Le 29 mars dernier, le Conseil constitutionnel s’est prononcé, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, sur la conformité de l’article 362 du code de procédure pénale aux droits et libertés garantis par la Constitution. Ce texte concerne la délibération sur la peine aux assises et dispose plus précisément, dans son premier alinéa, qu’« en cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président donne lecture aux jurés des dispositions des articles 130-1, 132-1 et 132-18 du code pénal. La cour d’assises délibère alors sans désemparer sur l’application de la peine ». La question prioritaire de constitutionnalité concernait donc particulièrement cet alinéa, qui porte sur l’obligation faite au président d’assises de donner lecture aux jurés de certains articles du code pénal, à la suite de leur réponse affirmative sur la culpabilité et avant qu’ils ne procèdent à la délibération sur l’application de la peine. Les textes devant être lus aux jurés sont l’article 130-1 du code pénal, exposant les finalités de la peine, l’article 132-1, rappelant l’exigence d’individualisation de la peine et l’article 132-18 du même code déterminant les planchers et plafonds des peines de réclusion ou de détention criminelles.
Or, le requérant reprochait au législateur de ne pas avoir fait figurer dans cette liste l’article 132-23 du code pénal relatif à la période de sûreté attachée de plein droit à certaines peines. Il en résultait selon lui que les jurés méconnaîtraient la portée et les effets de la peine choisie par leurs soins, ce qui serait alors contraire aux principes de légalité et de nécessité des délits et des peines, ainsi qu’au principe d’individualisation des délits et des peines, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable.
Le Conseil constitutionnel lui donne raison dans la décision commentée, en précisant que « lorsqu’une cour d’assises composée majoritairement de jurés, qui ne sont pas des magistrats professionnels, prononce une peine à laquelle s’attache une période de sûreté de plein droit, ni les dispositions contestées ni aucune autre ne prévoient que les jurés sont informés des conséquences de la peine prononcée sur la période de sûreté et de la possibilité de la moduler ». Dès lors, la première phrase du premier alinéa de l’article 362 du code de procédure pénale est déclarée inconstitutionnelle. Toutefois, afin d’éviter de « priver les jurés de la garantie d’être informés de l’étendue des pouvoirs de la cour d’assises quant au choix de la peine », en raison de l’absence de lecture des articles du code pénal prévus par l’article 362, l’abrogation de ce dernier est reportée au 31 mars 2020.
Ainsi, sans être réformatrice, cette décision précise tout de même le rôle du président des assises dans une perspective d’information juridique des jurés néophytes, en prenant donc en compte la particularité que représente dans notre système juridique la cour d’assises composée majoritairement de citoyens.
En effet, bien que les prémisses d’une justice citoyenne se retrouvent notamment en Grèce antique, leur inscription durable en droit français date de la Constitution du 3 septembre 1791, lorsque les révolutionnaires, empreints d’un modèle anglo-saxon idéalisé par les philosophes des Lumières, (Louis de Carbonnières, « Tangentes ou parallèles ? Les destinées du jury français et du jury anglais (XVIIIe-XXIesiècles) », in. Regain ou déclin du jury en Europe ?,Cahiers de la justice, 2012/1, p. 83-95) ont décidé de faire intervenir les citoyens dans la justice criminelle, en tant que jurys d’accusation et de jugement d’abord, puis uniquement de jugement dès 1811, afin de ne plus reconnaître aux Parlements de l’Ancien régime leur omnipotence. Néanmoins, cette intervention était limitée puisque, d’une part, les jurés ne décidaient que de la culpabilité, le choix de la peine étant réservé au magistrat professionnel, tenu par le principe de légalité et celui des peines