Ce texte est la version manuscrite d’une intervention dans le cadre d’un colloque sur le thème « La révision des lois bioéthiques et l’évolution de la conception de la personne humaine » qui s’est tenu les 17 et 18 octobre 2019, à l’Université de Toulon.
Participer à un colloque est toujours un vif plaisir et un grand honneur, redoublés quand on est invité à en tirer les conclusions devant un public clairsemé et déjà exténué. Encore qu’il soit toujours un peu agaçant de parler devant presque personne alors que l’on a scrupuleusement et attentivement écouté tout le monde, c’est toujours un bonheur de le faire surtout quand le colloque a été organisé par les forces vives des doctorants. Tous les auditeurs et les futurs lecteurs doivent d’ailleurs couvrir de remerciements et de compliments les doctorants ou pré-docteurs Camille Leroy et Jérôme Leborgne qui ont organisé celui des 17 et 18 octobre 2019 sur la révision des lois bioéthiques et l’évolution de la conception de la personne humaine, en anticipant brillamment qu’il se déroulerait quelques jours, quelques heures après le 14 octobre, jour de l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à la bioéthique, promis à une adoption par le Sénat, en première lecture, le 4 février 2020. Avant de devenir projet de loi présenté par la Ministre des Solidarités et de la Santé Mme Agnès Buzyn, il avait aussi été défendu devant le Conseil des Ministres du 24 juillet 2019 par Mme Frédérique Vidal Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et par la Garde des sceaux, Ministre de la Justice, Mme Nicole Belloubet dont chacun sait, dans les Facultés de Droit qu’elle a été brillamment admise au Concours d’agrégation externe de droit public il y a quelques années. Dès lors, on peut se demander, à la suite de Jean-René Binet qui l’a dit autrement, comment elle a pu laisser associer son nom à un texte dont les intitulés des subdivisions réussissent un mariage si improbable entre la lourdeur et la platitude. Pour ma part j’aurais une petite préférence pour celui du Titre VI : « Assurer une gouvernance bioéthique adaptée au rythme des avancées rapides des sciences et des techniques »…. S’il était permis à un directeur de thèses retraité qui en a fait soutenir 34 de donner un conseil aux doctorants qui ont participé ou assisté à ce colloque, ce serait celui-ci : prenez les intitulés du projet de loi relatif à la bioéthique de 2019 comme exemples parfaits de ce qu’il ne faut pas faire si vous voulez garder des chances de qualification.
Partie I. Le commencement du commencement
Au commencement du commencement de tout être humain et, par conséquent, de toute personne humaine, il y aurait du désir et de la volonté dont a si bien parlé, pour commencer Sarah Fahri. Malheureusement, et cela n’aura sans doute pas été assez souligné pendant les deux demies journées du colloque, le désir et la volonté ne sont pas toujours partagés aux commencements de tous les commencements. En outre tout le monde, à part peut-être Philippe Pédrot quand il a osé évoquer l’émotion, semble avoir oublié qu’au commencement de certains commencements, il peut aussi y avoir de la tendresse. Ce n’est pas la première fois que je tire les conclusions d’un colloque relatif à la sensibilité, à la « bioéthique » ou à la procréation, et encore une fois, je suis obligé de constater que mes jeunes collègues abordent allègrement tous ces sujets sans jamais faire allusion à la tendresse. On en viendrait presque à leur demander avec une pointe d’irritation : « et vous n’avez pas honte ? ». En tout cas, cela donne une idée assez précise et pas très rassurante de la conception que l’on se fait aujourd’hui de la personne humaine réduite, quand tout va bien, au désir et à la volonté. De toute façon, pour ce qui regarde les différentes lois dites bioéthiques qui se sont succédé, il n’y a plus de tendresse, de désir et de volonté partagés : au grand dam de Jacques Leroy, le dernier des pénalistes romantiques qui n’ont jamais été très nombreux, il y a le projet parental (articles L. 2141-3 et suivants du Code la santé publique) qui n’est pas nécessairement un heureux mélange des trois.
Désormais placé au commencement du commencement médicalement assisté, le projet parental est à la veille d’une révolution, il reste soumis à une interdiction désuète qui pourtant se renforce et a une prohibition justifiée qui néanmoins s’effrite.
