Ce texte est la version manuscrite d’une intervention dans le cadre d’un colloque sur le thème « La révision des lois bioéthiques et l’évolution de la conception de la personne humaine » qui s’est tenu les 17 et 18 octobre 2019, à l’Université de Toulon.
Parfois, les personnes qui ne parviennent pas à procréer naturellement ont recours à une mère porteuse. Cette femme, également appelée mère de substitution, porte et met au monde un enfant, puis le remet à une personne ou à un couple, lesquels sont des parents d’intention. L’enfant peut être conçu avec des gamètes provenant des parents d’intention ou de tiers, on parle de gestation pour autrui, ou de la mère porteuse, on parle alors parfois, plus précisément, de procréation pour autrui.
En pratique, pour ne pas être liée à l’enfant, la mère porteuse peut accoucher dans le secret, en France par exemple, ou selon les conditions officiellement prévues par le contrat, dans les pays où un tel arrangement est légal. Pour que la personne ou les membres du couple soient rattachés à l’enfant, plusieurs situations doivent être distinguées.
En effet, en droit français, il existe quatre modes d’établissement non contentieux de la filiation : l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance, la présomption de paternité du mari de la mère, la reconnaissance et la possession d’état constatée par acte de notoriété.
Lorsqu’un homme français, seul ou en couple, souhaite avoir recours à une mère porteuse, deux situations doivent être distinguées. S’il conclut une convention légale, à l’étranger, il peut être déclaré comme père d’intention ou reconnaître l’enfant, selon ce que prévoit la convention. S’il conclut une convention illégale, en France, il peut reconnaitre l’enfant. Qu’il en soit le père biologique ou pas, un homme peut reconnaître un enfant, que celui-ci soit issu d’une convention ou pas. La reconnaissance de paternité n’est pas subordonnée à la véracité de la filiation.
Lorsqu’une femme française, seule ou en couple, souhaite avoir recours à une mère porteuse, deux situations peuvent aussi être distinguer. Si elle conclut une convention légale, à l’étranger, elle peut être déclarée comme mère d’intention. Si elle conclut une convention illégale en France, elle peut difficilement être rattachée à l’enfant. En effet, elle ne peut pas voir son nom indiqué dans l’acte de naissance, dès lors que, en droit français, la mère est celle qui accouche. Elle ne peut pas non plus reconnaître l’enfant. Le droit français admet qu’une femme puisse reconnaître un enfant, certes, mais cela concerne les cas particuliers où la filiation n’a pas été établie par l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance et que cette dernière – qui est bien celle qui a accouché – revient sur sa décision (dans le délai légal avant qu’il ne soit adopté) et reconnaît l’enfant pour qu’il lui soit restitué. Enfin, s’agissant de la possession d’état, cela supposerait, par exemple, pour qu’elle soit continue, paisible, publique et non équivoque, comme l’impose l’article 311-2 du Code civil, que l’enfant n’est pas de mère déclarée à l’état civil, qu’il soit élevé par une femme dont tout le monde pense qu’elle est sa mère… cela semble assez peu probable.
Un homme qui recourt à une mère porteuse peut être rattaché à l’enfant, en tant que père d’intention ou père biologique, que cela soit vrai ou pas, qu’il y ait eu un contrat ou pas. Une femme qui recourt à une mère porteuse peut seulement être mère d’intention. Or, lorsqu’elle conclut un contrat en France, illégalement donc, elle ne peut pas avoir ce statut. Certains y voient le revers de la médaille qui, pendant des siècles, a fait que la maternité était certaine et la paternité présumée.
Quel est précisément, en droit positif, la situation de la mère d’intention, que la convention soit conclue en France (I) ou à l’étranger (II) ?