fixes. D’autre part, la fonction de juré n’était réservée qu’à une élite, censée garantir la préservation d’un certain ordre social (Célia Gissinger-Bosse, Être juré populaire en cour d’assises, faire une expérience démocratique, Edition de la maison des sciences et de l’homme, 2017, p. 54). En effet, à partir de 1791, les membres du jury de jugement étaient désignés selon un mode d’élection particulier parmi la petite bourgeoisie, les artisans et les commerçants. Le jury d’accusation, quant à lui, était tiré au sort sur une liste composée de propriétaires ou d’usufruitiers aisés. Progressivement, dès 1853, le recrutement s’est ouvert à tous les électeurs du suffrage universel masculin. Par la suite, une loi de 1872 a encadré de nouveau les règles de recrutement des jurés, en fonction de leur âge, mais également, indirectement, de leur classe sociale, puisque des dispenses étaient accordées à ceux ayant besoin de vivre de leur travail journalier. Aucune indemnité compensatrice ne leur était effectivement garantie pour l’exercice de la fonction de juré. Cette indemnisation est intervenue en 1908, ouvrant le jury à toute profession. Les femmes y ont accédé en 1944, et les jeunes gens dès une loi de 1972, qui a autorisé ceux de plus de vingt-trois ans à siéger, au lieu de trente antérieurement. Finalement, une loi de 1980 a imposé comme mode de recrutement le simple tirage au sort sur liste électorale.
Ainsi, aujourd’hui, la fonction de juré s’est démocratisée, s’étendant potentiellement à tous les « citoyens de l’un ou de l’autre sexe, âgés de plus de vingt-trois ans, sachant lire et écrire en français, jouissant des droits politiques, civils et de famille, et ne se trouvant dans aucun cas d’incapacité ou d’incompatibilité » (art. 255 CPP). Mais elle s’est également élargie, puisque, désormais, elle concerne également le choix de la peine, de concert avec le président des assises. En effet, depuis une loi du 5 mars 1932, les jurés sont associés aux magistrats pour décider de la peine, et depuis la loi du 25 novembre 1941, validée à la Libération, la délibération entre juges et jurés sur la culpabilité et la peine se fait communément.
Malgré l’inspiration initialement anglaise, et plus généralement anglo-saxonne, ayant poussé les révolutionnaires français à adopter le jury au sein des cours d’assises, ce dernier présente des particularités. En effet, le juré français juge selon sa conscience, ce qui permet a prioriune accessibilité de la fonction à tous tandis que le juré anglais juge selon les règles de preuve et le droit, ce qui laisse une moindre place aux néophytes (Louis de Carbonnières, « Tangentes ou parallèles ? Les destinées du jury français et du jury anglais (XVIIIe-XXIesiècles) », in. Regain ou déclin du jury en Europe ?, préc., p. 94).
De même, aux États-Unis, le jury populaire est perçu comme un contrepoids au gouvernement fédéral, permettant une démocratie de proximité, et donc aux différentes communautés fédérées de protéger leurs droits et valeurs. Ainsi, il délibère seul, et les verdicts sont rendus à l’unanimité (Gwénaelle Calvès, « Le jury criminel dans la tradition politique américaine », in La cour d’assises, actualités d’un héritage démocratique, Denis Salas, dir., la documentation française, 2016, p 136-137), alors que le jury français est accompagné du président d’assises et des assesseurs et que les décisions sont prises à la majorité.
Le particularisme du droit français se manifeste également par rapport à ses voisins européens de culture juridique romano-germanique. Par exemple, les jurés belges délibèrent seuls une première fois sur la culpabilité de l’accusé (article 326 du code d’instruction criminelle belge), puis une seconde fois sur la peine, de concert avec la cour (article 343 de ce même code). Il faut également noter que les arrêts rendus par les cours d’assises belges ne sont pas susceptibles d’appel mais uniquement de pourvoi devant la Cour de cassation.
