RÉSUMÉ
Se dirige-t-on vers l’ère du chômage de masse ? Cette perspective n’est pas à exclure si l’on n’infléchit pas les forces naturelles de l’économie à l’œuvre depuis ce début de siècle. L’automatisation et la course à la productivité réduisent inexorablement le besoin en main d’œuvre humaine. Les formidables progrès dans l’intelligence artificielle permettent l’automatisation d’un grand nombre de professions que l’on pensait protégées. Faut-il pour autant s’y résoudre ?
Au-delà des spéculations sur l’ampleur de l’automatisation à venir, l’ambition de ce travail prospectif est d’explorer des solutions potentielles pour préserver l’emploi humain dans le futur. L’emploi face à l’automatisation figure parmi les nouveaux enjeux globaux qui obligent à mettre au point des solutions transversales et à faire appel aux « forces imaginantes du droit » pour concevoir le cadre juridique de demain. Plusieurs idées innovantes sont ainsi proposées, allant de l’échelle nationale à l’échelle internationale et du court terme au moyen terme :
– Créer un « label automatisation » qui informe le consommateur de la part de travail humain et non-humain incorporé dans chaque produit qu’il achète ;
– Envisager l’interdiction de certains robots de « services » lorsqu’ils n’ont pas d’impact direct sur la compétitivité nationale – tels que les robots serveurs, grooms, vigiles ou cuisiniers ;
– Créer un « droit d’alerte automatisation » à la disposition des salariés, pour alerter le grand public lorsqu’ils sont confrontés à un projet d’automatisation de leurs emplois ;
– Créer un Fonds social d’accompagnement européen – financé par un pourcentage de l’impôt sur les sociétés – pour indemniser et favoriser la reconversion des salariés victimes de l’automatisation ;
– A l’échelle du droit commercial multilatérale, interdire les mesures de rétorsion envers les pays ayant décidé de taxer les robots ou les importations de produits incorporant un fort pourcentage de travail non-humain.
SOMMAIRE
PARTIE 1 : L’ACTION SUR LE DROIT DU TRAVAIL
CHAPITRE 1 : LA VOIE VOLONTARISTE
Section 1 : La réduction du temps de travail
Section 2 : La révision du droit applicable aux licenciements pour motif économique
CHAPITRE 2 : LA VOIE SOUPLE
Section 1 : Renforcer la formation des salariés et les mesures sociales d’accompagnement
Section 2 : Renforcer l’information et la participation des salariés à la prise de décisions concernant la robotisation de leur entreprise
PARTIE 2 : L’ACTION SUR LES ROBOTS
CHAPITRE 1 : L’EXISTENCE CONTRE-INTUITIVE DE MARGES DE MANŒUVRES NATIONALES
Section 1 : L’interdiction ciblée des robots à l’effet neutre sur la compétitivité nationale
Section 2 : L’introduction de dissuasions destinées aux utilisateurs directs ou indirects de robots
CHAPITRE 2 : LA PREFERENCE POUR UNE REGULATION COMMUNAUTAIRE ET MULTILATERALE
Section 1 : L’introduction d’une taxe sur les robots à l’échelle communautaire
Section 2 : La nécessaire adaptation du droit commercial multilatéral
Introduction
La légende de John Henry, issue du folklore américain, raconte l’histoire d’un ancien esclave devenu ouvrier et qui fut le meilleur « pousseur d’acier » de sa génération dans la conquête de l’Ouest américain par le chemin de fer. Né d’un physique hors norme, il défia le marteau à vapeur utilisé pour creuser des tunnels et par lequel on ambitionnait de remplacer l’emploi des travailleurs noirs. Après une lutte mythique, John Henry parvint à surpasser la machine mais fut bientôt sujet à une crise cardiaque et s’écroula, mort d’un effort surhumain. L’histoire de John Henry, relayée par la culture populaire et brandie en exemple par les syndicats, est l’une des premières illustrations de l’anxiété suscitée par les machines et de la peur qu’elles dérobent les emplois que l’homme occupe aujourd’hui. Ainsi que l’économiste marxiste Joan Robinson a pu le formuler, non sans ironie, « the misery of being exploited by capitalists is nothing compared to the misery of not being exploited at all »1.
Les craintes autrefois liées à la machine se sont accrues jusqu’à se transformer, en raison du progrès technique, en une crainte des robots. Les inquiétudes quant à la robotisation sont croissantes et entament une véritable entrée dans le débat public. Toutefois, les termes du débat sont non seulement imprécis, mais surtout centrés sur le constat de la robotisation en cours et non sur les solutions à y apporter. En conséquence, seule notre introduction fera état dudit constat (paragraphe 1), de manière à pouvoir se concentrer, dans les développements, sur les solutions à apporter à la pénétration de la technologie dans le monde du travail et aux menaces qu’elle fait planer sur l’emploi humain. L’introduction visera également à mettre à l’écart les solutions trompeuses – pourtant les seules que l’on retrouve dans le débat public – que sont la croyance dans les capacités de l’économie à s’adapter naturellement et sans douleur à la robotisation en créant de nouveaux emplois (paragraphe 2) et l’instauration d’un revenu universel (paragraphe 3). C’est, enfin, naturellement qu’en découlera l’intérêt du sujet ainsi que son traitement (paragraphe 4).
I/ Définition et constat de la robotisation
C’est en 1920 que le terme « robot » apparaît pour la première fois, dans la pièce RUR (Rossum’s Universal Robots) du Tchèque Karel Čapek. Le mot, dérivé du tchèque « robota », fait alors référence à un travail pénible, à une corvée. Au sens strict, on peut aujourd’hui définir le robot comme étant une machine matérielle, alimentée en énergie, capable d’agir sur le réel, de prendre des décisions et de percevoir son environnement. Un robot serait alors constitué de capteurs, qu’ils soient visuels, sonores, olfactifs, vibratoires, calorifiques (pour permettre au robot de repérer le monde qui l’entoure), d’un processeur (pour interpréter les données collectées) et d’actionneurs (qui reçoivent les ordres du processeur et agissent en conséquence). Toutefois, l’exigence d’un critère de matérialité chez le robot conduit à exclure les agents logiciels dématérialisés, qui traitent de l’information en faisant preuve d’intelligence. Le terme de robot semble donc exclure a priori certaines formes d’intelligence artificielle2, tels que les moteurs de recherche ou les algorithmes utilisés par les entreprises. Cette étude retiendra, à l’inverse, une acception élargie du terme de robot qui pourra englober tout « dispositif artificiel, matériel ou immatériel, conçu pour effectuer des opérations selon un programme fixe ou modifiable »3. Par commodité langagière, on regroupera ainsi sous l’expression « robotisation » ou « automatisation » toute substitution de robots, d’algorithmes ou de programmes ayant recours à l’intelligence artificielle plutôt qu’à des opérateurs humains pour l’accomplissement de tâches productives.
La peur des robots n’est pas récente. Le chercheur en intelligence artificielle Jean-Claude Heudin4 voit pour sa part quatre origines à la peur des robots. Cette peur est d’abord instinctive : l’attirance et la curiosité que suscitent les robots chez l’homme cèdent rapidement la place à un mouvement de recul, de peur de s’exposer à une menace potentielle. Elle est ensuite religieuse. Seul Dieu a en effet pu créer Adam à partir d’argile et lui a donné le souffle de la vie. La création d’artefacts imitant la vie est, à ce titre, formellement interdite par le second commandement du décalogue : « Tu ne feras aucune image sculptée, rien qui ne ressemble à ce qui est dans les cieux là-haut, ou sur terre ici-bas, ou dans les eaux au-dessous de la terre ». La troisième explication à la peur des robots avancée par l’auteur est néo-ludique. Il s’agit ici de la crainte d’être dépassé par la technologie et d’être condamné au chômage – à l’instar des canuts lyonnais qui, dans les années 1830, ont été confrontés à l’introduction du métier à tisser Jacquard. Cette inquiétude est parfois qualifiée de luddisme, ou de néo-luddisme, en référence au mouvement de protestation anglais du début du XIXe siècle au cours duquel des « briseurs de machines », fédérés autour de la figure fantasmée de Ned Ludd (ancien ouvrier textile qui aurait cassé deux métiers à tisser en 1790), s’étaient également soulevés contre l’introduction de la technique dans l’industrie textile. Enfin, la quatrième raison à la peur des robots serait culturelle. Les auteurs romantiques du XIXe siècle (Hoffmann, Shelley, Poe, Balzac, etc.) ont été nombreux à aborder la figure du robot en lui conférant une dimension funeste.
A ces déterminants de nature instinctive, historique ou culturelle peut désormais s’ajouter une nouvelle cause à la crainte des robots. Cette dernière est d’ordre empirique et ne tient qu’à l’observation du réel. Il apparaît en effet que les avancées technologiques en matière d’automatisation, de robotisation et d’intelligence artificielle se font, depuis deux décennies, à un rythme sans précédent et dans un nombre croissant de matières. Les domaines d’activités concernés ne sont en effet plus limités à l’industrie et aux chaînes de production, que l’on associe spontanément à l’image de grands bras articulés remplaçant les travailleurs. Cette partie de la robotisation a, en réalité, déjà été largement effectuée. A l’heure actuelle, ce sont d’autres domaines qui sont ciblés, sans pour autant que l’automatisation y soit aussi visible que dans l’industrie traditionnelle : l’agriculture, le commerce, les services, la défense, la santé, l’éducation. Valéry Bonneau, dans Mon collègue est un robot5, dresse un état des lieux de la technologie en matière de robotique. Il présente ainsi au lecteur un grand nombre de robots souvent insoupçonnés : Kiva et Baxter (manutentionnaire) ; Motoman (chef cuisinier) ; Google Car (chauffeur de taxi) ; ASIMO (assistant à la personne) ; Aircobot (inspecteur des travaux finis), ou encore Roxxxy (prostituée) et Wall Ye V. I.N., vigneron – qui s’accompagne même d’un confrère goûteur de vin, capable de repérer les défauts les plus visibles des breuvages qui lui sont soumis. Bien que l’on ne rencontre pas encore l’ensemble de ces robots au quotidien, il semble se profiler une menace potentielle pour les travailleurs dans un grand nombre de domaines, d’autant plus que « chaque jour apporte une nouvelle idée, un nouveau métier dans l’escarcelle des robots »6. D’après l’International Federation of Robotics, les ventes mondiales de robots industriels devraient enregistrer une croissance annuelle de 15 % en moyenne sur les deux prochaines années, pour atteindre 400 000 unités vendues en 2018, contre un peu plus de 200 000 en 2014. L’Asie, et particulièrement la Chine, entend rattraper son retard en investissant massivement dans l’équipement robotisé. En 2018, plus de 2,3 millions de robots industriels seront déployés dans le monde, dont 1,4 million en Asie. Ce chiffre est d’autant plus considérable qu’il ne prend pas en compte les robots non industriels (les robots domestiques, les robots de services, les logiciels, etc.). Le Parlement européen a chiffré, quant à lui, à 17 % la croissance annuelle moyenne des ventes de robots entre 2010 et 2014, pour atteindre un pic de 29 % de croissance en 20147.
Au-delà des chiffres de court terme, certains chercheurs ou organismes ont pu tenter de chiffrer l’ampleur de la robotisation qui s’annonce. L’étude la plus couramment citée est celle de Carl Frey et Michael Osborne8, chercheurs à l’Université d’Oxford. Ces derniers ont estimé à 47 % la part d’emplois susceptibles d’automatisation aux Etats-Unis d’ici à 2050, sur sept-cents emplois examinés. Une étude du cabinet Roland Berger a appliqué la même analyse à la France et en a déduit que 42 % des emplois actuels connaissaient un risque élevé d’automatisation d’ici à vingt ans9. Le think tank européen Bruegel estime pour sa part que 50 % des emplois français pourraient être concernés10, une proportion presque modeste en comparaison avec d’autres pays européens : l’Allemagne (51 %), mais surtout les pays d’Europe du Sud comme l’Espagne (55 %), l’Italie (56 %) et de l’Est, tels que la Pologne (56 %) ou la Roumanie (62 %) seraient encore plus gravement touchés. En novembre 2015, la très sérieuse Banque d’Angleterre a réalisé sa propre étude pour estimer que 15 millions d’emplois étaient directement menacés par la robotisation au Royaume-Uni. Mais le global institute du cabinet de conseil américain Mc Kinsey est à l’origine de prévisions plus alarmistes encore. Mis à jour en janvier 2017, portant sur quarante-six pays et 80 % des emplois existants dans le monde, le rapport estime que 78 % du travail physique prédictible pourrait être remplacé dans les cinquante prochaines années. Il est révélateur de noter que ces rapports, largement étayés, proviennent alternativement d’entreprises au cœur du système capitaliste ou d’organismes dont le sérieux n’est plus à prouver (et non pas d’ONG que l’on pourrait taxer d’antimondialisation ou de technophobie).
Notons toutefois qu’une étude, menée par l’OCDE et portant sur 21 pays, tend à relativiser les pourcentages ci-dessus11. Elle estime à seulement 9 % le pourcentage d’emplois français présentant un fort risque d’automatisation. La différence avec les études précédentes tient à la méthode employée. Dans le premier type d’études, les auteurs partent du principe que ce sont des professions entières qui sont automatisées, alors que seules certaines tâches le sont en réalité. Pour l’OCDE, il convient de prendre en compte le fait qu’une même profession peut être composée de missions hétérogènes et qu’elle ne disparaît que si au moins 70 % des tâches qui la composent sont susceptibles d’automatisation. Or l’intelligence artificielle est souvent mono-tâche, ce qui l’empêche de remplacer le travail humain lorsque ce dernier requiert de la polyvalence. L’étude de l’OCDE contraint donc à nuancer les chiffres avancés précédemment. Toutefois, cette étude peut elle-même être reconsidérée. D’une part, étant d’origine étatique, elle a un intérêt à contrer le vent de panique insufflé par les études précédentes en faisant le pari de la stabilité. La méthode retenue est donc volontairement optimiste et ne tient pas compte du fait que, si certaines professions subsisteront en dépit de leur automatisation partielle, les gains de productivité engendrés12 conduiront inéluctablement à une diminution des effectifs et donc à une hausse du chômage. Il ne faut donc pas confondre disparition totale d’une profession et accroissement du chômage, lequel est autonome. D’autre part, les 9 % d’emplois fortement menacés pourraient sembler dérisoires rapportés aux 78 % du cabinet Mc Kinsey, mais ils représentent tout de même, à l’échelle de la France, environ deux millions de chômeurs supplémentaires, ce qui est considérable. L’étude précise en outre que ce pourcentage culmine à 40 % pour les emplois faiblement qualifiés. On comprend donc que même les prévisions les plus optimistes ne dépeignent pas un futur radieux pour le monde du travail.
II/ L’illusion d’une reconversion sans douleur de l’ensemble de l’économie
Le remplacement potentiel de l’homme par les robots pourrait être vu comme une opportunité13. Le premier, autrefois esclave de son travail, serait libéré par les seconds et pourrait s’adonner à des activités autres, telles que la vie associative ou familiale, ou encore à des formes de travail faisant appel à des qualités proprement humaines, telles que la créativité, l’inventivité ou le management, par opposition au travail rébarbatif d’antan. De nombreux défenseurs du bouleversement qui s’annonce voient ainsi, paradoxalement, la robotisation comme une opportunité de privilégier le travail réellement humain.
Un tel optimisme semble pourtant en contradiction avec plusieurs observations. D’abord, il néglige le rôle structurant du travail dans la vie des individus. Le travail est à l’origine d’un grand nombre d’interactions sociales, il donne aux individus le sentiment d’être utiles à la société et d’être rémunérés pour le service rendu, il confère à chacun un emploi du temps lisible. On sait que l’inactivité conduit à des journées moins structurées, éloignées du rythme biologique, à une perte d’interactions sociales – que le sociologue Robert Castel qualifie de désaffiliation14 – et à un sentiment de mal-être chez la majorité des personnes concernées. Or rien ne permet d’affirmer que l’ensemble des individus qui pourraient, demain, être privés de leur emploi parviendraient à s’épanouir grâce à de nouveaux engagements qui donneraient une armature solide à leur existence15. Une société où le travail se raréfie et est inégalement partagé livrerait les citoyens à eux-mêmes et risquerait de se transformer en poudrière sociale. Ainsi, à moins de raisonner dans les termes incertains de la post-modernité, le travail reste l’une des conditions fondamentales de la vie en société.
Ensuite, il semble illusoire de compter sur une création d’emplois équivalente au nombre d’emplois détruits par la robotisation. En 1942, l’économiste Joseph Schumpeter fait paraître aux Etats-Unis l’ouvrage Capitalisme, Socialisme et Démocratie, dans lequel il expose le concept de la « destruction créatrice ». Celle-ci est un processus à la faveur duquel les économies évoluent au rythme, d’un côté, de la destruction des emplois dépassés par l’évolution de la technique et des besoins et, de l’autre, de la création de nouveaux emplois dus à l’apparition d’activités économiques inédites. La notion de destruction créatrice fournit un argument fort aux défenseurs de la robotisation. Il est vrai que nul ne saurait prédire l’avenir et qu’il n’est pas impossible que la technologie ouvre de nouveaux champs fertiles en termes d’emploi. Toutefois, il n’importe pas simplement que les bouleversements en cours créent des emplois, mais bien qu’ils en créent au moins autant que ceux qui ont été supprimés. A ce titre, tout laisse à penser qu’une telle perspective est fort peu probable et ce, pour plusieurs raisons.
D’une part, parce que le spectre des emplois concernés aujourd’hui par le mouvement de robotisation est sans commune mesure avec celui d’hier16. A l’heure où Schumpeter présentait son concept de destruction créatrice, les innovations se faisaient certes par « grappes » mais apparaissaient successivement et dans des secteurs précis (par exemple, les palefreniers ont été remplacés par les fabricants d’automobiles à la suite de l’invention du moteur à explosion). A l’inverse, aujourd’hui, les innovations apparaissent simultanément et dans l’ensemble des secteurs de l’économie. De l’industrie à l’éducation, en passant par les services à la personne, l’agriculture, la banque17), le commerce, la santé, les transports ou la défense, c’est la majorité des secteurs qui sont touchés dans un même laps de temps. La transition est donc d’une toute autre ampleur et, dès lors, bien plus délicate à gérer.
D’autre part, si l’on ne saurait nier la création d’activités nouvelles, il semble qu’elles sont relativement pauvres en emplois au regard de la valeur qu’elles génèrent. Dans un long article du magazine The Atlantic18, on comparait AT&T, leader des télécommunications il y a cinquante ans, avec Google. En 1964, la valeur boursière d’AT&T atteignait 267 milliards de dollars. La société Google, pour sa part, est aujourd’hui évaluée à plus de 1 000 milliards de dollars, soit une capitalisation boursière comparable en dollars constants. La différence entre les deux entreprises tient à leur nombre d’employés : 758 611 pour la première en 1964, 80000 environ pour Google aujourd’hui. Autrement dit, pour chaque dollar de valeur boursière, on employait 35 fois plus chez AT&T hier que chez Google aujourd’hui.
Par ailleurs, le discours optimiste sous-estime souvent le fossé grandissant entre les actifs qualifiés et non qualifiés. Si les premiers n’auront que peu de mal à s’adapter à la révolution numérique19, la transition sera plus ardue pour les seconds. Il est à ce titre fondamental de mettre l’accent sur la formation des jeunes actifs, pour faire coïncider leurs compétences avec les besoins du marché. Néanmoins, améliorer l’offre de formation ne saurait suffire à résoudre la question du chômage des peu qualifiés. Cela tient à deux raisons. La première réside dans l’illusion de penser que chacun a les capacités, moyens, soutiens familiaux et même l’envie de parvenir aux métiers dont le monde de demain aura besoin (développeur informatique, ingénieur, codeur, etc.). Un certain nombre d’individus ne pourront tout simplement pas acquérir suffisamment de compétences pour se rendre indispensables. La seconde raison est que, en supposant qu’ils y parviennent, le marché n’aurait de toute manière pas besoin d’employer par millions des travailleurs dans les domaines porteurs. Les exemples de Google et de Facebook montrent que seuls quelques dizaines de milliers d’employés dans le monde peuvent assurer le fonctionnement des grandes entreprises émergentes. Le raisonnement est le même en ce qui concerne les activités de maintenance, de conception ou de fabrication des robots. Elles entraîneront effectivement la création de quelques dizaines de milliers d’emplois, mais pas suffisamment pour assurer l’emploi de l’ensemble des travailleurs, en particulier parmi les moins qualifiés20. C’est donc une partie entière de la population qui pourrait être sacrifiée par la transition en cours.