La révolution a été magistralement présentée par Jean-René Binet. Il s’agit de la mesure phare du projet de révision de 2019 qui se disséminera d’ailleurs sous plusieurs aspects. Le premier, donnant vigueur au slogan « la PMA pour toutes », ouvrira, avec l’assentiment inattendu du Sénat, la procréation médicalement assistée aux couples de deux femmes et à toute femme non mariée alors qu’elle était traditionnellement réservée au couple formé d’un homme et d’une femme. Le second se traduira en conséquence par la disparition de toute condition médicale à l’accès aux gamètes qui pourront vite se trouver en rupture de stock. Le dernier, redouté par Jean-René Binet serait l’abandon en rase campagne, au nom du principe d’égalité entre les femmes mariées, de la bonne vieille idée selon laquelle c’est l’accouchement qui fait la mère.
L’interdiction archaïque en cours de renforcement est relative à la procréation post mortem pourtant admise depuis déjà longtemps au moins sous certaines de ses modalités par nos voisins belges et espagnols notamment. Cette double peine, frappant la veuve officielle ou officieuse déjà lourdement éprouvée par la mort de l’homme de sa vie qui se trouve privée de tout espoir de devenir mère grâce à lui, semble être le résultat d’une alliance objective des notaires et des psychiatres. Les premiers redoutent la procréation post mortem parce qu’ils seraient trop perturbés dans leurs petites techniques de liquidations successorales si des enfants venaient à naître bien plus de 300 jours après la mort de leur père. Les seconds, qui avant l’affaire d’Outreau nous assuraient que le témoignage d’un enfant était toujours l’expression de la vérité la plus indiscutable, la vouent aux gémonies parce qu’ils sont catégoriquement convaincus que l’enfant du deuil né après la mort de son père est irrémédiablement condamné d’avance à se traîner lamentablement dans l’existence, oubliant au passage qu’un certain William Jefferson Blythe venu au monde 6 mois après le décès accidentel de son père est devenu Président des USA sous le nom de Bill Clinton. Au cours des précédentes révisions des lois dites bioéthiques, il y avait eu sur ce point un match équilibré entre, à ma droite, le Conseil d’État et le Sénat hostiles à la légalisation de l’une ou l’autre des deux formes de procréation post mortem fort bien décrites par le prometteur Maxime Lei que sont le transfert d’un embryon créé in vitro avec les gamètes de l’homme du couple et l’insémination artificielle avec ses spermatozoïdes et à ma gauche, le Comité national consultatif d’éthique et l’Assemblée nationale favorables à la légalisation de la première de ces deux modalités. La libéralisation attendue avait cependant échoué parce que, face à l’hostilité du Sénat, les gouvernements concernés n’avaient pas eu l’audace de laisser l’Assemblée nationale avoir le dernier mot. Le Comité national consultatif d’éthique ayant réaffirmé sa position dans son avis n° 129 du 25 septembre 2018, tout laissait penser que cette fois serait enfin la bonne. Il y avait d’autant plus de raison de s’en persuader que le Conseil d’État, dans le prolongement de son arrêt Gonzalez Gomez du 31 mai 2016 désormais célèbre pour s’être opposé, au nom du principe de proportionnalité in concreto, à l’application des règles du Code de la santé publique empêchant d’accéder à la demande d’une veuve de transférer les gamètes de son défunt partenaire en Espagne pour y subir une insémination post mortem, avait recommandé, par son avis consultatif du 24 juillet 2019 sur un projet de loi relatif à la bioéthique, d’autoriser dans un souci de cohérence de l’ensemble de la réforme le transfert d’embryons et l’insémination post mortem. Pourtant l’Assemblée nationale, aiguillonnée par la Ministre Agnès Buzyn, a rejoint le camp des conservateurs le 26 septembre 2019 ; ce qui s’est traduit par la prolongation d’une prohibition archaïque inutilement cruelle.
L’interdiction légitime, en revanche, est celle de la gestation pour autrui. Camille Leroy, aussi brillante au moulin de la communication scientifique qu’au four de l’organisation pratique a parfaitement décrit, sous le regard approbateur de l’éminent pénaliste du même nom qui présidait la séance, comment le droit pénal français la prohibait par tout un réseau d’incriminations. Elle a aussi établi à quel point cette prohibition était ineffective et montré en quoi et pourquoi la dépénalisation, déjà réalisée dans de nombreux États, était par conséquent envisageable. Les difficultés soulevées par la naissance d’enfants à l’étranger où elle est permise, grâce à une gestation pour autrui qui font la une de l’actualité jurisprudentielle et même législative depuis l’omniprésente affaire Mennesson, étaient bien sûr au cœur de nombreuses autres interventions. Se situant davantage sur le terrain du droit civil de la filiation, elles ne se rapportaient déjà plus tout à fait au commencement du commencement.