I. La mère d’intention en cas de convention illégale en France
En France, les conventions de mère porteuse sont clairement illicites, depuis 1994 (C. civ., art. 16-7). Cependant, le fait que de telles conventions sont illicites n’empêche pas que des enfants sont conçus selon un tel procédé. En effet, une femme peut légalement accoucher sous le secret, un homme, qu’il soit le père biologique ou pas, peut légalement reconnaître puis élever l’enfant, qu’il y ait entre eux une convention ou pas, et l’épouse du père peut, légalement, demander à adopter l’enfant de son conjoint.
Lorsqu’un enfant nait en France d’une mère porteuse, il peut « facilement » avoir un père. Pour avoir une mère, en revanche, cela est plus compliqué. Le seul moment où le ministère public peut intervenir, pour marquer l’interdiction des conventions de mère porteuse, est lors de la demande d’adoption de l’enfant par l’épouse du père. À défaut de pouvoir empêcher que des enfants soient conçus selon un tel procédé, les pouvoirs publics tentent de dissuader les futurs parents en refusant que l’épouse du père adopte l’enfant.
Cependant, en pratique, les enfants en question vivent dès leur naissance avec leur père et l’épouse de celui-ci. Ils considèrent cette dernière comme leur mère, mais n’ont, juridiquement, ni mère biologique, ni mère adoptive. Si la femme qui élève l’enfant décède, celui-ci n’a aucun droit successoral. Si le père décède, l’enfant est totalement orphelin. Cela peut paraître regrettable, surtout dans les affaires où la mère porteuse n’est pas la mère « génitrice » et que l’enfant est, biologiquement, celui de la femme qui souhaite l’adopter.
De telles situations existent et les tribunaux ont régulièrement à en connaître (Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 01-03.927, Bull. civ. I, n° 252, D. 2004, Jur. p. 2000, note E. Poisson-Drocourt). Ceux-ci doivent alors concilier le respect de l’ordre public, qui interdit ces conventions, et l’intérêt des enfants, qui n’ont pas de mère. S’ils acceptent de prononcer l’adoption de ces enfants par l’épouse du père, les juges limitent la porter de l’interdiction des conventions de mère porteuse. S’ils refusent de prononcer l’adoption, au motif que les conventions de mère porteuse sont illicites, les juges condamnent les enfants qui en sont issus à ne pas avoir de filiation maternelle (autorité parentale, droits successoraux, liens avec les grands-parents).
Parfois, les juges puisent dans l’arsenal juridique pour trouver un compromis. Dans une affaire où la mère porteuse (choisie comme marraine) et où l’ex-épouse du père (que l’enfant considérait comme sa mère) se disputaient l’autorité parentale sur l’enfant, ainsi que le choix de sa résidence habituelle, la cour d’appel de Rennes a, en 2005, fixé la résidence de l’enfant chez l’ex-épouse du père, juridiquement un simple tiers, et attribué l’autorité parentale et un droit de visite aux parents biologiques de l’enfant (CA Rennes, 6 janv. 2005, n° 01/06089, Dr. fam. 2005, n° 52).
En septembre dernier, la Cour de cassation a eu à connaître d’une affaire où un enfant, alors âgé de six ans, avait fait l’objet de deux conventions de mère porteuse successives, en France, et de deux reconnaissances (Cass. 1re civ., 12 sept. 2019, n° 18-20.472).
En l’espèce, deux hommes avaient contracté une convention avec une femme, en 2012, pour avoir un enfant avec le sperme de l’un d’eux. Pendant la grossesse, l’un des deux hommes a reconnu l’enfant. Cependant, la femme a changé d’avis. Elle a annoncé à ses contractants que l’enfant était décédé à la naissance et l’a confié à un couple hétérosexuel, également contre rémunération. A la suite de recherches, le couple homosexuel a découvert que l’enfant était bien né, en 2013, et vivait avec un autre couple, dont l’homme l’avait également reconnu. Le premier couple a assigné la mère porteuse pour escroquerie et l’enquête pénale révéla que le père biologique de l’enfant était celui qui ne l’avait pas reconnu. Quelques semaines après la naissance, le père biologique a assigné l’auteur de la seconde reconnaissance en contestation de paternité et a demandé la « restitution » de l’enfant, avec notamment le changement de son nom, l’exercice exclusif de l’autorité parentale et la fixation de sa résidence chez lui.