On comprend donc que la « loi » de la destruction créatrice n’en est pas une. Il est vrai qu’historiquement, elle a eu tendance à se vérifier. Cependant, on ne saurait extrapoler, à partir d’une simple vérification historique, une vérité scientifique – Schumpeter était d’ailleurs le premier à affirmer que l’histoire était faite de ruptures imprévisibles. L’hypothèse la plus crédible au vu des éléments de contexte actuels est donc bien celle d’une destruction créatrice, mais dont la partie « destruction » est largement supérieure en emplois à la partie « création ».
En outre, les partisans de la robotisation21 avancent que celle-ci permettra, à moyen terme, de relocaliser les activités à proximité des consommateurs. Leur raisonnement est le suivant : si l’on remplace les travailleurs par les robots, il devient inutile de rechercher le plus bas coût du travail possible et de délocaliser les unités de production dans les pays à faible coût de main-d’œuvre, puisque le coût des robots et de l’électricité ne varie que peu à travers le monde. Mieux encore : les pays du Nord pourraient bénéficier d’un avantage comparatif puisqu’ils disposent d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, nécessaire à la conception et à la maintenance de ces robots. Cet argument, pour séduisant qu’il soit, doit également être nuancé. D’abord, rien ne permet d’affirmer avec certitude que la robotisation aura effectivement pour effet de relocaliser les productions22. Une part de travail humain sera probablement toujours nécessaire dans certaines productions et il est possible que cela suffise pour les maintenir dans les pays à faible coût du travail. Ensuite, cet argument n’interroge pas les conséquences humaines de telles relocalisations chez les pays du Sud qui en seraient les victimes – les pays occidentaux pourraient ainsi perdre le triste monopole du chômage[1]. Enfin, si l’on admet que l’hypothèse de la relocalisation se vérifiera dans les faits, il ne s’agit que d’une modeste consolation puisque, par définition, les activités relocalisées grâce à l’automatisation seront pauvres en emplois. Elles ne permettront aux Etats que de prélever des recettes fiscales qui leur échappaient jusqu’alors mais ne résoudront pas la question du chômage. Un exemple frappant est celui de la marque Adidas. La firme s’est récemment félicitée d’avoir relocalisé une partie de ses activités en Allemagne, pays qu’elle croyait avoir définitivement quitté en 1993, et annonce la création d’une usine en Bavière, laquelle usine sera robotisée à 100 %23. La région ne peut donc espérer que la création de quelques emplois indirects (transport, maintenance, etc.).
Enfin, certains auteurs soulignent, à juste titre, qu’il n’est pas certain que toutes les innovations aujourd’hui en germe fassent effectivement leur entrée dans le monde du travail. Ils mettent en lumière l’existence d’un « effet Concorde », qui s’interposerait entre la conception d’un nouveau robot et sa mise en circulation effective. Il convient à ce titre de reconnaître que le monde du travail est encore relativement préservé au regard des possibilités technologiques qui s’ouvrent. Toutefois, le fait que la révolution n’ait pas encore eu entièrement lieu ne dit rien de ses chances d’occurrence dans le futur et il tient de la prudence que de s’y préparer24. De même, si certaines innovations seront probablement abandonnées, ce ne sera pas le cas de l’ensemble d’entre elles et il est fort à parier que les innovations effectivement déployées suffisent à avoir un réel impact sur le marché du travail. De surcroît, l’économiste libéral Patrick Artus relève avec justesse qu’il s’est toujours écoulé un certain laps de temps entre l’apparition d’une invention et le déploiement concret de ses effets25. Cela permet d’appréhender son fonctionnement, de découvrir ses potentialités, de la rendre acceptable au public. En revanche, une fois qu’une innovation fait son entrée dans une entreprise, les entreprises concurrentes tardent rarement à l’imiter si elle leur permet de faire baisser leurs coûts ou de rattraper un avantage concurrentiel autre. L’adoption de technologies par les entreprises peut donc se faire de manière exponentielle. Il y a d’autant plus de raisons de croire en cette montée en puissance des robots que leur prix, pour l’instant élevé en raison du formidable travail de recherche nécessaire à leur conception, va diminuer grâce aux économies d’échelle et à l’amortissement des coûts fixes initiaux. Une autre explication à la timidité persistante des robots est avancée par l’économiste Jared Berstein, conseiller de l’ancien vice-président des Etats-Unis Joe Biden. M. Berstein estime que la décision des entreprises d’investir dans des robots ou dans des logiciels coûteux est retardée par le fait que les individus les moins qualifiés acceptent de travailler pour un salaire faible et dans des conditions précaires. D’après lui, c’est l’anémie des salaires qui contiendrait l’expansion des robots (on comprend que, réciproquement, l’augmentation des salaires pourrait précipiter le mouvement de robotisation)26. Cette thèse n’est qu’en partie exacte. On observe en effet que les travailleurs des pays du Sud, sous-payés, sont également menacés par la robotisation. En 2016, par exemple, l’entreprise Foxconn a automatisé une partie de l’un de ses sites en Chine, faisant immédiatement chuter les effectifs sur place de 110 000 à 50 000 travailleurs, soit une disparition de 60 000 emplois. De la même manière, dans son bestseller Rise of the Robots, Martin Ford relève qu’en matière bancaire, automatiser certaines tâches pourrait conduire à des économies de 50 % par rapport au coût du travail philippin ou encore de 34 % par rapport à celui du travail indien. Force est donc de constater que les travailleurs pauvres sont largement menacés par la automatisation27.
III/ L’illusion du revenu universel
Face à la perspective de raréfaction du travail, les voix s’élevant en faveur d’un revenu universel d’existence se font de plus en plus nombreuses28, 16 fév. 2017) alors que l’idée était suggérée par le rapport initial de la Commission juridique (Projet de rapport contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)), Parlement européen, Commission des affaires juridiques, 31 mai 2016, rapporteure : Mady Delvaux, point 23).)), à commencer par celle de Benoît Hamon. Le principe du revenu universel est que chaque individu, qu’il dispose ou non d’un emploi, perçoive un revenu de l’Etat au simple titre de son existence. Ce revenu permettrait aux personnes de consacrer moins de temps à leur activité professionnelle, de vivre mieux un temps partiel subi ou encore de subvenir à leurs besoins s’ils sont au chômage. L’idée est de combattre la précarité et la dépendance au travail grâce à un partage primaire des richesses produites par la société. Le revenu universel est sans doute une idée séduisante dans son principe, mais ne constitue pas une solution durable et satisfaisante au mouvement d’automatisation annoncé. On peut en effet le critiquer à deux titres : son financement délicat et sa philosophie contestable.
En ce qui concerne le financement, d’abord, on peine à voir comment instaurer un revenu universel ambitieux dans un contexte de restrictions budgétaires et où l’on ne cesse de critiquer la « pression fiscale ». Le montant de ce revenu est lui-même sujet à débat, oscillant entre un simple complément de salaire et un véritable petit pécule permettant de vivre de manière modeste. Le financement de ces sommes, qui représenteraient plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, se ferait vraisemblablement par une hausse des prélèvements fiscaux sur les ménages les plus aisés. Ceux-ci ne verraient donc pas leur revenu disponible augmenter à la suite de l’instauration du revenu universel. On ne comprend donc pas l’intérêt, sinon symbolique, de ce dernier par rapport à un simple rehaussement des aides sociales déjà existantes ou à une amélioration des procédures pour les percevoir (on sait à ce titre que 30 % des personnes éligibles au RSA ne touchent pas ce dernier). Si le but du revenu universel est de réduire la précarité des chômeurs et des travailleurs pauvres, le relèvement des aides existantes paraît à la fois plus commode dans sa mise en œuvre et plus clair dans son principe.
En ce qui concerne les philosophies sous-tendant le revenu universel, ensuite, il apparaît qu’elles oscillent entre le pessimisme et le cynisme. Le pessimisme, parce qu’elles semblent prendre acte de l’incapacité du système actuel de tendre au plein emploi29. Le cynisme, parce qu’elles ne remettent pas en cause cet état de fait et se contentent d’en atténuer les conséquences les plus délétères. Contrairement à ce que suggèrent les discours ambiants, le revenu universel n’est en effet pas l’apanage d’une philosophie socialiste et utopique, il est aussi le résultat d’une pensée libérale. Celle-ci consiste à accorder aux individus délaissés par le système suffisamment de ressources pour assurer leur subsistance et continuer de faire fonctionner, par leur consommation, l’économie en place. L’instauration d’un revenu universel, en cas de robotisation massive, semble ainsi être la dernière solution pour la survie du capitalisme. On peut enfin reprocher à la philosophie du revenu universel de négliger la préférence des individus pour le travail. La majorité d’entre eux, et particulièrement les jeunes diplômés, aspirent en effet à occuper un emploi qui corresponde à leurs études et à leurs goûts, et non à une forme d’assistanat d’un nouveau genre, imposé, culpabilisant et fondamentalement précaire au vu des montants envisagés. La philosophie du revenu universel est donc en contradiction avec l’aspiration des individus à travailler.
IV/ Intérêt et traitement du sujet
Il est paradoxal de constater que, si l’automatisation est source de craintes grandissantes, toute tentative de régulation de celle-ci est également regardée avec une certaine défiance. On redoute en effet la limitation de la liberté d’entreprendre30, l’accroissement du rôle d’un Etat d’ores et déjà jugé omnipotent par beaucoup et, surtout, l’isolement de la France et la perte de compétitivité des entreprises nationales. On entend régulièrement l’argument indéniable selon lequel le retard national en matière d’automatisation nuirait à la performance des firmes françaises. En effet, les comparaisons internationales du taux de robotisation, c’est-à-dire du nombre de robots installés pour 10 000 employés, montrent une relative faiblesse française par rapport à d’autres grands pays industriels occidentaux. Ainsi, alors que la France compte 126 robots pour 10 000 salariés, l’Allemagne en compte 301 et la Corée du Sud 500. Faute d’investissements suffisants, l’industrie hexagonale a donc plutôt décroché en matière d’automatisation. En adoptant cette logique, il est probable que des investissements massifs dans la robotisation des entreprises ferait gagner ces dernières en compétitivité et en parts de marché, ce qui conduirait mécaniquement, à court et moyen terme, à la création de quelques emplois31. Toutefois, une telle stratégie n’est valable que si le gain de compétitivité par rapport aux concurrents internationaux est réel, ce qui suppose qu’elle ne soit pas imitée par les autres pays. Or il y a fort à parier que chaque Etat cherchera à adopter une stratégie de domination, la plus rationnelle prise individuellement32, et que le mouvement global soit celui d’une robotisation exacerbée sans création d’emplois en parallèle. Pourtant, il est impossible de nier que pénaliser les robots à l’échelle nationale, sans que le reste du monde ne suive, serait un remède pire que le mal car conduisant à des effets de bord délétères (fuite des entreprises et des cerveaux). La situation semble donc inextricable.
Il existe pourtant une troisième voie, consistant en des réponses graduées au défi de l’automatisation. L’action politique n’a aucune raison a priori pour être inefficace ou contreproductive en matière de régulation de la technologie33. A l’échelle nationale, il n’est pas question de défavoriser les robots lorsque cela nuirait à la compétitivité du pays, mais bien d’introduire d’autres mesures tenant à la réforme de certains aspects du droit du travail, à la formation des salariés ou encore à l’interdiction ciblée de robots dont la disparition serait neutre en termes de compétitivité. A l’échelle internationale – c’est-à-dire européenne et multilatérale –, il est en revanche permis de faire preuve d’une plus grande ambition et de songer à une taxation, voire à une interdiction progressive de certains robots.
La question est dès lors de savoir comment réglementer le monde des robots sans douleur pour l’économie à court ou long terme pour préserver l’emploi (l’emploi étant entendu en tant que notion abstraite et non pas en référence aux seuls emplois existants à l’heure actuelle). Ainsi, par quels moyens juridiques peut-on encadrer efficacement l’automatisation des activités dans une perspective de sauvegarde de l’emploi ?
D’une part, une partie des solutions peuvent être trouvées dans un éventuel partage du travail, dans une plus grande protection et accompagnement des salariés face au licenciement, mais également dans un renforcement de leur formation pour un meilleur appariement avec la demande des entreprises.
D’autre part, il semble que le droit ait vocation à appréhender les robots eux-mêmes, en interdisant certains robots de manière ciblée ou encore en les taxant ; l’ensemble de ces mesures se devant d’être ventilé entre les échelles nationale, européenne et mondiale.
Aussi, ces moyens juridiques d’encadrer la robotisation des activités dans une perspective de sauvegarde de l’emploi peuvent être décomposés en deux volets : une action sur le droit du travail (partie 1) et une action sur les robots (partie 2).
Partie 1 : l’action sur le droit du travail
Toute action sur le droit du travail se doit de respecter un impératif de lisibilité. L’on n’a que trop entendu les critiques tenant à l’épaisseur des célèbres trois milles pages du Code du travail. Aussi, pour maximiser son acceptabilité sociale, il convient que l’éventuelle réforme du droit du travail visant à prendre en compte l’enjeu de la robotisation ne conduise pas à une complexification excessive des droits et procédures existants. Deux voies peuvent alors être envisagées. La première est caractérisée par un fort volontarisme et consisterait en une réduction du temps du travail ainsi qu’en une révision du droit applicable aux licenciements pour motif économique (chapitre 1). La seconde est plus souple. Elle se traduirait essentiellement par une amélioration de la formation des salariés et par le développement de leur implication concernant les choix technologiques de l’entreprise (chapitre 2).
Chapitre 1 : la voie volontariste
La robotisation des entreprises, ainsi qu’on a pu le voir en introduction, générera très probablement davantage de destructions que de créations d’emplois. Dès lors, à besoins égaux, la quantité globale de travail humain nécessaire au fonctionnement de l’économie va inexorablement décroître. Deux attitudes sont alors envisageables. La première est de prendre acte de cette diminution du travail humain disponible et d’accroître la concurrence entre les offreurs de travail, c’est-à-dire entre les individus sur le marché du travail. Ceux-ci, pour se distinguer, pourraient être conduits à revoir à la baisse la rémunération à laquelle ils prétendent et à revoir à la hausse la quantité de travail qu’ils sont prêts à effectuer. Des concessions similaires peuvent être observées dans les accords sur la sauvegarde de l’emploi qui ont pu voir le jour dans certaines entreprises. Ainsi, le 11 décembre 2015, l’entreprise Smart a lancé un référendum destiné aux huit-cent salariés de son site de Moselle. Celui-ci leur soumettait un plan de sauvegarde de l’emploi jusqu’en 2020 en échange d’un passage aux 39 heures, payées 3734. La seconde attitude envisageable face à la raréfaction du travail est d’envisager ce dernier comme un bien à partager plus équitablement. Dans cette perspective, une réduction collective du temps de travail peut-être une solution (section 1). Le travail est alors envisagé comme un stock à partager.
Dans la même optique, c’est-à-dire lorsque l’on considère le travail en tant que « stock » à partager et préserver, une révision du droit applicable aux licenciements pour motif économique est à considérer (section 2). Celle-ci aurait pour objet de rendre plus délicats les licenciements ayant pour objet direct le remplacement des salariés par des robots.
Section 1 : la réduction du temps de travail
Si la réduction du temps de travail présente l’avantage indéniable de la faisabilité juridique (§ 1), elle n’en présente pas moins le double inconvénient d’un manque d’acceptabilité sociale et d’incertitudes quant à son efficacité (§2).
Paragraphe 1 : une solution présentant l’avantage de la faisabilité juridique
Une mise en perspective historique s’impose à titre liminaire. Celle-ci permet de comprendre que la réduction du temps de travail est une revendication ancienne et que ses justifications ont pu évoluer avec le temps. Dans une première période, elle visait initialement à améliorer la santé des salariés. Dès les années 1830, les premières revendications syndicales apparaissent, réclamant le passage à la journée de douze heures (soit une durée hebdomadaire maximale de 84 heures). En l’absence de toute limitation légale de la durée du travail, les travailleurs pouvaient, en effet, travailler jusqu’à quinze voire dix-sept heures par jour. Ce fut donc un décret de 1848, arraché au prix de douloureuses luttes sociales, qui fixa pour la première fois la durée maximale de travail à douze heures par jour. Le motif principal de cette réduction était de protéger la santé des ouvriers, dont l’état catastrophique avait été dépeint par une série de rapports médicaux alarmants. Suite à la pression du patronat et à la diffusion des théories économiques libérales de l’époque, la durée du travail repartit à la hausse sous le Second Empire. Toutefois, les revendications ne faiblirent pas. En 1864, la Première Internationale popularisa la revendication des huit heures de travail journalières, laquelle était considérée comme totalement utopique à l’époque. Cette revendication fut bientôt relayée par le parti ouvrier de Jules Guesde. Deux décennies plus tard, en 1889, le congrès ouvrier socialiste décida d’inviter les travailleurs de tous les pays à instaurer une journée revendicative sur la réduction du temps de travail, fixée au 1er mai. Promulguée en 1900, la loi Millerand fait entrer les travailleurs dans le siècle nouveau en orchestrant une transition progressive vers la journée de dix heures. Les avancées sociales s’accélérèrent ensuite. Six ans plus tard, en 1906, le repos dominical devint obligatoire. En 1919, la loi institua la journée de huit heures (soit 48 heures hebdomadaires). Il est intéressant de remarquer que l’objectif de ces lois se déplace progressivement de la protection de la santé des travailleurs vers la prise en compte de leur bien-être. Les historiens relèvent d’ailleurs une évolution globale de la société à cette période et soulignent que ces lois ne faisaient, dans la plupart des cas, qu’entériner des pratiques sociales préexistantes.
La rupture survint avec l’élection du Front populaire en 1936. Celui-ci profita d’un mouvement de grève et d’occupation d’usines sans précédent pour instaurer la semaine de quarante heures et – première historique – deux semaines de congés payés. Malgré l’euphorie dans les rangs des ouvriers, le patronat s’organisa sous l’égide de la Confédération générale du patronat français (CGPF), ancêtre du Medef. Il parvint, suite à la chute du Front populaire, à revenir à la semaine de quarante-huit heures par le décret Daladier de 1938. Ce n’est que le début d’un retour en arrière, puisque la semaine de soixante heures sera rapidement instaurée par la suite. Il faudra attendre la libération pour connaître le retour aux quarante heures. La suite ne sera alors plus qu’avancées sociales : introduction d’une troisième semaine de congés payés en 1956, d’une quatrième en 1969 – par un vote unanime des députés de l’Assemblée nationale sur une proposition des députés communistes –, d’une cinquième en 1982 ainsi que du passage à la semaine de 39 heures et à la retraite à 60 ans la même année. La loi Aubry d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail, dite loi des 35 heures, est la dernière étape historique de la réduction du temps de travail35.
Les lois Aubry, votées et mises en œuvre en plusieurs étapes entre le 13 juin 1998 et le 1er janvier 2002, sont riches de plusieurs enseignements mobilisables dans la perspective d’une nouvelle réduction du temps de travail. Le premier enseignement tient à leur caractère progressif et graduel. Une première loi de 1998 avait, en effet, pour objectif de préparer le terrain et d’informer le patronat du projet. C’est la loi du 19 janvier 2000 qui a fixé les règles de passage aux 35 heures, lesquelles ne furent obligatoires qu’à compter du 1er janvier 2002. Les délais pour s’y conformer ont néanmoins varié selon la taille des entreprises. Le second enseignement des lois Aubry tient à leur caractère global. En effet, les rédacteurs n’ont pas négligé le risque de hausse du coût du travail induit par ces lois mais ont au contraire cherché à le compenser par trois mécanismes complémentaires (baisse des cotisations sociales, gel ou modération des salaires, recherche de gains de compétitivité).
La réduction du temps de travail refait désormais surface dans le débat public. Pierre Larrouturou, cofondateur du parti Nouvelle Donne, propose depuis 1993 le passage aux 32 heures hebdomadaires et à la semaine de quatre jours. Selon lui, seule une réduction drastique du temps de travail pourra avoir des effets significatifs sur l’emploi. Le malheureux candidat du parti socialiste Benoît Hamon suggérait également une réduction progressive du temps de travail « sur la base du volontariat et de la négociation ». Le travail est alors vu, probablement à juste titre, comme une denrée rare qu’il convient de partager au maximum. Des grands patrons, tels qu’Antoine Riboud (fondateur de Danone), Claude Bébéard (AXA) ou encore Christian Boiron (fondateur des laboratoires éponymes) y sont favorables. Une nouvelle réduction du temps de travail devrait alors se faire en adoptant la même démarche globale que celle ayant prévalu pour les 35 heures (baisse des cotisations sociales, modération salariale et hausse de la productivité). Une telle réforme aurait donc le mérite de s’appuyer sur des expériences passées et de gagner dès lors en lisibilité et prévisibilité.
