La décision du 14 juin 2019 constitue la suite et la fin de l’affaire ayant donné lieu à la décision CE, Ass, 30 décembre 2014, Société Armor SNC, req. n° 355563.
On s’en souvient, par sa décision Société Armor SNC, l’assemblée du contentieux du Conseil d’État avait délimité les conditions auxquelles une personne morale de droit public peut soumissionner à un appel d’offre émis par une autre personne morale de droit public. La décision Société Armor SNC apportait une réponse systématisée à cette problématique que le Conseil d’État n’avait abordé que timidement (CE, 10 juillet 2009, Département de l’Aisne, req. n° 324156).
La société Armor SNC avait candidaté à l’obtention d’un marché public de dragage d’un estuaire, dans le cadre d’un appel d’offre lancé par le Département de la Vendée. À l’issue de la procédure, le Département voisin de la Charente-Maritime s’était vu attribuer le marché. La société Armor SNC avait donc introduit un recours en annulation visant à la fois la décision de la commission d’appel d’offres rejetant son offre et retenant celle du Département de la Charente-Maritime et la décision du Président du Conseil général de la Vendée de signer le marché avec le candidat retenu.
La requête avait été rejetée en première instance et le jugement, confirmé en appel. La Cour administrative d’appel de Nantes avait jugé, notamment, que « dès lors qu’il ne s’agit pas de la prise en charge par le département de la Charente-Maritime d’une activité économique mais uniquement de la candidature d’un de ses services, dans le respect des règles de la concurrence, à un marché public passé par le département de la Vendée, le département de la Charente-Maritime n’était pas tenu de justifier d’un intérêt public départemental pour pouvoir présenter une telle offre en dehors de ses limites territoriales » (CAA Nantes, 4 novembre 2011, Société Armor SNC, req. n° 10NT01095).
Par sa décision Société Armor SNCde 2014, miroir, corolaire et complément de l’arrêt Ordre des avocats au Barreau de Paris (CE, Ass, 31 mai 2006, req. n° 275531), le Conseil d’État avait façonné un considérant de principe qui, bien que s’inspirant de principes communs, s’écartait toutefois substantiellement de celui de 2006. On retrouve tant dans la décision de 2006 que dans celle de 2014 une dialectique qui dessine le contrôle de l’intervention des personnes publiques sur le marché concurrentiel : d’abord, l’intervention économique de la personne publique doit être appréciée dans son principe et ensuite, dans un second temps, le juge vérifie que les modalités de cette intervention ne faussent pas la concurrence. Le Conseil d’État avait censuré pour erreur de droit l’arrêt de la Cour administrative d’appel qui s’abstenait de rechercher si la candidature du département soumissionnaire constituait le prolongement de l’une de ses missions. L’affaire avait été renvoyée devant la même CAA.
Le second arrêt de la CAA de Nantes (12 avril 2017, req. n° 15NT00322) avait rejeté, après application des principes dégagés par la décision du Conseil d’État de 2014, la requête de la société EMCC, venant aux droits de la société Armor SNC. La société Vinci construction maritime et fluvial, venant elle-même aux droits de la société EMCC, s’est pourvue en cassation contre cet arrêt.
La décision ici commentée annule l’arrêt de la CAA de Nantes après renvoi et apporte de très importantes précisions sur les conditions d’application du principe établi par la décision de 2014.
Il en ressort que le raisonnement qui soutient le contrôle de la légalité de la candidature des personnes publiques aux contrats de la commande publique d’autres personnes publiques oscille entre réalisme économique (I.) et formalisme juridique (II.)
I. Un souci de réalisme économique
Dans son « mode d’emploi » du principe posé par la décision Société Armor SNC, le Conseil d’État invite les juges du fond à s’écarter d’une approche juridique trop rigide, laquelle approche relève plutôt d’une forme de réalisme économique.
On trouve trace de cette méthode dans le rejet de l’amortissement comptable susceptible de justifier l’existence d’un intérêt public local (A.) tout comme, d’une façon plus mesurée, dans le contrôle de l’appréciation portée par la personne publique – adjudicataire sur l’offre de la personne publique – soumissionnaire (B.).
