Le 11 mars 2020 l’Institut Robert Koch, chargé de la veille sanitaire en Allemagne décrétait que l’ensemble de la région Grand-Est devait être considéré comme une zone à risque étant donné l’évolution de la propagation du Virus Sars-cov-2 (https://c.dna.fr/edition-strasbourg/2020/03/11/coronavirus-l-allemagne-classe-le-grand-est-en-zone-rouge#). Suite à cette annonce une grande partie des quelques 164 000 travailleurs frontaliers vivant dans le Grand-Est (https://www.grandest.fr/grande-region-coeur-de-leurope/transfrontalier-specificite-grand/ ) et travaillant en Allemagne furent priés par leur employeur de rentrer chez eux en vertu de cette recommandation.
Les habitants de l’Eurométropole Strasbourg-Ortenau ont pu ensuite constater le 12 mars 2020 vers 16h00, que des contrôles aux frontières avec prise de température entraînaient d’importantes perturbations à la frontière située sur le Pont de l’Europe à Strasbourg.
Le lendemain, le Président de la République française Emmanuel Macron annonçait dans son allocution télévisée à 21h00 que des fermetures de frontières ne seraient pas exclues, mais que celles-ci devraient être décidées à l’échelle européenne (https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/12/adresse-aux-francais).
Dès le 13 mars 2020 la Gendarmerie du Bas-Rhin informait sur les réseaux sociaux, que des contrôles aux frontières allaient avoir lieu par les autorités allemandes et que tout ressortissant français contrôlé et manifestant des symptômes du virus serait refoulé, que par ailleurs les passages frontières secondaires et peu fréquentés étaient verrouillés (Gendarmerie du Bas-Rhin, 13 mars 2020, Information passages de frontières entre la France et l’Allemagne , repéré le 08.04.2020 à https://www.facebook.com/gendarmerie67/ ). La Police aux Frontières (Bundespolizei) du Bade-Wurtemberg annonçait de son côté, qu’il fallait s’attendre à des retards à la frontière franco-allemande dus à l’intensification des mesures de contrôle de la police fédérale allemande (Bundespolizei Baden-Württemberg, 13 mars 2020, Kontrollmaßnahmen: Intensivierung an allen dt. Binnengrenzen [twitter], repéré le 08.04.2020 à https://twitter.com/bpol_bw/status/1238441972488167424 ).
Le 15 mars 2020 le Gouvernement allemand annonçait le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières de l’Allemagne avec la France ainsi que d’autres pays voisins à partir du 16 mars 2020 8h (https://www.bundesregierung.de/breg-de/themen/coronavirus/kontrollen-an-den-grenzen-1730742).
Une annonce similaire était effectuée par le Ministère français de l’Intérieur (https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Renforcement-des-controles-a-la-frontiere-franco-allemande, consulté le 18 avril 2020).
Alors que les annonces officielles précisent bien qu’il ne s’agit pas d’une fermeture de frontière mais bien de rétablissement des contrôles aux frontières et d’une limitation du franchissement de ces frontières, les médias ont pour la plupart relayé cette information en la qualifiant improprement de fermeture de frontière du moins dans les gros-titres (p.ex. 20minutes, Coronavirus: L’Allemagne ferme ses frontières avec la France, la Suisse et l’Autriche, 15.03.2020, https://www.20minutes.fr/monde/2740407-20200315-coronavirus-allemagne-ferme-frontieres-france-suisse-autriche; Franceinfo, L’Allemagne face au coronavirus: fermeture des frontières avec la France, 15.03.2020, https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/alsace/allemagne-face-au-coronavirus-fermeture-frontieres-france-1800358.html, certains ayant nuancé les propos dans le corps du texte v. par exemple Tifenn Clinkemaillié, Les Echos, Coronavirus: fermetures des frontières en Europe quels impacts pour les Français?, 17 mars 2020, https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/coronavirus-fermetures-des-frontieres-en-europe-quels-impacts-pour-les-francais-1186202; L’Obs, Coronavirus: l’Europe barricade ses frontières, 17 mars 2020, https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200317.OBS26168/coronavirus-l-europe-barricade-ses-frontieres.html).
Nous chercherons donc à clarifier le fondement légal des mesures prises en nous interrogeant d’abord sur le rétablissement des contrôles aux frontières puis sur la base légale du refoulement de certaines personnes lors de ces contrôles avant d’analyser la proportionnalité de la mesure dans son ensemble.