Paragraphe 2 : une solution à l’efficacité incertaine et souffrant d’un manque d’acceptabilité sociale
La réduction du temps de travail séduit par sa visée humaniste. Dans l’esprit de ses promoteurs, elle permettrait non seulement de partager le travail, mais plus encore d’affranchir les individus par rapport à ce dernier. L’idée sous-jacente est, à l’instar des possibilités offertes par l’introduction d’un revenu universel, que chacun dispose de davantage de temps pour s’adonner à des activités familiales, associatives ou culturelles. Il est dès lors délicat de s’opposer frontalement à de si bonnes intentions. Pourtant, la réduction du temps de travail présente deux inconvénients principaux.
Le premier inconvénient tient aux incertitudes concernant son efficacité. Les partisans d’une réduction se fondent sur le fait que le passage aux 35 heures aurait engendré la création de 350 000 emplois36. Toutefois, ce chiffre est largement débattu au sein des économistes. Il est en effet difficile d’estimer quelle est la part des créations d’emplois effectivement dues aux 35 heures et encore davantage d’imaginer la tendance qu’aurait suivi l’emploi si cette réforme n’avait pas eu lieu. Ce qui est incontestable, en revanche, c’est que le lien entre réduction du temps de travail et hausse de l’emploi n’est ni automatique ni proportionnel. Il ne suffit pas, en effet, de réduire de 10 % le temps de travail pour que l’emploi augmente de 10 %. Les entreprises, dont le comportement est difficilement prédictible, peuvent préférer avoir recours aux heures supplémentaires, rechercher des gains de compétitivité voire diminuer leur production pour ne pas avoir à embaucher davantage. Le scénario le plus pessimiste, brandi par les opposants à la réduction du temps de travail, fait s’enchaîner les causalités pour démontrer l’inefficacité totale celle-ci. Confrontées à la baisse des heures travaillées, les entreprises n’auraient pas assez de marge pour embaucher de nouveaux travailleurs sans augmenter leurs prix. Une telle augmentation, si elle avait lieu, nuirait à leur compétitivité internationale et au pouvoir d’achat des salariés. Si les entreprises choisissent de répercuter la hausse du coût du travail dans leurs marges, alors elles ne disposent plus de suffisamment de liquidités pour s’autofinancer et investir pour maintenir leur compétitivité. Naturellement, un tout autre scénario est envisageable mais l’on sait que l’efficacité d’une politique dépend avant tout de la croyance des agents en ses chances de succès37, ce qui ne saurait être ni prédit ni contrôlé.
Le second inconvénient est que la réduction du temps de travail, dans son principe, rencontre une forte hostilité chez la majorité de la population. Si certains militants et milieux y sont favorables, la plupart des travailleurs interrogés ne croient pas en la possibilité réelle d’une telle réforme ni à son bien-fondé38, associée à la perte de pouvoir d’achat et au sabotage du potentiel de compétitivité des entreprises. Il serait donc difficile, non seulement de voter une réduction du temps de travail, mais également de mettre en œuvre celle-ci de manière sereine.
Nonobstant, l’idée ne devrait pas être abandonnée trop tôt. Sans doute une troisième voie est-elle envisageable, qui mettrait l’accent sur la négociation au sein des entreprises et sur les incitations fiscales à réduire le temps de travail dans l’entreprise. Ainsi, l’on pourrait songer à accorder une diminution de quelques points de pourcentage du taux d’impôt sur les sociétés aux entreprises qui démontrent avoir embauché grâce à une diminution collective du temps de travail. On pourrait également baisser les cotisations sociales salariales et patronales proportionnellement au taux de réduction du temps de travail des entreprises.
La question se pose également de savoir s’il faut favoriser les entreprises qui, à l’instar de Smart, concluent des accords de préservation de l’emploi en échange d’une modération salariale. Si de tels accords empêchent, à court ou moyen terme, de licencier des salariés, force est de constater qu’ils ne conduisent pas à de nouvelles embauches. Ils consistent simplement à ce que le stock d’emplois de l’entreprise soit conservé. Cet objectif est certes louable mais ne semble pas être suffisant pour justifier une quelconque aide étatique. La contrainte budgétaire oblige à ce que les dépenses de l’Etat en la matière aient le meilleur rapport coût-bénéfice possible et il paraît plus efficace d’épauler en premier lieu les entreprises qui décident d’embaucher en faisant le choix de la réduction du temps de travail, et non simplement celles qui tentent de préserver leurs emplois39.
En définitive, la perspective d’une réduction du temps de travail – voie volontariste s’il en est pour tenter d’endiguer le chômage – est trop hasardeuse pour être imposée de manière macroéconomique à l’ensemble des entreprises. Toutefois, il pourrait être salutaire de développer des incitations fiscales pour inciter les entreprises, au niveau microéconomique, à conclure des accords sur la réduction du temps de travail, mais seulement lorsqu’elle s’accompagne de nouvelles embauches. Une telle approche permettrait d’orchestrer en douceur la transition vers un partage du travail.
Il convient toutefois de souligner que, fût-il réussi, le partage du travail ne consiste finalement qu’en un report en avant de la problématique de la robotisation et du chômage. Il est en effet logique que, si le mouvement d’automatisation et des gains de productivité afférents se poursuit, les travailleurs soient de nouveau trop nombreux au regard des tâches à accomplir. La réduction du temps de travail peut donc, en théorie, se faire dans un mouvement perpétuel, suivant le rythme du progrès technologique et de l’automatisation. Bien qu’elle soit un moyen d’en atténuer les conséquences négatives, elle ne s’adresse pas aux causes de celles-ci et ne saurait donc constituer une solution unique et parfaitement durable.
Une autre réforme volontariste permettant de sauvegarder une partie du stock d’emploi existant consisterait à revoir le droit applicable aux licenciements pour motif économique.
Section 2 : la révision du droit applicable aux licenciements pour motif économique
Le point de départ du raisonnement tient en une lapalissade : toute augmentation du chômage est due, soit à une insuffisance des embauches (raisonnement en termes de flux), soit à une augmentation des licenciements (raisonnement en termes de stock). Une politique d’emploi volontariste s’appuie dès lors sur deux piliers. D’une part, elle cherche à faciliter les recrutements. D’autre part, elle exerce un contrôle sur les licenciements. C’est ce deuxième pilier que l’on se propose d’aborder ici, à travers deux réformes susceptibles de ralentir le rythme des licenciements. Celles-ci, il est vrai, ne s’attaquent pas aux causes profondes des suppressions d’emploi – lesquelles seront néanmoins abordées dans la suite de l’étude. Elles peuvent être vues comme des mesures d’urgence visant à la préservation d’un stock d’emploi donné.
La première mesure consiste à réintroduire une autorisation administrative préalable aux licenciements économiques (§ 1). La seconde mesure, complémentaire, tient à une réforme des motifs pouvant aujourd’hui justifier un licenciement économique (§ 2).
Paragraphe 1 : la réintroduction de l’autorisation administrative préalable aux licenciements économiques
La perspective d’une immixtion de l’administration dans la conduite de la vie des affaires est, à première vue, plutôt glaçante. La première est perçue comme conservatrice, lente, en décalage avec les enjeux et réalités économiques, alors que la seconde requière au contraire le développement d’une stratégie mêlant souplesse, rapidité et modernité. Confier un rôle à l’administration dans les licenciements, c’est-à-dire dans ce qui devrait être une prérogative incontestée du chef d’entreprise, apparaît en outre comme anachronique à l’heure où les Etats tendent à s’effacer devant les firmes transnationales et où la privatisation des entreprises gagne du terrain à travers le monde40. Un tel scepticisme peut pourtant être battu en brèche.
Il convient, à titre liminaire, de rappeler qu’il a fallu attendre la loi du 3 juillet 1986 pour que l’autorisation administrative de licenciement soit supprimée en France. Auparavant, la loi du 3 janvier 1975 instaurait l’obligation de solliciter « l’autorisation de l’autorité administrative compétente » à tout employeur envisageant un « licenciement, individuel ou collectif, fondé sur un motif économique, d’ordre conjoncturel ou structurel »41. Toutefois, la décennie suivante sera moins favorable à la gauche politique et syndicale. Les idées néolibérales progressent et trouvent leur incarnation en Ronald Reagan, qui entame un second mandat en 1985 et Margaret Thatcher, chef du gouvernement britannique de 1979 à 1990. Dans ce contexte, le Président François Mitterrand ne parviendra pas à s’opposer aux privatisations décidées par son premier ministre de cohabitation Jacques Chirac. Celui-ci sera sensible à la rhétorique développée par Yvon Gattaz, en tête du Conseil national du patronat français (CNPF) de l’époque, selon laquelle les protections de l’emploi des uns sont autant de barrières vers l’embauche des autres. L’idée est qu’en contrôlant les licenciements, l’embauche est dissuadée dans la mesure où le chef d’entreprise craint de se doter un salarié qu’il ne pourra plus congédier en cas de ralentissement de l’activité. La loi du 3 juillet 1986 prévoit donc en son article premier qu’ « à compter du 1er janvier 1987, l’autorisation administrative de licenciement pour motif économique est supprimée ». Désormais, l’inspection du travail ne contrôlera plus la réalité du motif économique avancé par l’employeur42.
Il est à noter que la suppression du contrôle administratif préalable s’inscrit dans une dynamique d’effacement de l’Etat au profit des partenaires sociaux. L’accord national interprofessionnel (ANI) du 20 octobre 1986, paraphé par l’ensemble des organisations syndicales à l’exception de la CGT, est repris dans la loi du 30 décembre de la même année, dite loi Seguin43. Celle-ci confie aux partenaires sociaux la négociation des procédures de consultation des représentants du personnel dans les entreprises, ouvrant la voie à une sorte de cogestion des plans sociaux. Dès lors, les élus des salariés sont parties prenantes aux douloureuses décisions de licenciements économiques, plans sociaux, mais aussi de sauvegarde de l’emploi et de reclassement.
A l’heure actuelle, ainsi qu’on le développera dans le paragraphe suivant, seul un contrôle judiciaire subsiste sur les motifs du licenciement économique. On peut d’emblée faire remarquer que le juge, souvent perçu comme étant distant des citoyens et de la réalité économique, n’a de prime abord pas davantage de légitimité que l’administration pour contrôler la légalité des licenciements. Ensuite, l’inconvénient du contrôle judiciaire est qu’il s’effectue pour l’essentiel a posteriori, c’est-à-dire une fois que les procédures de licenciement ont été engagées. Ainsi, même si le juge conclut à l’irrégularité ou à l’illégalité du licenciement, il sera parfois artificiel de chercher à réintégrer les salariés dans l’entreprise, laquelle aura pris ses dispositions et dont l’activité aura probablement ralenti entre-temps. A l’inverse, le contrôle administratif préalable se prononce a priori sur la légalité du licenciement pour motif économique. Il n’attend donc pas que la décision de licenciement soit mise en œuvre pour en apprécier la légalité et peut donc l’annuler en temps utile.
On peut valablement s’interroger sur le point de savoir si la réintroduction d’un contrôle administratif préalable ne contredit pas le principe de liberté d’entreprendre, ou plutôt si elle ne le contredit pas de manière excessive ou disproportionnée. Il s’agit évidemment d’une question faisant appel à des sensibilités personnelles. On s’en tiendra ici à un examen des réponses juridiques et, plus particulièrement, au regard du droit de l’Union européenne. Si la réintroduction de l’autorisation administrative préalable ne poserait, en effet, que peu de difficultés juridiques en interne, le véritable enjeu est celui de la comptabilité d’une telle réglementation par rapport au droit de l’Union, dont il convient en conséquence d’étudier les dispositions.
Au niveau du droit dérivé de l’Union européenne, d’abord, la directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 est le premier texte de référence44. Elle vise à un rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs, dans l’objectif d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Son article premier procède à la définition du licenciement collectif comme correspondant aux « licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs ». Elle laisse aux Etats le soin de déterminer le seuil de licenciements après lequel il s’agit véritablement d’un licenciement collectif45. L’article 2 de la directive impose à l’employeur de procéder, en temps utile, « à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord », dans le but « d’éviter ou de réduire les licenciements ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés ». L’article 3 de la directive lui ajoute une obligation de notification à l’autorité publique compétente de tout projet de licenciement collectif. C’est cependant l’article 5, inséré dans la section IV relative aux dispositions finales, qui semble ouvrir des perspectives en matière d’autorisation administrative préalable.
Article 5 de la directive 98/59/CE : « La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des Etats membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de favoriser l’application de dispositions conventionnelles plus favorables aux travailleurs ».
Il semble ainsi que le droit dérivé de l’Union européenne ne s’oppose pas, par principe, à l’introduction d’une autorisation administrative préalable aux licenciements pour motif économique, dans la mesure où celle-ci constitue une disposition plus favorable aux travailleurs.
Au niveau du droit primaire, ensuite, deux textes principaux peuvent être rapprochés de la question de l’autorisation administrative préalable. D’une part, l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (laquelle, selon son article 51, s’applique aux Etats membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union). Cet article dispose que « [l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ». Ce texte pose certes le principe de l’existence de la liberté d’entreprendre, mais reste évasif quant à sa portée, se référant aux « législations et pratiques nationales ». Il ne semble donc pas exclure la possibilité d’une acception nationale spécifique de la liberté d’entreprendre et, dès lors, de l’instauration de limites à cette dernière. D’autre part, l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) trouve également à s’appliquer. Celui-ci énonce que « les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre Etat membre sont interdites ». Il précise, dans son second paragraphe, le contenu de la liberté d’établissement. Celle-ci « comporte […] la constitution et la gestion d’entreprises […] dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants ». Cet article vise les entreprises d’un Etat membre implantées sur le territoire d’un autre Etat membre et pose le principe d’interdiction des restrictions à la liberté d’établissement. Toutefois, le second paragraphe montre que la notion de restriction se définit par comparaison avec le régime applicable aux entreprises nationales de l’Etat en question. L’important est que l’Etat n’introduise pas de discriminations entre les entreprises nationales et les entreprises étrangères provenant d’un pays membre de l’UE et implantées sur son territoire. Il serait ainsi possible de limiter la liberté d’entreprendre par des dispositions ayant vocation à s’appliquer tant aux entreprises nationales qu’étrangères. La limitation de la liberté d’entreprendre ne se confond alors pas avec celle de la liberté d’établissement.
Si tant le droit primaire que le droit dérivé ne semblent pas s’opposer par principe à l’autorisation administrative préalable aux licenciements économiques, qu’en est-il de l’interprétation qu’en retient la CJUE ? Une interprétation stricte du principe de la liberté d’entreprise et de la liberté d’établissement pourrait conduire à déclarer inconventionnelle l’autorisation administrative préalable, alors qu’une interprétation plus souple pourrait au contraire accueillir cette dernière. La Cour procède à un arbitrage entre la protection de ces libertés, d’une part, et la protection des travailleurs de l’autre, et semble se diriger vers une position équilibrée. Ainsi, dans un arrêt du 21 décembre 201646, elle a semblé ouvrir des perspectives en matière d’autorisation administrative préalable puisqu’elle en a admis la légalité dans son principe. Seuls ses critères de mise en œuvre, trop imprécis et généraux, ont été déclarés incompatibles avec le droit de l’Union.
Il est ici crucial de s’attarder sur le raisonnement du juge de l’Union pour bien saisir l’ouverture que cet arrêt pourrait représenter. En l’espèce, une filiale grecque du groupe français Lafarge connaissait des difficultés économiques et souhaitait procéder à une restructuration. Celle-ci devait se traduire par une fermeture de site et plus de deux-cent licenciements. La législation grecque prévoit en la matière que, si aucun accord n’est trouvé entre l’employeur et les syndicats, il appartient au préfet ou au ministre d’autoriser le plan de licenciement collectif, au regard de trois critères : les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise et l’intérêt de l’économie nationale. Le ministre s’est prononcé contre le plan de licenciement de la filiale. Le Conseil d’Etat grec, saisi de l’affaire pour examiner le refus du ministre, a alors interrogé la CJUE par deux questions préjudicielles en interprétation. Il s’agissait de savoir si la législation grecque était conforme à la directive 98/59/CE précitée et, dans le cas contraire, si elle ne pouvait pas être jugée conforme au droit de l’Union au regard de la crise économique aiguë que connait la Grèce (la seconde question s’apparente ainsi à une sorte de demande de faveur). Au point 38 de l’arrêt, la Cour considère que l’autorisation administrative est conforme dans son principe à la directive. Elle ne doit toutefois pas priver cette dernière de son effet utile, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas exclure en pratique « toute possibilité effective pour l’employeur de procéder à de tels licenciements collectifs ». Aux points 55 et 56, la Cour va conclure à l’existence d’une entrave à la liberté d’établissement47, garantie par l’article 43 TFUE.
Si la Cour fait le choix d’une interprétation stricte du principe de liberté d’établissement, elle tempère celui-ci en reprenant sa jurisprudence antérieure48 qui tolère de telles restrictions lorsqu’elles sont justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général et satisfont au principe de proportionnalité. La Cour admet que la protection des travailleurs constitue, de même que la promotion de l’emploi et de l’embauche, une raison impérieuse d’intérêt général puisque l’Union poursuit « non seulement une finalité économique, mais également une finalité sociale » (point 77)49. Toutefois, elle procède ensuite à une analyse in concreto des critères utilisés par l’administration grecque pour apprécier le bien-fondé du plan de licenciement envisagé. Elle exclut d’emblée le critère relatif à l’intérêt de l’économie nationale, dans la mesure où « un objectif de nature économique […] ne peut constituer une raison d’intérêt général justifiant une restriction d’une liberté fondamentale garantie par le traité »50 (point 97). La Cour, en revanche, estime que les deux autres critères (la situation de l’entreprise et les conditions du marché du travail) peuvent constituer une raison impérieuse d’intérêt général justifiant une dérogation à la liberté d’établissement dans la mesure où ils se rapprochent des objectifs légitimes de protection de travailleurs et de l’emploi. L’article 147, paragraphe 1, TFUE dispose en effet que l’Union contribue à la réalisation d’un niveau d’emploi élevé. Toutefois, dans le point 100, la Cour estime que la réglementation d’espèce contrevient au principe de proportionnalité en raison de ses formules générales et imprécises, qui laissent à l’autorité administrative « une marge d’appréciation difficilement contrôlable ». De tels critères « vont donc au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les buts indiqués et ne sauraient dès lors satisfaire aux exigences du principe de proportionnalité ». Enfin, la Cour écarte rapidement la seconde question préjudicielle qui requérait une faveur en raison de la situation économique désastreuse que connaît la Grèce. Elle estime en effet que ni la directive 98/59/CE (point 106), ni l’article 49 TFUE (point 107) ne prévoient de traitement différent en cas de crise économique ou de chômage élevé.
On peut toutefois retenir de cette décision qu’il est possible de concevoir un système d’autorisation administrative préalable aux licenciements économiques qui ne contrevienne pas aux exigences de l’Union européenne. Celui-ci devrait être fondé sur des éléments objectifs, tels les deuxième et troisième critères de la législation grecque (la situation du marché du travail et celle de l’entreprise), dont on veillerait à la précision. Il ne serait alors pas question d’interdire un plan de licenciement lorsque celui-ci est indispensable à la survie du groupe ou de l’entreprise. Au contraire, seuls seraient visés les cas d’une entreprise ou d’un groupe rentables qui souhaiteraient tout de même procéder à une vague de licenciements non nécessaire (on songe notamment à la pratique des licenciements boursiers) ou disproportionnée.
On peut remarquer qu’en France, la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 201351 semble aller dans la bonne direction. Elle prévoit une vérification administrative de la régularité de la procédure et du contenu du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) des entreprises souhaitant effectuer un licenciement collectif, étant entendu que le contrôle en question sera plus ou moins approfondi selon l’existence ou non d’un accord d’entreprise. Les dispositions de la loi française sont bien plus mesurées que celles du droit grec puisqu’elles ne permettent pas à l’administration de porter une appréciation sur le motif économique des licenciements et encore moins d’interdire ceux-ci52. On serait donc tenté de préconiser le vote d’une loi qui s’inspirerait du droit grec, tout en veillant à ce que ses formulations soient moins imprécises et générales pour qu’elles soient pleinement compatibles avec le droit de l’UE.