A. Une conception large de la notion d’amortissement
Par une sorte de considérant interprétatif, le Conseil d’État précise les sens et la portée de la notion d’ « amortissement » telle qu’elle est utilisée dans la décision de 2014. Il faut rappeler que la recherche d’un amortissement des investissements avait été présentée dans la décision de 2014 comme une circonstance de nature à justifier l’existence d’un intérêt public local, lui-même constituant une justification à la candidature de la personne publique. Il jugeait ainsi que :
la candidature d’une collectivité territoriale à l’attribution d’un contrat de commande publique peut être regardée comme répondant à un intérêt public local lorsqu’elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité a la charge, notamment parce que l’attribution du contrat permettrait d’amortir des équipements dont elle dispose. Cet amortissement ne doit toutefois pas s’entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l’intérêt qui s’attache à l’augmentation du taux d’utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins.
Le Conseil d’État, suivant en cela les conclusions de son Rapporteur public et contrairement à la CAA, a refusé de rigidifier l’analyse de l’amortissement. De la formulation du 3econsidérant, il résulte que c’est bien une approche économique, un peu lâche, vaguement intuitive, qu’établit le Conseil de l’amortissement. On peut même s’interroger sur la pertinence de recourir à ce terme.
Ayant adopté une lecture littérale de la décision de 2014, la CAA de Nantes, sur renvoi, s’était attachée à vérifier que la durée totale du contrat inter-départemental, y compris les reconductions prévues, était entièrement incluse dans la période comptable d’amortissement de la drague :
il ne résulte pas des données comptables fournies en défense que la drague » Fort Boyard » ait été intégralement amortie sur la période prévue pour la durée du contrat y compris celle correspondant à sa reconduction
Sans aller jusqu’à apprécier le niveau de l’amortissement, la CAA s’était toutefois attachée à vérifier que l’amortissement était possible. En ce sens, la CAA avait vérifié que le « prolongement de l’activité de service public » était bien présente, et, en conséquence, que le département de la Charente-Maritime présentait bien un intérêt public local.
Or, il nous semble que cette approche est effectivement trop étroite. On peut comprendre que la CAA était tenue par les moyens développés par les parties. Mais, plutôt que d’apprécier strictement si la période contractuelle était incluse dans la période d’amortissement comptable, le Conseil d’État étend non pas l’intérêt en lui-même, mais les modalités de preuve de l’intérêt. Il juge ainsi que :
Cet amortissement ne doit toutefois pas s’entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l’intérêt qui s’attache à l’augmentation du taux d’utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins. Par suite, en se bornant à prendre en compte la durée d’amortissement comptable de la drague » Fort Boyard » pour apprécier l’intérêt public local de la candidature du département de la Charente-Maritime, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit.
Ce que le Conseil d’État met derrière le terme « amortissement » – qui d’ailleurs, n’est pas exclusif et n’était présenté en 2014, que comme une hypothèse parmi d’autres – relève plutôt d’une forme de rationalité économique.
La charge probatoire que supporte la personne publique qui entend soumissionner à une procédure d’appel d’offre est donc limitée dans son contenu, et corrélativement étendue dans sa forme, à l’existence d’une rationalité économique. Dans le raisonnement du Conseil d’État, c’est l’existence d’une raison économique à la soumission qui caractérise l’intérêt public local. L’intérêt économique – à titre accessoire – est absorbé et contribue à donner corps à la notion d’intérêt public local.
La simple raison économique peut être pertinente. On comprend la logique du Conseil. Les collectivités peuvent être amenées à investir de lourdes sommes dans l’achat de matériel (par exemple, des camions bennes) ou dans le développement d’un savoir-faire (par exemple, les analyses vétérinaires, comme dans l’espèce ayant donné lieu à la décision Département de l’Aisne, préc.). L’extension territoriale des activités permet d’augmenter le nombre d’usager bénéficiaires de la prestation économique rendue sous forme de service public, et donc de réaliser des économies d’échelle, d’augmenter les recettes, ou d’améliorer le service. Le Conseil considère ainsi que l’intérêt public peut être local lorsque le service entraîne un flux financier vers la collectivité exerçant l’activité.
On retrouve ici, en substance, le mécanisme du contrôle du respect du principe de spécialité par les établissements publics. Selon ce principe, les établissements publics ne peuvent exercer d’autres activités que celles qui leur sont imposées par leur texte organique que si ces activités constituent des accessoires à leurs missions principales. Le Conseil a souvent reconnu que l’accessoire puisse être établi par l’augmentation des ressources et l’optimisation de l’activité exercée (CE, Avis, 7 juillet 1994, Électricité de France, req. n° 356089).