I. Le rétablissement des contrôles aux frontières internes de l’espace Schengen
Depuis de nombreuses années, le franchissement de la frontière franco-allemande n’est plus marqué physiquement par le passage d’une barrière et l’apposition d’un visa d’entrée mais simplement annoncé à l’aide d’un panneau sur fond de drapeau européen. Cela étant, à l’occasion de certains grands événements sportifs ou politiques ou lors d’attaques terroristes, on a pu voir émerger temporairement des bâtiments en préfabriqué ou des rétrécissements de voie au niveau des passages de frontières.
Ces phénomènes font suite dans un premier temps au démantèlement progressif des frontières au sein de l’espace Schengen (A.), et dans un second temps, à la mise en œuvre de dispositions de l’accord de Schengen, permettant la réintroduction temporaire des contrôles (B.).
A. La suppression progressive des frontières
En juin 1985 cinq Etats, la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, porteurs de la vision d’un espace européen unique sans frontières apportant la paix et la prospérité, ont convenu de créer un espace de libre-circulation des personnes, dans lequel les contrôles se trouveraient reportés aux frontières extérieures (Gazin, Accords de Schengen, Répertoire de droit européen, , janvier 2020, n° 7 et suivants). Cet accord, conclu à Schengen et complété par une convention d’application en juin 1990, a constitué le fondement de ce qui est maintenant érigé en symbole d’un acquis fondamental de l’intégration européenne en matière de libre circulation de personnes (v. Communication de la Commission européenne, revenir à l’esprit Schengen – Feuille de route, 4 mars 2016, COM (2016), 120, final, p.2.). Les stipulations des textes historiques ayant été intégrées dans le droit de l’Union européenne par le biais de la méthode de coopération renforcée (GAZIN, Accords de Schengen, Répertoire de droit européen, 2020, n°48 et suivants.), c’est dans le Traité sur l’Union Européenne (TUE) et le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE, Titre V : L’espace de liberté, de sécurité et de justice) que l’on retrouve les dispositions matérielles concordantes, applicables actuellement.
C’est ainsi que l’article 67 al. 2 TFUE prévoit que l’Union Européenne « assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre les Etats membres et qui est équitable à l’égard des ressortissants des pays tiers».
L’esprit de Schengen traduit la volonté d’assurer aux citoyens européens, l’exercice de leur droit à la libre-circulation de façon efficace en reléguant les contrôles à ses frontières extérieures (GAZIN, Accords de Schengen, Répertoire de droit européen, 2020, n°24 et suivants.). Cependant, la mise en œuvre de ces ambitions s’est trouvée confrontée à la crainte des Etats-Parties au dispositif, de ne plus maitriser leurs frontières et par là, de se trouver privés d’un moyen régalien hautement symbolique d’assurer la sécurité sur leur territoire (GAZIN, Accords de Schengen, Répertoire de droit européen, 2020, n°13). Afin de palier ces réticences, la construction de Schengen s’est donc trouvée conditionnée à la mise en œuvre de mesures compensatoires à visée sécuritaire (GAZIN, Accords de Schengen, Répertoire de droit européen, 2020, n° 16, 33-47 ; KAUFF-GAZIN, Les valeurs de l’Union européenne dans le cadre des politiques d’asile, visa et immigration : quelle place réelle pour la liberté, la sécurité et la justice ?, intervention au colloque sur les Valeurs communes dans l’Union européenne, 11e journées du pôle européen Jean Monnet, 9 et 10 nov. 2010, 2014, Bruylant, p. 235). Au fur et à mesure de l’avancement de la construction européenne ont ainsi été mis en place des dispositifs de coopération principalement policière avec certains éléments de coopération judiciaire (GAUDIN/ ROUX, Coopération policière internationale – Force centripète de la construction européenne, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, octobre 2010, n° 76 et suivants). De plus, dès l’origine, le Traité prévoyait le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures dans certains cas de figure et de manière temporaire.
B. Le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières
En principe, la libre circulation est la règle (Article 3 Paragraphe 2 du Traité sur l’Union Européenne).
La capacité des Etats à procéder à des contrôles d’identité et de statut en vertu du droit des étrangers pour les personnes concernées sur leur territoire n’est pas impactée, notamment à proximité des frontières. Ces contrôles ne doivent pas, cependant, conduire à contourner la règle de la libre circulation en prenant une forme ayant le même effet que des contrôles aux frontières (v. CJUE 22 juin 2010, Melki (C-188/10) et Abdeli (C-189/10) ).
Ce n’est qu’exceptionnellement qu’un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières est possible (v. not. Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2016/399 en ce qui concerne les règles applicables à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures (COM(2017)0517 – C8-0326/2017 – 2017/0245(COD), Rapporteure Tanja Fajon, amendement 8).
