Droit et littérature, droit et opéra, droit et art, tant de colloques, de revues et d’ouvrages ont recouru à la fiction, au plus près des sources créatives, pour renouveler les contenus, les méthodes et les pratiques juridiques.
Le colloque « Propriété intellectuelle et Pop Culture » des JUSPI (Jeunes universitaires spécialisés en propriété intellectuelle), qui s’est tenu à Strasbourg en octobre 2018[, s’inscrit dans cette tendance du « jus cum… », tout en tentant de s’en affranchir, pour saisir des problématiques bien réelles de l’économie de la culture pop. Non seulement ce phénomène culturel à part entière nourrit l’imagination du juriste, mais également surgissent la question de l’adéquation des mécanismes des propriétés intellectuelles et celle de la spécificité du traitement de la culture pop en droit.
Au cours du colloque, la quête d’un droit de propriété intellectuelle conforme au précepte de la Fée bleue à Pinocchio (version Walt Disney, 1940), rappelé par Eleonora Rosati de l’Université de Southampton, soit d’être courageux, honnête et généreux, était relativement bien partagée. On ne pouvait cependant taxer les intervenants d’attitude puérile, teintée d’idéalisme, tant les problématiques évoquées étaient graves et les montages juridiques proposés ingénieux.
Ainsi, le programme de la journée proposait de voir les interactions entre Propriété intellectuelle et Pop culture sous trois angles interrogatifs. D’abord, assisterait-on à l’apparition de nouveaux objets protégeables. Ensuite, l’apparition de nouveaux usages, exigerait-elle la révision des régimes juridiques existants ? Enfin, dans quels modèles économiques et sociaux la Pop Culture évolue-t-elle et, réciproquement, quelle influence a-t-elle sur les modèles établis ? Prenant appui à la fois sur le droit français, de l’Union européenne, et des États-Unis, l’esprit de décloisonnement était démultiplié grâce aux interventions des chercheurs en Lettres (Matthieu Rémy, Véronique Costa), apportant une vue complète du contexte culturel.
Ainsi, les objets identifiés par les intervenants, tels que les personnages fictifs saisis par le droit des marques (Eleonora Rosati), le street art (Amélie Favreau, Smita Kheria), ou encore des langues fictives, telles l’Elfique, le Dothraki ou le Klingon (Yann Basire), étaient, certes, spécifiques à la Pop culture. Il ressortait toutefois qu’ils étaient tout aussi hétérogènes et présentaient tout autant de problématiques, que les autres objets rencontrés en droit de la propriété intellectuelle. Néanmoins, les analyses opérées permettaient de revenir à la difficile question de la limite de l’appropriable, que ce soit en rapport à l’expression formelle de l’œuvre, de la transformation d’une œuvre en signe distinctif, ou encore de l’apparition d’objets issus d’une pratique créative non revendiquée, comme l’est parfois le street artou la créativité des communautés de fans.
L’étude des usages nouveaux, à l’image de la diversification des sagas audiovisuelles (Pierre-Dominique Cervetti), des fan fictions (Nicolas Bronzo), des mèmes (Caroline Le Goffic), desspoilers(Dariusz Piatek), du remploi des objets de la Pop Culture (Pauline Léger) ou encore la pratique du e-sport (Julie Groffe), reflétait bien par sa diversité le caractère pluriel des cultures pop. Elle aboutissait également au renouvellement des interrogations liées au régime de l’œuvre dérivée, à la portée de l’atteinte, aux exceptions, ou encore à la recherche d’un régime plus approprié au-delà des frontières de la propriété intellectuelle. Le thème de la Pop Culture, nourri du renversement des hiérarchies, voire de la transgression des normes, se prêtait parfaitement à la nécessaire évocation des attitudes du titulaire des droits et du contrefacteur potentiel face à l’atteinte.
Enfin, l’analyse des modèles mettait en perspective le droit appliqué aux objets de la Pop Culture face au développement des goûts musicaux, notamment dans le domaine de la musique électro (Franck Macrez), des avancées technologiques à l’exemple de l’intelligence artificielle (Sarah Dormont), de la concurrence toujours plus accrue sur le marché culturel américain (Jean-Christophe Roda) et, enfin, face au statut social de l’auteur dans la cadre de la création de séries télévisées (Stéphanie Le Cam). On retiendra notamment que cette partie, ou « épisode », suivant le lexique des organisateurs, mettait probablement le plus en évidence, d’une part, les mutations dans les pratiques juridiques en prise avec la Pop Culture, et, d’autre part, l’écart entre ces pratiques et la philosophie sous-jacente, ou communément partagée, des droits de la propriété intellectuelle, proposant ainsi de riches pistes de réflexion.
Tout au long de la journée du colloque, saisie par un « épilogue » d’ouverture de Valérie-Laure Benabou, la revendication d’un statut à part pour la Pop Culture en droit se limitait principalement à un caractère méthodologique, comme l’a rappelé Christine A. Corcos, de l’Université LSU, Paul M. Herbert Law Center. L’intérêt d’observer de près ces nouvelles sources de valeurs potentielles n’est certainement pas suffisant pour fonder la spécificité d’un « droit de la Pop Culture ». Plus que d’une nouveauté, c’est d’un renouvellement des objets, usages et modèles qu’ont témoigné les contributeurs du colloque. Or n’est-ce pas de ce renouvellement constant de la culture populaire, par des formes nouvelles et remportant l’adhésion du plus grand nombre, dont la Pop Culture est le nom ?
Nota : Les actes de ce colloque seront publiés. Le programme du colloque peut être retrouvé via ce lien : https://lesjuspi.wordpress.com/2018/10/03/rappel-pop-culture-et-pi-09-10-18/.