La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » (JO, 11 sept.) a modifié plusieurs dispositions du Code civil et, notamment, bien que discrètement, les articles 316 et suivants relatifs à l’établissement de la filiation par reconnaissance applicables au plus tard à compter du 1er mars 2019.
Désormais, et en particulier, l’article 316, alinéa 4, du Code civil dispose que : « L’acte de reconnaissance est établi sur déclaration de son auteur, qui justifie :
1° De son identité par un document officiel délivré par une autorité publique comportant son nom, son prénom, sa date et son lieu de naissance, sa photographie et sa signature ainsi que l’identification de l’autorité qui a délivré le document, la date et le lieu de délivrance ;
2° De son domicile ou de sa résidence par la production d’une pièce justificative datée de moins de trois mois. Lorsqu’il n’est pas possible d’apporter la preuve d’un domicile ou d’une résidence et lorsque la loi n’a pas fixé une commune de rattachement, l’auteur fournit une attestation d’élection de domicile dans les conditions fixées à l’article L. 264-2 du code de l’action sociale et des familles. »
Et, surtout, l’article 316-1 prévoit désormais que : « Lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu de l’audition par l’officier de l’état civil de l’auteur de la reconnaissance de l’enfant, que celle-ci est frauduleuse, l’officier de l’état civil saisit sans délai le procureur de la République et en informe l’auteur de la reconnaissance.
Le procureur de la République est tenu de décider, dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine, soit de laisser l’officier de l’état civil enregistrer la reconnaissance ou mentionner celle-ci en marge de l’acte de naissance, soit qu’il y est sursis dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait procéder, soit d’y faire opposition.
La durée du sursis ainsi décidé ne peut excéder un mois, renouvelable une fois par décision spécialement motivée. Toutefois, lorsque l’enquête est menée, en totalité ou en partie, à l’étranger par l’autorité diplomatique ou consulaire, la durée du sursis est portée à deux mois, renouvelable une fois par décision spécialement motivée. Dans tous les cas, la décision de sursis et son renouvellement sont notifiés à l’officier de l’état civil et à l’auteur de la reconnaissance.
A l’expiration du sursis, le procureur de la République fait connaître à l’officier de l’état civil et aux intéressés, par décision motivée, s’il laisse procéder à l’enregistrement de la reconnaissance ou à sa mention en marge de l’acte de naissance de l’enfant.
L’auteur de la reconnaissance, même mineur, peut contester la décision de sursis ou de renouvellement de celui-ci devant le tribunal de grande instance, qui statue dans un délai de dix jours à compter de sa saisine. En cas d’appel, la cour statue dans le même délai. »
L’objectif poursuivi par ces modifications n’est pas immédiatement explicite. En effet, l’exposé des motifs de la loi est quasiment muet quant à ces dispositions et les débats au Parlement ne se sont pas attardés sur elles. Le premier indice disponible réside dans l’intitulé de la loi qui les contient, une loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », de sorte qu’il convient de voir dans ces modifications un moyen de maîtriser l’immigration, ce que l’on sait vouloir dire « lutter » contre l’immigration illégale. C’est ce que confirme ensuite la circulaire du ministère de la Justice du 20 mars 2019 qui a trait à ces modifications et qui indique que l’objectif est double : « prévenir un contournement des règles de l’entrée et du séjour des étrangers en France et un dévoiement des règles d’établissement du lien de filiation. » (Circ. n° JUSCI904138C, 20 mars 2019 : BOMJ n° 2019-03, 29 mars 2019.)
Deux modifications apportées au Code civil retiennent en particulier notre attention : d’une part, l’article 316 exige désormais que l’auteur d’une reconnaissance se présente avec un justificatif d’identité ainsi qu’un justificatif de domicile et, d’autre part, les articles 316-1 et suivants organisent un contrôle a priori des reconnaissances soupçonnées d’être frauduleuses par un mécanisme de sursis à l’enregistrement et d’enquête par le procureur de la République sur le modèle du contrôle des mariages frauduleux. A l’étude de ces deux nouvelles dispositions, il apparaît qu’à se concentrer sur un objectif de « maîtrise » de l’immigration, le législateur a amorcé une transformation substantielle du fondement de l’établissement de la filiation par reconnaissance (I) pour instaurer un contrôle des reconnaissances dont l’efficacité, au regard de l’objectif assigné à ce nouveau procédé, est douteuse (II).
