Les auteurs s’intéressant au principe de proportionnalité considèrent qu’il a été mentionné pour la première fois dans un texte législatif dans le Code de la Prusse de 1794, en tant qu’interdiction pour le gouvernement de restreindre la liberté individuelle au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour la réalisation de l’intérêt public. Il a ensuite été repris par la jurisprudence administrative (arrêt Kreuzberg, 1882) et, à la suite de l’influence du droit allemand, il a été repris dans le droit communautaire (arrêt Fédération Charbonnière Belgique, 29 Novembre 1956, affaire 8/55) et enfin, dans l’ordre constitutionnel des différents États-membres (Cognetti, 2010).
L’origine du principe en Italie n’échappe pas à cette construction historique. C’est en effet à travers le renvoi aux principes généraux du droit communautaire, tant dans la Constitution (article 117, c. 2, réformé en 2001), que dans l’article 1 de la loi sur la procédure administrative n° 241/1990, telle que modifiée en 2005, que le principe de proportionnalité a été expressément consacré dans l’ordre juridique italien, bien qu’il ait déjà bénéficié, surtout depuis les années 90, d’un « droit de résidence » par voie judiciaire.
Comme nous le verrons ci-dessous, les constants renvois jurisprudentiels au principe de proportionnalité, au regard du droit communautaire et, dans une moindre mesure, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), rendent nécessaire une brève description de la manière dont le principe est appliqué en ces domaines, avant d’entrer dans le détail du cas italien.
I – DROIT COMMUNAUTAIRE ET CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
Le principe de proportionnalité, appliqué par la Cour de justice (CJUE) depuis l’origine de l’institution des Communautés, est consacré pour la première fois dans le Traité de Maastricht et il trouve maintenant sa formulation finale dans l’art 5 du Traité sur l’Union européenne (TUE) : « Le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice de ces compétences ». Au § 4 du même article, il est prévu qu’ « en vertu du prince de proportionnalité, le contenu et la forme de l’Action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. Les institutions de l’Union appliquent le principe de proportionnalité au protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ». L’article semble limiter l’application du principe à la définition des compétences entre l’Union et les États-membres, mais en fait il est également utilisé par la CJUE comme paramètre pour évaluer la compatibilité du droit national avec les principes imposés par le droit communautaire, en particulier lorsqu’il s’agit d’évaluer la compatibilité des restrictions nationales aux libertés économiques défendues par le traité. En outre, l’interprétation combinée de l’article 5, c. 4 avec les articles 2 et 3 du TUE (respectivement sur les valeurs sur lesquelles l’Union est fondée et les objectifs visés, parmi lesquels figurent la paix, le bien-être du peuple, la liberté, la justice, la libre circulation des personnes, la croissance économique et le développement durable) permet une lecture substantielle, et non uniquement basée sur les compétences, qui est ainsi utilisé pour l’interprétation des libertés économiques garanties par le traité à la lumière de la valeur de la dignité humaine (Casucci, 2001, 22 ss.).
La proportionnalité est donc un principe général du droit communautaire qui implique une proportion entre les moyens utilisés et les fins poursuivies, en ayant toujours à préférer la mesure la moins restrictive en matière de libertés. Cependant, il a été noté que la CJUE utilise le principe de façon différente selon qu’elle doit juger des actes communautaires ou des règlements et mesures nationales. Dans ces cas-là, la Cour manifeste une tendance à des interprétations « pro-marché », en particulier lorsque le contraste se produit entre les libertés économiques d’une part, et la garantie des droits sociaux dans les systèmes juridiques d’un État-membre, de l’autre (Scaccia, 2017, 22).
En ce qui concerne la CEDH, le mot « proportionnalité » n’est presque jamais utilisé, mais la Cour européenne utilise le principe comme critère d’évaluation de la marge d’appréciation dans tous les cas où la Convention prévoit expressément la possibilité de limiter par la loi certaines des libertés fondamentales (vie privée et familiale, art 8 ; liberté de pensée, de conscience et de religion, art 9 ; liberté d’expression, l’art 10 ; liberté de réunion et d’association, art 11 ; propriété privée, art 1 Protocole additionnel ; liberté de circulation, Protocole additionnel n. 4) si des restrictions sont nécessaires dans une société démocratique pour la protection d’intérêts publics particuliers.
II- DROIT NATIONAL ITALIEN
Le principe de proportionnalité trouve son application aussi bien en droit public qu’en droit privé. Toutefois, la jurisprudence suit rarement, dans tous ses passages argumentatifs, la structure en trois phases élaborée par la jurisprudence administrative allemande. Le faible niveau de formalisation du principe est peut-être aussi à l’origine des divergences d’interprétation sur les implications de la proportionnalité entre les plus hautes Cours de la Nation : Cour constitutionnelle, Conseil d’État et Cour Suprême de Cassation.
Les trois phases de l’application du principe de proportionnalité sont :
1) adéquation : capacité abstraite des moyens pour atteindre l’objectif ;
2) nécessité : le moyen choisi ne peut être remplacé par un moyen moins contraignant pour l’individu ; le choix des moyens les moins désavantageux, garantissant le même résultat ;
3) proportionnalité au sens strict : relation entre les moyens et les objectifs ; rechercher un équilibre entre les moyens utilisés et les sacrifices imposés aux citoyens pour atteindre l’objectif. En droit constitutionnel, il coïncide avec la pondération entre des valeurs antagonistes. On doit essayer de répondre à la question de savoir si les sacrifices imposés à l’intérêt individuel ou à la liberté ou au droit fondamental ont le même poids que les avantages ou les intérêts publics correspondants, qui sont destinés à être protégés. Le résultat de la pondération peut justifier la renonciation à poursuivre l’objectif administratif.