Paragraphe 2 : le renforcement de l’encadrement judiciaire des licenciements justifiés par des mutations technologiques
Depuis la disparition de l’autorisation administrative préalable, il revient aux tribunaux de contrôler le bien-fondé du motif économique allégué par l’employeur. Laissant certes au juge le soin de la compléter, le législateur s’est néanmoins efforcé de fournir une première liste des motifs économiques, par la loi Soisson de 198953. L’article L1233-3 du Code de travail définit ainsi le licenciement pour motif économique :
« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail […] »
Cette définition générale recouvre en réalité quatre cas distincts, que l’article détaille dans les paragraphes suivants. Le premier cas est celui où l’entreprise est confrontée à des difficultés économiques caractérisées. Le dernier cas est celui d’une cessation d’activité de l’entreprise. Ces deux circonstances ne posent pas de difficulté et n’appellent pas à une révision spécifique. En revanche, les deux éventualités intermédiaires sont plus contestables. L’une concerne le cas où l’entreprise fait face à des mutations technologiques. L’autre vise l’hypothèse où l’entreprise doit opérer une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
Il importe, en conséquence, d’examiner la manière dont le pouvoir judiciaire interprète ces deux dernières dispositions. Rappelons avant tout que les juges du fond ont pour mission de vérifier que chaque licenciement économique a une cause réelle et sérieuse. La Cour de cassation a, en effet, mis fin à la théorie de « l’employeur seul juge », selon laquelle il n’appartenait aux tribunaux que de vérifier la réalité du motif économique invoqué. Ces derniers doivent au contraire effectuer un contrôle de la cause justificative du licenciement, c’est-à-dire tant de l’existence de celle-ci (par exemple, la réalité des mutations technologiques) que de leur sérieux (autrement dit, si elles sont de mesure à justifier des suppressions d’emplois). La Cour de cassation, quant à elle, est amenée à compléter les causes de licenciement pour motif économique prévues par la loi54. Il convient donc d’examiner les interprétations qu’elle retient des notions de « réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise » et de « mutations technologiques ».
Concernant la « réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise », la Cour de cassation impose à l’employeur de fournir la preuve que ladite réorganisation est indispensable et absolument nécessaire55 à la sauvegarde de la compétitivité. La Cour semble donc être particulièrement stricte envers l’employeur souhaitant licencier pour sauvegarder la compétitivité de son entreprise. Toutefois, plusieurs arrêts tempèrent largement cette rigueur. On songe d’abord à l’arrêt SAT rendu par l’Assemblée plénière le 8 décembre 200056. Celui-ci précise que, dès lors que la nécessité de la réorganisation est établie, le juge ne saurait se substituer à l’employeur dans son choix de traduire cette réorganisation en licenciements, y compris dans le cas où d’autres mesures socialement moins coûteuses auraient été possibles. Cette séparation des pouvoirs entre le juge et l’employeur semble logique en théorie mais laisse en réalité dans l’oubli le principe selon lequel le licenciement doit être la mesure ultime. Plus tard, l’arrêt Pages Jaunes57 acceptera des licenciements à dimension préventive, dès lors que l’employeur, par une « superanticipation »58, a mené préalablement une politique négociée de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
La jurisprudence Pages Jaunes a trois limites. D’abord, elle néglige le fait que la loi du 18 janvier 200559 n’assujettit à la GPEC que les entreprises dont l’effectif dépasse les trois cent salariés, ce qui prive les salariés des petites entreprises de la protection de la protection a minima prévue par l’arrêt Pages Jaunes. Ensuite, la Cour se contente de vérifier que le processus de GPEC a été respecté mais ne cherche pas à apprécier son sérieux ou son efficacité. Enfin, ainsi que le relève Antoine Mazeaud60, « la crise financière à l’origine de la crise économique et sociale depuis 2009 illustre la relativité des anticipations en présence de restructurations à chaud ».
Concernant les « mutations technologiques », il apparaît que cette cause de licenciement pour motif économique n’est en réalité qu’une déclinaison de la « réorganisation nécessaire à la compétitivité de l’entreprise ». Elle n’a donc pas fait l’objet d’une jurisprudence spécifique de la part de la Cour de cassation.
Au vu des éléments précédents et dans une perspective de sauvegarde de l’emploi face à la robotisation, trois réformes sont envisageables. Les deux premières réformes concernent le régime applicable à la notion de réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise et consisteraient à faire disparaître les failles des jurisprudences SAT et Pages Jaunes. Cela se traduirait, d’une part, par le fait de contraindre les entreprises à privilégier, lorsque cela est possible, d’autres mesures que le licenciement pour sauvegarder leur compétitivité. Le licenciement pour motif économique ne saurait alors avoir de cause réelle et sérieuse que s’il était la seule option pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. D’autre part, les licenciements préventifs devraient n’être validés que lorsqu’ils font suite à un processus de GPEC dont le sérieux et l’efficacité seraient contrôlés par le juge. La GPEC gagnerait en outre à être imposée à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, lorsque celles-ci entendent procéder à des licenciements préventifs. Une GPEC simplifiée pourrait toutefois voir le jour pour les entreprises de moins de 300 salariés.
Enfin, la troisième et dernière réforme consisterait à supprimer purement et simplement les mutations technologiques comme cause de licenciement pour motif économique. Cela permettrait d’éviter que des entreprises ne licencient des salariés pour automatiser leur poste lorsqu’une telle automatisation n’est pas indispensable à la sauvegarde de leur compétitivité (celle-ci étant entendue au sens large, c’est-à-dire tant au niveau des prix que de la qualité du produit). Autrement dit, supprimer la cause des mutations technologiques conduit à n’autoriser les automatisations que lorsqu’il en va effectivement de la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise. On peut en effet imaginer des cas où une entreprise est rentable, leader sur son marché, ou encore dispose d’une forte compétitivité hors-prix qui lui permettrait de conserver une large part d’emploi humain malgré les possibilités d’automatisation disponibles (tel est par exemple le cas dans l’industrie de luxe, qu’elle soit automobile, vestimentaire, etc.).
Ainsi, ce sont plusieurs actions volontaristes qui peuvent être menées pour lutter contre la hausse du chômage que risque de créer le mouvement de robotisation en cours. La réduction du temps de travail est sans doute la plus aisée à véhiculer dans le débat public, cependant, la réforme du droit du licenciement qui pourrait l’accompagner est tout aussi intéressante et pourrait produire des effets concrets. Naturellement, il importe de ne pas conduire les entreprises à la faillite en leur imposant une vision macroéconomique sans tenir compte de leur réalité comptable. Toutefois, les solutions potentielles que l’on vient de présenter accordent systématiquement une part importante à l’appréciation de la situation économique que connaît l’entreprise. Ainsi, ni la réduction du temps de travail, ni l’autorisation administrative préalable aux licenciements économiques, ni la réforme du droit des licenciements ne saurait s’appliquer de force à une entreprise étant à la limite de la rentabilité et ayant au contraire besoin de souplesse. Il appartiendra à l’administration et au juge de procéder à des examens in concreto de la situation de chaque entreprise, branche ou groupe pour déterminer la meilleure solution à appliquer.
A cette manière volontariste de réformer le droit du travail pour sauvegarder l’emploi face à l’automatisation s’ajoute une voie sans doute plus souple. Gare, néanmoins, à ne pas voir ici une alternative, car ces deux ensembles d’actions — qu’elles soient souples ou volontaristes – gagnent à être menées de concert pour une plus grande efficacité globale.
Chapitre 2 : la voie souple
On parlera ici de voie « souple » en ce sens où les propositions qui seront exposées dans le présent chapitre sont davantage conciliantes que celles figurant dans le précédent. Elles n’en sont pas moins indispensables. On ne saurait en effet déduire du choc symbolique d’une mesure sa plus ou moins grande efficacité. Il apparaît au contraire qu’une action cherchant à accompagner le mouvement de robotisation sera d’autant opérante qu’elle sera globale et multipliera les niveaux d’action.
La « voie souple » en matière d’action sur le droit du travail pourrait dès lors consister, d’une part, en un renforcement de la formation des salariés et des mesures sociales d’accompagnement (section 1) et, d’autre part, en un accroissement de leur information et de leur participation à la prise de décisions concernant la robotisation de leur entreprise (section 2).
Section 1 : renforcer la formation des salariés et les mesures sociales d’accompagnement
Le premier axe d’une politique souple cherchant à réformer le droit du travail pour mieux prendre en compte l’automatisation consiste à renforcer les formations initiale et continue des salariés. L’idée est d’obtenir un appariement aussi bon que possible entre l’offre et la demande de travail (§ 1).
Le second axe consistera, lui, en une action de soutien aux travailleurs a posteriori. Il est en effet peu probable que les efforts de formation entrepris débouchent sur une disparition du chômage, aussi incombera-t-il aux pouvoirs publics de sécuriser les parcours des salariés en renforçant les mesures sociales d’accompagnement dont ils pourront bénéficier (§ 2).
Paragraphe 1 : renforcer les formations initiale et continue pour une meilleure adéquation entre l’offre et la demande de travail
Dans un premier temps, il convient de s’intéresser à la question de la formation initiale – on s’intéressa plus brièvement à la formation continue dans un second temps. Pour prendre toute la mesure du défi que constitue la première, un bref état des lieux du chômage des jeunes en Europe s’impose. Selon les statistiques européennes (Eurostat), le taux de chômage des jeunes de l’Europe des 28 s’élevait en moyenne, en février 2017, à 17,3 %61 contre 8 % pour le chômage total. Ces moyennes masquent toutefois des écarts importants entre les pays européens : en février 2017, le chômage chez les jeunes allemands ne s’élevait qu’à 6,6 %, contre 23,5 % pour les jeunes français, 41,5 % pour les jeunes espagnols ou encore 48 % pour les jeunes grecs. L’emploi des jeunes est, en outre, marqué par une forte instabilité. En 2012, 42 % des jeunes salariés européens travaillaient dans le cadre d’un contrat temporaire, soit quatre fois plus que les adultes et 32 % travaillent à temps partiel, soit près de deux fois plus que leurs ainés62. Un nombre croissant de jeunes inactifs se décourage face à la difficulté de décrocher un emploi. En conséquence, au troisième trimestre 2012, 12,6 % des jeunes inactifs souhaitaient travailler mais ne recherchaient pas d’emploi. Ce phénomène de découragement est à rapprocher du décrochage qui touche un grand nombre de jeunes en Europe. Les jeunes décrocheurs, communément désignés par l’acronyme « NEET » pour « not in employment, education or training », recoupent une réalité multiple : abandon d’un cursus en cours, échec dans l’enseignement supérieur, rupture du contrat d’apprentissage, etc. Les NEET sont un véritable défi pour les politiques publiques européennes car ils sont à l’origine de coûts individuels et collectifs particulièrement élevés63. On recense environ 14 millions de NEET dans l’Union européenne, soit 15 % de la classe d’âge (un pourcentage qui varie fortement d’un pays à l’autre). De manière générale, la période actuelle est une première historique : la génération actuelle semble avoir moins de chances de se voir offrir un avenir meilleur que la génération qui l’a précédée64.
On connaît l’importance du diplôme pour une insertion réussie sur le marché du travail. Un haut niveau de diplôme est indéniablement la protection la plus élevée contre le chômage. En 2010, 75 % de jeunes sortis avec un master trois ans plus tôt avaient connu une trajectoire d’accès rapide et durable à l’emploi, contre la moitié des titulaires de CAP ou BEP65. La difficulté des non-diplômés à trouver un emploi n’a jamais été aussi prononcée : en 2013, plus d’un jeune actif non-diplomé sur deux était en recherche d’emploi trois ans après sa sortie du système scolaire, soit une augmentation de seize points par rapport à la génération 2004.
Toutefois, même en possession d’un diplôme, l’insertion sur le marché du travail est fréquemment une gageure. D’un côté, si le nombre général de diplômes délivrés augmente, leur valeur tend à diminuer – un phénomène bien connu sous le nom d’inflation des diplômes. Le déclassement progresse et les paradoxes d’Anderson66 se multiplient. De l’autre, les jeunes sortant du système éducatif sont souvent mal préparés au monde du travail. Un rapport de l’OCDE relève qu’un élève sur cinq ne serait pas préparé au monde du travail67. L’Organisation s’appuyant sur une enquête PISA de 2012, réalisée dans les quarante-quatre pays de l’OCDE, a jugé que « les élèves âges de 15 ans aujourd’hui qui ont une capacité médiocre en résolution de problèmes seront demain les adultes qui auront des difficultés à trouver et garder un emploi ». Les pays asiatiques, toutefois, sont en tête du classement, preuve que le système éducatif peut être repensé pour le mettre plus en phase avec le monde du travail.
Il s’agirait alors de repenser les programmes et les modes d’enseignement en concertation avec les entreprises, partenaires sociaux, chambres de commerce et d’industrie. Le 12 décembre 2014, le Conseil européen s’était réuni au sujet de l’éduction et avait souligné la nécessité de développer l’esprit d’entreprise, l’aptitude à la prise de risques, l’esprit d’initiative, le sens des responsabilités et la créativité aux jeunes élèves68. Un rééquilibrage pourrait être opéré entre le volet théorique et le volet pratique des formations, au profit du second, lequel requière des compétences dites transversales. Ce rééquilibrage gagnerait à n’avoir lieu qu’à partir du lycée – pour ce qui est des filières générales – de manière à se concentrer sur les savoirs fondamentaux à l’école primaire et au collège. Un tournant « professionnel » serait donc opéré à partir du lycée.
L’Union européenne aurait également un rôle à jouer dans ce changement de cap. La Commission européenne a d’ailleurs lancé, en 2010, une initiative intitulée « De nouvelles compétences pour de nouveaux emplois », laquelle vise à identifier et anticiper les besoins futurs en matière de compétences. Au surplus, on pourrait imaginer que la Commission européenne ou une agence européenne spécialement dédiée œuvre à l’intensification de la coopération des services publics de l’emploi nationaux, en favorisant notamment l’échange de leurs best practices.
On sait également que les pays disposant d’une filière professionnelle et d’apprentissage performante, à l’instar de l’Allemagne ou de l’Autriche, ont moins de mal à orchestrer l’insertion des jeunes sur le marché du travail. En 2010, environ 16 % des Allemands de 15 à 24 ans étaient inscrits dans un cycle d’apprentissage, contre seulement un peu plus de 5 % en France. Il ne suffit pas, néanmoins, d’augmenter le nombre de jeunes en apprentissage sans se soucier de la qualité de celui-ci. A ce titre, les apprentissages devraient d’abord être certifiés par qualification reconnue à l’échelle nationale, laquelle contribuerait à en accroître la valeur69. Dans le même esprit, ainsi que le suggère Philip Cordery, il conviendrait d’instaurer « de réelles passerelles entre les filières de formation et les cursus généralistes, pour que le choix d’orientation en apprentissage ne soit pas perçu comme définitif »70. Ensuite, le contenu même de l’apprentissage doit correspondre aux besoins du marché du travail. Il gagnerait donc à être conçu en concertation avec les partenaires sociaux en premier lieu, mais également avec les chambres de commerce et les organisations professionnelles et sectorielles. La durée de l’apprentissage doit enfin être suffisante pour acquérir des compétences significatives et accumuler de l’expérience. Une réforme structurelle de l’apprentissage s’impose donc en France. Celle-ci suppose que lui soit consacrée une place prioritaire au sein des budgets nationaux. Le Fonds social européen (FSE) pourra contribuer, en renfort, au financement des initiatives visant à accroître l’offre et la qualité de l’apprentissage.
Par ailleurs, il serait judicieux de mieux tirer profit des disparités existantes entre les différents pays européens en termes de chômage des jeunes en favorisant la mobilité de ceux-ci à l’intérieur de l’UE. Le succès d’ERASMUS, en matière d’études universitaires, était un premier pas et pourrait être complété par un dispositif similaire, inscrit lui au stade du marché de l’emploi. Par exemple, de jeunes travailleurs espagnols ou français pourraient aller occuper un emploi en Allemagne ou en Autriche où les conditions du marché du travail sont plus clémentes pour les jeunes. Des premières réalisations sont allées en ce sens. Ainsi de la création du portail EURES, coordonné par la Commission européenne. Celui-ci consiste en un réseau de coopération visant à faciliter la circulation des travailleurs au sein de l’Espace économique européen, en leur fournissant conseils, assistance et guidage. Concentré spécifiquement sur la mobilité des jeunes, le réseau a lancé l’opération « Ton premier emploi EURES » qui vise à aider environ 5 000 jeunes à trouver un emploi dans un pays de l’Union autre que le leur. Le portail EURES revendique aujourd’hui plus de 1 400 000 postes à pourvoir pour un peu plus de 300 000 CV déposés71.
Dans un second temps, il convient de s’intéresser à la question de la formation professionnelle continue. Celle-ci est cruciale en ce qu’elle permet le maintien dans l’emploi des travailleurs et de favoriser le développement de leurs compétences et qualifications72. L’article L6321-1 met à la charge de l’employeur une obligation d’assurer « l’adaptation des salariés à leur poste de travail ». Ce dernier doit veiller « au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations » et peut leur proposer des formations à cet effet. Autour de cet article s’est construite une panoplie de dispositifs de formation, allant des congés aux plans de formation, en passant par le bilan de compétences et la validation des acquis d’expérience (VAE). La tendance semble être à la personnalisation et à l’individualisation de la formation. Le compte personnel de formation (CPF), qui permet aux salariés de cumuler des heures de formation et de les utiliser à leur guise, en est certainement le meilleur exemple.
Les dispositifs relatifs à la formation professionnelle continue sont globalement bien conçus. L’amélioration principale que l’on pourrait leur apporter ne tient pas tant à leur conception mais consisterait à inciter davantage les salariés et les employeurs à y avoir recours. On sait ainsi, par exemple, qu’un ouvrier homme consacre moins d’une minute par jour à sa formation (deux minutes pour une femme ouvrière)73. A l’inverse, les cadres sont les premiers bénéficiaires de la formation professionnelle et en sont globalement demandeurs – à l’inverse des ouvriers à qui elle est souvent imposée. Des efforts de communication et de lisibilité pourraient ainsi être réalisés pour que chaque salarié prenne connaissance des formations qui lui sont offertes.
La formation, qu’elle soit initiale ou continue, a un caractère préventif. Or si la prévention est centrale, des mesures d’accompagnement n’en sont pas moins indispensables lorsque celle-ci a échoué – la métaphore avec la politique de la santé est particulièrement pertinente à cet égard. Ainsi, parallèlement aux efforts entrepris pour éviter que les individus ne tombent malades ou ne se retrouvent au chômage, il convient, lorsque le désagrément survient, de les soigner ou de les accompagner pour faciliter leur redressement.
Paragraphe 2 : renforcer les mesures sociales d’accompagnement européennes pour garantir un filet de sécurité efficace aux travailleurs menacés
Les mesures sociales d’accompagnement sont destinées à aider, financièrement ou par des actions concrètes, des personnes majeures en situation de grande difficulté sociale, notamment lorsque celles-ci se retrouvent au chômage après un licenciement. Il existe un nombre important de mesures sociales d’accompagnement à l’échelle nationale : le contrat de sécurisation professionnelle, le congé de reclassement, les conventions FNE-Formation, etc. Dans l’ensemble, celles-ci sont bien conçues et n’appellent pas à des améliorations particulières. Leur manque d’effectivité, lorsqu’il est établi, tient davantage à la faiblesse des offres d’emploi disponibles dans l’économie qu’à des défauts dans leur conception.
L’avenir semble néanmoins se situer à l’échelle européenne. L’Union européenne, avant tout de nature économique, cherche depuis une décennie à se forger une dimension sociale. Une première initiative de soutien aux travailleurs licenciés a été mise en place en 2007 : le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM). Notons à titre anecdotique que le nom de ce fonds, d’ « ajustement à la mondialisation » est particulièrement révélateur de la défiance que suscite cette dernière, à laquelle on commence à associer, bien qu’implicitement, des conséquences négatives. Ce fonds, institué à titre temporaire jusqu’au 31 décembre 2020, est destiné à soutenir les travailleurs licenciés en raison de l’évolution du commerce international ou de la crise financière et économique de 2008. Depuis sa création, il aura fait droit à 141 demandes et conduit au reclassement de plus de 116 400 salariés, pour un montant total de 541 millions d’euros. Les mesures financées par le FEM comprennent notamment l’aide à la recherche d’un emploi, l’orientation professionnelle, la formation et les aides au reclassement externe ou à la création d’entreprise74. Il s’agit donc de mesures actives et non passives, les secondes visant à l’indemnisation des salariés ou le versement d’allocations de chômage. Ce fonds peut être sollicité pour des licenciements qui concernent au moins 500 salariés.