Toutefois, partout où est utilisée l’institution du jury populaire, des critiques fréquentes sont formulées en raison de l’absence de connaissances juridiques des jurés, du coût de leur participation à la justice pénale, de la lourdeur et de la lenteur de la procédure, mais également de leur versatilité. Face à ces nombreux courroux, plusieurs réformes destinées à endiguer le recours à cette émanation démocratique ont été adoptées. Ainsi, dès la Constituante, les crimes financiers ont été ôtés de la compétence des jurés ordinaires et confiés à des jurés spéciaux. Plus récemment, la loi du 23 mars 2019 de programmation de la justice 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit la création, à titre expérimental, d’un tribunal départemental pour juger les crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion criminelle. Or, ce sont des tribunaux constitués uniquement de magistrats professionnels, à l’exclusion de tout juré. Dès lors, la compétence du jury populaire se voit fortement rognée, ce qui peut mener potentiellement à sa suppression.
Ainsi, dans la décision commentée, l’abrogation de l’article 362 du code de procédure pénale relatif aux articles lus aux jurés, touche directement à l’essence même de l’institution du jury populaire, et cristallise les débats qui concernent son maintien, dans un contexte où une attention particulière est accordée au respect des droits fondamentaux liés au procès équitable (I). Plus encore, face à ce recul progressif du rôle des jurés, la décision du Conseil constitutionnel semble représenter un rempart. En effet, elle oblige opportunément les jurés à disposer de davantage d’informations juridiques, afin de remplir leur fonction en connaissance de cause, et plus particulièrement des règles relatives à la peine et à la période de sûreté. La décision commentée permet donc, à travers l’abrogation de l’article 362 pour non information des jurés sur la période de sûreté, d’améliorer la teneur des débats qui auront lieu entre les jurés, néophytes, et le président, magistrat professionnel (II).
I. Une abrogation cristallisant les débats sur les assises
Les débats concernant la juridiction singulière qu’est la cour d’assises portent principalement, dans la décision commentée, sur les garanties apportées à l’accusé, dans l’optique de respecter le droit au procès équitable (A), mais aussi sur la présence et le pouvoir du jury, émanation démocratique par excellence (B).
A. Le débat quant aux garanties de l’accusé
Au nom du procès équitable et des autres droits fondamentaux entourant le procès pénal, et notamment au nom de l’équilibre des droits des parties, énoncé à l’article préliminaire du code de procédure pénale, les garanties accordées à l’accusé ont été accrues, particulièrement aux assises, en raison de la gravité de l’infraction. Ainsi, en vertu du droit à un double degré de juridiction consacré par l’article 2 du Protocole 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, l’appel des arrêts d’assises est désormais possible devant une cour d’assises autrement composée, depuis la loi du 15 juin 2000, alors que les détracteurs d’un tel droit dénonçaient l’atteinte subséquente à la souveraineté des jurés. De même, l’obligation de motivation concerne désormais aussi bien la détermination de la culpabilité (art. 365-1 CPP), depuis la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, que le choix de la peine, depuis la décision du Conseil constitutionnel abrogeant le deuxième alinéa de l’article 365-1 du code de procédure pénale (Cons. const. 2 mars 2018, M. Ousmane K. et autres, n° 2017-694 QPC), ce qui permet aux parties, et plus particulièrement à l’accusé, de comprendre la décision rendue, et ce qui constitue pour lui une garantie contre l’arbitraire. À cet effet, il faut souligner l’influence non moindre de la Cour européenne des droits de l’homme, qui avait indiqué que « la non motivation du verdict d’un jury populaire n’emporte pas, en soi, violation du droit de l’accusé à un procès équitable», mais à la condition que l’accusé ait pu bénéficier de « garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation » (CEDH, gr. ch., 16 novembre 2010, Taxquet c/ Belgique, n° 926/05). De prime abord, cette obligation de motivation généralisée peut paraître incompatible avec la décision des jurés, qui doit se faire selon leur intime conviction, comme cela est prévu à l’article 353 du code de procédure pénale. Toutefois, afin que l’accusé comprenne les principaux éléments ayant convaincu le jury, rien n’interdit qu’ils exposent leurs raisons tout en ayant effectué leur choix dans la sincérité de leur conscience. (V. dans le même sens : Etienne Vergès, « La justice pénale citoyenne : derrière une volonté politique, l’élaboration d’une catégorie juridique », RSC2011., p 667 »).