L’opération étant illégale, la femme et les deux couples ont été pénalement condamnés, certes. Cependant, l’enfant né de cet arrangement n’y était pour rien. Désormais âgé de six ans, la question était de savoir quel était son intérêt. Partir avec son père biologique ou rester avec l’auteur de la seconde reconnaissance, avec lequel il vivait depuis sa naissance ? Le problème n’est pas nouveau et n’est pas limité au cas de gestation ou procréation pour autrui.
Dans une affaire jugée en 2006, par exemple, un homme avait reconnu un enfant avant la naissance, la mère avait accouché sous le secret et l’enfant avait été adopté plénièrement. La Cour de cassation a estimé que l’enfant ayant été identifié par son père naturel à une date antérieure au consentement à l’adoption, la reconnaissance prénatale avait établi la filiation paternelle de celui-ci, avec effet au jour de sa naissance, de sorte que le conseil de famille des pupilles de l’État, qui était informé de cette reconnaissance, ne pouvait plus consentir valablement à l’adoption, ce qui relevait du seul pouvoir de son père naturel (Cass. 1re civ., 7 avr. 2006, n° 05-11.285, Bull. civ. I, n° 195). La reconnaissance prénatale du père a ainsi fait échec à l’adoption de l’enfant né sous le secret. Dans une autre affaire, jugée en 2014, une cour d’appel a estimé qu’il n’était pas de l’intérêt d’un enfant, âgé de dix-huit mois, né sous le secret et placé dans une famille en vue d’adoption, d’être restitué à son père biologique, lequel était incarcéré au moment de la naissance de l’enfant et l’avait reconnu postérieurement (CA Rennes, 25 nov. 2014, n° 14/04384).
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation en septembre dernier, l’enfant avait été reconnu avant sa naissance, par l’un des hommes ayant fait le don de sperme, puis après sa naissance, par l’homme au foyer duquel il vivait depuis lors. Le père biologique, qui ne l’avait pas reconnu, avait assigné celui au foyer duquel l’enfant vivait, auteur de la seconde reconnaissance, en contestation de paternité. Il a été retenu :
- d’une part, que l’action du père biologique en contestation de la reconnaissance de l’homme chez lequel l’enfant vivait, destinée à lui permettre d’établir sa propre filiation sur l’enfant, était irrecevable, comme reposant sur un contrat prohibé par la loi ;
- d’autre part, que la réalité biologique n’apparaissait pas une raison suffisante pour accueillir la demande du père biologique ;
- ensuite, que l’enfant vivait depuis sa naissance chez l’auteur de la seconde reconnaissance, qui l’élevait avec son épouse dans d’excellentes conditions, de sorte qu’il n’était pas de son intérêt supérieur de voir remettre en cause le lien de filiation avec celui-ci, ce qui ne préjudiciait pas au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines. Il en était ainsi, même si la façon dont ce lien de filiation avait été établi, par une fraude à la loi sur l’adoption, n’était pas approuvée ;
- enfin, que le procureur de la République, seul habilité alors à contester la reconnaissance du second homme, avait fait savoir qu’il n’entendait pas agir à cette fin.
Les intérêts en présence ont donc été mis en balance et celui qui a prévalu a été, pour l’enfant, de continuer à vivre avec la famille qu’il avait toujours connue. Les exigences conventionnelles résultant de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’avaient pas été méconnues.