A – DROIT COSTITUTIONNEL
Dans la Constitution italienne, il est fait référence, expressément ou implicitement, au principe de proportionnalité dans trois dispositions distinctes. Explicitement, dans l’article 36, qui régit le droit à la rémunération : « Le travailleur a le droit à une rémunération proportionnelle à la quantité et à la qualité de son travail et dans tous les cas suffisante pour assurer à lui et à sa famille une existence libre et digne». Implicitement, dans l’article 38, c. 2, sur les droits à l’assistance et à la sécurité sociale : « Les travailleurs ont droit à ce que des moyens d’existence appropriés à leurs nécessités vitales soient prévus et assurés en cas d’accident, de maladie, d’invalidité et de vieillesse, de chômage involontaire». Enfin, dans l’article 53, concernant les impôts personnels, qui dispose que «Tout individu est tenu de contribuer aux dépenses publiques en fonction de sa capacité contributive. Le système fiscal s’inspire des critères de progressivité».
Dans tous ces cas, il s’agit d’une proportion réelle en termes presque mathématiques, ce qui ne laisse pas trop de place à la discrétion du juge ou du législateur. Nous sommes donc en dehors du champ d’application du principe de proportionnalité en trois phases que nous avons décrit dans le paragraphe précédent. De nombreux cas dans lesquels le juge constitutionnel mentionne le principe concernent précisément l’un de ces trois domaines (voir ci-dessous).
En dehors des cas dont nous venons de parler, le principe de proportionnalité en matière constitutionnelle s’applique de deux manières différentes.
La première, qui découle du modèle allemand et communautaire, consiste à juger de la légalité d’une limitation à un droit fondamental, imposé par une mesure législative, afin de poursuivre un intérêt collectif ou de protéger un autre droit fondamental.
Le deuxième cas est en application du principe de non-discrimination conformément à l’article 3, c. 1 de la Constitution, qui consacre le droit à l’égalité formelle (« Tous les citoyens ont la même dignité sociale et sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d’opinions politiques, de conditions sociale »).
La doctrine italienne avait toujours préféré parler de test de « ragionevolezza » (raisonnabilité) en intégrant dans ce concept le principe de proportionnalité (Morrone, 2008, 196). L’influence du droit communautaire a poussé les juges et la doctrine à séparer les deux éléments et à mettre en évidence leurs spécificités respectives. S’il est vrai que dans certaines circonstances, le caractère raisonnable et la proportionnalité peuvent se fondre les uns dans les autres (Cognetti, 2011, 208), les deux termes ont un noyau conceptuel distinct. Pour juger si un choix est raisonnable, il faut regarder son mérite, s’il y a lieu pour un traitement différentiel justifié par l’existence de bases factuelles et circonstancielles ; tandis que le concept de proportionnalité conserve toujours l’idée de « mesure » : dans quelle mesure ou jusqu’à quel point le traitement doit être différencié ou la limitation restrictive de la liberté de l’individu ?
Le test de proportionnalité, compris comme une application en trois phases du principe, a été formellement reconnu par la jurisprudence constitutionnelle pour la première fois dans l’ arrêt n° 1/2014, qui a déclaré l’inconstitutionnalité partielle de la précédente loi électorale italienne (loi n° 270/2005). Dans la motivation, la Cour a déclaré : « Le critère de proportionnalité est utilisé par cette Cour, ainsi que par la plupart des cours constitutionnelles européennes, souvent en même temps que le critère de ragionevolezza ; c’est aussi un instrument essentiel de la Cour de justice européenne dans le contrôle juridictionnel des actes de l’Union et des États membres. Dans l’application de ce principe, il faut déterminer si la norme contestée, est à la fois nécessaire et appropriée pour atteindre les objectifs poursuivis, parce que, parmi des mesures également appropriées, le législateur doit choisir la moins restrictive pour les droits en jeu et établir des charges qui ne sont pas disproportionnées par rapport aux objectifs poursuivis ». En l’espèce, la Cour a jugé que les dispositions électorales qui prévoyaient des listes bloquées et un bonus majoritaire automatique à la coalition ayant obtenu la majorité relative des voix, indépendamment de l’atteinte d’un seuil minimum, ne satisfaisaient pas au critère de proportionnalité, car elles imposaient un sacrifice excessif au principe de représentation, en faveur de celui de la stabilité gouvernementale.
Lorsque le principe de proportionnalité est appliqué en suivant les trois étapes du contrôle, c’est difficile que la première condition relative à l’adéquation fait défaut, car le législateur vérifie cette condition avec les fonctionnaires des ministères. Il est, en revanche, plus aisé de constater l’absence de l’une des deux autres conditions (le moyen choisi n’est pas le moins restrictif ou la pondération entre intérêts est déséquilibrée en faveur de l’intérêt public), parce qu’elles dépendent davantage de l’exercice de la discrétion politique.
À cet égard, l’affaire ILVA est emblématique (arrêt n° 85/2013). L’une des principales aciéries italiennes, la ILVA de Tarente, avait fait l’objet d’une saisie judiciaire préventive, pour des délits environnementaux ayant causé la pollution de la région et de graves atteintes à la santé des habitants de la communauté locale. L’importance du nombre d’ouvrier travaillant dans l’entreprise a toutefois justifié une intervention gouvernementale visant à sauvegarder les emplois menacés par le danger de fermeture de l’usine. Un décret-loi visant à régir les mesures relatives à la protection de la santé, de l’environnement et de l’emploi dans des usines d’intérêt stratégique national en crise (définie par le nombre d’employés, plus de 200, et la typologie de production) a été adopté.