L’idée d’un fonds européen semble excellente. Toutefois, la faiblesse des montants qui lui sont consacrés limite de fait son efficacité. Deux réformes seraient dès lors judicieuses. D’une part, augmenter considérablement le budget de ce fonds (actuellement de 150 millions au maximum par an, lesquels ne sont pas entièrement utilisés), faciliter la procédure pour le solliciter, abaisser le seuil de licenciements permettant de déclencher le recours au fonds (par exemple, dès 200 licenciements au lieu de 500). D’autre part, ce fonds gagnerait à être complété par un autre fonds qui viserait, lui, à l’indemnisation des salariés ayant perdu leur emploi suite à l’automatisation de leur poste – on reviendrait alors à des mesures passives75. Il s’agirait d’une sorte de revenu universel, qui n’aurait d’universel que le nom puisqu’il ne serait versé qu’aux personnes ayant perdu leur emploi à cause de l’automatisation de leur profession. Cette idée n’a rien d’incongru. Un projet de rapport adressé à la Commission européenne par la Commission des affaires juridiques du parlement européen76 avait formulé la recommandation suivante : « eu égard aux effets potentiels, sur le marché du travail, de la robotique et de l’intelligence artificielle, il convient d’envisager sérieusement l’instauration d’un revenu universel de base » et avait « invit[é] l’ensemble des Etats membres à y réfléchir » (point 23). Certes, le rapport ne dit rien de l’origine européenne ou nationale d’un éventuel revenu universel. Toujours est-il que les dirigeants européens ne semblent pas hostiles par principe à l’instauration d’un tel dispositif. De toute évidence, la création d’un fonds permettant uniquement d’indemniser les salariés directement victimes de l’automatisation est une perspective moins ambitieuse en termes budgétaires. Davantage ciblée socialement, elle présente sans doute une meilleure acceptabilité sociale que le revenu universel, dont beaucoup prédisent qu’il favorisera l’assistanat. Un fonds européen d’assistance aux victimes de l’automatisation pourrait ainsi constituer une première étape vers la prise en compte des effets économiques et sociaux de celle-ci.
La question du financement de ce fonds est évidemment sensible77. De manière générale, d’abord, on ne saurait que trop préconiser le rehaussement du budget global de l’Union européenne. De manière plus spécifique, ensuite, un tel fonds pourrait être financé par une augmentation de l’impôt sur les sociétés (IS) et, à cet effet, un quart de point de pourcentage supplémentaire s’avérerait amplement suffisant. Il serait, au surplus, envisageable de porter cette hausse à un demi point de pourcentage pour les sociétés implantées dans des pays pratiquant un faible taux d’IS. Concrètement, il conviendrait de définir un seuil du taux d’IS (par exemple, 20 %) en dessous duquel les pays concernés devraient imposer une contribution plus importante à leurs entreprises. Pourrait même être envisagé un système proportionnel, où les pays pratiquant un taux d’IS inférieur à 20 % seraient d’autant plus mis à contribution que leur taux d’IS est bas. Ainsi, le financement de ce fonds aurait pour effet collatéral d’inciter les Etats à mettre fin au dumping fiscal, ou tout au moins de pénaliser les Etats le pratiquant. Enfin, pour qu’une telle mesure soit acceptée par l’opinion publique, il serait sans doute judicieux de créer une exception au principe de non-affectation des ressources fiscales, de manière à ce que les individus et entreprises aient bien conscience que cet impôt supplémentaire est directement utilisé pour alimenter le fonds d’assistance aux victimes de l’automatisation.
Section 2 : renforcer l’information et la participation des salariés à la prise de décisions concernant la robotisation de leur entreprise
Le mouvement d’automatisation qui s’annonce serait probablement vécu de manière plus saine – et sans doute contenu en termes d’ampleur – si les salariés étaient mieux informés de la stratégie de l’entreprise et associés aux grandes décisions la concernant. Il conviendrait dès lors, dans l’entreprise de demain, de renforcer l’information des salariés sur les perspectives d’automatisation (§ 1) et de les associer aux décisions prises en la matière (§ 2).
Paragraphe 1 : renforcer l’information des salariés et créer un véritable « droit d’alerte robotisation »
L’automatisation dans les entreprises est un enjeu fondamental. Pourtant, tous les salariés ne sont pas nécessairement informés des possibilités offertes par la techniques et, donc, des menaces qui planent potentiellement sur leur emploi. Il paraît bienséant que de les informer de l’état de la technique quant aux professions qu’ils exercent.
A l’heure actuelle, la direction est tenue d’informer les institutions représentatives du personnel (IRP) et plus particulièrement le comité d’entreprise (CE) des décisions stratégiques qu’elle entend prendre. Cette procédure d’information est plus ou moins bien respectée selon la taille des entreprises concernées, leur caractère national ou international et la personnalité des dirigeants plus ou moins zélés. Surtout, son principal défaut est d’intervenir a posteriori, lorsque la décision a déjà été prise et qu’il est trop tard pour que le CE puisse réellement espérer l’influencer. Dès lors, les syndicats ont le choix entre la résignation et une opposition brutale, à chaud. Ce fonctionnement n’est pas constructif. Au contraire, il serait préférable que le CE puisse être informé en amont de la décision pour qu’il ait le temps de se concerter et de tenter de trouver une solution. Un tel changement est particulièrement essentiel concernant les décisions relatives à l’automatisation pour lesquelles les salariés ont besoin de réfléchir aux sacrifices qu’ils sont prêts à consentir (augmentation des heures travaillées, gel ou réduction de leur salaire, etc.) pour conserver leur poste. Ils peuvent également concevoir des solutions auxquelles n’auraient pas songé les dirigeants et administrateurs.
En outre, la loi devrait créer un droit d’alerte robotisation pour permettre aux salariés menacés de faire sortir cette question du strict cadre de l’entreprise. Les pouvoirs publics et l’opinion seraient ainsi alertés du projet d’automatisation. Un tel mécanisme d’alerte aurait deux effets principaux. Le premier serait d’offrir la possibilité au gouvernement d’agir, en entrant au capital de l’entreprise ou, si l’Etat est déjà actionnaire, en tentant de bloquer le projet. Bien entendu, l’opposition des pouvoirs publics aux processus de robotisation ne saurait être automatique pour des raisons financières évidentes. Toutefois, il semble légitime que la question, elle, se pose de manière automatique pour qu’aucune occasion de sauvetage ne soit manquée car ignorée. Le second effet d’un droit d’alerte robotisation serait, grâce à son aspect répétitif, de sensibiliser l’opinion publique à l’enjeu de l’automatisation. Il ne s’agit évidemment pas « d’alimenter la culture du catastrophisme »78 mais simplement d’informer les citoyens des mécanismes à l’œuvre dans les entreprises. Leur apporter un tel éclairage pourra notamment orienter leurs choix de consommation (l’instauration d’un droit d’alerte est donc complémentaire avec la création d’un label que l’on exposera en deuxième partie d’étude).
A cette information des salariés a priori devrait naturellement s’ajouter une association de ceux-ci à la prise de décisions concernant la robotisation de leur entreprise.
Paragraphe 2 : renforcer le poids des salariés dans la prise de décision concernant la robotisation de leur entreprise
Les décisions importantes de la vie des sociétés anonymes sont traditionnellement votées par leur Conseil d’administration (CA)79. L’article L225-35 du Code de commerce confie trois pouvoirs principaux au CA : la détermination des choix stratégiques de l’entreprise, la gestion de toute question nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise et, enfin, le contrôle de tous les points qu’il entend surveiller. Il est composé de trois à dix-huit administrateurs, désignés par l’assemblée des actionnaires. Dans la grande majorité des cas, aucun des administrateurs n’est également salarié de l’entreprise. On peut rappeler, qu’à l’inverse, dans le modèle de cogestion germanique, les salariés disposent de la moitié des sièges, et donc des voix au sein de l’instance décisionnelle de l’entreprise. Si la cogestion n’est sans doute pas transposable à la France, introduire une représentation des salariés au sein des CA semble en revanche relever du bon sens. Ceux-ci sont souvent bien placés pour apporter une vision tant concrète que de long terme sur l’avenir de leur entreprise. Ils peuvent en outre élaborer des solutions auxquelles n’auraient pas songé les administrateurs et actionnaires traditionnels.
La loi du 14 juin 201380 va dans la bonne direction. Conformément à l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, celle-ci prévoit la participation des représentants des salariés aux CA ou Conseils de surveillance des grandes entreprises81. Ceux-ci peuvent non seulement participer aux débats mais se voient également confier une voix délibérative. L’avis des salariés sera donc pris en compte dans la stratégie des entreprises. Toutefois, cette loi ne s’applique qu’aux entreprises qui emploient au moins 5 000 salariés permanents en France et qui ont leur siège social en France (ainsi qu’aux entreprises d’au moins 10 000 salariés ayant leur siège social en France)82. Auparavant, les représentants du CE pouvaient assister au CA mais n’avaient qu’une voie consultative.
Pour mieux prendre en compte les enjeux relatifs à l’emploi, et notamment face à l’automatisation, il conviendrait, dans la lignée de la loi Rebsamen, d’étendre cette loi aux entreprises de taille plus moyenne (un seuil de cinq-cent salariés paraît raisonnable). Selon le succès de la mesure, un accroissement du poids relatif des représentants des salariés au sein du CA serait envisageable83. L’idéal serait de les rapprocher de la minorité de blocage, sans toutefois franchir cette dernière. Ainsi, ils pourraient s’opposer à des mesures concernant l’automatisation de leur entreprise et il suffirait que quelques autres administrateurs les rejoignent pour faire basculer le vote en leur faveur. Toutefois, pour assurer la rentabilité de l’entreprise, il paraît prudent de ne pas leur accorder de pouvoir de blocage autonome.
Partie 2 : l’action sur les robots
L’axe du droit du travail, exposé en première partie, était ciblé sur les conséquences de l’automatisation et tentait d’apporter des réponses. Son mérite, mais aussi sa limite, est de considérer le cadre juridique actuel comme point de départ pour le raisonnement. Les actions que l’on a alors pu envisager ont certes des chances d’être efficaces pour minimiser l’effet de la robotisation sur l’emploi ; cependant, elles ne s’adressent pas aux causes de la robotisation. Or la principale d’entre elles est l’existence même des robots et leur disponibilité. Cette seconde partie propose dès lors des actions concrètes à mettre en œuvre au niveau de la réglementation des robots dans une perspective de sauvegarde de l’emploi.
Le risque principal d’une réglementation sur les robots, ainsi qu’on l’a déjà souligné, est celui de faire subir une perte de compétitivité aux entreprises nationales. Malgré cela, il serait exagérément fataliste d’affirmer qu’un pays est parfaitement impuissant à agir seul. Il existe en effet des marges de manœuvre nationales permettant de réglementer l’utilisation des robots sans perdre en compétitivité.
Nonobstant, on ne saurait nier que la réglementation des robots sera d’autant plus opérante qu’elle sera partagée par un grand nombre de pays à travers le monde. La définition de normes et standards communs permet en effet d’harmoniser les pratiques et écarte des débats la question de la compétitivité. La régulation des robots doit donc également s’envisager à une échelle européenne et multilatérale.
Aussi, l’action sur les robots se décompose entre une action nationale (chapitre 1) et internationale (chapitre 2).
Chapitre 1 : l’existence contre-intuitive de marges de manœuvre nationales
Il serait chimérique de croire que la régulation des robots sera mondiale avant d’être nationale. Le processus d’édiction de normes internationales peut en effet se révéler fastidieux voire insurmontable, dans la mesure où il exige la prise en compte des positions divergentes des Etats. Avant d’être envisagée à l’échelle multilatérale, la question du lien entre emploi et automatisation se doit donc d’être explorée à l’échelle nationale, ne serait-ce que pour que les Etats démontrent leur détermination en la matière.
Des marges d’action peuvent ainsi être dégagées sans que les Etats aient à craindre pour la compétitivité de leurs entreprises. Les régulations nationales peuvent prendre deux aspects complémentaires : l’interdiction et la dissuasion.
On envisagera dans un premier temps l’interdiction ciblée des robots dont l’usage ou le non usage se révèle neutre en termes de compétitivité internationale (section 1).
On s’interrogera ensuite sur les manières de dissuader les utilisateurs directs ou indirects de robots, c’est-à-dire les entreprises et les ménages (section 2).
Section 1 : l’interdiction ciblée des robots à l’effet neutre sur la compétitivité nationale
L’isolement du pays et la perte de compétitivité de ses entreprises sont deux conséquences intuitives d’une éventuelle interdiction des robots (§ 1). « Interdire » les robots paraît, en conséquence, être une idée bien extrême au regard du reste de l’étude. Pourtant, elle ne l’est aucunement. Il ne s’agit évidemment pas d’interdire les robots sans discernement, mais bien de cibler avec précision, au cas par cas, certains robots dont l’interdiction ne ferait courir aucun risque de perte de compétitivité aux pays qui décident de la mettre en œuvre (§ 2).
Paragraphe 1 : les risques non négligeables d’une action unilatérale sur les robots : perte de compétitivité et isolement international
Qu’on s’en satisfasse ou qu’on le regrette, la compétitivité des entreprises nationales est un impératif auquel on ne saurait faire un trop grand nombre de concessions. La mondialisation de l’économie a non seulement induit une augmentation considérable du choix pour le consommateur, lequel est en droit de rechercher les produits le moins cher possible, mais également pour l’entreprise, qui est libre de s’implanter sur les territoires qui lui sont le plus favorable en matière de coût du travail, d’infrastructures, de niveau d’éducation, de fiscalité, ou encore de réglementation.
Dès lors, il est évident qu’une action unilatérale consistant à taxer ou à interdire les robots aurait pour effet pervers – et, malheureusement, inéluctable – de provoquer la fermeture ou délocalisation d’un nombre important d’entreprises établies sur le territoire national, celles-ci étant confrontées à une baisse de leurs commandes ou à l’attrait de terres plus accommodantes.
Outre une perte drastique de compétitivité, c’est un isolement international auquel on peut s’attendre en taxant ou interdisant les robots à l’échelle nationale. De telles mesures excluraient de fait le pays des grandes dynamiques de l’économie mondiale et compliqueraient les échanges de technologies ou de savoir-faire avec les autres pays. Le phénomène de marginalisation serait d’autant plus probable que, pour défendre artificiellement la compétitivité de ses entreprises, l’Etat ayant mis en place une réglementation unilatérale des robots serait certainement tenté d’instaurer des taxes à l’importation, lesquelles pourraient à leur tour susciter des mesures de rétorsion par les autres Etats. Il en résulte, fatalement, un isolement croissant de l’Etat au sein des échanges mondiaux et une détérioration de ses rapports avec ses partenaires.
Pourtant, si une taxation ou interdiction généralisée ne sont pas recommandables à l’échelle nationale, l’interdiction de certains robots semble pouvoir être envisagée sans exposer le pays à un tel scénario.
Paragraphe 2 : l’hypothèse d’une interdiction ciblée des robots neutres en termes de compétitivité nationale
L’objectif consiste à ce qu’une réglementation des robots, dans une optique de sauvegarde de l’emploi, ne porte pas atteinte à la compétitivité des entreprises. Cependant, toutes les activités marchandes ne sont pas soumises à l’impératif de compétitivité internationale que l’on a exposé supra. Il existe en effet un nombre important de professions qui ne sont soumises qu’à la concurrence s’exerçant au niveau national. La raison en est que ces activités ne sont pas susceptibles de délocalisation et que le consommateur ne peut pas facilement s’en procurer des substituts par l’importation – il s’agit souvent d’activités de services. L’interdiction de certains robots qui pourraient conduire à une automatisation de ces professions peut ainsi être envisagée. Celle-ci permettrait de sauvegarder un nombre significatifs d’emplois sans pour autant renoncer à la compétitivité internationale des entreprises qui y sont effectivement soumises.
Il conviendrait, en conséquence, de recenser les activités qui ne sont pas soumises à la concurrence internationale et d’interdire chez elles les robots qui pourraient se substituer à l’emploi humain. On peut donner quelques exemples et propositions de robots dont on pourrait ainsi raisonnablement envisager l’interdiction à l’échelle nationale84 :
ART (Audi Robot Telepresence, garagiste). Ce robot est capable de détecter les pannes à la place du garagiste. Un même technicien pourra piloter plusieurs robots en même temps. Dans la mesure où l’on imagine difficilement les individus se déplacer à l’étranger pour une révision de leur véhicule (d’autant plus que le tarif de celle-ci ne baissera pas nécessairement suite à l’introduction du robot), on peut également interdire ce type de robots.
Makr Shakr (barman). Ce robot réalise jusqu’à cent vingt verres à l’heure, soit deux verres par minute, toute la journée. Il suffit au consommateur de passer commande sur une application dédiée. Les bars et boîtes de nuit n’étant pas susceptibles de délocalisation, ce robot peut être interdit. Il en est de même pour les robots serveurs85, dont les nouvelles générations peuvent éviter les obstacles, comprendre les ordres oraux des humains et ne coûtent pas plus de cinq mille euros, ou encore pour les robots cuisiniers (tels que Motoman), dès à présent capables de remplacer les employés de fast food.
Relay (groom). Capable d’escorter les hôtes à leur chambre d’hôtel, de leur porter le petit déjeuner, ce robot a en réalité vocation à être non seulement dans les hôtels, mais aussi dans les hôpitaux, les entreprises et les lieux d’accueil en général. Le robot Aiko Chihira vise également à remplacer les hôtesses d’accueil.
Google car (chauffeur de taxi). Google, imité par Volvo, Mercedes et Telsa, annonce un lancement pour 2020 de sa Google car. Celle-ci, après avoir parcouru plus d’un million cent mille kilomètres, n’a été impliquée que dans trois accidents, soit bien moins qu’un humain moyen. Elle pourrait remplacer les 15 000 taxis parisiens ou les 55 000 taxicab de Bombay, sans compter les centaines de milliers de particuliers proposant leurs services sur des plateformes telles qu’Uber. Le transport de particuliers n’étant pas délocalisable, ces véhicules autonomes peuvent être interdits86. Il en est de même pour les chauffeurs de bus (menacés par le robot Navya) ou de camion. Ces emplois sont aujourd’hui très nombreux et très prisés, souvent par des personnes à faible qualification. S’il semble difficile d’éviter l’automatisation totale des lignes de métro, celle-ci étant déjà entamée, on peut toutefois s’opposer à la généralisation de cette automatisation aux autres transports en commun.
Asimo (assistant à la personne). Ce robot, fabriqué par Honda, peut pousser un chariot, porter un plateau, servir à boire, reconnaître les individus, les objets et les sons, accueillir les personnes âgées, faire le ménage, etc. Il est vrai qu’équiper les hôpitaux de robots pour assister les équipes médicales pourrait, à terme, améliorer leur fonctionnement et réduire le coût de la santé. Toutefois, il ne semble pas illogique, en raison du vieillissement de la population, de consentir à une hausse des dépenses globales de santé. En outre, il est souvent affirmé que l’aide à la personne constitue un gisement d’emplois pour l’avenir. Cela ne saurait être le cas que si, parallèlement, les robots concurrents sont interdits87. De surcroît, le facteur humain reste prépondérant dans la relation de soins88.
K5 (vigile). Equipé d’une caméra infrarouge, d’un détecteur ultrason, d’une reconnaissance optique de personne et d’une analyse de comportement, K5 est conçu pour arpenter les zones publiques, prévenir les délits et repérer les comportements suspects. Les K5 patrouillent déjà dans la Silicon Valley.
Se pose naturellement la question de savoir à quel titre interdire la commercialisation et l’utilisation des robots concernés. La liberté de commerce et d’industrie et la liberté d’entreprendre des concepteurs, fabricants et vendeurs de robots serait en effet impactée de plein fouet par de telles interdictions. Il convient toutefois, avant de justifier cette atteinte tant en opportunité qu’en droit, d’en nuancer la portée : elle ne concernerait, dans un premier temps, que les robots en lien avec les activités non soumises à l’impératif de compétitivité internationale. L’ensemble des robots ne serait donc pas concerné.
En opportunité, une telle atteinte à la liberté d’entreprendre semble pouvoir se justifier. Un calcul coût-bénéfices permet de réaliser qu’imposer des restrictions à un secteur donné se justifie dès lors qu’il s’agit de sauvegarder l’emploi dans un nombre bien plus grand de secteurs. Inversement, il semble illégitime qu’un secteur très précis en termes de compétences et pour l’instant très restreint en termes d’emploi impose, de manière à satisfaire son propre développement, une destruction d’emplois massive dans le reste de l’économie – ce qui limite, non pas en droit certes mais de facto, la liberté d’entreprendre d’un grand nombre de personnes, qui ne seront tout simplement plus en mesure d’exercer leur activité. La variable déterminante est ici la quantité d’emplois disponible dans l’économie. Naturellement, si la conception, fabrication, commercialisation et maintenance des robots représentaient un gisement au moins équivalent d’emplois que ceux qu’ils menacent, le raisonnement serait différent89.
En droit, les choses se compliquent. Il n’est en effet pas certain que les textes actuels suffisent à fonder une telle atteinte à la liberté d’entreprendre. A première vue pourtant, l’alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 – désormais intégré au bloc de constitutionnalité et ayant donc valeur constitutionnelle – semble fonder le droit au travail. Celui-ci dispose : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Toutefois, dès 1983, le Conseil constitutionnel a censuré les interprétations les plus volontaristes de cette disposition en estimant que celle-ci ne créait pas de « droit au travail » à proprement parler, mais instaurait uniquement une obligation de moyens à la charge des pouvoirs publics. Ces derniers doivent mettre en œuvre les politiques nécessaires pour « assurer au mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi en vue de permettre l’exercice de ce droit au plus grand nombre d’intéressés »90. Ainsi, en dépit de sa valeur constitutionnelle, le droit au travail n’a pas une portée absolue.