Partie 2. La fin du commencement
Au regard de la biologie, c’est l’acquisition de la personnalité juridique qui devrait établir que le commencement est arrivé à bonne fin. Du point de vue des interrogations du biodroit, la fin du commencement est de plus en plus souvent marquée par d’autres événements.
S’il n’y avait pas eu la brillante intervention de l’omniprésent Jérôme Leborne, l’acquisition de la personnalité juridique par l’être humain aurait été passée sous silence. Heureusement, il a courageusement évoqué la perspective d’une attribution de la personnalité juridique avant même la naissance vivant et viable. Il s’agit là d’une hypothèse passionnante qui se situe idéalement au carrefour des droits de l’homme et du droit animalier. Puisque le droit animalier prône la protection des animaux en raison de leur sensibilité (Cf. J.-P. Marguénaud, F. Burgat, J. Leroy, Le droit animalier, PUF, 2016 p.166 sq.), il accrédite en effet l’idée de protéger les êtres humains, y compris par le moyen énergique de la personnification juridique, dès qu’ils sont aptes à ressentir la douleur, la souffrance et l’angoisse ; ce qui, comme pour tous les mammifères advient bien avant la naissance, c’est-à-dire un début du dernier tiers du développement fœtal normal (Cpr. L’article 3 de la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques). Il faut savoir gré à Jérôme Leborne qui s’est subtilement référé à un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 28 juin 2017 relatif à une condamnation pour délit de pollution de l’eau ayant atteint de petits crustacés, de s’être inscrit dans la tradition toulonnaise de droit animalier inaugurée par le colloque «L’animal, un homme comme les autres ?» (Bruylant 2012) organisé les 18 et 19 novembre 2010 par Maryse Baudrez, Thierry Di Manno et Valérie Gomez Bassac et qui se perpétue grâce à une spécialiste si remarquable qu’elle vient d’être recrutée pour tenir une chronique dans la Revue semestrielle de droit animalier : je veux parler, bien sûr, de Sylvie Schmitt qui est à l’origine d’un colloque sur «la personnalité juridique de l’animal» (LexisNexis 2018) qui s’est déroulé ici le 29 mars 2018.
Les autres événements qui, pour certains et certaines, marquent seulement la fin du commencement, sont les modifications de l’état civil, la connaissance des origines et l’établissement de la filiation.
S’agissant de la modification de l’état civil, qui pour les personnes transsexuelles et transgenres correspond exactement à la fin du commencement, elle a été longtemps abandonnée à la sagesse des juges nationaux et européens. Depuis la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXIe siècle elle est admise aux conditions prévues par les articles 61-5 à 61-8 du Code civil. Dans sa brillante et tonique communication, Mélanie Jaoul nous en a tout dit. Elle a également montré comment le législateur avait refusé d’aborder la difficile question de l’état civil des hermaphrodites, comme on disait de mon temps, qu’elle a cru devoir désigner par un nom scientifique davantage up to date sous lequel tout le monde ne les a pas reconnus.
Quant au droit d’accès à ses origines personnelles, qui lui aussi est à l’aube d’une révolution puisque, en première lecture le législateur chargé de réviser les lois relatives à la bioéthique a décidé de l’ouvrir aux enfants nés d’une procréation médicalement assistée avec donneur, il peut correspondre à la fin du commencement pour celles et ceux qui considèrent ne pas être vraiment finis tant que règne l’incertitude sur le point de savoir de qui elles ou ils viennent. Jean-René Binet l’a évoqué rapidement pensant que quelqu’un d’autre en parlerait plus en détail dans une autre communication que, sauf assoupissement dû au double avancement de l’heure et de l’âge, je n’ai pas entendue. L’organisatrice et l’organisateur l’auront sans doute sacrifiée pour laisser plus de place à la question de plus brûlante actualité de l’établissement du lien de filiation entre l’enfant né à l’étranger par le relais d’une gestation pour autrui avec ses parents et plus particulièrement sa mère d’intention.