I – Le fondement renouvelé de l’établissement de la filiation par reconnaissance
Alors que la reconnaissance est un mode d’établissement de la filiation fondé sur la volonté de son auteur et non la réalité biologique du contenu de la reconnaissance (A), le législateur introduit un contrôle a priori de sincérité du contenu de la reconnaissance à la réalité biologique (B).
A – La reconnaissance : un mode d’établissement fondé sur la volonté de son auteur
Qu’il s’agisse de la branche paternelle ou maternelle, le Code civil prévoit trois modes d’établissement non contentieux de la filiation: par le jeu de la présomption, par la reconnaissance ou par la constatation de la possession d’état dans un acte de notoriété. Autrement dit, l’établissement non contentieux a pour source la loi, la volonté formelle ou la volonté tacite (Volonté individuelle et filiation par le sang, G. Raymond, RTD Civ. 1982. 538, n° 9). La présomption de paternité et la reconnaissance de paternité se veulent, dans une certaine mesure, être la transcription d’une réalité biologique. La première repose ainsi sur le devoir de fidélité imposée, notamment, à l’épouse qui devrait assurer la paternité biologique de l’époux. S’agissant de la seconde, la transcription d’une réalité biologique repose sur l’idée qu’un homme n’aurait a priori vocation à reconnaître qu’un enfant dont il se sait être le père (En ce sens, la double qualification proposée par A. Colin de « reconnaissance-confession », en tant qu’aveu d’un fait passé, et de « reconnaissance-admission » : La protection de la descendance illégitime au point de vue de la preuve de la filiation, RTD Civ. 1902. 256) et que si le lien de filiation n’a pas été établi par présomption c’est uniquement en raison de la naissance hors mariage de l’enfant. La possession d’état elle ne repose pas, par définition, sur une quelconque volonté de transcrire une vérité biologique mais, au contraire, de signifier que l’on a dépassé l’absence de lien biologique pour construire un lien de filiation affectif et social dont la force n’est pas moindre et doit à ce titre, par humanité et volonté de protection de l’enfant, aboutir à la même traduction juridique. Reste que si la présomption de paternité et la reconnaissance se voulaient être des modes d’établissement traduisant juridiquement la réalité biologique Certains auteurs considèrent même que le souci de faire coïncider la vérité juridique et la vérité biologique était l’un des principes directeurs de la loi du 3 janvier 1972. Si cette concordance devait effectivement être l’un de ces principes directeurs, reste qu’elle n’était pas absolue et n’avait donc qu’une portée relative. V. J. Vidal, « La place de la vérité biologique dans le droit de la filiation », Mélanges dédiés à Gabriel Marty, Toulouse, 1978, p. 1113., celle-ci n’a jamais été assurée et n’était qu’un mythe (Le mythe du sang en droit de la filiation, V. Larribau-Terneyre, LPA 1994, n° 32.), une fiction (Idem.) ou, au mieux, une présomption (Droit de la famille, P. Courbe et A. Gouttenoire, Sirey, 2017, 7e éd., n° 2073 et n° 2075. V. aussi Cass., Civ. 19 déc. 1913, D.P..1914.261, note Binet ; S. 1914. 1. 153, note Ruben de Couder: « les questions de paternité ou de filiation intéressent moins l’ordre public que l’honneur et le repos des familles qui doivent être protégés par la loi contre toute atteinte ». V. encore Rennes, 6 mars 1951, JCP 1951. 6525 : « l’ordre public est intéressé à la stabilité de cet état, plus encore qu’à l’exactitude d’une filiation qui souvent ne repose que sur des présomptions légales ». Et A. Colin de relever cette singularité de la reconnaissance par laquelle un « père affirme un fait dont, en somme, il n’est pas sûr (…) Logiquement, la reconnaissance du père ne saurait donc avoir d’autre valeur que celle d’un aveu sur le fait de la cohabitation. », op. cit.,, p. 273.). Et même, la présomption de paternité renferme dans son domaine d’application toute la potentialité d’une non conformité à la réalité biologique : la présomption couvre l’enfant seulement né pendant le mariage (Art. 312, C. civ. ) mais conçu hors mariage où l’absence de devoir de fidélité vient nécessairement affaiblir l’idée d’une conformité de la filiation ainsi établie avec la réalité biologique.