La Cour a donc jugé une situation de conflit entre des droits constitutionnels fondamentaux tels que la santé d’un côté, ex article 32 c., et le travail de l’autre, ex article 4 c. Elle reconnaît que « le point d’équilibre, dynamique parce que non déterminable en avance, doit être évalué – par le législateur lorsqu’il approuve les lois et par le juge dans le contrôle de constitutionnalité – selon le principe de proportionnalité et celui de ragionevolezza, afin d’éviter un sacrifice de leur noyau essentiel ». Selon le juge, l’autorisation de poursuivre l’activité de production prévue par l’article 1, § 1, du décret loi n° 207 de 2012 (la disposition contestée), représentait en soi une renonciation totale au droit à la santé et à l’environnement. Par conséquent, la Cour considère que le fait que la loi prévoie l’obligation pour l’entreprise d’obtenir l’AIE (Autorisation Intégrée Environnementale) représente une réconciliation proportionnée entre les intérêts en jeu.
La décision a été fortement contestée par une partie des politiciens et de l’opinion publique, et certains doutes ont même été soulevés par la doctrine. L’affaire Ilva est aussi significative d’une autre tendance concernant l’application du principe de proportionnalité, lorsque s’opposent les libertés sociales et économiques. La solution qui envisage la supériorité des raisons du marché sur les raisons sociales est prépondérante. Elle est justifiée principalement par des arguments qui viennent du droit communautaire et de la jurisprudence de la CJUE, concernant la légalité de la mise en œuvre du droit de l’Union par les États-membres, dans le respect du principe de proportionnalité.
La tendance à la restriction des garanties de l’État-providence et, en général, au sacrifice de certaines des valeurs fondatrices de l’identité constitutionnelle des États-membres, en faveur de la libre entreprise, de la liberté du marché et des intérêts financiers de l’Union, a conduit dans de nombreux cas les systèmes juridiques nationaux à réagir en récupérant la théorie des contre-limites. La Cour constitutionnelle italienne, par ailleurs, a été l’un des principaux architectes de cette doctrine, avec la Cour constitutionnelle allemande, et elle est toujours plus attentive à la défense de l’identité constitutionnelle nationale.
L’affaire Taricco (CJUE (Grande Chambre), 8 Septembre 2015, C-105/14), qui a eu une importance au-delà de frontières nationales, concernait un procès contre des personnes accusées d’avoir commis divers crimes d’évasion de la TVA. Le juge devait appliquer des dispositions du Code pénal italien qui fixent une extension maximale du délai de prescription du crime. Cette limite ne donnait pas à la cour suffisamment de temps pour émettre son arrêt, compte tenu de la difficulté de trouver les preuves dans ce type de crime. La norme serait donc devenue une source générale d’impunité en ce qui concerne l’évasion de la TVA, portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. La Cour a donc indiqué que : «Dans l’hypothèse où le juge national parvient à la conclusion que l’application des dispositions nationales en matière d’interruption de la prescription aurait pour effet que, dans un nombre considérable de cas, les faits constitutifs de fraude grave ne seront pas pénalement punis, dans la mesure où ces faits seront généralement prescrits avant que la sanction pénale prévue par la loi puisse être infligée par une décision judiciaire définitive, il y aurait lieu de constater que les mesures prévues par le droit national pour combattre la fraude et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, ne sauraient être considérées comme étant effectives et dissuasives, ce qui serait incompatible avec l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF ainsi que la directive 2006/112, lue en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE » (§ 47). Dans le paragraphe 49 la Cour rappelle l’obligation des tribunaux de ne pas appliquer la législation nationale jugée contraire au droit communautaire, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer un contrôle de constitutionnalité, tout en assurant le respect des droits fondamentaux des requérants (§ 53). Entrent ici en considération les principes de légalité et de non-rétroactivité des normes incriminantes en matière pénale, auxquels, selon la CJUE, il ne serait en aucune façon porté atteinte par l’interprétation de la prescription avancée dans ce cas.
L’affaire est, cependant, parvenue à la Cour constitutionnelle italienne, qui, avec l’arrêt n° 24/2017, décide de poser une question préjudicielle à la Cour de justice sur l’interprétation correcte de l’article 325 TFUE, tel qu’interprété par cette même Cour dans l’affaire Taricco. La Cour constitutionnelle constate qu’une certaine interprétation de la règle conduirait à la violation des principes suprêmes de l’ordre juridique italien (dans ce cas, le principe de légalité en matière pénale), dont le respect est une application de la théorie des contre-limites au droit communautaire, selon le principe de coopération loyale et de proportionnalité (article 4, c. 3 TUE). On porterait atteinte aussi au principe de sécurité juridique en droit pénal, qui fait partie des traditions communes des États-membres. « Si l’application de l’article 325 TFUE entraînait l’entrée dans l’ordre juridique d’une règle contraire au principe de légalité en matière pénale, comme la juridiction de renvoi le spécule, la Cour aurait le devoir de l’empêcher ». S’agissant du principe de proportionnalité, la Cour constitutionnelle italienne affirme qu’ « Il semble donc proportionné que l’Union respecte le niveau de protection le plus élevé accordé par la Constitution italienne aux accusés, tout en considérant que la primauté du droit communautaire n’est pas sacrifiée » et que « l’interprétation proposée, si elle sert d’une part à préserver l’identité constitutionnelle de la République italienne, ne compromet pas les exigences d’une application uniforme du droit de l’Union et propose donc une solution conforme au principe de coopération loyale et de proportionnalité ». Pour compléter le rapport sur ce cas, il faut ajouter que la Cour de Justice a récemment fait marche-arrière dans son arrêt C-42/17 MAS et M.B. du 5/12/2017, en statuant que le principe de légalité doit être toujours respecté par le juge national.