On notera justement que, pour que l’accessoire reste l’accessoire, il ne doit pas devenir le principal…C’est la raison pour laquelle le Conseil prend soin de préciser – innovant par rapport à la décision de 2014 – que les équipements de la personne publique – soumissionnaire ne doivent pas être « surdimensionnés par rapport à ses propres besoins ». On lit ici la volonté de prévenir le surinvestissement par rapport aux services publics dont ils sont censés permettre l’exercice, dans l’optique de contenir la banalisation des activités accessoires et, de fait, la normalisation de l’intervention concurrentielle des personnes publiques au-delà du territoire « naturel » sur lequel le service public est censé être fourni. Le lien avec le service public, cause et justification de l’extension des activités économiques des personnes publiques vers le marché concurrentiel, doit toujours être assuré.
B. Une approche économique limitée à l’erreur manifeste de l’analyse de la structure des coûts
L’approche retenue par le Conseil d’État pour la mise en application du principe dégagé dans sa décision de 2014 fait également preuve de réalisme économique dans l’analyse que le juge doit porter sur la structure des coûts de l’offre de la personne publique – soumissionnaire. Plus précisément, il appartient, selon le Conseil d’État, au juge de vérifier que « le pouvoir adjudicateur ne s’est pas fondé, pour retenir l’offre de la collectivité, surun prix manifestement sous-estimé au regard de l’ensemble des coûts exposés ».
Comme en matière de contrôle des offres anormalement basses, le contrôle du juge ne porte pas directement sur l’offre mais sur le contrôle opéré par la personne publique – pouvoir adjudicateur. Il est en outre limité à l’erreur manifeste d’appréciation (pour un exemple récent de cette position jurisprudentielle constante : CE, 13 mars 2019, Société Sepur, req. n° 425191).
La limitation du contrôle à l’erreur manifeste d’appréciation peut se comprendre dans la mesure où l’analyse de structure des coûts n’est pas une opération qui relève de l’évidence. Il s’agit d’une démarche comptable qui repose nécessairement sur une simplification – modélisation – de la réalité.
Le réalisme économique ressort de l’exigence de contrôle in concretodes éléments probatoires soumis au juge, et qui sont supposés fonder l’appréciation de l’autorité adjudicatrice.
Il faut dire que le Conseil avait pris soin, dès la décision de 2014, de baliser et de faciliter la disponibilité des éléments de preuve. Dans son considérant de principe, la Haute juridiction soumettait l’absence d’atteinte à la concurrence « à [la] condition qu[e la personne publique – soumissionnaire] puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié ». On retrouve ici tant la solution dégagée dans l’avis contentieux Société Jean-Louis Bernard consultants (CE, Avis, 8 novembre 2000, req. n° 222208) que les exigences issues du droit européen s’agissant de la transparence des relations financières dans le cadre de l’actionnariat public (Dir. 2006/111 du 16 novembre 2006).
De ce point de vue, si l’exigence pour les collectivités d’établir des budgets séparés et de conférer l’autonomie financière à la gestion d’un service public industriel et commercial, exigence rappelée au 8e considérant de la décision commentée, facilite le contrôle et la détection d’éventuels subventions croisées, elle ne suffit pas, à elle seule, à assurer la fiabilité de la structure des coûts présentée.
Au 11e considérant de la décision commentée, le Conseil d’État conduit une analyse de l’erreur manifeste de l’appréciation portée par le Département de la Vendée sur l’offre du Département de la Charente-Maritime. Après avoir constaté, comme la CAA avant lui mais de façon beaucoup moins détaillée qu’elle, que l’autorité adjudicatrice s’était vue présenter un « sous-détail des prix », le Conseil admet la plausibilité économique du prix proposé par le Département de la Charente-Maritime. La CAA avait, quant à elle, pris soin de préciser que le service était « soumis à des obligations fiscales et comptables comparables à celles des entreprises privées ».
Rien n’aurait interdit au juge administratif d’importer du droit de la concurrence le test dit du concurrent aussi efficace utilisé dans l’application de l’article 102 TFUE. La pertinence du recours à ce test qui permet d’opérer une comparaison entre les coûts d’une entreprise dont le comportement est contesté et les coûts d’une entreprise standard, inexistante dans la réalité, est d’autant plus certaine qu’il permet justement d’apprécier un éventuel abus de position dominante d’entreprises publiques (Voir, par ex. CJUE, 27 mars 2012, Post Danemark c/ Konkurenceradet, aff. C-209/10). La divergence des méthodes entre les juges, si elle ne doit pas être sous-estimée, n’explique pourtant pas tout. Dans ses conclusions sur la décision Manufacture des produits chimiques de Tournan, (CE, Ass, 29 avril 1966, req. n° 60570, AJDA 1966.365), le Commissaire du Gouvernement Kahnavait su développer une analyse relativement poussée et économiquement formalisée de la structure des coûts de produits étrangers, dans le cadre d’un litige en matière de droits anti-dumping qui n’a rien à envier aux arrêts des juridictions de l’Union rendus en matière de concurrence.