Il faudra toutefois, un jour, expliquer à cet enfant que sa mère biologique n’a jamais voulu de lui, qu’un homme l’a reconnu avant sa naissance, sans être son père biologique, qu’un autre homme l’a reconnu après sa naissance, sans être son père biologique non plus, puis élevé, et que son père biologique lui, n’a pu ni le reconnaître ni l’élever ! Il est vrai que les actions relatives à la filiation mettent souvent à mal le quotidien paisible d’un enfant. Il faut espérer que celui-ci, auquel le couple qui l’élève semble donner une éducation et un cadre épanouissant, sera suffisamment « armé », lorsqu’il découvrira son histoire.
Dans cette affaire, tous les adultes avaient été dans l’illégalité, certes, et il n’était pas question de la mère d’intention. Cependant il est intéressant de voir que le quotidien de l’enfant a prévalu. La vérité biologique est passée en second plan. Un tel raisonnement pourrait permettre à une mère d’intention de faire valoir sa situation. Si, parfois, la vérité biologique peut s’effacer devant le quotidien de l’enfant, pour le père, pourquoi pas pour la mère ? Deux conventions avaient été signées, dans cette affaire. La première a abouti, en raison de son illicéité, en une fin de non-recevoir à l’exercice d’une action relative à la filiation. La seconde a échappé, malgré son illicéité, à la nullité qu’elle encourait. De plus, l’inaction du procureur de la République, contre la seconde convention et reconnaissance, pour fraude à la loi, tend à limiter le principe d’illicéité de telle convention. La nécessité de préserver l’intérêt de l’enfant a prévalu sur celle de sanctionner la fraude commise par ses parents.
Qu’en est-il lorsque la convention est conclue à l’étranger ?
II. La mère d’intention en cas convention légale à l’étranger
Lorsque la convention de mère porteuse est conclue à l’étranger, les membres du couple sont officiellement et légalement appelés parents d’intention. Pour que la filiation de l’enfant soit ensuite reconnue en France, le couple doit demander la transcription de l’acte de naissance rédigé à l’étranger. Le père d’intention peut reconnaître l’enfant, comme s’il en était le père biologique (et tel est d’ailleurs parfois le cas), indépendamment de la convention. Cela ne supprime pas l’obligation de transcription, certes, mais permet à l’enfant d’avoir une filiation paternelle. A l’égard de la mère d’intention, en revanche, il n’est pas possible de « se soustraire » la convention.
En effet, les conventions de mères porteuses étant illégales France, les pouvoirs publics buttent, lorsqu’elles sont conclues à l’étranger, à faciliter leurs conséquences en France. Le moyen qu’ils ont trouvé, pour tenter de dissuader les futurs parents d’avoir recours à ce procédé (et ne pas faire fi de l’interdiction de conclure de telles conventions en France) a été de refuser, outre l’adoption par le conjoint le cas échéant, comme lorsque l’enfant nait en France (par exemple : CA Dijon, 24 mars 2016, n° 15/00 057), la transcription de l’acte de naissance de l’enfant (Cass. 1re civ., 6 avril 2011, 2 arrêts, n° 09-66.486 et 10-19.053 ; Bull. civ. I, n° 71 et 72 ; CA Dijon, préc.). D’un côté, il est tentant d’admettre que l’intérêt supérieur des enfants, dès lors qu’ils sont nés, et nés dans un pays où la gestation pour autrui est légale, est d’autoriser l’adoption par l’épouse du père ou la transcription de leur acte de naissance sur les registres de l’état civil. D’un autre côté, si le ministère public accède à ces demandes, l’illicéité des conventions de mère porteuse devient un principe simplement théorique, sans effet en pratique.
En l’absence de dispositions légales spécifiques, il est revenu à la jurisprudence de se prononcer sur de telles situations et de fixer le statut de la mère d’intention. L’évolution fut longue et connut de nombreux rebondissements.