Une recherche par mots-clés, réalisée par nos soins, sur le site giurcost.org, qui recueille et publie toutes les décisions de la Cour constitutionnelle depuis 1956, la première année de son fonctionnement, a permis d’apprécier l’impact réel du principe de proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle. En insérant l’expression « principe de proportionnalité » dans le moteur de recherche avec la fonction de recherche d’expression exacte, 214 résultats ont été obtenus sur l’ensemble de la base de données. En ne tenant pas compte des cas dans lesquels la référence est contenue uniquement dans l’exposition des faits et ceux qui comprennent une simple mention générique du principe dans la motivation en droit, les résultats utiles sont au nombre de 130. Si on considère que la base de données contient plus de 20.000 documents indexés et que la Cour est active depuis plus de 60 ans, le poids du principe dans l’ordre juridique semble limité. Bien sûr, élargir la recherche avec un paramètre plus grand, comme « proportionnalité » ou « proportionn* », aurait augmenté le nombre de résultats, mais sans toutefois qu’ils deviennent impressionnants. Le choix d’utiliser toute la phrase est dicté par le désir de rechercher des références conscientes à la proportionnalité entendue comme principe général autonome du système juridique, et non comme un simple instrument de calcul dans une évaluation technique. Il est significatif que la grande majorité des décisions mentionnant le principe de proportionnalité ont été rendues depuis les années 2000, alors que très rares sont les jugements de la décennie des années 90, et encore moins entre les années 70 et 80. Par ailleurs, elles concernent presque toutes le droit à la retraite, le droit pénal et le droit du travail. C’est une autre preuve de ce que la proportionnalité en tant que principe général autonome de l’ordre juridique est une conquête plutôt récente.
Il peut être utile de classer les jugements constitutionnels qui se réfèrent au principe de proportionnalité sur la base de l’objet, et donc du contexte spécifique dans lequel le principe est invoqué.
Près d’un tiers des arrêts concerne les affaires pénales, relatives à la proportionnalité entre la peine pour une infraction et le fait accompli, ou entre la mesure de sécurité appliquée et le fait, ou même entre le temps passé en détention et la gravité des actes commis (voir entre autres, arrêts n° 179/2017, 20/2015). Le texte constitutionnel ne prévoit pas expressément le respect de ce principe, qui découle toutefois de l’interprétation combinée des articles 2, sur la dignité de la personne, 27, sur la fonction rééducative de la peine, 97, sur l’impartialité de l’action administrative, et 111, sur le droit à un procès équitable.
Comme cela a déjà été dit, les autres types d’affaires, respectivement à 18,6% et 12,4%, sont celles qui concernent le droit du travail (proportionnalité du salaire payé par rapport à l’activité menée, par exemple arrêt n° 124/2017) et de la retraite (proportionnalité des allocations de sécurité sociale par rapport au travail antérieur, par ex. arrêt n° 250/2017).
L’application du principe en matière de conflit de compétence entre l’État et les Régions revêt une certaine importance, en particulier, dans l’évaluation de la cause d’intervention subsidiaire de l’État à l’égard des Régions, dictées par la nécessité d’assurer l’égalité des niveaux des prestations des services et des droits sur le territoire national ou la poursuite d’un intérêt plus élevé au niveau de l’État. Comme la nécessité d’assurer l’uniformité territoriale de certains intérêts n’a pas échoué, bien que la réforme du titre V ait supprimé la référence à l’intérêt national en tant que clause de protection du pouvoir réglementaire central, il a trouvé la porte de l’article 117, 2, m) pour entrer dans l’ordre juridique (« détermination des niveaux essentiels de prestations concernant les droits civils et sociaux à garantir sur l’ensemble du territoire national ») (arrêts n ° 169, 247, 170/2017, 117, 110, 251/2016, 155 et 171 / 2015; 165/2011; 267, 325/2010; 232/2009).
On observe ensuite toute une série de cas statistiquement moins pertinents, mais qui intéressent toutefois notre sujet.
Tout d’abord, il existe un noyau de décisions sur la proportionnalité administrative, qui sera traitée au paragraphe suivant (arrêts n. 33, 272/2015, 67/2014, 244/2012, 345/2005).
Ensuite, une série de jugements en matière électorale, qui n’est pas particulièrement significative, parce que la formule proportionnelle a été la base de notre système électoral jusqu’à la loi Mattarellum de 1993 et, après 2005, la loi « Porcellum » et aujourd’hui, en partie, avec la loi Rosatellum (l. 153 / 2017). La proportionnalité en matière électorale est aussi un principe cardinal, quelle que soit la formule électoral (arrêts n° 219/2013, 271/2010, 356/1998, 429/1995 ; 155/1985).
Il existe également quelques décisions fiscales, en application, comme nous l’avons déjà vu, de l’article 53 de la Constitution (arrêts n° 116/2013, 251/1996, 143/1995, 239/1993, 92/1963).
Un autre type d’application quasi-mathématique du principe de proportionnalité est celui sur les sanctions administratives et disciplinaires en droit du travail (arrêts n° 51/2017, 202/2013, 115/2011, 244/2007).
Une question particulièrement délicate pour l’histoire constitutionnelle italienne est l’apposition du secret d’État au cours d’une procédure pénale, visant à empêcher l’acquisition de preuves qui serviraient au juge ou au procureur pour juger / prouver la culpabilité de l’accusé. L’arrêt principal, n° 86/1977, concerne la question préjudicielle de légitimité constitutionnelle des articles 342 et 352 du Code de procédure pénale. De l’avis du juge istruttore de Turin, l’apposition du secret politico-militaire représente une barrière infranchissable opposée par le pouvoir exécutif à l’exercice de l’action pénale.