Cela étant, la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel pourrait suffire pour fonder une restriction de la liberté d’entreprendre appliquée aux professionnels du secteur de la robotique. En effet, si le droit au travail n’est pas absolu, il n’en est pas moins existant et l’obligation de moyens qu’on en déduit pour les pouvoirs publics pourrait être suffisante pour fonder ladite restriction. Au surplus, en ce qui concerne le principe constitutionnel d’égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel tolère qu’un régime particulier soit appliqué aux professions présentant un caractère spécifique91. Toutefois, jusqu’à présent, cette jurisprudence n’a été appliquée que dans le but de créer des droits bénéficiant à des professions ciblées. La question est de savoir si le caractère spécifique de certaines activités – dans notre cas, le secteur de la robotique – pourrait, à l’inverse, justifier des mesures pénalisantes à leur encontre. Une telle réciproque n’a aucune raison d’être exclue par principe, bien qu’on puisse s’interroger sur ce qui fonde le « caractère spécifique » du secteur robotique92.
Si la constitutionnalité d’une loi nationale interdisant certains robots semble vraisemblable93, il est possible que celle-ci pose davantage de problèmes du point de vue de sa conventionnalité, en particulier au regard du droit de l’Union européenne. Interdire des robots est, sans conteste, de nature à restreindre la liberté d’établissement et d’entreprise, lesquels comptent parmi les fondements du marché intérieur. Si l’impératif de protection de l’emploi pourrait, aux yeux de la CJUE, constituer une « impérieuse raison d’intérêt général » susceptible de justifier cette restriction94, il est fort à parier que l’interdiction pure et simple de certains robots ne soit pas vue comme une mesure proportionnée et soit dès lors déclarée inconventionnelle. Toutefois, la question ne s’étant pas encore posée, on ne saurait trop anticiper la réponse qu’apportera la CJUE. Les éléments de contexte sont en effet susceptibles de varier d’ici à ce qu’elle ait à se prononcer. De surcroît, si une régulation des robots à l’échelle européenne parvient à émerger95, la Cour de justice sera probablement plus encline à la clémence.
« Interdire » les robots neutres en matière de compétitivité internationale est donc une première action que l’on peut entreprendre à l’échelle nationale. « Dissuader » des consommateurs de robots en est une autre.
Section 2 : l’introduction de dissuasions destinées aux utilisateurs directs ou indirects de robots
Si l’on exclut la robotique de maison, les robots trouvent deux consommateurs principaux. L’entreprise est un consommateur direct lorsqu’elle acquière des robots ou logiciels pour effectuer des tâches productives. Les ménages, quant à eux, sont des consommateurs indirects de robots lorsqu’ils achètent des biens ayant incorporé du travail robotisé.
Par conséquent, dissuader la consommation de robots dans une perspective de sauvegarde de l’emploi humain suppose à la fois d’agir au niveau des entreprises et des ménages. Les premières pourront être freinées dans leurs acquisitions de robots par le durcissement du régime de responsabilité applicable à ces derniers (§ 1). Les seconds pourront l’être grâce à la création d’un label qui les informera de la part de travail non-humain incorporé dans chaque produit de consommation (§ 2).
Paragraphe 1 : le durcissement du régime de responsabilité applicable aux robots
Une manière détournée de freiner la consommation de robots par les entreprises serait de faire peser sur elles l’essentiel de la responsabilité dans le cas où le robot provoquerait un dommage. En théorie, plusieurs responsables potentiels pourraient être appelés à contribution : le concepteur du robot, son producteur, son propriétaire, son utilisateur, le programmateur de son logiciel intégré ou de son intelligence artificielle. A l’heure actuelle, l’article 1245 du Code civil (anciennement article 1386-1) fait peser sur le producteur la responsabilité du dommage causé par un défaut de son produit, y compris lorsqu’aucune faute n’a été commise. Cet article est applicable par défaut aux dommages causés par des robots. D’autres solutions auraient toutefois pu être envisagées. Par exemple, pour assurer la meilleure indemnisation possible à la victime, il serait envisageable d’attraire l’ensemble des responsables potentiels devant la justice.
Pourtant, la solution que l’on retiendra ici serait de faire peser l’essentiel de la responsabilité sur l’utilisateur du robot, c’est-à-dire sur l’entreprise. La notion de garde, telle que prévue à l’article 1242 alinéa 1 du Code civil (ancien article 1384 al. 1) pourrait être satisfaisante à cet égard, dans la mesure où l’utilisateur est supposé exercer un contrôle sur son robot96. Cette solution se justifie du double point de vue de la logique et dans une perspective de sauvegarde de l’emploi. Du point de vue de la logique, d’abord, on peut se demander, avec Olivier Guilhem97, si le système de responsabilité actuel peut « encore tenir à mesure que le robot gagne en autonomie décisionnelle [.] Ce système ne fait-il pas remonter au niveau du fabricant une responsabilité qui devrait échoir à l’utilisateur à mesure que le robot gagne en apprentissage ?98 ». Du point de vue de notre objectif initial de sauvegarde de l’emploi, ensuite, on peut raisonnablement penser que les entreprises seront plus réticentes à faire l’acquisition de robots si elles savent qu’elles seront sollicitées en premier lieu en cas de dommage.
Faire peser la responsabilité des robots sur l’entreprise utilisatrice est sans doute la solution la plus pertinente dans une optique de préservation de l’emploi. Elle présente néanmoins deux limites principales. La première tient à son champ d’application restreint. Cette solution, si elle peut avoir un impact sur les ventes de robots physiques, sera probablement impuissante à enrayer la vente de logiciels et autres algorithmes permettant d’automatiser un grand nombre de tâches au sein des entreprises (telles que la comptabilité)99. La seconde limite tient au caractère détourné et cauteleux de la mesure. Celle-ci, en effet, consiste in fine à pénaliser les entreprises lorsqu’elles ont acquièrent des robots. On pourrait songer à une manière plus directe et lisible d’adresser le même message aux entreprises (par exemple, via la taxation, ainsi que suggéré en partie 2).
Paragraphe 2 : la création d’un label informant le consommateur de la part de travail non-humain incorporé dans chaque produit
Jusques à présent, les solutions permettant de préserver l’emploi face à l’automatisation ont été envisagées dans une dialectique entreprises-pouvoirs publics, laquelle était concentrée sur la phase de production des biens et services.
Il est néanmoins possible de sortir de cette dialectique et d’envisager une troisième dimension : celle du consommateur. Celui-ci peut en effet avoir une préférence pour certaines méthodes de production plutôt que d’autres. L’exemple le plus notable en la matière est sans doute celui du « bio »100. Le marché des aliments et des biens biologiques est en augmentation constante et soutenue depuis une décennie. Pour la seule agriculture, on comptait au 31 décembre 2016 plus de 32 000 producteurs certifiés « agriculture biologique », soit une hausse de 12 % par rapport à fin 2015, ainsi que près de 15 000 opérateurs de l’aval (transformateurs, distributeurs et importateurs), soit une hausse de 10 %. Selon un sondage réalisé pour le magazine Libre Service Actualité (LSA) en septembre 2015, plus de 67% des français consomment habituellement des produits biologiques. Les raisons de cette consommation sont diverses. Si 67,1 % des sondés déclarent vouloir ainsi préserver leur santé, 43,5 % déclarent vouloir agir pour l’environnement et 31,8 % vouloir soutenir les conditions des producteurs. Observons que, si la première raison pour laquelle les individus consomment bio est la protection de leur santé, intérêt par définition personnel, les autres raisons rapidement invoquées sont collectives.
Puisque les enjeux collectifs figurent parmi les déterminants de la consommation des ménages, la création d’un label informant le consommateur de la part de travail automatisé incorporé dans chaque produit pourrait s’avérer non seulement pertinente, mais surtout efficace. Les consommateurs pourraient alors, au moment de l’achat, opérer une sélection selon un nouveau critère à la fois collectif et individuel, qui tendrait tant à la sauvegarde de l’emploi humain en général – à la manière de la sauvegarde de l’environnement – qu’à la préservation de leur propre emploi – on sait qu’un grand nombre de personnes se sentent menacées par la robotisation ou lui sont hostiles. La création d’un « label automatisation » permettrait donc d’allier les dimensions individuelles et collectives des choix de consommation pour une efficacité maximale101.
La création de ce label – ou étiquette – suppose certes de résoudre un certain nombre de questions préalables. La première d’entre elles est relative à la collecte de l’information. Les entreprises devront être capables de mesurer fidèlement la part du travail automatisé en proportion du travail total nécessaire à la production, de transcrire celle-ci sur leurs emballages et de la communiquer à l’administration, laquelle devra être en mesure de le contrôler. Un travail doit donc être réalisé pour construire des indicateurs comptables pertinents en matière de robotisation102.
Toutefois, pour ne pas compliquer excessivement l’administration des entreprises par des calculs trop lourds, il pourrait être judicieux de réfléchir à décaler ce processus de mesure en amont, au stade de la conception du robot. Il incomberait alors, avant de commercialiser le robot, de lui associer une norme indiquant un « équivalent homme ». Ensuite, il serait plus aisé, au niveau de l’entreprise utilisatrice, d’incorporer dans ses produits cet « équivalent » calculé au préalable.
On sait également que les taux d’automatisation varient énormément selon les secteurs (on rencontre, par exemple, davantage de robots dans l’industrie automobile ou textile que dans l’industrie de luxe). Pour inciter tous les types d’industrie ou de services à réaliser des efforts en matière de travail humain, il conviendrait dès lors que le label prenne à la fois en compte le taux absolu de robotisation de l’entreprise visée et son taux relatif par rapport au secteur concerné, le tout se devant d’être lisible pour le consommateur103.
L’existence de marges de manœuvre nationales est, ainsi, bien réelle. Le mouvement d’automatisation peut être régulé par des actions qui semblent réalisables et ne portent pas atteinte à l’impératif de compétitivité à l’international. L’incertitude majeure concerne l’efficacité de l’instauration d’un « label robotique », qui peut se révéler décevante comme fantastique. Cette mesure a néanmoins le mérite de faire sortir la question de la robotisation de l’unique rapport pouvoirs publics – entreprises et d’y impliquer la société civile, laquelle, une fois informée, est tout-à-fait susceptible de surprendre par ses choix de consommation.
A côté de ces actions nationales peut néanmoins être lancé un mouvement européen, voire multilatéral, de régulation des robots. Ces deux niveaux d’intervention sont étroitement complémentaires, d’autant plus qu’un mouvement global aura d’autant plus de chances d’aboutir que des avancées auront été enregistrées à l’échelle nationale.
Chapitre 2 : la préférence pour une régulation communautaire et multilatérale
C’est au niveau international qu’il convient d’envisager des mesures qui, intrinsèquement, sont directement susceptibles d’avoir un effet sur la compétitivité des entreprises. En matière de taxation des robots, notamment, il est fondamental de ne pas agir en solitaire à l’échelle nationale. Au contraire, être accompagné par d’autres pays, et en particulier par des partenaires commerciaux, permet à la fois d’éviter des conséquences économiques délétères et de gagner en crédibilité dans la perspective d’une transposition à l’échelle multilatérale des règles instaurées.
Ainsi, une première action forte a vocation à être prise à l’échelle communautaire : l’introduction d’une taxe sur les robots (section 1).
Simultanément, les dispositions du droit commercial multilatéral devront être adaptées à l’enjeu que constitue la robotisation (section 2).
Section 1 : l’introduction d’une taxe sur les robots à l’échelle communautaire
La très médiatique proposition de Benoît Hamon ou de Bill Gates – introduire une taxe sur les robots – semble trouver à l’échelle européenne la pertinence et la faisabilité qui lui font défaut à l’échelle nationale. Après avoir exposé le principe et les arguments en faveur d’une taxe européenne sur les robots (§ 1), on exposera les modalités potentielles (§2).
Paragraphe 1 : principes et arguments pour une taxe communautaire sur les robots
L’idée d’une taxe sur les machines n’est pas nouvelle mais revêt une actualité particulière en raison du caractère désormais exponentiel du progrès technique104. La taxe ne viserait plus seulement les machines au sens classique, mais également les robots, l’intelligence artificielle et pourquoi pas les logiciels. L’imposition des robots répond à deux objectifs complémentaires. Il s’agit d’une part d’enrayer l’automatisation des activités en rehaussant artificiellement le coût du capital par rapport à celui du travail de manière à modifier l’arbitrage du chef d’entreprise en faveur du second. Il s’agit d’autre part de dégager des ressources pour financer la sécurité sociale. En effet, seul le travail humain est mis à contribution pour le financement de la sécurité sociale (via les cotisations sociales salariales et patronales). Le robot, lui, ne cotise pas puisqu’il n’est pas rémunéré. Or la raréfaction du travail pourrait conduire à une diminution des ressources prélevées pour financer les régimes de sécurité sociale ou de protection sociale actuels, lesquels seraient d’autant plus coûteux qu’un grand nombre d’individus se retrouverait sans activité. Ainsi, la taxe sur les robots vise à corriger un système fiscal qui, pour l’instant, n’est pas neutre105 dans l’arbitrage entre travail-capital, à contenir le mouvement d’automatisation, à en atténuer les effets délétères et à pérenniser les recettes de l’Etat.
Taxer les robots serait, en outre, une manière accessoire d’accroître la taxation du résultat des entreprises. Depuis environ quarante ans, en effet, le mouvement général a été celui d’une réduction constante du taux d’impôt sur les sociétés (IS). La France, avec ses 33 % actuels, fait figure d’exception dans un monde où le taux d’IS moyen est d’environ 23 %. Pourtant, en 1985, elle pratiquait encore un taux d’IS de 50 %, tout comme la plupart de ses partenaires : les Etats-Unis (46 %), le Japon (42 %), le Royaume-Uni (52 %, contre 20 % aujourd’hui), etc. A l’inverse, reposant sur le consommateur, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a subi une hausse continue dans la plupart des pays développés. Le taux normal est en effet passé, en France, de 13 % en 1968 à 20 % aujourd’hui. Ainsi, les ménages contribuent désormais davantage aux ressources étatiques que les entreprises.
Dès lors, on peut se demander quelles raisons empêchent d’opérer un rééquilibrage des contributions au profit des personnes physiques. Un argument couramment invoqué est que les entreprises répercutent le coût de la taxation supplémentaire dans une baisse des salaires ou une hausse des prix de vente. Pourtant, on estime qu’entre 75 et 95 % des coûts induits par une taxe sur le capital sont effectivement supportés par le capital, c’est-à-dire par les propriétaires de l’entreprise106. La charge transférée aux salariés et aux consommateurs est donc relativement modeste. Un autre argument fréquemment invoqué semble plus pertinent : le risque de la fuite des entreprises à cause de la taxation. Le réalisme de cet argument conduit à n’envisager la taxation des robots qu’à l’échelle européenne.
Des premières manifestations semblent aller en ce sens. Dans son rapport initial107, Parlement européen, Commission des affaires juridiques, 31 mai 2016, rapporteure : Mady Delvaux. )), l’eurodéputée Mady Delvaux proposait à la Commission de « définir des exigences de notification de la part des entreprises sur l’étendue et la part de la contribution de la robotique et de l’intelligence artificielle à leurs résultats financiers, à des fins de fiscalité et de calcul des cotisations de sécurité sociale ». Elle abordait ainsi, à demi-mot, la question de la taxation des robots en insinuant que les entreprises pourraient être taxées sur la part de leur chiffre d’affaires imputable aux productions automatisées. Le rapport finalement adopté n’a malheureusement pas fait sien cette préconisation, soustrayant ainsi un élément central du débat108. Le Parlement s’est contenté d’inviter la Commission à analyser le nombre d’emplois détruits et créées par l’automatisation et le numérique, ainsi que de réfléchir aux conséquences potentielles pour le financement des systèmes de sécurité sociale109, 16 fév. 2017, points 43 et 44.)).
Il est vrai que les compétences de l’Union européenne ne s’étendent pas à la fiscalité directe et que l’unanimité exigée en la matière rend de toute manière délicate toute tentative d’harmonisation. Pourtant, l’Union n’hésite pas à encadrer la fiscalité de ses Etats membres pour garantir le bon fonctionnement du marché commun et prévenir les distorsions de concurrence. Elle a notamment œuvré à la création d’une assiette fiscale commune pour l’IS. L’instauration d’une taxe sur les robots pourrait en conséquence rentrer dans les compétences de l’Union européenne.
Seule l’exigence de l’unanimité au sein du Conseil110 demeure un obstacle sur la voie de la taxation des robots et rend toute hypothétique l’instauration d’une taxe applicable dans les 28111 Etats membres. Toutefois, il convient de souligner la possibilité d’une coopération renforcée en la matière. Prévue par l’article 20 du Traité sur l’Union européenne (TUE), la coopération renforcée permet à un minimum de neuf Etats membres d’établir une intégration ou une coopération accrues un domaine. Ils peuvent pour ce faire bénéficier des structures de l’UE malgré la paralysie provoquée par les pays ne souhaitant pas partager l’initiative en question. Le processus de coopération renforcée a notamment été lancé en matière de taxe sur les transactions financières en février 2013.
Si le principe d’une taxe européenne sur les robots est évidemment séduisant, il reste à en déterminer les modalités parmi un large ensemble de possibles présentant chacun des atouts et des défauts.
Paragraphe 2 : les modalités incertaines de la taxe sur les robots
Le projet de rapport de la commission juridique du Parlement européen ne précisait pas comment calculer les cotisations que les entreprises auraient pu avoir à reverser en contrepartie de leur recours aux robots. Il éludait en effet cette question complexe, n’évoquant qu’une obligation de déclaration à l’administration du nombre robots utilisés, des économies engendrées par leur introduction et du montant de recettes supplémentaires réalisées en conséquence. On ne saurait toutefois reprocher au rapport cette superficialité tant, bien qu’en la supposant admise sur le principe, la question des modalités d’une taxe sur les robots est complexe.
Globalement, on peut dire qu’une taxe sur l’intelligence artificielle pourrait être envisagée de deux manières principales112. La première consisterait à ce que l’employeur, de la même manière qu’il paie des cotisations sur chaque salaire versé à ses employés, paye une taxe sur chaque robot utilisé. La seconde consiste, elle, à taxer la valeur produite par l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Envisageons d’abord le premier type de taxation. Cette hypothèse, qui consiste à imiter le système de cotisation actuel et à le transposer pour les robots (qui, en un sens, paierait lui-même des cotisations sociales « salariales »), soulève plusieurs problèmes. D’abord, en l’absence de personnalité physique ou morale du robot et de l’intelligence artificielle, on ne sait attribuer à une entité précise le revenu taxable. Ensuite, le robot ne touchant aucun salaire, il ne dispose pas lui-même de ressources pour payer la taxe. Taxer le robot semble aller contre le principe de capacité contributive (ou ability to pay), lequel a une valeur constitutionnelle dans certains Etats tels que l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne. En outre, il sera sans doute peu aisé de déterminer quelle est la part de robots ayant remplacé les travailleurs et quelle est la part de nouveaux robots utilisés en raison de la croissance de l’entreprise, dans des cycles productifs par ailleurs toujours plus complexes113. Cette évaluation semble réalisable dans les structures existantes, mais pourrait s’avérer plus délicate dans les nouvelles entreprises. De surcroît, alors que les ressources prélevées par les taxes sur les travailleurs augmentent généralement avec le temps – suivant le même mouvement que le salaire, gonflé au fil de la carrière de l’individu –, la base fiscale liée à l’intelligence artificielle n’augmenterait, elle, nullement au fil des années, ce qui pourrait être préjudiciable pour les ressources étatiques.
L’eurodéputée Mady Delvaux suggérait de résoudre ce problème par l’adoption d’une prémisse de statut de personne électronique pour l’intelligence artificielle et les robots. Ce serait alors la première fois qu’un statut particulier serait attribué à des biens au regard de leur capacité à générer des profits. La relation entre l’entreprise et les robots serait alors similaire à la relation qu’elle entretient avec ses actionnaires114.
Etudions désormais le second type de taxation. Celui-ci propose de taxer la valeur produite par la machine. La base fiscale ne serait alors plus le robot pris en tant que travailleur replaçant l’homme, mais en tant que capital à l’origine d’une production de valeur. Cette option a notamment été défendue par la Conférence des Nations unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED)115. Toutefois, si l’on retient la valeur de l’immobilisation constituée par le robot comme base fiscale, plusieurs problèmes surviennent. Le premier est dû au fait que les montants dégagés par la taxe déclinent progressivement en raison de l’amortissement du coût d’achat du robot. Avec le temps, en effet, la valeur du robot diminue et entraîne avec elle la valeur de la taxe fondée sur elle. A moins que le taux de la taxe progresse à mesure que la valeur du robot diminue, les ressources dégagées par la taxe déclinent. Le second est dû au fait que le coût d’achat des robots est en diminution constante en raison des économies d’échelle du secteur, ce qui laisse également présager une diminution des montants dégagés par la taxe.