Les dispositions visant les modalités de rétablissement des contrôles ayant subi des modifications au fil des années, trois cas de figure sont désormais à différencier. Le Code frontières Schengen (Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes), prévoit dans son Chapitre II visant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures, aux articles 25 à 27 la procédure « normale » de réintroduction temporaire des contrôles, flanqué à l’article 28 d’une procédure spécifique d’urgence ainsi qu’à l’article 29 d’une procédure spécifiques en cas de péril du fonctionnement global.
Le cas de l’article 29 vise une procédure de rétablissement de frontière ayant été introduite récemment dans le dispositif Schengen. Cette introduction a été la réponse de la Commission à l’invocation unilatérale par les Etats des dispositifs « normaux » de réintroduction temporaire des contrôles dans une tentative de maîtriser les flux migratoires massifs en Europe (v. Caroline Picheral, La réforme sous tension de la « gouvernance Schengen » ou la libre circulation à l’épreuve, Revue de l’Union européenne, 2013, p. 95 et suivantes). Elle suppose l’existence de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures, ce qui n’est a priori pas la difficulté rencontrée dans le cadre de l’épidémie de Coronavirus actuelle. Nous n’entrerons donc pas dans les détails de son élaboration et de son application.
Le cas « normal » visé par les articles 25 à 28 suppose quant à lui, l’existence d’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure sur le territoire d’un Etat membre dans l’espace sans contrôle aux frontières. Un Etat constatant une telle menace peut ainsi réintroduire le contrôle aux frontières sur tous les tronçons ou sur certains tronçons de ses frontières nationales. La mesure doit être temporaire (30 jours renouvelables, ne dépassant pas 6 mois) et proportionnelle à la menace grave identifiée. Le Code frontières Schengen prévoit expressément que le rétablissement ne peut constituer qu’un dernier recours.
Dans l’hypothèse de l’urgence de l’article 28, non seulement une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure doit être constatée, mais celle-ci doit exiger une action immédiate. Le rétablissement des contrôles peut alors s’effectuer immédiatement pour une durée de 10 jours maximum, renouvelable par périodes de 20 jours ne dépassant pas 2 mois au total.
La procédure à suivre implique une notification aux Etats membres et à la Commission de l’intention de rétablir les contrôles exposant les motifs, la portée, les points de passage autorisés, la date et la durée. Cette notification doit s’effectuer, en principe, au plus tard quatre semaines avant la mise en œuvre des mesures. Un délai plus court est cependant admis, si les circonstances à l’origine de la mesure sont connues moins de quatre semaines avant la date de réintroduction prévue.
S’il s’agit d’un cas d’urgence tel qu’il est énoncé à l’article 28, les raisons pour lesquelles une action immédiate est nécessaire doivent également être indiquées dans la notification.
La Commission peut demander des informations complémentaires. Les informations sont également transmises au Parlement européen et au Conseil. Les autres Etats membres peuvent émettre un avis et provoquer ainsi une consultation arbitrée par la Commission. L’ensemble des dispositifs de notification et de transmission de l’information vise à organiser la coopération mutuelle des Etats pour contrer la menace identifiée le plus efficacement possible en respectant l’essence de l’espace de libre-circulation et réduire la tentation d’unilatéralisme sécuritaire des Etats.
L’article 34 prévoit que la « Commission et l’État membre concerné fournissent au public, de manière coordonnée, des informations sur toute décision de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures et indiquent en particulier la date de début et de fin de ladite mesure, à moins que des raisons impérieuses de sécurité́ ne s’y opposent ». L’énoncé des motifs de réintroduction ainsi que les éléments permettant d’analyser la proportionnalité de la mesure ne font donc pas l’objet d’une diffusion obligatoire au public. D’ailleurs certaines de ces informations peuvent être classifiées ce qui empêche leur diffusion au grand public.
Dans le cas présent de la réintroduction des contrôles aux frontières dans le cadre de la crise sanitaire mondiale liée à la maladie covid-19, seuls certains éléments ont été diffusés par les Etats, permettant néanmoins d’apprécier dans les grandes lignes la conformité de l’application des mesures avec les dispositions juridiques.