La Cour constitutionnelle déclare que l’apposition du secret d’État dans une procédure pénale est constitutionnelle lorsqu’elle vise à protéger les « intérêts suprêmes et indispensables de l’État » liés à l’objectif de la sécurité nationale extérieure et intérieure. Cependant, outre l’existence du but, il faut également assurer, dans chaque cas individuel, « un rapport raisonnable entre la fin et les moyens », c’est-à-dire entre la procédure secrète et la nécessité de donner la priorité à la protection de la sécurité nationale par rapport à la justice (proportionnalité au sens strict). Les jugements d’adéquation et de nécessité restent sacrifiés dans cette affaire. Selon la Cour, ces conditions ne peuvent être révisées que par le Parlement (« la décision sur les moyens appropriés pour garantir la sécurité de l’État est de nature purement politique »). La conformité de la disposition avec le principe de proportionnalité est donc assurée sur le plan procédural par une obligation de motivation adéquate, lorsque le président du Conseil des ministres s’oppose au secret (motivation récemment confirmée dans l’arrêt n° 40/2012).
Enfin, un cas particulièrement important concerne la modulation des effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité, dans le cadre d’un jugement sur le caractère raisonnable et proportionné de l’augmentation des taux de l’impôt pour les sociétés, c’est-à-dire un autre cas en matière fiscale (ex article 53 const. ; arrêt n° 10/2015). La Cour déclare l’inconstitutionnalité de la disposition contestée, en prévoyant que les effets du jugement se produisent le lendemain du jour de sa publication, évitant ainsi un grand nombre d’appels visant à obtenir le remboursement d’un impôt illégalement payé. Cela aurait, en effet, pu causer de graves déséquilibres dans le budget de l’État, la violation du principe d’équilibre budgétaire, ainsi qu’une discrimination injustifiée entre opérateurs économiques, dont certains auraient même pu réaliser un double bénéfice sur la crise, dont ils avaient déjà bénéficié grâce à une augmentation des prix et des revenus. À la lumière de ce scénario possible, la Cour estime qu’elle devrait recourir légitimement à la modulation des effets de son arrêt. Cette opération doit cependant être menée dans le respect du principe de proportionnalité : « les actions de la Cour concernant les effets dans le temps de ses décisions doivent être évaluées à la lumière du principe de proportionnalité stricte. Elles doivent donc être strictement subordonnées à l’existence de deux exigences claires : 1) la nécessité urgente de protéger un ou plusieurs principes constitutionnels qui, autrement, seraient irrémédiablement compromis par une simple décision d’octroi ; 2) le fait que la restriction des effets rétroactifs soit à la fois limitée à ce qui est strictement nécessaire pour assurer l’équilibre des valeurs en jeu ».
B – DROIT ADMINISTRATIF
En matière administrative, le principe de proportionnalité est entré en vigueur relativement récemment en droit italien, c’est-à-dire à partir de 1990, avec l’adoption de la loi sur la procédure administrative (loi 241/1990). Pour la jurisprudence administrative le principe prend d’abord une valeur procédurale, c’est-à-dire qu’il donne aux citoyens la possibilité de pouvoir exprimer leurs intérêts face à l’Administration Publique (AP).
En 2005, le premier article de la loi est reformulé, en introduisant la référence explicite aux principes du droit communautaire, auxquels l’action administrative doit se conformer: « L’activité administrative poursuit les buts déterminés par la loi et est régie par les critères d’économie, d’efficacité, d’impartialité, de publicité et de transparence, selon les modalités prévues par la présente loi et par les autres dispositions régissant les procédures individuelles, ainsi que par les principes du droit communautaire ».
Dans le passé, la proportionnalité était considérée comme une figure symptomatique de l’excès de pouvoir. Pour certains, elle se confondait avec la ragionevolezza (logique de la motivation de la disposition), pour d’autres, elle était un principe autonome (la ragionevolezza est une évaluation discrétionnaire, la proportion est mesurable). L’assimilation des deux concepts a, en effet, réduit l’application de la proportionnalité dans la première phase du processus, c’est-à-dire le jugement sur l’adéquation des moyens au but.
Après la réforme de 2005, il est clair que le champ d’application de la proportionnalité ne peut se limiter aux garanties procédurales, mais exige que l’AP poursuive l’intérêt public dans le plein respect des droits substantiels des citoyens. Si la troisième phase du jugement, celle de la proportionnalité stricto sensu, montre un déséquilibre entre le niveau de satisfaction de l’intérêt public et le sacrifice des libertés individuelles, l’AP pourrait même renoncer à la poursuite de son but. Les cas dans lesquels le principe de proportionnalité est le plus utilisé sont : l’exercice du pouvoir de sanction et du pouvoir disciplinaire ; les mesures d’ordre public (en particulier, les mesures de nécessité et d’urgence); la pondération de la quantité des redevances requis des personnes concernées pour la fourniture des services; les limitations de la propriété privée, en particulier les restrictions imposées au patrimoine culturel; l’admission aux concours publics ou aux appels d’offres.
La première et la plus claire formulation du principe se trouve dans une décision du Conseil d’État de 2000 (sec. VI, 1er avril 2000, n. 1885): «En substance, le principe de proportionnalité correspond à la déclaration, selon laquelle les autorités communautaires et nationales ne peuvent pas imposer au citoyen, soit par des actes normatifs, soit par des actes administratifs, des obligations et restrictions à ses libertés protégées par le droit communautaire, dans une mesure plus large (c’est-à-dire disproportionnée) par rapport à ce qui est strictement nécessaire dans l’intérêt général pour atteindre le but public, de sorte que la disposition émise soit appropriée (c’est-à-dire appropriée à l’objectif) et nécessaire (dans le sens qu’il ne doit pas exister aucun autre instrument aussi efficace, mais moins contraignant pour le citoyen) ».