Au contraire d’une procédure d’établissement contentieux (Et l’on précisera encore que si en matière contentieuse la preuve biologique est de droit, elle n’est pour autant ni impérative (elle peut être refusée en fonction des circonstances) ni indispensable, de sorte que l’établissement contentieux peut lui aussi ne reposer que sur une probabilité de conformité de la filiation établie à la vérité biologique.), aucune vérification biologique n’est menée préalablement à l’établissement non contentieux : l’on se contente pour établir le lien de filiation de la simple déclaration par l’épouse lors de son accouchement de l’épouse du nom de son époux ou, devant l’officier d’état civil, de la manifestation de volonté de l’auteur de la reconnaissance (G. Raymond, op. cit. n°44. L’auteur relève que la loi du 3 janv. 1972 n’avait pas envisagé de contrôle préalable à la reconnaissance. A l’inverse, dans de nombreuses situations où pourtant le lien de filiation juridique correspond à la réalité biologique, l’établissement de ce lien de filiation, y compris par reconnaissance, est empêché (not. en cas d’inceste, en cas de placement de l’enfant en vue d’une adoption plénière) de sorte que l’on perçoit bien qu’il existe une distance entre les modes d’établissement de la filiation et la réalité biologique.).
Ce n’est donc pas dans la biologie qu’il faut trouver le sens de la reconnaissance : il s’agit pour son auteur de déclarer sa volonté d’assumer pleinement ses responsabilités, les responsabilités d’un parent, à l’égard de l’enfant. En témoigne, d’abord, la soumission de la reconnaissance à un formalisme propre à assurer la réflexion de l’auteur de la reconnaissance et de vérifier, donc, l’intégrité de son consentement. Ensuite, l’exclusion de la responsabilité du père biologique qui s’abstient de reconnaître l’enfant : l’absence de volonté empêche la reconnaissance et le lien biologique n’est pas une cause péremptoire de reconnaissance (En revanche, à l’occasion d’une action en recherche de paternité, le lien biologique suffira à établir le lien de filiation. Mais dans une telle hypothèse, par définition, le père n’est pas volontaire dans l’établissement de ce lien de filiation.), Réciproquement, si l’auteur d’une reconnaissance dont le contenu ne correspond pas à la réalité biologique engage sa responsabilité, celle-ci n’est pas engagée du fait du « mensonge » contenu dans la reconnaissance. S’il engage sa responsabilité c’est pour avoir compromis la stabilité de l’état civil de l’enfant, préjudice qui résulte de l’annulation postérieure de la reconnaissance et qui se réalise par l’initiative prise d’attaquer la reconnaissance (Cass. Civ. 1ère, 12 févr. 1960, bull. civ. n° 120, JCP 1960, 11689, obs. J. Savatier ; Paris, 12 nov. 1964, D. 1965, Somm. 17. Dans la même ligne d’idée, on pourra rappeler le refus de la jurisprudence d’incriminer pénalement comme un faux la reconnaissance qui ne correspond pas à la réalité biologique. v. Cass., Crim., 8 mars 1988, n°87-92.108, bull. crim. n° 117, JCP. II. 21162. Néanmoins, on peut relever que la circulaire du 20 mars 2019 précitée prévoit qu’il soit porté plusieurs fois à l’attention de l’auteur d’une reconnaissance soupçonnée d’être frauduleuse le fait que cette fraude est susceptible d’entrainer le prononcé des sanctions pénales prévues en matière de faux en écriture publique ou authentique.). La « fausseté » du contenu de la reconnaissance n’est pas source de responsabilité.