D’abord, et pendant longtemps, c’est l’interdiction de la transcription des actes de naissance qui a prévalu. La Cour de cassation retenait, pour refuser cette transcription des actes de naissance établis à l’étranger, que toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle, en vertu de l’article 16-7 du Code civil, et que l’acte étranger était en contrariété avec la conception française de l’ordre public international (Cass. 1re civ., 6 avr. 2011, n° 10-19.053, D. 2011, 1522, note D. Berthiau et L. Brunet ; ibid. 1001, édito. F. Rome ; ibid. 1064, entretien X. Labbée ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1033, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011, 262 ; ibid. 265, obs. B. Haftel ; ibid. 266, interview M. Domingo ; AJCT 2011, 301, obs. C. Siffrein-Blanc ; Rev. crit. DIP 2011, 722, note P. Hammje ; RTD civ. 2011, 340, obs. J. Hauser).
Certes, en janvier 2013, la Garde des Sceaux a adressé aux juridictions une circulaire, d’application immédiate, relative aux conditions de délivrance des certificats de nationalité française (CNF) aux enfants nés à l’étranger, de Français, lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il y a eu recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui (Circulaire du 25 janvier 2013 relative à la délivrance des certificats de nationalité française – convention de mère porteuse – État civil étranger n° NOR JUSC1301528C, dont le Conseil d’État a rejeté la demande d’annulation, CE, 12 décembre 2014, n° 367324). Selon cette circulaire, lorsque de telles demandes de délivrance sont formées, et sous réserve que les conditions de délivrance des CNF soient réunies, il doit être fait droit à celles-ci, dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil étranger probant au regard de l’article 47 du Code civil.
Cependant, la Cour de cassation, chargée d’appliquer le droit, a peiné à faire litière de l’article 16-7 du Code civil. En septembre 2013 et mars 2014, elle a maintenu sa position. Visant les articles 16-7, 16-9 et 336 du Code civil, les hauts magistrats ont rappelé « qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public » (Cass. 1re civ., 13 sept. 2013, n° 12-30.138, Bull. civ. I, n° 176 ; D. 2013, 2382, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2349, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 2377, avis C. Petit ; ibid. 2384, note M. Fabre-Magnan ; ibid. 2014, 689, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 954, obs. Régine ; ibid. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013, 579, obs. F. Chénedé ; ibid. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 600, obs. C. Richard et F. Berdeaux-Gacogne ; AJCT 2013, 517, obs. R. Mésa ; Rev. crit. DIP 2013, 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013, 816, obs. J. Hauser – Cass. 1re civ., 19 mars 2014, n° 13-50.005, Bull. civ. I, n° 45 ; D. 2014, 905, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 901, avis J.-P. Jean ; ibid. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2015. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2014, 244, obs. F. Chénedé ; ibid. 211, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2014, 619, note S. Bollée ; RTD civ. 2014, 330, obs. J. Hauser.). La Cour de cassation tentait ainsi de limiter, au nom de l’ordre public français, le « tourisme procréatif ».
Ensuite, la Cour européenne des droits de l’Homme est intervenue et a sanctionné la position de la Haute juridiction (CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c. France, req. n° 65192/11, et Labassée c. France, req. n° 65941/11, AJDA 2014, 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2014, 1797, et les obs., note F. Chénedé ; ibid. 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d’Avout ; ibid. 2015, 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014, 499, obs. B. Haftel ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2014, 887, note C. Bergoignan-Esper ; Rev. crit. DIP 2015, 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 144, note S. Bollée ; RTD civ. 2014, 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud – Dans le même sens : CEDH, 27 janvier 2015 Paradiso et Campanelli c. Italie , req. n° 25358/12, D. 2015, 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2015, 165, obs. E. Viganotti ; ibid. 77, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015, 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; RTD civ. 2015, 325, obs. J.-P. Marguénaud). Saisie par deux couples, cette juridiction a condamné la France et estimé que le refus de transcrire les actes de filiation des enfants nés de mère porteuse à l’étranger « portait atteinte à l’identité des enfants », même si les couples concernés menaient une vie familiale « dans des conditions globalement comparables » à celles des autres familles en France.