Avec l’arrêt n° 2087 de la sixième Section du 14 avril 2006, la proportionnalité est expressément reconnue comme un principe général du système juridique : « À cet égard, il convient de noter que le principe de proportionnalité, qui s’applique en matière de limitations au droit de propriété, aux activités de tutelles, aux ordonnances de nécessité et d’urgence, aux impositions de sanctions et, en fait, à la protection de l’environnement (voir Cons. Stato, sez. IV, 22 mars 2005, n. 1195), c’est un principe général du système juridique qui implique que l’Administration Publique doit adopter la solution appropriée et adéquate, en portant le moins d’atteinte possible aux intérêts présents ». Le Conseil d’État a ensuite fait un renvoi explicite à l’arrêt n° 1885/2000.
C – DROIT CIVIL
En matière civile, le principe de proportionnalité a été reconnu dans le domaine du contrat, afin de garantir l’équilibre entre les performances (Troiano, 2013, 779) et d’assurer, même dans une matière généralement laissée à l’autonomie des parties (article 1322 cc), les valeurs de la fonction sociale du contrat et le respect de la dignité humaine qui informent notre ordre juridique et que le Constituant a expressément prévu comme limites à la propriété et à l’initiative économique (Casucci, 2001, 411; Troiano, 2013, 801).
Les exemples dans ce sens sont : l’article 1941 du Code civil, à propos de la proportion des garanties personnelles par rapport au bien garanti ; la proportion dans les termes et les moments d’application des clauses pénales ; en cas d’impossibilité d’exécuter un contrat, lorsqu’il s’agit d’évaluer les effets d’un événement constitutif d’un cas de force majeure; la quantification de la compensation pour non-exécution, lorsqu’elle est également déterminée par la faute du créancier.
Une fois de plus, le renvoie au respect du principe de proportionnalité provient du droit communautaire, en particulier de la directive 93/13 / CEE sur les clauses abusives dans les contrats de consommation. L’article 3 de la directive, qui donne la définition d’une clause abusive, n’utilise pas, dans la traduction italienne, le terme « disproportionné », mais « déséquilibré » (« une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en vertu du contrat »). Le même terme est utilisé également dans le Code des consommateurs (décret-loi no. 206/2005), article 33, c. 1 (« Dans le contrat entre le consommateur et le professionnel sont considérés comme des clauses abusives celles qui, en dépit de la bonne foi, déterminent envers la responsabilité du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations découlant du contrat »). La jurisprudence et la doctrine ont également mis en lumière que le déséquilibre requis par la loi se matérialise en forme de « disproportion considérable et injustifiée entre les droits et obligations des parties » à évaluer à la lumière du comportement des parties, selon le principe d’équité et de bonne foi (Bortoluzzi, 2007, 1094).
Un cas typique d’application de la proportionnalité aux contrats avec les consommateurs est une affaire jugée par la Cour de cassation en 2014 (Cass. [ord.], sez. VI, 30-09-2015, n. 19559). L’objet du recours était la stipulation d’un service financier présenté comme un plan d’accumulation de retraite complémentaire entre un établissement de crédit et un client privé. La Cour rejette la demande déposée par l’établissement de crédit contre l’arrêt en appel qui avait confirmé la nullité du contrat, et adopte les motivations du juge rapporteur en vertu de l’article 380 bis du Code civil. En particulier, en évaluant le mérite de l’intérêt poursuivi par le contrat atypique, conformément à l’article 1322 du Code civil, la Cour constate l’existence d’un déséquilibre entre les parties contractantes ( « Mais, le déséquilibre anormal entre les mesures compensatoires en faveur d’un spécialiste et professionnel, d’une part, et la vulnérabilité du client, manifestée par son intention de réaliser par le contrat un but de sécurité sociale, d’autre part, est évident ») et applique le principe de proportionnalité dans l’évaluation de la contre-prestation ( « les parties concernées sont essentiellement libres de conclure des accords pour elle-même désastreux. Cependant, si le déséquilibre dépend de la disparité des positions de départ, où l’un des entrepreneurs est motivé par une préoccupation de sécurité sociale et n’a aucune expérience dans le domaine, alors qu’on constate l’agressivité particulière de l’autre partie en tant qu’intermédiaire professionnel dans la collecte de fonds et d’opérations financières, le système lui-même ne peut pas fournir une protection – en assurant le caractère exécutoire de ces obligations, en leur reconnaissant une efficacité juridique – à la partie au contrat qui peut jouir des fruits de ce déséquilibre manifeste »). Cette motivation a été presque entièrement rappelée dans la décision Cass., 27-02-2017, n. 4907.
En matière civile, par conséquent, le principe de proportionnalité est appliqué en tant que pondération presque « mathématique » entre des quantités mesurables, lorsqu’une loi le mentionne explicitement. Par contre, les juges suivent la méthode en trois phases que nous avons déjà analysée, quand l’application du principe de proportionnalité découle du droit communautaire ou de la CEDH.
Comme en matière constitutionnelle, une recherche par mots-clés a été effectuée par nos soins dans la jurisprudence de la Cour de Cassation, en utilisant la base de données du Foro italiano, l’un des répertoires le plus complet qui existe. La recherche de l’expression complète « principe de proportionnalité » a donné 515 résultats. La grande majorité d’entre eux concerne la proportion entre la sanction disciplinaire appliquée au travailleur et le comportement incorrect ou défaillant qu’il a eu, conformément à l’article 2016 du Code civil (à titre illustratif, parmi les nombreux arrêts, voir Cass., sez. lav., 09-01-2017, n. 209). En excluant de la recherche les mots « sanction » et « salaire », et donc en supprimant tous les cas liés au droit du travail (voir. par ex. Cass. [Ord.], 20/07/2017, n. 17923), il reste 128 résultats. Parmi ceux-ci, nous allons présenter ci-dessous quelques études de cas de différents types de proportionnalité, jugés par la Cour suprême, en distinguant entre ceux expressément prévus par le Code civil, qui impliquent une pondération mathématique, et ceux issus du droit supranational.
