gouvernement de Vichy).
C’est tout l’intérêt de la précision du 5e considérant de la décision ici commentée, présentée presque sous forme d’incise dans le raisonnement, que le Conseil d’État prend soin de poser :
Est sans incidence à cet égard la circonstance que les faits et agissements de l’autorité de fait se disant « gouvernement de l’État français » et de l’administration française qui en dépendait engagent la responsabilité de la puissance publique, le débiteur de cette responsabilité ne pouvant être que l’État. N’y fait pas davantage obstacle la circonstance que doivent être regardés comme des archives publiques les documents procédant de l’activité politique et administrative de cette autorité de fait.
Finalement, la décision du 13 avril 2018 a pour conséquence d’approfondir le rapprochement, voire l’inclusion, du régime de Vichy dans une conception juridique large de l’État entre le 16 juin 1940 et le rétablissement d’une légalité républicaine. En donnant plein effet à la notion d’ « autorité de fait » à laquelle recourt l’ordonnance de 1944 pour désigner le régime de Vichy en dehors du strict champ de la responsabilité de la puissance publique, le Conseil d’État confirme la nature « quasi-étatique » du régime de Vichy. Une excroissance tumorale, nonobstant sa nature pathologique, demeure pleinement une partie du corps.
Cette décision propose également, pour la première fois, une extension mesurée de la théorie du fonctionnaire de fait à l’ensemble de la structure administrative (Dont la première illustration résulte, paradoxalement, d’un arrêt de la Cour de cassation : Cass. Civ., 7 août 1883, Affaire dite des mariages de Montrouge S.1884-1, p. 10, concl. J-E Labbé). Extension mesurée car elle ne peut présenter que des effets partiels. Les actes de l’autorité de fait ne bénéficient pas, par principe, d’une plein reconnaissance juridique. Leurs effets sont limités, en l’état actuel de la jurisprudence, au champ de la responsabilité de la puissance publique (Et encore, pourrait-on s’interroger sur l’éventuelle imputabilité à l’État républicain de la responsabilité de fautes commises par le régime de Vichy en dehors de l’application de ce qui relève de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanités ou encore des législations contraires aux droits fondamentaux. En d’autres termes, de fautes qu’auraient pu commettre l’État républicain).
La question de savoir s’il ne s’agit pas ici d’une solution d’opportunité peut légitimement être posée. L’intérêt historique qui s’attache à la préservation des archives de Vichy est bien réel, ne serait-ce que parce qu’elles permettent de documenter les agissements fautifs – sur le plan du droit – du régime de Vichy (On pense notamment ici à la précision de la description des faits qui ont conduit à la condamnation non seulement de Maurice Papon, mais également de Klaus Barbie).
Cette solution permet surtout de concilier le principe établi par la décision commentée avec la solution dégagée antérieurement par la Cour de cassation (Cass., 1ère Civ., 22 février 2017, préc.). Elle évite un éventuel conflit de jurisprudence qui aurait pu naître de l’incompatibilité entre les motifs de ces décisions. Comme le soulignait le Rapporteur public Crépey dans ses conclusions sur cette décision : « Tout se joue précisément dans l’articulation entre les deux régimes qui se sont disputé la légitimité à représenter la France à compter du 16 juin 1940. »
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