Les magistrats européens ont essayé de faire valoir l’intérêt des enfants, sans se prononcer sur la légalisation de la gestation pour autrui. Ils ont notamment relevé, qu’avec une telle position, la France empêchait les enfants de faire reconnaître leur lien de filiation avec leur père biologique.
En juillet 2016, à propos d’affaires examinées par les juridictions françaises avant l’évolution de la position de la Cour de cassation, la Cour européenne des droits de l’Homme a de nouveau condamné la France, pour violation du droit au respect de la vie privée des enfants nés de gestation pour autrui à l’étranger, face au refus de transcription de leur acte de naissance (CEDH, 21 juill. 2016, Foulon et Bouvet c/ France, req. n° 9063/14 et n° 10410/14 , D. 2016, 2152, note A.-B. Caire ; AJ fam. 2016, 407, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2016. 819, obs. J. Hauser) et janvier 2017 (CEDH, 19 janvier 2017, Laborie c. France, req. 44 024/13).
En réaction à ces sanctions, la jurisprudence française opéra un revirement. Dès décembre 2014, une cour d’appel a admis la transcription d’un acte de naissance. Même si un faisceau d’indices permettait de caractériser une convention de gestation pour autrui, les juges ont ordonné la transcription, sur les registres d’état civil, de l’acte de naissance étranger satisfaisant aux exigences de l’article 47 du Code civil (CA Rennes, 16 décembre 2014, n° 13/08461. Voir aussi TGI Nantes, 13 mai 2015, n° 14/07497 ; CA Rennes, 12 décembre 2016, n° 15/08549).
Ensuite, en juillet 2015, saisit dans deux affaires de conventions de mère porteuse conclues en Russie, l’Assemblée plénière a admis les transcriptions des actes de naissance,dès lors que ceux-ci n’étaient ni irréguliers, ni falsifiés et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité (Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, pourvois n° 14-21.323 et 15-50.002, D. 2015. 1819, obs. I. Gallmeister, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1481, édito. S. Bollée ; ibid. 1773, point de vue D. Sindres ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 857, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 915, obs. REGINE ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2015. 496 ; ibid. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 885, et la note ; RTD civ. 2015. 581, obs. J. Hauser). Dans les deux affaires, le demandeur avait été désigné comme père, dans l’acte dressé lors de la naissance de l’enfant. Il était effectivement le père biologique de l’enfant. Il n’était pas question de transcription à l’égard d’une femme.
Ainsi, à partir de 2015, la transcription à l’état civil fut admise à l’égard du père, mais pas à l’égard de la mère. Il a toujours été plus simple de connaître la mère d’un enfant que son père. Le droit français en a tiré pour conséquence que le père est l’homme à l’égard duquel un lien de filiation est établi (présomption de paternité, reconnaissance, etc.), alors que la mère est celle qui accouche. En cas de gestation pour autrui, l’homme qui signe le contrat peut être considéré comme père, que cela soit biologiquement vrai ou pas (comme en cas de reconnaissance « classique », indépendamment d’une gestation pour autrui) tandis que la femme qui signe le contrat ne peut pas être considérée comme mère, dès lors qu’elle n’a pas accouché (même si l’enfant a été conçu avec ses ovocytes).
L’article 47 du Code civil permet de transcrire à l’état civil français les actes étrangers dont les énonciations sont conformes à la réalité. Il n’est donc pas possible de transcrire un acte indiquant qu’une femme est mère, si ce n’est pas elle qui a accouché. En revanche, la désignation du père peut être transcrite, si l’acte étranger n’est pas falsifié et si la réalité biologique de la paternité n’est pas contestée. La prohibition de la gestation pour autrui par la loi française vise, selon les pouvoirs publics, à protéger les enfants et les mères porteuses. Selon les hauts magistrats, la transcription partielle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, dès lors que les autorités françaises n’empêchent pas ce dernier de vivre en famille, qu’un certificat de nationalité française lui est délivré et qu’il existe une possibilité d’adoption par l’épouse ou l’époux du père.