La décision commentée s’inscrit exactement dans cette lignée protectrice pour les accusés, sous l’influence européenne, puisqu’elle constitue une abrogation en raison de l’absence d’information des jurés sur les conséquences induites par le prononcé d’une période de sûreté. Or, cette dernière constitue une mesure extrêmement attentatoire aux libertés individuelles de l’accusé car, comme le rappelle le Conseil constitutionnel, « pendant toute la durée de la période de sûreté, la personne condamnée ne peut bénéficier d’une suspension ou d’un fractionnement de sa peine, d’un placement à l’extérieur, de permissions de sortir, d’une mesure de semi-liberté et d’une mesure de libération conditionnelle ». De plus, la période de sûreté est attachée de plein droit à certaines infractions spécialement prévues par la loi, en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle, non assortie de sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans. Malgré son caractère très strict, la période de sûreté reste une modalité d’exécution de la peine (Cass. Crim., 10 décembre 1980, Bull. crim.1980, n° 344, n° 80-92358 ; Cass. Crim., 8 juillet 1992, Bull. crim. 1992, n° 269, n° 91-86820 ; Cass. Crim., 5 juillet 1993, Bull. crim. 1993, n° 237, n° 92-86681 ; Cass. Crim., 23 octobre 2013, n° 12-88285), et elle n’en demeure pas moins constitutionnelle, ne constituant pas une peine s’ajoutant à la peine principale (Cons. const., 26 octobre 2018, M. Husamettin M., n° 2018-742 QPC).
Les jurés seront donc informés des tenants et des aboutissants de la période de sûreté avant de pouvoir délibérer et effectuer leur choix en leur âme et conscience. Finalement, les jurés se voient confrontés à la science juridique de plus en plus, puisque des exigences techniques de motivation et d’information les lient, et ce, de façon à garantir opportunément un procès équitable à l’accusé. Cependant, cela pose la question de la légitimité et de l’utilité de leur présence au sein des assises.
B. Le débat quant à la présence du jury
En filigrane, en insistant sur la nécessité d’informer les jurés de la teneur de l’article 132-23, le Conseil constitutionnel pointe indirectement du doigt leur incompétence juridique innée quant au droit pénal, et particulièrement quant au droit de la peine. Cela illustre les critiques faites parmi d’autres à la fonction de juré, ainsi que le rétrécissement subséquent de leur intervention au sein de la justice pénale.
En effet, la tendance est à l’évitement du jury populaire, ce qui se manifeste de plusieurs façons. La correctionnalisation en est une, permettant aux magistrats professionnels, en ayant la mainmise sur la qualification de l’infraction, d’éviter le recours à cette institution coûteuse, lente et imprévisible, voire manipulable. Le législateur adopte également une démarche similaire en effectuant des correctionnalisations légales, en jouant sur le montant de la peine. De même, le recours à des cours spécialisées, ou à des juridictions d’exception, composées uniquement de magistrats professionnels est devenu monnaie courante, notamment en matière de terrorisme, depuis la loi du 9 septembre 1986, et, de façon pour l’instant expérimentale, dans le cadre de la loi de programmation de la justice 2018-2022. Par ailleurs, le nombre des jurés composant le jury populaire est également tombé en berne, passant de neuf en première instance et douzeen appel, à six en première instance et neuf en appel avec la loi du 10 août 2011 (art. 296 CPP). Or, en raison de cette diminution, des interrogations quant à la teneur de la majorité se posent. En effet, pour prendre une décision en la défaveur de l’accusé, c’est-à-dire soit de culpabilité, soit du maximum encouru pour la peine, il faut réunir une majorité de six voix en première instance, au lieu de huit précédemment, et neuf en appel. Cependant, le nombre de magistrats n’a pas changé, puisqu’il y a toujours, aussi bien en première instance qu’en appel, un président et deux assesseurs, ce qui les porte au nombre de trois. La majorité étant de six voix, elle peut donc être constituée de trois jurés et des trois magistrats. Le juré, représentant de la démocratie populaire, ne l’emporte donc plus sur les magistrats, en première instance.