Encore, son caractère irrévocable. La découverte d’une réalité biologique contraire au contenu de la reconnaissance ne peut que fonder une action en contestation. Si l’action en nullité est admise, c’est dans des cas éloignés de la confrontation du contenu de la reconnaissance à la réalité biologique. Ainsi, la nullité absolue vient sanctionner une atteinte à l’ordre public (détournement de l’institution, non respect de l’interdiction d’établir une filiation incestueuse ou encore non respect du formalisme (Aucun de ces cas ne vient contester directement et pour lui-même le lien de filiation. La nullité pour vice de forme conteste la validité formelle de l’acte, la nullité pour fraude conteste la filiation mais non sa vérité. Enfin, la nullité pour violation de l’interdiction d’établir une filiation incestueuse vient sanctionner un vice affectant l’établissement du lien de filiation mais toujours pas sa vérité. V. Précis Dalloz, 2018, n°521.)) et l’action en nullité relative vient sanctionner une atteinte à la liberté ou à l’intégrité du consentement qui ne tient pas nécessairement, et le cas échéant seulement incidemment, à une confrontation à la réalité biologique (Les rares arrêts ayant admis la nullité relative de la reconnaissance établissent bien la sanction est prononcée en raison du vice du consentement et non pour la discordance – quand elle existe – entre le contenu de la reconnaissance et la réalité biologique. v. T. Civ. Nantes, 27 nov. 1957, Gaz. Pal. 1958. 1. 432 ; Req. 13 juill. 1886, D.P. 1887. 1. 119 ; S. 1887. 1. 65, note Chavegrin ; Poitiers, 30 déc. 1907, DP 1910. 2. 245 ; S. 1909. 2. 313, note Tissier. La nullité peut donc être prononcée quand la reconnaissance a été réalisée par un auteur dont le consentement a été vicié quand bien même le contenu de la reconnaissance serait conforme à la réalité biologique.). La nullité peut donc être prononcée quand la reconnaissance a été réalisée par un auteur dont le consentement a été vicié quand bien même le contenu de la reconnaissance serait conforme à la réalité biologique. Réciproquement, l’action en nullité peut être fermée à l’auteur d’une reconnaissance alors que son contenu ne correspondrait pas à la réalité biologique. D’ailleurs, plusieurs des premiers commentateurs du Code civil, et en particulier Demolombe, avaient soutenu que l’auteur d’une reconnaissance ne pouvait la contester qu’en cas de vice de consentement mais pas en établissant qu’il avait menti (J. Savatier, obs. sous Civ. 30 juill. 1951, JCP 1951. 6526).
Enfin, le recours à la reconnaissance pour l’établissement de la filiation paternelle dans le cadre d’une naissance au sein d’un couple non marié des suites d’une procréation médicalement assistée avec tiers donneur. Nul ne saurait contester que le contenu de la reconnaissance de paternité n’a alors aucune vocation à traduire une quelconque vérité biologique, celle-ci étant parfaitement absente en cas de don de gamètes mâles – et se recentre alors sur ce qui nous semble être réellement sa vocation première et principale : la volonté de faire établir un lien de filiation pour en assumer les conséquences.
B – L’instauration d’un contrôle a priori du contenu de la reconnaissance
Le nouvel article 316-1 est vecteur d’une modification certaine de cette approche. En effet, lorsque l’officier d’état civil saisira le procureur et qui celui-ci décidera de surseoir à l’enregistrement de la reconnaissance le temps d’une enquête, il n’est à pas douter que l’enquête visera à faire apparaître la conformité – ou non – du lien de filiation contenu dans la reconnaissance à la vérité biologique. La circulaire du 20 mars 2019 vise un certain nombre d’éléments que le procureur peut prendre en compte qui vont dans le sens de la démonstration de cette conformité (la reconstitution du parcours migratoire du parent étranger) mais ne vise ces éléments que « de manière non exhaustive » et n’exclut pas le recours à l’expertise biologique. Aussi bien l’auteur de la reconnaissance qui entendra faire la preuve de l’absence de fraude que le Procureur qui entendra faire la preuve de la fraude chercheront la preuve ultime dans un système de filiation qui a progressivement glissé vers une supériorité de la biologie : une expertise biologique. De sorte que la reconnaissance ne serait alors plus fondée sur une vérité biologique présumée, probable, possible, mais sur une vérité biologique assurée. Si le contenu de la reconnaissance n’échappe pas à tout contrôle dans le système antérieur à la loi de 2018, système toujours en vigueur en l’absence de fraude soupçonnée, ce contrôle n’a lieu qu’en cas de contentieux né a priori en raison de la défaillance du parent concerné ou a posteriori en cas de contestation du lien de filiation déjà établi.