Il a fallu attendre juillet 2017 pour que la Cour de cassation admette l’ouverture de l’adoption à l’époux ou l’épouse du père. Trois affaires ont été jugées le même jour. Dans deux arrêts, les hauts magistrats ont décidé que l’acte de naissance, en cas de gestation pour autrui légalement conclue à l’étranger, pouvait être transcrit sur les registres de l’état civil français en ce qu’il désignait le père mais pas en ce qu’il désignait la mère d’intention (Cass. 1re civ., 5 juillet 2017, n° 15-28.597 et n° 16-16.901 (2 esp.), D. 2017, 1737, communiqué C. cass., note H. Fulchiron ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2017, 482, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 375, point de vue F. Chénedé ; ibid. 643, Pratique P. Salvage-Gerest – Voir aussi : Cass. 1re civ., 29 nov. 2017, pourvoi n° 16-50.061).
Dans la troisième affaire, les Hauts magistrats ont admis que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant. Contrairement à ce qu’elle décide lorsque la convention de mère porteuse est conclue en France, la Cour de cassation admet, lorsque la convention est conclue à l’étranger, que l’époux ou l’épouse du père puisse demander l’adoption de l’enfant de son conjoint (Cass. 1re civ., 5 juillet 2017, pourvoi n° 16-16.455).
Certains juges du fond résistèrent et la Cour de cassation douta. En effet,pendant cette période, certains juges du fond allaient plus loin et admettaient la transcription à l’égard, non seulement du parent biologique, mais aussi à l’égard de l’autre parent d’intention (CA Rennes, 12 décembre 2016, n°15/08549 ; TGI Nantes, 14 décembre 2017, n° 16/04096).
En février 2018,à l’issue de la première décision de la Cour de réexamen des décisions civiles (Cour de réexamen, 16 février 2018, n° 001), la Cour de cassation accorda à un couple le droit au réexamen de leur pourvoi (rejeté par Cass. 1re civ. 6 avril 2011, voir supra). Soucieuse de fixer le statut de la mère d’intention, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et d’utiliser la nouvelle procédure permettant aux juridictions suprêmes d’interroger la CEDH sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention européenne des droits de l’Homme ou ses protocoles.
En octobre 2018, la Cour de cassation a décidé d’interroger la CEDH sur la compatibilité de sa jurisprudence avec les exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège le droit à la vie privée et familiale. Les hauts magistrats demandèrent clairement :
1°). En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui en ce qu’il désigne comme étant sa « mère légale » la « mère d’intention », alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le « père d’intention », père biologique de l’enfant, un État-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la « mère d’intention » ?
2°). Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ? (Cass., ass. plén., 5 oct. 2018, n° 10-19.053, D. 2019. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2018. 613 ; ibid. 569, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 640 et les obs. ; RTD civ. 2018. 847, obs. J.-P. Marguénaud).
Et la Cour européenne des droits de l’Homme enfonça le clou ! Le 10 avril 2019, elle a rendu un avis très développé. Selon le communiqué de presse qui a été diffusé par le greffier de la Cour : « les États n’ont pas l’obligation de procéder à la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né d’une GPA à l’étranger pour établir son lien de filiation avec la mère d’intention, l’adoption pouvant être une modalité de reconnaissance de ce lien » (CEDH, gr. ch., avis, 10 avr. 2019, n° P16-2018-001 : Dalloz Actu Étudiant 19 avr. 2019, note Merryl Hervieu ; AJDA 2019. 788 ; ibid. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2019. 1084, et les obs., note H. Fulchiron ; ibid. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2019. 289, obs. P. Salvage-Gerest ; ibid. 233, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2019. 286, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 307, obs. A.-M. Leroyer).
La réponse de la CEDH fut claire. Le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, suppose que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention. En revanche, il n’est pas impératif que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger. Elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.