Cependant, alors que la popularité du jury baisse parmi les acteurs de la justice, et qu’il semble voué à la disparition, il ne faut pas oublier qu’il représente l’institution démocratique par essence, dans le domaine pénal, où la société est la plus touchée. Il est donc primordial que le jury populaire continue à jouer un rôle prégnant au sein de la justice criminelle. Outre l’aspect sociologique de la question, selon lequel les sentences des jurés seraient mieux acceptées (Antonio Padoa Schoppia, « Remarques sur l’histoire du jury criminel », in La cour d’assises, actualités d’un héritage démocratique, Denis Salas, dir., la documentation française, 2016, p 128), la justice est rendue au nom du peuple français, comme le suggère la formule exécutoire apposée sur les jugements. En effet, la présence de jurés permet d’insuffler la « vraie vie » au sein des juridictions, en cassant la « routine » et la « technocratie » des magistrats professionnels et en leur apportant un regard nouveau (Bernard Fayolle, Christiane Besnier, «Le procès criminel, entre permanence et réformes », in La cour d’assises, actualités d’un héritage démocratique, Denis Salas, dir., La documentation française, 2016, p. 108). En ce sens, Faustin Hélie faisait déjà référence au jury populaire comme « organe de vérité ». (Traité de l’instruction criminelle, Paris, Hingray, vol. 8, p. 257). En effet, comme l’indique un auteur, la particularité des jurés dans leur façon de juger est qu’ils prennent en compte le bien, qui est source de questionnement, et l’équité, afin de forger leur intime conviction, tandis que les magistrats se prononcent selon le juste et le légal. « L’intime conviction est élevée au rang de preuve morale : on fait confiance au peuple, qui ne peut pas s’appuyer sur des arguments juridiques, mais sur la raison, le bon sens, l’intuition et la conscience » (Benoît Garnot, Histoire de la justice, Folio histoire, 2009, p. 624). Le jury, en tant qu’institution démocratique est donc nécessaire, comme le souligne le guide pour les jurés d’assises mis en ligne par le ministère de la justice.
Cette décision cristallise donc indirectement les critiques qui peuvent être faites au jury populaire, en pointant du doigt son principal défaut, à savoir son manque de connaissances juridiques, mais ce faisant, avec le retrait de l’article 362 du code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel apporte les prémisses d’une solution, laissant l’opportunité au législateur de faire renaître le jury des cendres de l’article supprimé.
II. Une abrogation améliorant les débats aux assises
Cette abrogation pourrait être l’occasion pour le législateur de pallier l’insuffisance actuelle de régulation des rapports entre jurés et présidents d’assises, qui sont pour le moment largement laissés à la discrétion de ces derniers (A), en leur imposant une obligation d’information envers le jury, notamment durant les délibérations (B).
A. L’insuffisante régulation des rapports entre jurés et présidents d’assises
La solution dégagée par le Conseil constitutionnel peut être favorablement accueillie, puisqu’elle va éventuellement conduire le législateur, viala déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 362 du code de procédure pénale, à allonger la liste des articles devant être lus par le président des assises aux jurés avant la délibération sur la peine, en y incluant l’article 132-23 du code pénal concernant la période de sûreté. Cela s’inscrirait dans une tendance législative normale, puisqu’au fil des réformes, l’article 362 du code de procédure pénale a été modifié, incluant progressivement la lecture de nouveaux articles.