Le principe de proportionnalité est appliqué dans les relations familiales, afin d’évaluer l’adéquation de la pension alimentaire aux conditions économiques du conjoint débiteur. En fait, l’article 337 ter du Code civil, tel que réformé en 2012, stipule expressément que « Sauf accord contraire des parties, chaque parent prévoit le maintien des enfants proportionnellement à se revenu ; le juge établit, le cas échéant, le payement d’une indemnité périodique afin de réaliser le principe de proportionnalité ». En outre, le principe de proportionnalité s’applique également dans le mariage, afin de déterminer la contribution de chacun des parents à la maintenance des enfants (article 316 bis du Code civil « Les parents doivent remplir leurs obligations envers leurs enfants proportionnellement aux substances respectives et en fonction de leur capacité de travail professionnel ou à domicile »). Dans l’arrêt Cass, sez. I, 30-01-2017, n. 2224, par exemple, après le divorce, une ordonnance de révocation d’une pension alimentaire a bénéfice de l’enfant et de l’ex-épouse a été jugé illégale à la lumière du principe de proportionnalité, notamment sur la base de la notion de « adéquation ». La Cour de cassation considère que la Cour d’Appel de Milan n’a pas évalué correctement toutes les circonstances entourant la situation économique du débiteur et le niveau de vie de son ex-femme et des enfants. Dans un arrêt comparable de 2016 (Cass. [ord.], 14-06-2016, n. 12219) il a été question de l’inconstitutionnalité de la réduction de l’allocation de maintenance envers la fille mineure dans une procédure de séparation.
Un autre cas particulier d’application du principe de proportionnalité directement dérivé du Code civil est celui jugé dans un arrêt de 2016 (Cass., 07-01-2016, n. 105). En l’espèce, la Cour d’Appel avait reconnu une indemnité en faveur des copropriétaires d’une maison à la suite d’améliorations apportées par le propriétaire du dernier étage du bâtiment, ce qui avait augmenté la valeur de ses biens. « Cette allocation tire son fondement de l’augmentation proportionnelle du droit de copropriété sur les parties communes, résultant de l’augmentation de la partie en propriété exclusive et, en application du principe de proportionnalité, il est déterminé sur la base de la plus grande valeur du volume occupé, au sens de l’article 1127 quatrième alinéa du Code civil (Cass. Sez. Un. 30-7-2007 n. 16794).
L’application du principe de proportionnalité entre la retraite et la quantité et la qualité du travail effectué découle plutôt directement de la Constitution, comme on l’a déjà vu ci-dessus, selon le droit à la sécurité sociale garanti aux articles 36 et 38 de la Constitution (Cass., 11.3.2016, n. 22315). Il en va de même à propos de l’application du principe de proportionnalité entre la gravité du crime commis et la nature de la peine (en l’espèce, limitation du droit de vote, Cass., Sez. I, 17-01-2006, n. 788).
Les matières sur lesquelles le droit communautaire a affecté le droit civil italien sont celles déjà synthétisées supra au point A.
Un premier cas concerne à nouveau le sujet des sanctions, cette fois de nature administrative à la suite d’une disposition d’expulsion ou de mesures restrictives de la liberté individuelle de déplacement envers les étrangers en situation irrégulière. La mise en œuvre de la « directive sur le rapatriement », en particulier, a été à l’origine de nombreux recours. Par exemple, dans l’arrêt Cass, sez. VI, 23-09-2015, n. 18748, la Cour accepte l’appel d’un citoyen libyen d’ethnicité touareg, contre la validation judiciaire émise par le juge de paix de Rome envers l’ordre de prolongation de la détention de l’immigrant dans un CIE (Centre d’identification et d’expulsion), dans l’attente de l’expulsion forcée. Dans cette affaire, la Cour a constaté une violation du principe de proportionnalité de la mesure restrictive de la liberté personnelle face à l’impossibilité d’exécution immédiate de la mesure d’expulsion, parce que l’AP n’avait pas justifié la poursuite de l’existence des exigences minimales prévues par la directive « rapatriements », afin de justifier la détention dans le CIE. En l’espèce, la Cour Suprême se réfère à la nécessité de respecter le principe de proportionnalité d’origine communautaire, entre la gravité du fait et la nature de la sanction.
Un autre exemple de proportionnalité des sanctions administratives concerne, cette fois, le domaine fiscal, avec une ordonnance de la Cour de cassation de 2017 (Cass. [ord.], sez. trib., 19-05-2017, n. 12639) concernant les sanctions pour évasion fiscale de TVA. La Cour de Cassation se réfère au « principe communautaire de proportionnalité des sanctions ». Dans la motivation, on peut lire : « en évaluant le respect du principe de proportionnalité dans le cas de sanctions infligées en raison d’évasion de la TVA, la Cour estime approprié d’atteindre l’objectif consistant à assurer la collecte de la taxe, une sanction progressive, ajustée à vingt-cinq pour cent de la taxe sur la valeur ajoutée due, si le délai de conformité ne dépasse pas un mois, […] ». Il est à noter que dans la sphère civile, il est très rare que la Cour de Cassation structure la motivation tout en suivant les trois étapes du jugement de proportionnalité, se limitant, selon les cas, à une seule des trois dimensions (en l’occurrence, l’adéquation à l’objectif).