A priori, la volonté est plus que nécessaire, elle est suffisante. Au-delà même du seul cas de la reconnaissance, « si le lien biologique est le fondement du lien de filiation, il ne constitue jamais qu’un postulat que notre système de filiation élaboré en 1804 ne vérifie pas nécessairement (Le mythe du sang en droit de la filiation, V. Larribau-Terneyre, LPA 1994, n° 32.). » Certes, cette absence de vérification préalable se justifie en 1804, notamment, par l’état de la science qui a bien évolué permettant depuis d’assurer une certitude quasi totale de la paternité biologique d’un enfant. Mais depuis ces évolutions scientifiques, la justification se trouve ailleurs : l’intérêt supérieur de l’enfant d’avoir une filiation paternelle qui plus est lorsque cette filiation est volontairement recherchée par son auteur. Cette philosophie semble donc écartée par le nouveau système mis en place et qui instaure une vérification de la concordance entre volonté exprimée par l’auteur de la reconnaissance et vérité biologique a priori.
On pourrait alors nous opposer que l’établissement contentieux de la filiation organise lui aussi un contrôle de la conformité du contenu de la filiation dont on demande l’établissement à la vérité biologique. Néanmoins, ce contrôle opère dans un contexte tout à fait différent de celui dans lequel une reconnaissance est faite. En effet, le contentieux qui prend alors la forme d’une action en recherche de maternité ou de paternité naît d’une défaillance humaine empêchant l’établissement non contentieux : l’absence de reconnaissance volontaire. Or, même dans un tel cadre contentieux, l’établissement de la filiation peut se passer de la certitude de la conformité à la réalité biologique. Si la preuve biologique est de droit, elle peut être refusée en cas de motif légitime de ne pas y procéder, peut ne pas être ordonnée d’office en l’absence de demande formulée par les parties (« Le juge en France n’a que le pouvoir et non pas le devoir de rechercher la vérité et de commettre un expert », V. Larribau-Terneyre, op. cit.) et, enfin, le juge peut librement interpréter le refus de se soumettre à l’expertise biologique (autrement dit librement interpréter les éléments de preuve autres que celui manquant qui aurait révélé la vérité biologique). En dehors d’un tel contentieux, aucun contrôle de la conformité d’un lien de filiation à la vérité biologique n’est organisé. Ainsi, le recours spontané à des expertises biologiques est proscrit. De même, une expertise biologique ne saurait être ordonnée au titre des mesures d’instruction « in futurum », le juge doit être saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides (Art. 16-11, al. 5, C. civ. ; Cass., civ. 1ère, 8 juin 2016, n° 15-16.696, bull civ., n° 131). Pourtant c’est bien ce que prévoit en creux le nouvel article 316-1 : l’exigence de faire la preuve de la vérité du contenu de la reconnaissance pour faire tomber l’accusation de fraude imposera de faire procéder à une expertise biologique alors même qu’il n’existe pas de contentieux privé dont l’objet serait le lien de filiation contenu dans la reconnaissance et alors même que la reconnaissance n’a pas encore commencé à produire ses effets puisque le procureur aura ordonné à l’officier d’état civil de surseoir à son enregistrement. L’expertise devient alors bien une mesure in futurum,
En outre, même a posteriori, le contrôle est limité puisque les voies de contestation de la reconnaissance sont encadrées. Déjà il y a un siècle, le Ministère Public a pu se voir refuser le droit d’agir en contestation d’une reconnaissance mensongère (Cass., Civ. 19 déc. 1913, D.P. 1914. 261, note Binet ; S. 1914. 1. 153, note Ruben de Couder.). Désormais, les actions en contestation sont attitrées et enfermées dans de stricts délais. L’encadrement est particulièrement fort en présence d’un titre corroboré par une possession d’état conforme puisqu’alors la filiation est parfaitement inattaquable après l’écoulement du délai préfix de cinq ans de l’article 333, alinéa 2. Or, la possession d’état est, par définition, exempte de toute volonté de consécration d’une vérité biologique celle-ci faisant défaut. De sorte que la force de cette possession d’état peut aller jusqu’à rendre définitivement inattaquable le lien de filiation contenu dans la reconnaissance, peu importe sa concordance avec la réalité biologique, et ainsi « marquer le triomphe de la vérité affective sur la vérité biologique (Larribau-Terneyre, op. cit.) ».
Ainsi, le nouvel article 316-1, en instaurant un contrôle a priori de la conformité du contenu de la reconnaissance à la réalité biologique et ce, en dehors de toute défaillance du parent concerné, en dehors de tout contentieux, entame une substantielle modification du fondement de la filiation établie par reconnaissance dont l’opportunité est discutable.