La raison de la retenue du juge administratif doit plus sûrement être trouvée dans la subtilité que le contrôle qu’il opère ne porte pas directement sur le prix, mais sur l’appréciation de l’autorité adjudicatrice sur l’offre de la personne publique – soumissionnaire. On peut penser que, sans doute, le contrôle de l’appréciation, contrôle de second degré différent du contrôle du prix lui-même, interdit le recours à des méthodes économiquement plus poussées dès lors que l’autorité adjudicatrice n’y recours pas elle-même.
II. Un nécessaire recours au formalisme juridique
Juger l’intervention économique des personnes publiques n’est pas renoncer au raisonnement juridique. Le souci d’une approche économiquement réaliste du contrôle ne conduit pas à l’abandon de la rigueur – nécessaire – du formalisme juridique. L’économie juridique implique un cadre normatif qui ne saurait se soumettre entièrement à la volatilité des faits économiques.
C’est pourquoi le Conseil d’État apprécie de façon juridiquement formalisée tant l’existence d’un intérêt public local (A.) que le contrôle du respect de l’autonomie financière du SPIC, qui relève, en l’espèce, d’un quiproquo (B.).
A. Une approche formelle de la notion d’intérêt public local
Par une forme d’ellipse, après avoir posé le principe d’une approche économiquement réaliste de la notion d’amortissement au 3econsidérant, notion dont la caractérisation permet de situer l’offre dans le prolongement des activités de service public et donc de prouver l’existence d’un intérêt public local, le Conseil d’État revient à une méthode juridiquement formaliste lorsqu’il s’agit d’appliquer ce principe au cas d’espèce.
L’analyse conduite au 9e considérant, au regard de l’existence d’un intérêt public local lié à la diversification des activités, fait pour le moins preuve d’une grande retenue dans la recherche du sens économique. Le Conseil constate que si « la drague […] a été dimensionnée pour faire face aux besoins et spécificités des ports d[u] département » elle n’est toutefois « utilisée qu’une partie de l’année pour répondre à ces besoins ». De sorte que l’extension des activités du service hors des limites territoriales de la collectivité, peut être réalisée « sans compromettre l’exercice de cette mission ».
Le lien avec le service public est non seulement maintenu (cf. I.A.), mais encore le juge prend-t-il soin de noter que l’activité accessoire ne « compromet » pas l’exercice de cette mission. Pour le reste, le juge se contente de souligner que l’activité accessoire permet « d’amortir l’équipement et de valoriser les moyens dont dispose » le Département de la Charente-Maritime.
Assez paradoxalement, l’analyse conduite par la CAA d’un point de vue comptable apparaît sans conteste plus détaillée que celle issue de la décision commentée, alors même que le Conseil a censuré l’arrêt de la CAA motif pris de la nécessité d’adopter une approche économiquement réaliste. On constate ainsi que le réalisme économique n’implique pas nécessairement que l’analyse qui en découle soit économiquement formalisée. Autrement dit, le réalisme économique peut se traduire par une simple analyse de surface. Il est en effet « de bon sens » que l’extension des activités permet d’assurer l’amortissement des investissements. On retrouve un trait caractéristique de la preuve économique qui parvient toujours facilement à s’asseoir sur l’évidence de l’intuition.
Aucune trace en revanche, de l’analyse conduite par rapport au fait de savoir si l’extension de l’activité était économiquement rentable au-delà de l’appel au « bon sens économique ». Aucune trace, non plus, des modalités d’appréciation du surdimensionnement des équipements utilisés dans le cadre du service public. Il est ainsi, a priori, paradoxal de relever que la drague du Département de la Charente-Maritime est d’un côté à l’arrêt « une partie de l’année » et d’affirmer, d’un autre côté, qu’elle est « dimensionnée » aux besoins du service public. Ni l’arrêt de la CAA, ni la décision du Conseil n’abordent cette contradiction apparente. Il est tout à fait possible que des éléments circonstanciés aient été proposés à titre de preuve mais la motivation des décisions ne le fait pas apparaître.
Cette lacune est assez dommage puisque le Conseil d’État fait du critère du dimensionnement aux besoins du service public une condition de légalité de la diversification des activités. Quelques éléments d’appréciation, de nature à vaincre la contradiction apparente, auraient été bienvenus.