Les questions fiscales sont largement influencées par le droit communautaire, évidemment dans les limites de leur impact sur les activités économiques, ainsi qu’elles se réfèrent essentiellement à la TVA et aux tarifs pour la collecte des déchets. Dans l’ordonnance Cass. [ord.], 14-07-2017, n. 17497, les juges déclarent: « La limite fixée par la Cour de justice à la discrétion des autorités nationales constitue la mise en œuvre du principe de proportionnalité, largement appliqué par la jurisprudence communautaire en matière fiscale, selon lequel des régimes fiscaux fondés sur des présomptions légales, qui ne permettent pas de prouver le contraire, ne sont pas autorisés ». Dans ce cas, la municipalité de Palerme avait contesté l’annulation du dossier de la collecte de taxe contre une entreprise qui gérait un hôtel et qui n’avait pas payé le tarif annuel pour les déchets. En l’espèce, la Cour confirme que le calcul différencié du tarif entre logements civils et établissements commerciaux est légitime, sur la base du principe, d’origine communautaire du « pollueur-payeur ».
Enfin, des cas récurrents inhérents à la limitation de l’initiative économique, concernent l’appel d’offres publiques. Dans l’arrêt Cass, sez. uni., 22-12-2011, n. 28338, il était, entre autres, question de la légalité d’admettre à un appel d’offres une société contrôlée par l’Administration adjudicatrice. La Cour Suprême rejette la plainte, déclarant que « c’est également contraire au droit communautaire, car une législation nationale qui exclut des appels d’offres publiques des catégories entières d’opérateurs en vertu d’une présomption absolue de violation du principe d’égalité de traitement, sans permettre des évaluations au cas par cas viole le principe de proportionnalité (voir CJUE, Grand Chambre, 16.12.2008, dans l’affaire C-213-07, Michaniki).
Les deux derniers cas analysés proviennent du système de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Dans le premier, Cass. [ord.], sez. VI, 22-09-2016, n. 18619, les parents proches d’une personne noyée en mer avaient proposé une demande d’indemnisation contre l’Administration Publique sur la base de la violation de ses obligations générales de précaution. Le juge avait rejeté la demande, en raison de la conduite négligente de la victime, qui avait sciemment et volontairement assumé un risque sérieux de mort, en ayant plongé sans savoir nager. L’arrêt affirme que le contrôle de proportionnalité exigé par la Cour EdH sur la protection du droit fondamental à la vie est surmonté, même si la municipalité n’avait pas signalé le danger de baignade, et donc n’avait pas rempli l’obligation de précaution à sa charge».
Il convient de noter que le principe de proportionnalité d’origine conventionnelle est utilisé, ici comme en d’autres occasions (voir, par exemple, Cour de Cassation, section travail, arrêt 20-07-2016, n. 14940), pour limiter la pleine protection d’un droit fondamental (dans les cas cités, le droit à la vie) sur la base de la doctrine de la marge d’appréciation (§ 8 de l’arrêt 18619). En effet, la Cour de Cassation affirme qu’ «il est toutefois essentiel que la réponse concrète franchisse le test de proportionnalité et donc d’adéquation, dans l’équilibre atteint entre l’exigence de l’intérêt général et la sauvegarde du droit fondamental (comme elle l’a toujours reconnu: voir par exemple, CourEDH, 7 août 1996, Zuboni c / Italia, jusqu’à la Cour des droits de l’homme d’aujourd’hui, V sec., 12 juillet 2016, AM et AA c / France, rec 24587/12): en fin de compte, le contrôle du principe de proportionnalité se résout avec cette pondération». Le principe de proportionnalité s’identifie ainsi avec le contrôle de l’adéquation des moyens mis en œuvre pour atteindre l’objectif (la première phase du jugement de proportionnalité en tant que principe autonome du système juridique). Cependant, la Cour suprême reconnaît qu’en matière de droits fondamentaux la CourEDH exige un niveau supplémentaire, qui coïncide avec la troisième étape, à savoir celle de la proportionnalité au sens strict entre les deux intérêts opposés, l’intérêt individuel et l’intérêt public: « A cet égard il faudra alors se référer non pas à la définition générale – typique des théories classiques du droit administratif au-delà des Alpes et au niveau international – du principe de proportionnalité comme exigence d’adéquation entre les moyens employés et les buts poursuivis, mais à celle plus significative regardant le domaine des droits fondamentaux et de la théorie générale du droit, correspondant au besoin de réconciliation entre deux principes ou normes générales se trouvant dans une situation donnée, dans une position évidemment antinomique, afin d’établir si et quels sacrifices imposer l’un à l’autre, après la comparaison des évaluations axiologiques relatives ». En l’espèce, la Cour exclut l’obligation d’indemnisation de l’AP, puisque la victime s’est volontairement placée dans la situation dangereuse, acceptant un risque sérieux pour sa vie, ayant plongé dans la mer agitée même s’il ne savait pas nager. Ce comportement est jugé disproportionné même face à l’obligation de précaution imposée à l’AP, de signaler le danger de baignade en l’absence de services de sauvetage.
Enfin, nous soulignons l’arrêt Cass., 03-09-2014, n. 18589 sur le respect du droit à un procès équitable. Au cours d’une procédure concernant un contrat de location, un appel pour notification tardive de l’appel et du décret d’audience a été rejeté. La législation italienne ne définit pas le terme comme obligatoire. Dans une affaire similaire (en cas d’absence totale de notification) la Cour constitutionnelle avait refusé l’orientation précédente des Sections Réunies de la Cour Suprême, qui avaient interprété le terme comme obligatoire, parce que le respect du droit à un procès équitable ne permet pas faire prévaloir le seul intérêt de la rapidité de la procédure. La Cour Suprême a confirmé la jurisprudence constitutionnelle, en faisant renvoi à la CourEDH: « le principe du procès équitable ne peut pas se limiter au respect du canon de la vitesse procédurale et la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé, tout en respectant l’autonomie des législations des États-membres, que l’accès à la justice ne peut être limité que par des dispositions expresses et dans le respect du principe de proportionnalité (CEDH, Omar contre France, arrêt de 27/09/98) ».
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