D’autres solutions peuvent néanmoins être envisagées. L’Autriche, par exemple, tente depuis l’été 2016 de mettre en place une taxe sur la valeur supplémentaire des profits due à l’usage de nouvelles technologies. Cette taxe ne viserait pas les technologies elles-mêmes mais seulement le résultat de leur utilisation, dans une perspective de financement de la sécurité sociale116. Une taxe similaire est en place depuis 1997117 dans certaines régions italiennes (la taxe IRAP : taxe régionale sur les activités productives). Celle-ci est fondée sur la différence entre la valeur et les coûts de la production. La Cour constitutionnelle italienne a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si la valeur nette de la production était un paramètre qui ne contredisait pas le principe de capacité contributive. La Cour a considéré que cette valeur nette était représentative d’une nouvelle richesse, dès lors susceptible de taxation avant d’être distribuée pour rémunérer les différents facteurs de production118.
On pourrait également envisager de taxer la consommation d’énergie des entreprises119. L’instauration d’une telle taxe, notamment préconisée par l’OCDE dans son rapport « Taxation, innovation et environnement » de 2010, permettrait, de manière accessoire, de dissuader le recours aux robots ou logiciels – lesquels peuvent s’avérer gourmands en énergie – et de favoriser le recours aux énergies renouvelables. Cette taxe ne saurait toutefois être l’instrument fiscal principal dans l’appréhension de la robotisation, dans la mesure où, si l’incitation à utiliser des énergies renouvelables fonctionne correctement, les ressources tirées de la taxe seront rapidement limitées.
L’introduction d’une taxe sur les robots à l’échelle européenne semble donc être à portée de vote. Face à la montée en puissance récente de la problématique dans la sphère publique120, on regrettera presque que le débat à ce sujet au sein du Parlement européen en février dernier ait eu lieu aussi tôt. Ce dernier – peut-être sous l’influence de lobbies industriels – ne semble pas avoir pris l’entière mesure des craintes suscitées par les robots chez les citoyens et ne transmettra pas, au moins pour débat, la question de la taxation des robots à la Commission européenne. Gageons que la thématique fera rapidement son retour au cœur des instances européennes.
En parallèle à une action européenne, une adaptation du droit commercial multilatéral s’avère indispensable pour prendre en compte tant l’enjeu de la robotisation lui-même que les régulations que les Etats entament en la matière. Dans cette dernière section, sans doute la plus prospective de l’exposé, on partira de l’hypothèse selon laquelle les instances multilatérales acceptent le bien-fondé d’une régulation de la robotisation pour tenter de donner des pistes en la matière.
Section 2 : la nécessaire adaptation du droit commercial multilatéral
Le droit commercial multilatéral, par pur pragmatisme, ne saurait rester sourd au nouvel enjeu que constitue l’automatisation. Sa survie en tant que source de droit, face au développement du bilatéralisme ou du plurilatéralisme121, suppose qu’il appréhende les problématiques qui animeront les Etats dans les décennies à venir. La régulation de la robotisation pourrait être l’occasion d’un sursaut pour le droit commercial multilatéral, à travers l’instauration de deux types de règles.
D’une part, il reviendra au droit commercial multilatéral de protéger les pays précurseurs en matière de réglementation de la robotisation. L’édiction de règles permettant à ceux-ci d’agir et interdisant les mesures de rétorsion à leur encontre est à ce titre nécessaire (§ 1).
D’autre part, à moyen terme, le droit commercial multilatéral peut ambitionner de concevoir d’un véritable droit mondial des robots et d’appréhender ainsi le phénomène de robotisation dans sa globalité (§ 2).
Paragraphe 1 : la protection par le droit commercial multilatéral des pays ayant taxé ou réglementé les robots
Dans l’hypothèse où des pays feraient l’effort – et prendraient le risque – d’adopter des mesures cherchant à encadrer l’automatisation, il convient que le droit commercial multilatéral les protège. Cette protection pourrait se décomposer en deux volets.
Dans un premier temps, le droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se doit de donner une base juridique aux Etats souhaitant protéger leur industrie nationale face aux concurrents étrangers lorsque ceux-ci n’ont pas encadré la robotisation. Il semblerait, par exemple, légitime que des Etats ayant fait le choix de taxer les robots puissent calculer le surcoût induit pour leurs entreprises, transformer ces surcoûts en un taux moyen de « perte de compétitivité », et appliquer une taxe du même taux aux importations de produits similaires en provenance d’Etats n’ayant pas régulé la robotisation. Une réforme de l’article 20 du GATT – lequel fournit aux Etats des exceptions générales à la liberté de circulation des marchandises lorsque cela permet de préserver leurs intérêts légitimes –, pourrait être envisagée à ce titre. Les intérêts légitimes, tels qu’entendus par le système GATT-OMC, recouvrent notamment, à l’heure actuelle, la protection de la santé, de la moralité publique ou encore des brevets. Il serait envisageable de réformer cet article pour y insérer un nouvel intérêt légitime, tel que la préservation de l’emploi face à l’automatisation. Notons que, si le mécanisme du droit de douane compensateur peut sembler audacieux, il n’est en réalité qu’une déclinaison de l’instrument de défense commercial prévu par l’OMC122 et l’Union européenne123 en matière de dumping.
Dans un second temps, il conviendrait de réformer le droit de l’OMC pour s’assurer que les pays ayant décidé d’appliquer un droit de douane compensateur ne fassent pas l’objet de mesures de rétorsion de la part des autres pays. Il ne faudrait pas, en effet, que la possibilité d’instaurer une taxe à l’importation par l’Etat ayant réglementé les robots soit vidée de sa substance par l’apparition de mesures de représailles chez les autres Etats.
Une telle réforme du droit de l’OMC pourrait susciter deux séries d’objections. La première tient à ce qu’il peut être délicat de mesurer précisément la part de compétitivité à laquelle les Etats ont renoncé en encadrant la robotisation. Un tel travail de mesure supposerait d’être ventilé secteur par secteur, de s’actualiser pour tenir compte de l’évolution de la technologie et d’obtenir une information fiable sur les pratiques des entreprises des autres Etats. Toutefois, de telles difficultés statistiques ou administratives peuvent probablement être dépassées. On peut imaginer d’organiser, dès la vente du robot, une « traçabilité », pour savoir qui l’achète et pourquoi. En outre, la création d’une base de données, rattachée à l’OMC, sur les pratiques des Etats en matière de robotisation pourrait être un autre élément de solution, couplé à une obligation de notification lorsqu’ils décident d’encadrer la robotisation. Un tel système, certes complexe124, serait néanmoins régulé par l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC, lequel pourrait sanctionner les Etats ayant suscité une plainte après avoir pris une liberté trop importante dans la fixation du taux de taxe à l’importation.
La seconde objection à cette potentielle réforme du droit de l’OMC serait qu’elle n’inciterait pas les entreprises à la performance. Celles-ci ne seraient en effet plus tentées d’innover pour gagner en productivité et offrir des produits de bonne qualité à prix réduit. Elles pourraient effectivement être pénalisées par une taxe à l’importation en raison d’une innovation, ou bien être protégées malgré une absence d’innovation. Cet argument doit néanmoins être relativisé. D’une part, il convient de rappeler que l’innovation ne se limite pas à l’automatisation. D’autre part, le montant de la taxe à l’importation ne chercherait à corriger que l’écart de compétitivité dû à l’automatisation, et non pas l’ensemble de cet écart de compétitivité.
Le droit de l’OMC pourrait ainsi être réformé de manière à sécuriser les conséquences des initiatives éventuelles de ses Membres en matière de réglementation de la robotisation. Nonobstant, au-delà de cette visée protectrice, le droit multilatéral pourrait tenter d’appréhender dans sa globalité le phénomène constitué par la robotisation par l’édiction de règles propres et autonomes.
Paragraphe 2 : l’hypothèse d’un droit mondial des robots
L’échelle multilatérale est sans conteste la plus pertinente pour concevoir un droit des robots cohérent. Abordé au niveau global, l’impératif de protection de l’emploi face à la robotisation emprunte des traits plus rassurants car la peur d’une asymétrie par rapport à ses concurrents disparaît. On pourrait ainsi préconiser, après la fin du cycle de Doha à l’échec annoncé125, d’entamer un nouveau cycle de négociations multilatérales sur les questions cruciales du XXIe siècle. La place du travail humain face à l’automatisation et à l’intelligence artificielle pourrait occuper une place prépondérante au sein de celui-ci. Le Bureau international du travail (BIT) gagnerait également à s’emparer de cette thématique.
Dans un premier temps, il sera certainement plus aisé de ne formuler que des règles de soft law. Toutefois, reproduisant à l’échelle multilatérale l’approche graduelle, pragmatique et prudente que préconisait Jean Monnet pour la construction des communautés européennes, les dispositions pourront évoluer et gagner progressivement une force plus contraignante. On pourrait ainsi imaginer une régulation multilatérale qui interdirait certains robots ou taxerait ces derniers. On pourrait également songer, et cela semble davantage pertinent à moyen-terme, à ce que le droit multilatéral laisse une liberté totale aux Etats en matière de réglementation des robots, mais organise un système cohérent de protection des Etats volontaires en la matière – approfondissant ainsi les mécanismes de protection suggérés dans le paragraphe précédent.
La difficulté récurrente des négociations commerciales multilatérales réside toutefois dans l’exigence de l’unanimité pour le vote des textes. Chaque Etat, quels que soit son poids économique ou sa taille, dispose dès lors d’un droit de veto dans les négociations. Si cette règle peut sembler abusive et de nature à paralyser les discussions, elle n’en est pas moins indispensable pour garantir la souveraineté des Etats. Pour contourner cette difficulté, il serait judicieux de réfléchir à l’abandon du principe de l’engagement unique. En vertu de celui-ci, si certaines dispositions de l’accord ne conviennent pas à un ou plusieurs Etats, ceux-ci doivent refuser l’accord dans son ensemble. Ce principe vise à éviter les engagements « à la carte » des Etats et la survenance de déséquilibres suite au retrait de concessions par certains d’entre eux. S’il apparaît justifié de prime abord, le principe de l’engagement unique (couplé à l’exigence de l’unanimité) a trop souvent l’effet pervers de ralentir les négociations et de faire perdre à l’engagement final sa consistance.
C’est d’ailleurs pour dépasser les défauts du principe de l’engagement unique que les Etats ont tendance à délaisser le multilatéralisme pour lui préférer le bilatéralisme ou le plurilatéralisme. Les négociations commerciales bi ou plurilatérales ont en effet l’avantage de ne voir se réunir que les Etats déterminés à parvenir à un accord. Parmi les exemples récents d’accords plurilatéraux, qu’ils soient conclus ou en simple négociation, on peut songer à l’accord UE-Singapour, à l’Accord économique et commercial global (connu sous son acronyme anglais CETA) signé entre l’UE et le Canada, au Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (également connu sous l’acronyme anglais TAFTA) ou encore, en matière de services cette fois-ci, à l’Accord général sur les services (ou, en Anglais, Trade in Services agreement (TISA)). Il est néanmoins possible que des accords plurilatéraux, forts de leur succès, soient progressivement intégrés à l’échelle multilatérale.
On pourrait ainsi recommander, dans l’hypothèse d’une absence de consensus sur la régulation à apporter à l’automatisation, que les pays volontaires entament une négociation plurilatérale en la matière126. Cependant, en dehors des enceintes multilatérales et du principe d’égalité de voix entre chaque Etat qu’on y applique, il conviendra de prendre garde à ce que les pays les plus influents économiquement et politiquement n’imposent pas leur conception. S’il ne s’agit pas d’un risque propre à la robotisation, il n’en serait pas moins regrettable que des négociations visant initialement à encadrer le mouvement de robotisation aboutissent, par exemple, à une dérégulation totale en la matière suite à la pression de pays spécialisés dans les nouvelles technologies ou simplement ayant fait le choix d’un fort libéralisme en la matière. Cela étant, on se gardera d’imaginer les autres écueils potentiels d’une telle négociation, tant en raison du caractère hypothétique de celle-ci que de l’impossibilité croissante d’émettre de quelconques prévisions quant aux aspirations des individus – et donc des Etats – à travers le monde.
Ainsi, bien qu’une réelle marge de manœuvre puisse être dégagée au niveau national, c’est aux échelles européennes et multilatérales que les solutions les plus cohérentes et exhaustives peuvent être trouvées pour préserver l’emploi face à la robotisation.
Conclusion
Maîtriser la robotisation pour préserver l’emploi : le chantier est immense et le présent travail n’en a probablement présenté que quelques modestes fractions. Les suivantes restent à découvrir. L’emploi face à l’automatisation figure parmi les nouveaux enjeux globaux qui obligent à mettre au point des solutions transversales, loin des solutions nationales que l’on tend spontanément à privilégier. Dans son dernier ouvrage127, la juriste Mireille Delmas-Marty suggère de faire appel aux « forces imaginantes du droit », comme Bachelard avait pu faire appel aux forces imaginantes de l’esprit, pour concevoir le cadre juridique de demain.
D’aucuns seraient tentés de voir dans ce travail le résultat d’une pensée pessimiste, sceptique quant à la capacité de l’homme à renouveler non seulement les activités productives qu’il exerce aujourd’hui, mais plus encore son rapport au travail. Pourtant, la présente étude se veut résolument optimiste en ce qui concerne la capacité des individus à se réinventer pour faire face aux enjeux qui se présentent à eux. Ce renouvellement n’exclut toutefois pas un encadrement étatique des activités qui émergent, pour éviter la création de nouveaux liens de dépendance. La régulation étatique permet de ne pas céder à l’illusion d’un monde où une myriade de travailleurs indépendants pourraient contracter librement entre eux pour se proposer mutuellement des activités innovantes, créatrices et à forte dimension humaine. L’optimisme et la confiance conduisent ainsi à réaffirmer, plutôt que la résignation, la force du politique et du droit dans la régulation de ce qui semble pour beaucoup inéluctable. Si de tels discours peuvent être taxés d’idéalisme, il apparaît tout autant idéaliste d’imaginer que l’on puisse laisser agir les forces naturelles de l’économie et du progrès technique sans s’exposer à de profonds dangers.
En définitive, osons formuler un pari ainsi qu’un souhait. Le pari : la menace de l’emploi par l’automatisation sera d’une actualité croissante avec le temps et les solutions qu’on a tenté de présenter cesseront rapidement de surprendre. Le souhait : se tromper.