B. Quiproquo juridique autour de l’autonomie financière
L’un des moyens développé par la société requérante consistait à soutenir que l’exercice de l’activité de dragage par le Département de la Charente-Maritime contrevenait à une supposée exigence d’exercice des services publics industriels et commerciaux sous forme de régie dotée de la personnalité morale.
La motivation de la décision ne fait pas apparaître la formulation exacte du moyen. Il résulte pourtant très clairement de l’article L. 2221-4 du Code général des collectivités territoriales que le législateur a entendu offrir le choix aux collectivités territoriales de gérer un service public industriel et commercial avec ou sans personnalité morale, pourvu, cependant que la séparation comptable soit toujours assurée.
L’existence d’une séparation comptable permet d’éviter les subventions croisées. Ce phénomène apparait lorsque les personnes publiques affectent des ressources provenant d’autres activités de service public ou du budget général à une activité concurrentielle. La technique permet de faire artificiellement baisser le coût du service et donc le prix proposé sur le marché, créant ainsi pour la personne publique une position concurrentielle artificiellement plus favorable. Elle peut être mise en œuvre, par exemple, lorsque des fonctionnaires sont rémunérés sur le budget général de la commune, mais réalisent des prestations annexes pour le compte d’une activité concurrentielle assumée par leur employeur, sans que ce dernier n’en répercute exactement le coût salarial dans le coût de l’activité concurrentielle.
Anciennement codifiée à l’article L. 323-3 du Code des communes, elle trouve son origine dans un décret du 28 décembre 1926. Hormis dans la présente affaire, cette disposition ne fait l’objet de presque aucun contentieux. L’exigence de séparation comptable est la seule posée par la norme de référence du contrôle et était, en l’espèce, respectée. Le moyen soulevé par la société requérante semble alors manifestement erroné.
Cependant, si l’on comprend bien l’argumentation de la société requérante, telle que présentée dans l’exposé des moyens de l’arrêt de la CAA, une distinction aurait dû être faite entre autonomie financière et budget annexe. La requérante soutenait ainsi que « le département de la Charente-Maritime était tenu de présenter sa candidature par l’intermédiaire d’une régie dotée a minima de l’autonomie financière et non pas dans le cadre d’un simple budget annexe ».
Force est de constater que ni la CAA, dans son arrêt du 4 novembre 2011 (req. n° 10NT01095) comme dans celui du 12 avril 2017 (req. n° 15NT00322), ni le Conseil d’État, dans la décision commentée, ne répondent précisément à ce moyen.
Les juges administratifs ont à trois reprises jugé qu’il résulte de l’article L. 2221-4 CGCT que le Département de la Charente-Maritime n’était pas tenu de constituer une régie dotée de la personnalité morale, c’est-à-dire un EPIC, pour assurer la gestion du service.
Or, il nous semble que ce n’est pas exactement la problématique soulevée par le moyen de la société requérante. Dire que l’autonomie financière ne peut être traduite que par l’existence d’un budget annexe n’est pas dire que l’autonomie financière implique nécessairement la personnalité morale. Autrement dit, si l’on comprend bien le moyen, l’autonomie financière impliquerait une autonomie de gestion – voire une autonomie économique – qui ne peut être démontrée uniquement par l’existence d’un budget annexe.
Les juges administratifs assimilent le grief tiré de l’absence d’autonomie financière à celui tiré de l’absence de personnalité morale…tout en jugeant que l’absence de personnalité morale n’implique par l’absence d’autonomie financière. Ils manquent donc la substance du moyen et évitent de prendre position sur une question qui apparaît bien plus large et inédite.
En revanche, il clair que les développements récents du droit de l’Union s’agissant des EPIC au regard du droit des aides d’État entraîne a fortiori, mais pour d’autres raisons (voir La présomption d’avantage conféré par l’État à ses EPIC : mode d’emploi), des interrogations sérieuses sur la pérennité des SPIC non dotés de la personnalité morale, dès lors que leurs activités entrent dans le champ d’application du droit de l’Union.
Quelle que soit la mésinterprétation du juge administratif, le moyen apparait comme bien fragile. Aucune norme, ni française ni européenne, n’impose d’autonomie de décision dans la gestion des SPIC. Quant à l’autonomie financière comprise dans le sens d’une prohibition des subventions croisées, la séparation comptable traduite par l’établissement d’un budget annexe y répond à suffisance. Ainsi, à supposer même que le juge administratif ait répondu précisément au moyen, il n’aurait été conduit à constater aucune illégalité.
Le Conseil d’État adopte ici une position juridiquement formaliste, éloignée des questionnements liés à la réalité de la gestion économique des SPIC.
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