II – L’inopportunité du nouveau mécanisme au regard de l’objectif poursuivi
Le mécanisme de contrôle des reconnaissances entend instaurer une corrélation entre bonne foi et conformité du contenu de la reconnaissance à la réalité biologique. Or, ce lien ne convainc ni sur le fond (A) ni sur son utilité dans le cadre d’une politique de contrôle de l’immigration (B).
A – L’impossible corrélation de l’absence de fraude avec la réalité biologique du contenu de la reconnaissance
D’abord, on constatera les obstacles administratifs posés aux étrangers qui voudraient procéder à une reconnaissance de filiation. En effet, le nouvel article 316 dresse la liste des pièces à fournir lors de la déclaration à l’officier d’état civil, qui écarte de facto un certain nombre de personnes. Ainsi, les étrangers en situation irrégulière, les étrangers en cours de régularisation ne pourraient pas être admis à établir une reconnaissance. De plus, hors de toute considération d’extranéité, ce que n’avait peut-être pas prévu le législateur, on notera que l’absence d’obligation d’être titulaire d’une carte d’identité ou d’un passeport, doublée d’une absence relative d’utilité d’être titulaire de ces documents lorsque l’on est mineur, risquent de laisser les mineurs et certains majeurs – de nationalité française – incapables d’être auteurs d’une reconnaissance… faute de document administratif à produire (Nouvelle procédure de reconnaissance de filiation : viser les personnes étrangères, frapper tous les pères, L. Carayon, AJ Fam. 2018, 541). Outre que l’on semble comprendre qu’une condition préalable à la qualité de parent, à tout le moins de père non marié, est d’être en possession de documents administratifs, l’on comprend surtout que cette mesure est susceptible d’empêcher l’établissement d’une reconnaissance par un père, y compris biologique autrement dit, d’empêcher une reconnaissance dénuée de tout caractère frauduleux au sens de cet article.
Ensuite, si l’auteur de la reconnaissance dispose des documents administratifs pour procéder à la reconnaissance, le système mis en place par l’article 316-1 pose encore d’autres difficultés. En effet, si ni la saisine du procureur de la République ni le sursis à enregistrer la reconnaissance n’ont vocation à être mis en œuvre qu’en cas de soupçon de reconnaissance frauduleuse, on pourrait alors lire cette nouvelle disposition comme établissant que la vérité biologique fait disparaître l’apparence de fraude. De sorte que seule la reconnaissance d’une filiation biologiquement établie puisse être considérée comme établie innocemment, de bonne foi. Or, il est impossible d’exclure que des reconnaissances soient faites de bonne foi même en l’absence de concordance avec la réalité biologique. L’aboutissement du procédé du nouvel article 316-1 vient alors dénier à la reconnaissance l’un de ses premières raisons d’être : recueillir la déclaration de volonté de son auteur d’assumer pleinement les responsabilités d’un parent à l’égard de l’enfant. Mais alors, et à moins d’un contrôle systématique (semble-t-il exclu par l’article 316-1 qui n’a vocation à être mis en œuvre qu’en cas « d’indices sérieux »), il apparaît que certains parents, pourront procéder à une reconnaissance de filiation indépendamment de toute concordance de son contenu avec la vérité biologique tandis que d’autres ne le pourront pas. Outre la bribe de questionnement sur la rupture d’égalité qui semble ici germer, c’est surtout le critère de la suspicion de fraude dans le cadre d’une loi asile et immigration qui interroge : quels seront les indices sérieux qui seront retenus par les officiers d’état civil pour considérer qu’ils sont en présence d’une reconnaissance présumée frauduleuse à signaler au Procureur (La circulaire du 20 mars 2019 précitée ne donne qu’un exemple : la « connaissance [par l’officier d’état civil] de plusieurs reconnaissances effectuées par le même auteur, en particulier à l’égard de mères différentes. » Il conviendra d’admettre que le cas d’une telle série de reconnaissances auprès du même officier d’état civil devrait être particulièrement rare.) ? N’est-ce pas ici conférer à l’officier d’état civil un rôle de juge de la véracité ou à tout le moins de la vraisemblance de la reconnaissance (Alors qu’en 1972, le Garde des Sceaux indiquait expressément dans une circulaire que « L’officier d’état civil n’est pas le juge de la véracité de la reconnaissance », Circ. 17 juill. 