On peut débattre de l’existence du droit des libertés (X. Dupré de Boulois, « Existe-t-il un droit des libertés ? », RDLF 2017, chr. n°7). En revanche, au vu de la plus de vingtaine de manuels publiés en la matière, l’existence de l’enseignement du droit des libertés fondamentales n’est pas discutable.
La lecture des ouvrages individuels du professeur Xavier Dupré de Boulois renforce ce constat. Après avoir publié un premier ouvrage de 302 pages, Droits et libertés fondamentaux dans la collection Licence Droit aux Presses universitaires de France, en 2010, il livre chez le même éditeur un manuel de 549 pages intitulé Droit des libertés fondamentales dans la collection Thémis, en mai 2018.
Au-delà de la différence de volume dictée par le changement de collection, l’évolution de l’intitulé démontre que la matière est toujours en cours de construction depuis sa création dans les facultés de droit en 1954 même si le manuel de 2018 s’aligne sur l’intitulé officiel de cet enseignement en troisième année de licence depuis les arrêtés du 19 février 1993 et du 30 avril 1997 relatifs aux études de droit. Dans l’ensemble, sous réserve de l’organisation en deux parties, le manuel de 2018 reprend en grande partie de la structure du premier ouvrage. Alors que l’ouvrage de 2010 est divisé en cinq partie (définition, sources, recensement, aménagement, garanties des droits et libertés fondamentaux), le manuel aborde dans une première partie consacrée à la théorie générale des libertés et droits fondamentaux la définition, les sources, l’aménagement et les garanties de libertés et droits fondamentaux, et dans une seconde partie le régime juridique des libertés et droits fondamentaux sous l’angle de la dignité, de la liberté, du droit à l’égalité et à la non-discrimination, des droits de participation politique, des droits-garanties, des droits de solidarité. Le changement de format et de volume implique aussi davantage de références jurisprudentielles dans le manuel de 2018. Le lecteur bénéficie ainsi d’un saut quantitatif certain. Il dispose également d’un ouvrage fondé sur une réflexion personnelle et stimulante du droit des libertés fondamentales.
Les étudiants en troisième année de licence et ceux qui préparent différents examens et concours, notamment l’examen d’entrée au CRFPA, vont apprécier de disposer d’un « ouvrage juridique » (p.2, n°2) rédigé dans une « perspective française » (p.3, n°3) et dans le respect de la subdivision classique « théorie générale » et « régime juridique » des libertés et droits fondamentaux. Sur ce point, ce manuel offre des repères stables et solides.
Conformément à la position niant le caractère de discipline juridique du droit des libertés défendue dans l’article cité au début de cette recension, le professeur Xavier Dupré de Boulois épargne le lecteur du débat sur la question de savoir si le droit des libertés fondamentales est une discipline de droit à part entière (p.3, n°4). Je ne partage pas personnellement cette position car « la fragmentation des règles, des juridictions et des doctrines » n’est pas un argument suffisant ni convaincant pour écarter la qualité de discipline juridique à une matière qui fait l’objet d’un enseignement et de la recherche au sein du monde académique et qui possède un objet qui lui est propre, qui a ses propres méthodes et techniques. Cette dispute scientifique n’étant pas essentielle pour la diffusion du droit des libertés fondamentales, elle sera poursuivie dans un autre cadre.
Dans cette recension, on doit saluer une introduction qui ne s’attarde pas sur des préliminaires philosophiques et historiques mais qui fait le tour des grandes évolutions et des grands débats autour de la matière : démocratisation, multiplication, internationalisation, universalité, relativisme des droits et des libertés ; rapports des libertés avec la démocratie, le marché et la sécurité. Ces trois derniers points soulèvent d’innombrables et d’indicibles questions que le lecteur peut approfondir.
La première partie relative à la théorie générale des libertés et droits fondamentaux est d’une grande richesse et ouvre des perspectives pour l’approche même du droit des libertés fondamentales.
Le titre premier consacré à la définition des libertés et droits fondamentaux pose avec clarté les difficultés de choisir une définition parmi une multitude de définitions possibles tant sous l’angle du vocabulaire (droits de l’homme ou droits humains ?), des disciplines juridiques que sous l’angle des catégories juridiques. En optant pour une définition formelle (les droits et libertés fondamentaux sont « consacrés par les textes constitutionnels et les grandes conventions internationales relatives aux droits de l’homme » p. 34, n°46), l’auteur évite aux lecteurs de s’engager dans un débat philosophique et théologique. L’opposition classique entre la dimension objective et la dimension subjective des droits et libertés fondamentaux n’est pas laissée de côté. Elle permet de comprendre la complexité de l’évolution de ces droits et libertés. Par ailleurs, ce titre offre des développements utiles concernant les titulaires et les débiteurs des libertés et droits fondamentaux sans aller jusqu’à discuter d’éventuelle reconnaissance d’un statut de titulaire de droits à la faune et à la flore.
Le titre 2 présente un tableau fidèle des sources des libertés et droits fondamentaux tant concernant leur origine que leur mise en œuvre. Le lecteur lira avec attention les passages relatifs à la prévention des risques de divergences entre les sources.
Il appréciera particulièrement le titre 3 consacré à l’aménagement des libertés et droits fondamentaux. Généralement minimisé dans la plupart des manuels récents, la question de l’aménagement est renouvelée par le professeur Xavier Dupré de Boulois. Il distingue les acteurs et les types d’aménagement avant de parler de l’aménagement en période de crise. Cette nouvelle approche permet d’élargir les dimensions de l’aménagement des libertés. Ce dernier n’est plus limité à la répartition des compétences entre le législateur et l’exécutif. Il est étendu au niveau supranational et au niveau infra national et comprend même les rapports entre particuliers. De même, novatrice est la distinction entre la concrétisation et l’encadrement des libertés et droits fondamentaux car elle permet de dépasser une approche abstraite de ces derniers.
Le titre 4 relatif aux garanties des libertés et droits fondamentaux analyse avec précisions la diversité de ces garanties tant au niveau national qu’au niveau international et européen. On pourrait discuter la typologie de ces garanties (citoyennes, politiques, administratives, juridictionnelles), mais elle a l’avantage de dépasser une vision étroite et étriquée en ne limitant pas les garanties à leur dimension juridictionnelle. On soulignera la prise en compte bienvenue des lanceurs d’alerte sans esquiver les questions que cela soulève.
La seconde partie dédiée au régime juridique des libertés et droits fondamentaux appelle moins de remarques. La classification adoptée couvre les grandes catégories de libertés et droits fondamentaux. En s’inspirant en partie de la classification de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’ouvrage permet de comprendre l’importance du dépassement du cloisonnement disciplinaire et de l’étanchéité des ordres juridiques en matière de protection des libertés et droits fondamentaux. Conscient sans doute du fait qu’il serait dangereux d’étudier le régime juridique des libertés et droits fondamentaux à partir de l’angle supranational car on couperait ceux-ci de leurs racines et on irait à l’encontre du principe de subsidiarité qui gouverne leur protection, l’auteur mêle la dimension nationale et la dimension supranationale et internationale de la protection des libertés et droits fondamentaux. Il arrive ainsi à concilier ce double niveau de protection au plus grand profit de la compréhension de la matière.
En définitive, le livre de Xavier Dupré de Boulois n’est pas qu’un ouvrage de plus dans la liste déjà longue des manuels de Droit des libertés fondamentales, il apporte une approche et un regard modernes à la matière. Nul doute qu’il a déjà trouvé une place précieuse parmi ces homologues et rendra un grand service à toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à la protection des libertés et droits fondamentaux.