La position de la Cour de cassation est ainsi confortée. La CEDH relève cependant que la procédure d’adoption par le conjoint n’est ouverte qu’aux parents d’intention mariés et que des incertitudes persistent quant aux modalités de l’adoption de l’enfant du conjoint dans ce contexte, s’agissant par exemple de la nécessité d’obtenir le consentement préalable de la mère porteuse. Elle laisse cependant le juge français vérifier, par lui-même, l’adéquation de cette procédure avec les critères d’effectivité et de célérité qu’elle pose. Elle insiste sur le fait qu’il faut tenir compte de la situation fragilisée dans laquelle se trouvent les enfants tant que la procédure d’adoption est pendante. Que faire si les parents se séparent avant que l’adoption ne soit prononcée, par exemple ?
Après cet avis, deux décisions peuvent être relevées. D’abord, dès le 23 mai 2019, le Tribunal de Grande Instance de Nantes, seul compétent en France pour retranscrire les actes d’état civil des français nés à l’étranger, a rendu un jugement consacrant la retranscription complète de l’état civil d’une petite fille née aux Etats Unis, allant ainsi plus loin que ce que prévoit l’avis de la CEDH (TGI Nantes, 23 mai 2019, n° n° 18/00222). La position du tribunal n’est pas nouvelle (Voir par exemple : TGI Nantes, 14 décembre 2017, n° 16/04096). Cependant, jusque-là les décisions admettant les transcriptions à l’égard de la mère ont été infirmées en appel, au profit d’une retranscription partielle, conformément à la position de la Cour de cassation.
Le Tribunal Nantais s’est fondé sur l’intérêt de l’enfant. Il a estimé qu’il fallait reconnaître la situation constituée à l’étranger en conformité avec la loi étrangère, afin de garantir, sur le territoire national, le droit au respect de son identité, dont la filiation et la nationalité française constituent un aspect essentiel. Il est à noter qu’en l’espèce, la situation n’était pas classique. Alors qu’en principe le père est français, il était, dans cette affaire, citoyen américain. Seule la mère avait la citoyenneté française. Une retranscription partielle, seulement à l’égard du père, n’aurait donc pas été possible.
Ensuite, le 4 octobre dernier, c’est la Cour de cassation qui est allé au-delà de l’avis de la CEDH (Cass., ass. plén., 4 octobre 2019, n° 10-19.053). Dans une affaire célèbre, à propos de jeunes filles nées en 2000, la Haute juridiction a décidé que « s’agissant d’un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans, en l’absence d’autre voie permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de Mmes A… et B… X… consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et alors qu’il y a lieu de mettre fin à cette atteinte, la transcription sur les registres de l’état civil de Nantes des actes de naissance établis à l’étranger de A… et B… X… ne saurait être annulée ». L’affaire est donc enfin close. La demande d’annulation de la transcription formée par le procureur général près la cour d’appel de Paris a été rejetée. La Cour de cassation a constaté la transcription des actes de naissance des deux jeunes femmes, sur les registres de l’état civil de Nantes, à l’égard du père et de la mère d’intention.
Les hauts magistrats sont allés plus loin que l’avis de la CEDH, certes. Cependant la solution a été rendue en considération des faits propres à l’espèce. Sa portée doit être appréciée avec prudence. Il n’est pas certain qu’elle puisse être généralisée, la Cour visant expressément « l’intérêt supérieur de l’enfant (…) exige(ant) pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances qui la caractérise ». Et, en l’espèce, la transcription a été jugée préférable aux autres modes d’établissement légal de la filiation et, notamment, à l’adoption et à la possession d’état, eu égard, notamment, la durée et la médiatisation de l’affaire.
Désormais, lorsqu’une convention de mère porteuse est légalement conclue à l’étranger, la filiation de l’enfant, à l’égard de la mère d’intention, peut être établie par adoption ou par transcription. L’interdiction de telles conventions, en France, perd de son efficacité. Survivra-t-elle, alors, à la prochaine révision des lois de bioéthique ?
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