Tous les rebondissements de l’affaire Mennesson qui étaient au cœur du sujet et qui s’est opportunément achevé le 4 octobre 2019, quelques jours avant le colloque de Toulon par un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, ont été commentés dans les belles communications chronologique de Marjorie Brusorio-Aillaud, polémique de Mélina Douchy-Oudot, et européaniste de l’étoile montante du droit européen des droits de l’homme Hélène Hurpy qui ont eu le commun mérite de dissiper les bêtises que l’établissement de la filiation des deux célèbres jumelles nées par gestation pour autrui en Californie a fait dire à tant de jeunes et de moins jeunes agrégés de droit privé sur le rôle et le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme. Sur ce sujet explosif, le plus important aura sans doute été exprimé par Jean-René Binet qui, décidément en aura dit beaucoup. Il a fait remarquer que le projet adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 14 octobre 2019 prévoit que pour les couples de femmes, la filiation sera établie à l’égard de chacune d’elle par la reconnaissance qu’elles auront faite conjointement devant notaire. C’est le signe de ce que ce ne sera plus l’accouchement qui fera la mère. Or l’accouchement est sûrement l’élément qui fait que la situation des couples d’hommes n’est pas comparable à celle des couples de femmes. En retirant à l’accouchement son rôle traditionnel, le législateur rend donc comparable ce qui ne l’était pas. Dès lors, le principe de non-discrimination va pouvoir jouer et forcer à reconnaître aux couples d’homme l’accès à la gestation pour autrui qui pour eux et le seul moyen de devenir parents sans adopter. Pour beaucoup, à l’exception notable de Mélanie Jaoul qui a vivement contesté cette démonstration, ce serait le début de la fin.
Partie 3. Le commencement de la fin
En définitive, le plan en 4 parties à la façon de Harry Mulisch n’était peut-être qu’un plan en deux parties déguisé : le commencement du commencement et la fin du commencement se rapportent à l’individu tandis que, à défaut de communications sur les questions de biodroit et de bioéthique concernant la mort telles que celle, abordée par le projet de loi de 2019, des prélèvements d’organes, le début de la fin et la fin de la fin auront une dimension essentiellement collective.
Quant au commencement de la fin, les communications se sont bousculées pour aider à l’illustrer. Même si la gestation pour autrui, abordée du point de vue pénal par Camille Leroy a été laissée de côté sur le plan civil, on a bien vu, en filigrane de plusieurs contributions que, en France, c’était le mal absolu parce qu’il conduit à la marchandisation du corps humain, à une réification de l’être humain et par conséquent, à une évolution régressive de la conception de la personne. Mélina Douchy-Oudot a cependant eu l’immense mérite d’attirer l’attention sur la souffrance qui est au cœur de la question. Question qui, tôt ou tard, sera rattrapée comme beaucoup d’autres par les exigences du contrôle de proportionnalité. Certes la prohibition de la gestation pour autrui est parfaitement justifiée dans pratiquement 99 % des cas où le sordide prédomine largement. Il n’en est pas moins attesté par certains que dans quelques cas c’est le sublime qui l’emporte, c’est le plus beau cadeau qu’une femme, même dédommagée, puisse faire à autrui. Fermer les yeux sur ce cas sublime parce que 99 autres sont sordides, c’est de la paresse intellectuelle ou de l’hypocrisie moralisatrice. C’est cette paresse, c’est cette hypocrisie que le principe de proportionnalité in concreto, on peut en prendre le pari, permettra de vaincre.
Le début de la fin peut arriver également à cause de la modification du génome. Elle a permis à Jacques Leroy de reprendre le cours de ses études scientifiques interrompues depuis trop d’années pour se familiariser avec le CRISPR Cas9 découvert par Emmanuelle Charpentier et Alexandra Durr et d’apprendre que l’on atteignait désormais le Cas11. Seul de tous les intervenants à avoir évoqué l’essentielle Convention d’Oviedo du 4 avril 1997 destinée à la protection des droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain en rapport avec les applications de la biologie et de la médecine, il a parlé de boîte de Pandore, dénoncé le risque de modifier l’identité de l’être humain et celui plus redoutable encore d’atteinte à l’espèce humaine.