1972, JO du 20 juill., n° 12) ? Sans compter que la circulaire du 20 mars 2019 autorise l’officier d’état civil, certes exceptionnellement, à douter de la véracité d’une reconnaissance dont l’acte a été établi par un notaire dont l’intervention devrait plutôt limiter voire éradiquer toute forme suspicion. Ensuite, comment sera mise en œuvre l’audition de l’auteur de la reconnaissance prévue par l’article (La circulaire déjà précitée donne quelques lignes directrices et formule quelques recommandations dont il n’est absolument pas certain qu’elles soient effectivement mises en œuvre (rapidité de l’audition, préservation de la confidentialité de l’audition) et qui, en tout état de cause, ne sont pas suffisantes. Notamment, la présence d’un avocat, ou d’une forme quelconque de conseil, n’est pas évoquée quand elle n’est pas exclue pour les majeurs protégés sauf demande expresse de l’intéressé. Seule la présence d’un interprète est envisagée mais la circulaire suggère une audition le jour même de la présentation de l’intéressé pour faire une reconnaissance et l’on peut se demander si cette présence possible d’un interprète pourra se concrétiser si ces brefs délais sont effectivement respectés …) ? Dans le cadre, à nouveau, d’un mécanisme mis en place par une loi « asile et immigration », il ne doit pas être excessif d’alerter sur une mise en œuvre potentiellement discriminatoire de ce nouvel article 316-1 (V. l’ensemble des questionnements relevés par L. Carayon, op. cit.).
B – L’inefficacité de ce moyen dans la lutte contre la fraude au séjour irrégulier
Si l’objet de la loi qui a modifié cette disposition vise à limiter les fraudes à l’attribution et à l’acquisition de la nationalité française, reste que le moyen ici mis en place semble d’avance relativement inopérant. D’abord, parce que la fraude à la reconnaissance pourrait aisément se reporter sur une fraude à la réalité biologique. En effet, existent de longue date des « techniques » de procréation par inséminations dites « artisanales ». Si ces pratiques ont pu se développer principalement au soutien d’un projet parental porté par des femmes célibataires ou par des couples de femmes à qui l’accès à la procréation médicalement assistée est refusée, on ne saurait douter que ces pratiques puissent être utilisées – et sûrement le sont-elles déjà – au soutien d’un projet d’installation et de maintien sur le territoire français par un étranger en situation irrégulière. Ainsi, une reconnaissance dont le contenu est conforme à la réalité biologique ne serait pas exempte de toute velléité de fraude. Dans une telle hypothèse il apparaît bien évidemment impensable que la reconnaissance ne soit pas in fine enregistrée. La concordance avec la réalité biologique ne protège pas de la fraude. L’exigence d’une concordance pourrait même à l’inverse inciter à des comportements propres à assurer à l’auteur de la reconnaissance la paternité biologique de l’enfant, laissant entrevoir les risques sanitaires (s’agissant des « inséminations artisanales ») et sécuritaires (s’agissant des viols et agressions sexuelles que les hommes pourraient commettre aux fins de procréation).
Enfin, le moyen de lutte contre les reconnaissances de complaisance du nouvel article 316-1 pourrait bien ne faire guère plus que de participer au grand mouvement des vases communicants. En effet, pour contourner cette disposition, les fraudeurs sont renvoyés vers le mode d’établissement de la filiation soustrait au contrôle de l’autorité d’enregistrement : la présomption de paternité. Ce qui aurait relevé d’une reconnaissance frauduleuse relèvera alors d’un mariage frauduleux. On en revient alors à la traditionnelle lutte contre les mariages de complaisance / frauduleux, qui font déjà l’objet d’un contrôle aux résultats manifestement insuffisants puisque le législateur a cru bon d’ajouter les dispositions ici étudiées. L’immigration est un phénomène naturel de migration des populations, accentué par les maux de notre époque moderne ; de la même manière que la filiation est un phénomène naturel de l’être humain, accentué par le gain d’autonomie et de liberté des personnes. Le législateur semble désespérément et bien maladroitement tenter de contenir des phénomènes qui ne peuvent pas l’être, à tout le moins, pas de cette manière.
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