En effet, en 1958, l’article 362 indiquait seulement qu’« en cas de réponse affirmative sur la culpabilité, la cour d’assises délibère sans désemparer sur l’application de la peine ». Aucune lecture d’article aux jurés n’était requise. Néanmoins, la loi du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal a modifié l’article 362, en y ajoutant que « le président donne lecture aux jurés des dispositions des articles 132-18 et 132-24 du code pénal. » Par la suite, la loi du 10 août 2007 a complété l’article 362, en prévoyant qu’en cas de récidive légale, il serait également fait lecture des articles 132-18-1 et 132-19-1. Finalement, c’est la loi du 15 août 2014 qui a fixé la teneur actuelle de l’article 362 du code de procédure pénale, en ordonnant la lecture des articles 130-1, 132-1 et 132-18 du code pénal. Or, de ce potentiel allongement des articles devant être lus aux jurés par le président d’assises, il résultera une meilleure information des jurés sur les dispositions primaires concernant la peine, dont les règles sont suffisamment complexes. Le Conseil constitutionnel fait donc preuve de pédagogie envers les jurés. Dès lors, il faut encourager cette démarche, même si elle s’avère pour l’instant insuffisante.
En effet, les jurés ne reçoivent qu’une brève formation juridique sous forme de vidéo diffusée par le ministère de la justice, et de courte présentation du fonctionnement de la cour d’assises. Ils peuvent également, de façon facultative, visiter une prison, ou lire le guide qui est mis en ligne par le ministère de la justice. Or, bon nombre d’entre eux sont désemparés face à leur nouvelle fonction juridique, ainsi qu’en raison des particularités de la justice pénale. Par ailleurs, l’article 362 du code de procédure pénale prévoit uniquement la lecture des articles du code pénal relatifs à la peine, ce qui diffère d’une explication claire et pédagogique. Or, certains termes juridiques sont peu accessibles sans un éclaircissement minimal, surtout en droit de la peine. Et cette instruction s’avère même nécessaire dans le cas d’une période de sûreté prononcée de plein droit, comme dans le cas qui se présentait au Conseil constitutionnel, puisque le choix de la durée par le jury sera crucial pour l’accusé, en dépit du choix de la période de sûreté, qui est applicable de plein droit.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que certains présidents d’assises font déjà œuvre de pédagogie envers les jurés. Cependant, cette initiative dépend fortement de leur bonne volonté, et de leur disponibilité, les pratiques variant donc selon les cours d’assises. Or, le président des assises dispose d’une position et d’un pouvoir conséquents au sein d’un procès d’assises, ce qui laisserait présager qu’il puisse influencer les jurés. Cette crainte fut ressentie relativement tôt, puisque dès 1881, la possibilité faite au président des assises de résumer les débats, avant la délibération, est supprimée. En effet, outre la connaissance juridique que ce dernier possède, et par sa tenue vestimentaire qui le distingue des jurés, il possède physiquement une place centrale dans la salle d’audience et dans les débats puisqu’il les dirige (art. 309 CPP). Il est également le seul, avec les parties, à avoir consulté le dossier avant les débats, ce qui peut lui avoir fourni un préjugé quant à l’affaire, et il peut le laisser transparaître inconsciemment dans sa façon de diriger les débats. En effet, le dossier est déposé entre les mains du greffier, et n’a pas vocation, en principe, à servir de base aux débats, dans la salle des délibérations (art. 347 CPP). Par ailleurs, les jurés peuvent poser des questions au cours des débats, mais doivent demander la parole au président (art. 311 CPP), ou lui transmettre leur question à l’écrit avant de la poser oralement. De même, le président choisit de présenter les pièces à conviction aux jurés, « s’il y a lieu », d’après l’article 341 du code de procédure pénale. Ainsi, le magistrat professionnel peut être perçu comme une autorité légitime, cohésive et déresponsabilisante par les jurés, entraînant leur soumission subséquente, comme il en résulte de l’étude sociologique de Milgram (Nathalie Przygodzki-Lionet, « La prise de décision en jury : apports de la psychologie légale », in. Regain ou déclin du jury en Europe ?, Cahiers de la justice, 2012/1, p. 49). Pour éviter une quelconque emprise du président des assises sur les jurés, il conviendrait sans doute de lui imposer une obligation légale d’information.