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- J. ROBINSON, Economic Philosophy, The New Thinker’s Library, Londres, 1962, p. 21. [↩]
- L’intelligence artificielle est définie, de manière large, par la norme ISO 2382-28 comme la capacité d’une unité fonctionnelle à exécuter des fonctions généralement associées à l’intelligence humaine, telles que le raisonnement et l’apprentissage. Selon A. Bensamoun et G. Loiseau, il s’agit d’une notion flexible dont le plus petit dénominateur commun est « la capacité cognitive permettant une autonomie de l’objet » (A. Bensamoun et G. Loiseau, « L’intelligence artificielle : faut-il légiférer ? », D. 2017, p. 581. [↩]
- G. Loiseau et M. Bourgeois, « Du robot en droit à un droit des robots », JCP G 2014, doctr. 1231, spéc. n°3. [↩]
- Heudin J.-C., « Intelligence artificielle et robots : entre utopie et dystopie », in Bensamoun A. (dir.), Les robots, Ed. Mare & Martin, 2016, pp. 46-47. [↩]
- BONNEAU V., Mon collègue est un robot, Alternatives, Gallimard, Paris, 2016. [↩]
- Ibid, p. 9 [↩]
- Projet de rapport adressé à la Commission européenne par la Commission des affaires juridiques du Parlement européen le 31 mai 2016 (2015/2103INL). [↩]
- FREY C. B., OSBORNE M. A., « The future of employment: how susceptible are jobs to computerization? », University of Oxford, 17 sept. 2013. [↩]
- Roland Berger, Les classes moyennes face à la transformation digitale, octobre 2014, (https://www.rolandberger.com/publications/publication_pdf/les_classes_moyennes_face___la_transformation_digitale___roland_berger.pdf ). [↩]
- BOWLES J. , « The computerisation of European jobs » , Bruegel, 24 juil. 2014. [↩]
- OCDE, « Automatisation et travail indépendant dans une économie numérique », Synthèses sur l’avenir du travail, mai 2016 : http://www.oecd.org/fr/emploi/emp/La-num%C3%A9risation-r%C3%A9duit-la-demande-de-t%C3%A2ches-manuelles-et-r%C3%A9p%C3%A9titives.pdf. [↩]
- Bidet-Mayer T. et Toubal L. (2016), « Travail industriel à l’ère du numérique. Se former aux compétences de demain », La Fabrique de l’Industrie, Les notes de la Fabrique : http://www.la-fabrique.fr/wp-content/uploads/2016/10/N16-Travail-industriel-%C3%A0-l%C3%A8re-du-num%C3%A9rique.pdf. [↩]
- Voir not. D. H. Autor, « Why Are There Still So Many Jobs? The History and Future of Workplace Automation », Journal of Economic Perspectives, 2015, vol. 29, n. 3, p. 3-30, [↩]
- CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995, 490 p. [↩]
- Voltaire, dans Candide, écrivait que le travail sauvait l’homme de trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. Notons que l’introduction d’un revenu universel (voir infra) ne sauve l’homme que du besoin. [↩]
- Brynjolfsson E., et McAfee A., The second machine age: Work, progress, and prosperity in a time of brilliant technologies, W. W. Norton & Company, 2014. [↩]
- Le crédit mutuel a annoncé, le 20 avril 2017, que le robot d’intelligence artificielle Watson (conçu par IBM) allait désormais assister 20 000 chargés de clientèle dans 5 000 agences :
http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2017/04/20/le-credit-mutuel-deploie-le-robot-d-intelligence-artificielle-watson-dans-son-reseau_5114032_1656994.html [↩]
- https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2015/07/world-without-work/395294/ [↩]
- Le terme de « révolution » numérique est avant tout médiatique et sa pertinence historique fait débat. Toutefois, au regard des bouleversements déjà opérés et des perspectives qu’elle laisse entrevoir, la période actuelle s’apparente bien à une quatrième révolution industrielle, axée sur le numérique. Andrew Mc Affee, chercheur en robotique au MIT, préfère parler de second âge de la machine. Le premier âge de la machine, avec l’invention des moteurs, nous permet depuis 240 ans de dépasser les limites de notre corps et de nos muscles. Le second âge de la machine, lui, est axé sur le numérique et l’intelligence artificielle et nous permet de dépasser les limites de notre esprit. Le World Economic Forum n’hésite pas, quant à lui, à employer l’expression de “révolution”. Voir World Economic Forum, The future of jobs: Employment, skills, and workforce strategy for the fourth Industrial Revolution, January 2016. [↩]
- Le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE), dans son rapport Automatisation, numérisation et emploi (http://www.coe.gouv.fr/IMG%2Fpdf%2FCOE_170110_Rapport_Automatisation_numerisation_et_emploi_Tome_1.pdf), janvier 2017, écrit : « la DARES et France Stratégie […] considèrent que, quel que soit le scénario macroéconomique, l’emploi dans le secteur informatique resterait dynamique. Selon le scénario macroéconomique central, les créations nettes d’emplois, dans une approche par métiers, seraient de 110 000 emplois entre 2012 et 2022 […], soit un rythme similaire aux périodes précédentes. Ce rythme de créations d’emplois (+ 1,8 % par an) serait ainsi bien supérieur à celui de l’ensemble des métiers. » (p. 106). 110 000 emplois supplémentaires en dix ans semble malgré tout une performance fort modeste, qui n’est pas de nature à compenser les pertes subies par les autres secteurs. Ce chiffre ne prend, certes, pas en compte les emplois créés directement dans le secteur de la robotique, mais ceux-ci seront, selon le rapport, en nombre bien plus limité. [↩]
- FORD M. Rise of the robots, the threat of a jobless future, Ed. Basic books, 2015. Martin Ford n’est pas à proprement parler un défenseur de la robotisation, mais il soulève à de nombreuses reprises dans cet ouvrage (bestseller du New York Times) la perspective de la relocalisation des emplois. [↩]
- Le COE, dans le rapport précité, estimait que le phénomène de relocalisation était difficile à définir et à mesurer mais semblait « de faible ampleur » (p. 144). [↩]
- Viennot M., Le billet économique, « L’euro 2016 des stades aux usines d’Asie », France culture, 10 juin 2016. [↩]
- Voir not. Mendoza-Caminade A., « Le droit confronté à l’intelligence artificielle des robots : vers l’émergence de nouveaux concepts juridiques ? », D. 2016, p. 445. [↩]
- ARTUS P. et VIRARD M. P., Croissance zéro. Comment éviter le chaos ?, Ed. Fayard, Paris, 2015. [↩]
- Voir not. Acemoglu D. et Restrepo P. (2016), « The race between machine and man: implications of technology for growth, factor shares and employment », NBER Working paper, n°22252. [↩]
- Une thèse notamment défendue par Marr B., « Why robots pose a huge threat to low-wage workers around the world », Forbes, 17 oct. 2016. [↩]
- Le Président Barack Obama lui-même, dans un entretien en date du 24 août 2016 avec le directeur du Media Lab du MIT, Joi Ito, déclarait : “Whether a universal income is the right model – is it gonna be accepted by a broadbase of people? – that’s a debate that we’ll be having over the next 10 or 20 years”. – Toutefois, le Parlement européen n’a pas repris l’idée du revenu universel dans sa resolution à la Commission du 16 février 2017 (Parlement européen, Resolution with recommendations to the Commission on Civil Law Rules on Robotics, (2015/2103(INL [↩]
- C’est pourtant l’objectif que se fixent tous les gouvernements. Il est même inscrit dans l’article 3, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne : « [L’Union œuvre] pour une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social ». [↩]
- Garantie initialement par le décret d’Allarde du 2 et 17 mars 1791. Son article 7 dispose qu’« il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ». On verra supra que la liberté d’entreprendre est aujourd’hui garantie par le droit de l’Union européenne. [↩]
- Il s’agit précisément, d’ailleurs, de la stratégie adoptée par le projet gouvernemental de la « Nouvelle France industrielle », dont la seconde phase lancée le 18 mai 2015, vise à construire « l’industrie du futur » en transformant notre modèle économique pour l’adapter au numérique. [↩]
- Il ne s’agit que d’une extension, au niveau macroéconomique, des enseignements de la théorie des jeux. [↩]
- Un rapport de l’Executive Office of the President [des Etats-Unis] en date de décembre 2016 intitulé Artificial intelligence, automation, and the economy, affirme : “technology is not destiny; economic incentives and public policy can play a significant role in shaping the direction and effects of technological change”. [↩]
- Les 56 % de réponses positives, mal réparties entre les ouvriers (39 %) et les cadres (74 %), n’ont pas été suffisantes pour mettre en œuvre le plan. Une négociation syndicale a été donc été entreprise, mais rapidement avortée suite à l’opposition de la CGT et de la CFDT, syndicats majoritaires. En conséquence, la direction souhaite désormais proposer individuellement aux salariés la modification de leur emploi. Si ceux-ci sont plus de 75 % à l’accepter, le plan initial sera mis en œuvre (les salariés l’ayant refusé s’exposent à un licenciement pour motif économique). Source : Nouel B., « Temps de travail chez Smart, une négociation emblématique », Think tank Fondation iFRAP, 10 dec. 2015 : http://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/temps-de-travail-chez-smart-une-negociation-emblematique. [↩]
- Notons que l’évolution de la durée du temps de travail sur tout la vie est encore plus éloquente de ce progrès. Auparavant, en effet, les individus étaient une majorité à travailler de leur enfance à la mort, alors qu’on ne travaille guère plus d’une quarantaine d’années aujourd’hui. [↩]
- Ainsi que le souligne une nouvelle fois un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), dont les références précises ne sont pas disponibles, ce dernier ayant été censuré par Pierre Boissier, directeur de l’IGAS. Voir Belouezzane S. et Bissuel B., « Un rapport enterré de l’IGAS sur les 35 heures », Le Monde, 9 juillet 2016 : http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/07/09/un-rapport-enterre-de-l-igas-sur-les-35-heures_4966754_823448.html. [↩]
- GENEREUX J., Les vraies lois de l’économie, Ed. Seuil, Paris, 2001, 368 p., p. 35. [↩]
- A l’inverse, selon un sondage CSA réalisé pour Les Echos, Radio Classique et l’Institut Montaigne, 71 % des Français se disent favorables à laisser les entreprises « fixer librement le temps de travail, par accord avec leurs salariés. [↩]
- Ce critère d’arbitrage a toutefois le défaut d’être arbitraire. Il se peut que les entreprises cherchant à préserver leurs emplois par une réduction du temps de travail contribuent davantage au maintien du travail dans la société que les embauches effectuées dans les entreprises nouvelles. Il conviendrait donc de faire évoluer ce critère en fonction de la disponibilité des ressources de l’Etat, mais également en fonction de l’observation empirique. [↩]
- Conseil économique et social de l’Organisation des Nations Unies, « General Comment on State Obligations under the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights in the Context of Business Activities », Comité des droits économiques sociaux et culturels, sixième session, 20-24 février 2017, points 1 et 22. [↩]
- Loi 75-5 du 3 janvier 1975 relative aux licenciements pour cause économique, article 2, paragraphe 7. [↩]
- On peut s’interroger sur l’efficacité de cette mesure en termes d’emplois. Le CNPF prédisait la création de 370 000 postes. Pourtant, en 2012, lors du débat sur le collectif budgétaire, le rapporteur de la loi de 1986 avait lui-même reconnu son absence d’efficacité. Etienne Pinte déclarait en effet : « ayant été le rapporteur des deux lois sur la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, je me dois de rappeler que ces textes n’ont donné lieu à aucune création d’emploi (…) Il y a eu, tout au plus, un maintien de l’emploi ». [↩]
- Loi n°86-1320 du 30 décembre 1986 relative aux procédures de licenciement. [↩]
- Directive 98/59/CE concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatifs aux licenciements collectifs. [↩]
- En réalité, elle encadre le choix de définition d’un licenciement collectif par l’alternative suivante. Soit, le nombre de licenciements pour une période de trente jours est au moins égal à 10 dans les établissements employant entre 20 et 100 travailleurs, à 10 % du nombre de travailleurs si l’entreprise en compte 100 à 300, ou à 30 dans les établissements employant au moins 300 travailleurs. Soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours, le nombre de licenciements est au moins égal à vingt, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés. On voit que l’Union européenne impose certes des seuils minimums pour caractériser les licenciements collectifs, mais qu’ils sont relativement bas et n’imposent donc qu’un plancher aux Etats membres. [↩]
- CJUE 21 décembre 2016, aff. C-201/15 (Anonymi Geniki Etairia Tsimenton Iraklis (AGET Iraklis) c. Ypourgos Ergasias, Koinonikis Asfalisis kai Koinonikis Allilengyis). [↩]
- La Cour considère ainsi qu’une autorisation préalable « constitue une ingérence importante dans certaines libertés dont jouissent, généralement les opérateurs économiques » (point 55) et qu’une telle réglementation « est de nature à rendre moins attrayant un accès au marché grec et, en cas d’accès à ce marché, à réduire considérablement, voire à supprimer, les possibilités, pour les opérateurs d’autres États membres ayant ainsi fait le choix de s’installer sur un nouveau marché, de moduler, par la suite, leur activité sur celui-ci ou d’y renoncer, en se séparant, dans ces perspectives, des travailleurs précédemment engagés » (point 56). [↩]
- Voir, par exemple, CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06, point 113. [↩]
- CJCE, 11 décembre 2007, Viking, aff. C-483/05, Rec., p. 10779, point 79. [↩]
- Conformément à sa jurisprudence antérieure, notamment les arrêts Laval (CJCE, 18.12.07, aff. C-341/05) et Viking (CJCE, 11.12.07, aff. C-438/05). [↩]
- LOI n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi [↩]
- La loi modifie les articles L 1233-57 et suivants du Code du travail. L’article L1233-57 prévoit que l’autorité administrative peut soumettre des propositions à l’entreprise en difficulté. L’article L1233-57-2 prévoit que l’autorité administrative ne peut valider l’accord qui lui est proposé qu’après s’être assurée qu’il satisfait certaines procédures, notamment les obligations de consultation des salariés et des organismes syndicaux. [↩]
- Loi n° 89-549 du 2 août 1989 modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion. [↩]
- L’article L1233-3 utilise à dessein l’adverbe « notamment » avant d’énumérer les causes de licenciements pour motif économique. [↩]
- Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 mars 2015, 13-26.293. [↩]
- Cour de Cassation, Assemblée plénière, du 8 décembre 2000, 97-44.219, Publié au bulletin. [↩]
- Cour de Cassation, Ch. sociale, 11 janvier 2006, 05-40.977, Publié au bulletin. [↩]
- MAZEAUD A., Droit du travail, Broché, 9ème Ed, Paris, 2016 736 p., p 432. [↩]
- Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, dite loi Borloo. [↩]
- Op. cit., note 23. [↩]
- La classe d’âge de référence est l’ensemble des individus entre 15 et 24 ans à la recherche d’un emploi. Les étudiants sont donc exclus de ces statistiques puisqu’ils ne sont pas encore entrés sur le marché du travail. [↩]
- Rapport d’information n°2620, L’emploi des jeunes en Europe : une urgence, Assemblée nationale, Commission des affaires européennes, mars 2015, Philip Cordery (député rapporteur), p. 20 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rapdifnet/ri2620.pdf. [↩]
- Ibid, p. 41. [↩]
- Ibid, p. 28. [↩]
- Céreq, « Enquête 2013 auprès de la Génération 2010 », Bref du Céreq, n°319, mars 2014 : http://www.cereq.fr/publications/Cereq-Bref/Enquete-2013-aupres-de-la-Generation-2010-Face-a-la-crise-le-fosse-se-creuse-entre-niveaux-de-diplome. [↩]
- Anderson C. A., « A skeptical note on the relation of vertical mobility to education », American Journal of Sociology, 1961. Le paradoxe d’Anderson est une situation dans laquelle un fils ne parvient pas à occuper une position sociale plus élevée que son père malgré un diplôme supérieur. [↩]
- Enquête PISA 2012, OCDE, avril 2014 : https://www.oecd.org/pisa/keyfindings/pisa-2012-results-overview-FR.pdf. [↩]
- On peut regretter que le Conseil ne mette en avant que l’aspect entrepreneurial des compétences, qui n’est qu’une partie de la question de l’adéquation formation-travail. [↩]
- Op. cit. note 27, p. 86. [↩]
- Ibid, p. 106. [↩]
- Site de la Commission européenne : https://ec.europa.eu/eures/public/fr/homepage. [↩]
- Goux D. et Maurin E., « Les entreprises, les salariés et la formation continue », Economie et statistique, 1996, vol. 306, n°1, pp. 41-55. [↩]
- Cozin D., « La formation sera-t-elle un jour un investissement d’avenir en France ? », Les Echos, 10 janv. 2017 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-164448-la-formation-sera-t-elle-un-jour-un-investissement-davenir-en-france-2055919.php. [↩]
- Travail-emploi.gouv.fr [↩]
- Le retour à des mesures passives paraît contradictoire avec la politique de formation pour s’adapter aux évolutions du travail. Toutefois, prévention et réparation sont indissociables. Ce fonds pourrait, en cas de succès des politiques actives de compétences, n’être introduit que de manière temporaire. [↩]
- Projet de rapport adressé à la Commission européenne par la Commission des affaires juridiques du Parlement européen le 31 mai 2016 (2015/2103INL). [↩]
- On renverra à la partie 2, chapitre 2, sections 1 et 2, où est abordée la question de la compétence de l’Union européenne en matière de fiscalité. [↩]
- Bensamoun A. et Loiseau G., « L’intelligence artificielle : faut-il légiférer ? », Recueil Dalloz 2017, p. 581. [↩]
- Elles peuvent également opter pour un directoire, mais cela reste peu fréquent. Dans ce cas, les décisions du directoire sont contrôlées par un Conseil de surveillance. [↩]
- Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. [↩]
- Elle impose la présence de deux salariés lorsque l’organe décisionnel compte au moins douze personnes, et d’un seul en dessous. [↩]
- La loi du 17 août 2015, dite loi Rebsamen, est venue renforcer l’obligation de mettre en place des représentants salariés dans les organes de direction des sociétés anonymes (L. 225-27-1 C. com.) et des sociétés en commandite par actions. En outre, elle abaisse les seuils à 1 000 employés permanents en France ou 5 000 salariés à travers le monde pour une entreprise dont le siège social est en France. [↩]
- Le rapport Gallois, lui, recommandait la mise en place, dans les entreprises de plus de 5.000 salariés, d’au moins quatre représentants des salariés au conseil d’administration ou de surveillance. Voir Rapp. Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, nov. 2012, 2ème proposition, p. 61. [↩]
- On s’inspirera ici de BONNEAU V., Mon collègue est un robot, Alternatives, Paris, 2016. [↩]
- Le premier restaurant doté de serveurs robots a ouvert en 2012 en Chine. [↩]
- Il serait possible de songer à des exceptions pour les personnes à mobilité réduite ou n’étant pas en état physique de conduire. Toutefois, ces personnes ne voyageant que peu en règle générale, l’achat d’un véhicule autonome aurait de forte chances d’être disproportionné au regard de leurs besoins. En outre, véhicule autonome ne rime pas avec gratuité de la course. Il paraît plus opportun, quitte à conserver un service de transport payant, de conserver les emplois des taxis ou des ambulanciers. [↩]
- Le robot « TUG » menace également un grand nombre d’emplois hospitaliers. Il peut livrer les médicaments, les échantillons de sang ou autres prélèvements au laboratoire, ou encore les repas aux patients. Il peut remplacer une grande partie du personnel auxiliaire d’un hôpital. Il est déjà en service dans de nombreux hôpitaux américains et n’a même pas besoin d’être acheté : il peut être loué au mois, le temps de se rendre compte de son potentiel… [↩]
- Formarier Monique, « La relation de soin, concepts et finalités », Recherche en soins infirmiers, 2007/2 (N° 89), p. 33-42. DOI : 10.3917/rsi.089.0033. URL : http://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2007-2-page-33.htm. [↩]
- Cela semble toutefois fort peu probable, cf. introduction. Qui plus est, il semble être davantage prudent de préférer la préservation d’un grand nombre d’emplois existants à la création hypothétique d’un nombre plus limité d’emplois. [↩]
- Décision n°83-156 DC du 28 mai 1983, loi portant diverses mesures relatives aux prestations de vieillesse. [↩]
- Ibid, point 5. [↩]
- On pourrait imaginer que le secteur de la robotique tient son « caractère spécifique » des effets qu’il est susceptible d’entraîner chez les autres secteurs, c’est-à-dire faire disparaître certains de leurs emplois en les robotisant. Une telle caractéristique constitue indéniablement une spécificité. Notons toutefois que, s’il serait évidemment plus confortable de parvenir à fonder précisément le caractère spécifique du secteur de la robotique, un échec en la matière ne serait toutefois pas dirimant. Le Conseil constitutionnel n’hésite en effet pas à affirmer la spécificité d’une situation sans en expliquer les raisons, se contentant de « constater celle-ci ». Tel est notamment le cas dans la décision susmentionnée. [↩]
- Cette éventualité dépendra toutefois des sensibilités des juges siégeant au Conseil constitutionnel. [↩]
- Cf. partie 1, section 2, paragraphe 1. [↩]
- La régulation européenne des robots sera l’objet du chapitre 3 de ce mémoire. [↩]
- COURTOIS G., « Robot et responsabilité », in BENSAMOUN A. (dir), Les robots, objets scientifiques, objets de droit, Mare & Martin, Sceaux, 2016, p. 135. [↩]
- GUILHEM O., « Robotique appliquée et droit », in BENSAMOUN A. (dir), Les robots, objets scientifiques, objets de droit, Mare & Martin, Sceaux, 2016, p. 34. [↩]
- Nonobstant, il conviendrait sans doute de faire évoluer la notion de « garde » à mesure que l’autonomie des robots se développe. [↩]
- Il est toutefois délicat de faire œuvre de prédiction en la matière. Il n’est pas exclu que des logiciels, en prenant une mauvaise décision, créent un dommage, bien que ce dernier ne soit pas physique. La responsabilité de ce dommage devrait alors également peser sur l’entreprise. [↩]
- On aurait également pu songer au commerce équitable. [↩]
- L’efficacité pourrait être renforcée par la diffusion de spots publicitaires gouvernementaux faisant œuvre de pédagogie tant sur l’enjeu de la robotisation lui-même que sur la lecture du label. [↩]
- Ajoutons qu’un autre travail gagnerait à être mené pour renouveler les indicateurs de performance de l’entreprise, tant en interne que pour les investisseurs. Les indicateurs existants, qu’ils soient financiers (taux de rendement synthétique (TRS), taux de rentabilité, etc.) ou relatifs à la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) (impact environnemental, bien-être des salariés, etc.) ne prennent pour l’instant pas en compte la question de la robotisation. [↩]
- Si l’écueil d’une trop grande complexité doit évidemment être évité, un label composé de deux informations principales ne semble toutefois pas d’une sophistication exagérée au regard des informations d’ores et déjà reproduites sur les emballages, telles que les apports nutritionnels détaillés en matière alimentaire, par exemple. [↩]
- On songe ici à la théorie de l’un des dirigeants de Google, Ray Kurzweil, scientifique et futurologue. [↩]
- Peggy Richman (Musgrave), Taxation of Foreign Investment Income: An Economic Analysis (Baltimore, MD: The Johns Hopkins Press, 1963) in Peggy Musgrave, “Tax Policy in the Global Economy”, Selected Essays (Elgar, 2002). [↩]
- MALCOLM J., « Here’s how Bill Gates’plan to tax robots could actually happen », Business insider, 20 mars 2017 : http://www.businessinsider.com/bill-gates-robot-tax-brighter-future-2017-3?IR=T. [↩]
- Projet de rapport contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL [↩]
- Le rapport initial de la Commission des affaires juridiques du Parlement européen a été modifié. La nouvelle version, adoptée le 27 janvier2017, fut votée par le Parlement le 16 février 2017 et devient dès lors une résolution. [↩]
- Parlement européen, Resolution with recommendations to the Commission on Civil Law Rules on Robotics, (2015/2103(INL [↩]
- L’unanimité est exigée, en matière fiscale, par l’article 114 TFUE, alinéa 2. [↩]
- Bientôt 27, avec le départ du Royaume-Uni. [↩]
- W. H. Weissman, « How robots will kill tax administration and the funding of social insurance » Part II, in Employee Benefit Plan Review, 07/2014, vol. 69, issue 1, p. 28. [↩]
- Ces derniers n’ont toutefois pas de raison a priori pour être entièrement exemptés de taxe. [↩]
- M. Georgina Lexer et L. Scarcella, « The effects of artificial intelligence on labor markets – A critical analysis of solution models from a tax law and social security law perspective », in We Robot 2017, Yale University. [↩]
- Conférence des Nations unies pour le Commerce et le Développement, « Robots and industrialization in developing countries », n° 50, oct 2016. [↩]
- Plus d’informations peuvent être trouvées au sujet de la taxe sur la valeur créée autrichienne sur http://www.meinplana.at/. [↩]
- Décret législatif italien, « decreto Legislativo », n° 446, 15 déc. 1997. [↩]
- Cour constitutionnelle italienne, décision n° 156, 21 mai 2001. [↩]
- K. Kosonen et G. J. A. Nicodème, « The role of fiscal instruments in environmental policy », European Commission Taxation paper, 2009, p. 8. [↩]
- L’élection présidentielle française aura montré qu’un tel sujet peut être popularisé en l’espace de quelques semaines. [↩]
- Selon le site internet de l’OMC elle-même : « Le nombre d’accords commerciaux régionaux (ACR) a augmenté et leur portée s’est étendue au fil des années ; il y a eu notamment une augmentation notable du nombre de grands accords plurilatéraux en cours de négociation. Depuis la notification de l’ACR entre la Mongolie et le Japon en juin 2016, tous les Membres de l’OMC comptent maintenant un ACR en vigueur. » : https://www.wto.org/french/tratop_f/region_f/region_f.html. [↩]
- Article IV du GATT. [↩]
- Il existe en effet des centaines de directives européennes qui, produit par produit et pays par pays, instaurent un droit de douane compensateur lorsque le dumping est établi. En avril 2017 sont notamment entrées en vigueur des dispositions anti-dumping contre l’acier chinois. [↩]
- La complexité n’est toutefois pas un obstacle dirimant en matière de régulation internationale, en atteste la sophistication de la procédure anti-dumping par exemple. [↩]
- Siroën Jean-Marc, « Négociations commerciales multilatérales et cycle de Doha : les leçons d’un échec annoncé », Négociations, 2/2011 (n° 16), p. 9-21. [↩]
- Cela n’est pas sans rappeler l’idée de coopération renforcée en matière de taxation des robots à l’échelle européenne (cf. Chapitre 3, Section 1, Paragraphe 1). [↩]
- M. DELMAS MARTY, Aux quatre vents du monde – petit guide de navigation sur l’océan de la mondialisation, Seuil, Paris, 2016, 156 p. [↩]
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