Philippe Pédrot, admirateur de Jacques Ellul, a confronté les biotechnologies au transhumanisme pour constater lui aussi l’effondrement des règles d’ordre public relatives au droit des personnes et la difficulté de trouver un juste équilibre entre le juridiquement souhaitable et le médicalement possible qui mène à l’homme artificiel. Comme Jacques Leroy, il s’est trouvé, finalement confronté à la question centrale qui a été magistralement placée au cœur des débats par le président de séance Pascal Richard : celle des rapports entre la Science et le Droit. Dans cette perspective, le commencement de la fin pourrait s’expliquer par le retard que le Droit prend sur la Science qui a la faveur de la société civile et du législateur lequel, comme l’a rappelé Jacques Leroy, a avoué que l’un des objectifs de la réforme des lois relatives à la bioéthique était de permettre aux chercheurs français de combler le retard qu’ils ont accumulé sur les chercheurs d’ailleurs ; ce qui par contrecoup creusera davantage encore le retard du Droit sur la Science. Cette concurrence à peine loyale a permis à Philippe Pédrot d’introduire dans le débat une question annexe qui n’est pas anodine : celle de la place du Droit au sein de l’Université. Quel juriste s’étant frotté aux instances d’une Université généraliste ne s’est-il pas entendu poser par un collègue scientifique, pétri de certitudes et de confiance en sa supériorité présumée, une question du genre de celle-ci : «Quelqu’un pourrait-il m’expliquer à quoi peut bien correspondre la recherche en droit ?». On pourrait certes lui répondre : «Oh, à rien Monseigneur, si ce n’est à prévenir et à réparer les atteintes que les découvertes des autres peuvent porter à la liberté, à la dignité et à la santé ce qui est bien sûr tout à fait accessoire», on en resterait à ce pénible constat : les juristes, qui n’ont pratiquement aucune chance de recevoir des Prix Nobel, ne sont plus guère écoutés au sein de l’Université. Dès lors, comment s’étonner qu’une Ministre de la Justice, comptant parmi les juristes les plus brillants que l’Université ait connus depuis le début du siècle, ait aidé à porter un projet de loi dont le Titre IV vise à «Soutenir une recherche libre et responsable au service de la santé humaine». Il y a quand même lieu de s’interroger sur la notion de «recherche libre et responsable au service de la santé humaine» quand on sait qu’elle peut conduire à «la mort de la mort» suivant l’expression de Philippe Pédrot qui doit être chaleureusement remercié pour avoir fourni une transition idéale vers la dernière partie.
Partie 4. La fin de la fin
Nous abordons désormais le volet eschatologique se rapportant à l’étude des fins dernières de l’homme, du monde et du temps. Au-delà du jeu de mots, l’eschatologie a peut-être quelque chose à voir avec la scatologie. C’est sans doute ce qui aura poussé les rédacteurs du projet de loi de 2019 à consacrer tout un chapitre au « recueil de selles d’origine humaine destinées à une utilisation thérapeutique ». Puisqu’ils ont su se placer avec beaucoup de hauteur de vue à la fin de la fin d’un processus vital, une communication sur ce thème inédit n’aurait peut-être pas été sans fondement.
S’agissant de la fin des fins au sens premier, si j’ose dire, le colloque invite à une réflexion à partir de deux concepts forts et récurrents : la volonté et l’intérêt généralement qualifié d’intérêt supérieur, de l’enfant.
Il y a, me semble-t-il, un hiatus entre l’intérêt et la volonté de l’enfant qui, en tout cas avant de naître et même longtemps après sa naissance a un intérêt mais pas de volonté. Alors l’intérêt supplante la volonté si bien que, par une présomption rendue irréfragable par à peu près toutes les philosophies et toutes les religions, l’intérêt de l’enfant doit toujours être compris comme l’intérêt à naître ou à être né. Dans ces conditions, la fin de la fin c’est la transmission de la vie à des êtres qui ne l’ont jamais demandée et qui sont néanmoins strictement tenus d’en être reconnaissants et de dire merci. Et si c’était tout le contraire ? Et si l’intérêt de l’enfant était de ne pas naître ? Le célèbre arrêt Perruche rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 17 novembre 2000 avait essayé de le suggérer dans un cas particulier. On sait avec quelle énergie, le législateur avait rejeté cette idée dérangeante au plus haut point. Cela n’empêchera peut-être pas la question de continuer à se poser d’une manière plus générale en considération de la constante dégradation de la vie biologique, économique et sociale. Cela n’empêchera peut-être pas de se demander si la réponse pertinente n’est pas celle de Louis-Ferdinand Céline dans « Mort à crédit » : « [Ma mère] a tout fait pour que je vive, c’est naître qu’il aurait pas fallu » ou du chanteur Gérard Manset :
« Matrice tu m’as fait
Mal le mal est fait
Renvoyez nous d’où on vient
Par le même canal le même chemin ».
Alors ce serait vraiment la fin de la fin.
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