B. La mise en place opportune d’une obligation légale d’information juridique
Il conviendrait de préciser les pouvoirs du président vis-à-vis des jurés et de lui imposer une obligation légale d’information juridique et de pédagogie envers ces derniers, ce qui permettrait de réguler davantage leurs rapports. Cela est déjà partiellement prévu par l’article 327 du code de procédure pénale, qui indique que le président des assises doit présenter « de façon concise, les faits reprochés à l’accusé tels qu’ils résultent de la décision de renvoi », ainsi que « les éléments à charge et à décharge concernant l’accusé », pour finir par une « lecture de la qualification légale des faits objets de l’accusation », mais sans pour autant « manifester son opinion sur la culpabilité de l’accusé ». Cette obligation légale de neutralité faite au président des assises, qui se retrouve également à l’article 328 du code de procédure pénale, est totalement bienvenue pour garantir l’indépendance des jurés. Malheureusement, l’insuffisance des dispositions légales à cet égard ne peut qu’être soulignée.
Certains avaient déjà suggéré, à cet effet, une meilleure formation des jurés (Marcel David, « Souveraineté, citoyenneté, civisme : quelle légitimité pour le jury ? », in La cour d’assises, actualités d’un héritage démocratique, Denis Salas, dir., la documentation française, 2016, p. 195). Néanmoins, des interrogations subsistent sur la prise en charge de cette formation qui, à terme, ôte aux jurés tout leur intérêt, en les formant au même titre mais de façon moins poussée que les magistrats professionnels. D’autres suggèrent un accès au dossier pour les jurés, afin de les aider dans leur choix (Alexandre Gallois, « Délibération de la Cour d’assises et accès au dossier de la procédure », Procédures n° 4, Avril 2014, alerte 13). Il pourrait également être proposé de laisser les jurés délibérer seuls, comme cela se fait dans d’autres pays. Néanmoins, cela ne paraît pas être souhaitable, surtout concernant le choix de la peine, de sa durée et de ses modalités, qui peut s’avérer particulièrement difficile pour des néophytes, même dans le cas où une formation plus poussée leur est offerte, en raison de la législation foisonnante et épineuse en matière de pénologie.
La mise en place d’une obligation légale d’information juridique contraignant le président, combinée à l’obligation déjà existante de neutralité, permettrait effectivement aux jurés de développer, d’une part, de meilleures connaissances juridiques, assurant davantage leur indépendance intellectuelle, sans toutefois leur conférer une formation aussi poussée et stricte que celle des magistrats professionnels. Cette obligation permettrait, d’autre part, d’instaurer un encadrement des pouvoirs du président, afin de limiter son influence potentielle sur la décision des jurés. Cette obligation d’information juridique et de pédagogie est, par ailleurs, déjà pratiquée officieusement par nombre de présidents d’assises. Néanmoins, la rendre légale garantirait un procès équitable à l’accusé, un minimum de connaissances aux jurés afin de leur permettre de prendre leur décision en leur âme et conscience, sans pour autant alourdir la procédure déjà chargée des assises. Une certaine égalité serait également présente entre toutes les cours d’assises, par rapport au niveau de pédagogie exigé par le président.
Il reviendrait donc au législateur de réguler davantage les rapports entre jurés et président, en imposant à ce dernier une obligation d’information juridique, notamment pendant le délibéré, qui demeure actuellement très peu encadré en raison de son caractère secret. Afin de le respecter, il faudra donc trouver un juste degré de législation, afin de préserver tout de même la latitude dont dispose la cour d’assises dans son ensemble.