Etant donné l’annonce faite par l’Allemagne d’une réintroduction pour une durée de 30 jours dans un premier temps (https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/coronavirus-fermetures-des-frontieres-en-europe-quels-impacts-pour-les-francais-1186202), ainsi que la mention par la Commission d’une concertation entre Etats dès le 10 mars (Communication from the Commission ti the European Parliament, the European Council and the Council, COVID-19: Temporary Restriction on Non-Essential Travel to the EU, COM(2020) 115 final, 16.03.2020, https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2020/EN/COM-2020-115-F1-EN-MAIN-PART-1.PDF), on peut en conclure que la mesure s’appuie sur les dispositions ne nécessitant pas une action immédiate.
Le développement actuel de la pandémie liée au Virus SARS-COV-2 est invoqué pour justifier la réintroduction des contrôles aux frontières. Les dispositions afférentes que nous avons énoncées supposent cependant l’existence d’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. Cette énumération ne mentionne pas expressément la santé publique, qui est pourtant une notion connue du droit européen visée au titre XIV TFUE et souvent invoquée pour apporter des limites à la libre circulation des marchandises et des personnes (v. not. Gautier, Ordre public, Répertoire de droit européen, août 2004, n° 15). La protection de la santé publique n’est donc pas en elle-même apte à justifier l’atteinte portée à la libre-circulation des personnes.
Néanmoins, il convient d’apprécier l’ampleur sans précédent de la crise sanitaire et l’importance du danger qui pèse sur la vie et la santé des personnes. Or si la préservation de l’ordre publique vise principalement à maintenir l’intégrité des personnes et des biens, le cas présent semble pouvoir justifier le recours à ces dispositions. En ce sens il convient également de prendre en compte la qualification par l’ONU en 2014 de l’urgence sanitaire liée à l’épidémie d’Ebola en tant qu’atteinte à la paix et la sécurité internationale (Résolution 2177 du Conseil de Sécurité du 18 septembre 2014, https://undocs.org/fr/S/RES/2177(2014) ). Cette résolution démontre que la prise en compte d’une crise sanitaire grave sous un régime axé principalement sur des objectifs sécuritaires est possible. La gravité de la crise sanitaire conduit à un effacement des limites entre ordre public et santé publique lorsque l’épidémie affecte de façon critique tout un ensemble d’intérêts fondamentaux de la société en portant atteinte aussi bien au bon fonctionnement du service public de la santé qu’à l’économie du pays et en rendant nécessaire des mesures portant une atteinte considérable aux libertés individuelles de chacun dans le but de préserver la vie des citoyens.
Il n’est donc pas contesté, que les circonstances sont de nature à pouvoir entraîner l’application des dispositions précitées quant à l’existence d’un « fait générateur ».
La question se pose néanmoins de la proportionnalité au sens large de la mesure prise. Dans une tradition plutôt germanique (v. not. Discours de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, Institut Portalis, Aix-en-Provence, 17 mars 2017, https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-principe-de-proportionnalite-protecteur-des-libertes), ayant trouvé son entrée dans le droit européen à de nombreuses reprises, il convient dès lors que l’on envisage de porter atteinte à une liberté ou un droit fondamental, de s’assurer en plusieurs temps que la mesure poursuit un but légitime, qu’elle est apte à contrer la menace, qu’elle est nécessaire et qu’il s’agit de la mesure la moins attentatoire possible. Nous considérons que dans le cas présent l’appréciation de la proportionnalité de la mesure de rétablissement des contrôles ne peut cependant se faire indépendamment de l’appréciation de la mesure de restriction de circulation. Il convient donc d’apprécier la proportionnalité des mesures dans leur ensemble, c’est pourquoi nous y procéderons après avoir énoncé la base légale pour le refus d’entrée dans étrangers à l’occasion de ces contrôles.
II. Base légale du refoulement
Suite à la vidéoconférence du Conseil européen du 17 mars 2020, il a été décidé d’appliquer une restriction temporaire sur les déplacements non essentiels à destination de l’Union Européenne à la frontière extérieure, la Commission ayant émis un avis en ce sens (Communication from the Commission ti the European Parliament, the European Council and the Council, COVID-19: Temporary Restriction on Non-Essential Travel to the EU, COM(2020) 115 final, 16.03.2020, https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2020/EN/COM-2020-115-F1-EN-MAIN-PART-1.PDF ).
En complément, plusieurs Etats, dont la France et l’Allemagne ont également pris des mesures de restriction de circulation sur leurs frontières internes.
C’est ainsi que le Premier Ministre a pris une mesure d’Instruction le 18 mars 2020 visant à empêcher la circulation sans raison impérative, demandant aux services compétents de refuser l’entrée des étrangers aux frontières nationales. Des exceptions y figurent concernant les résidents français quelle que soit leur nationalité, les travailleurs frontaliers, les transporteurs de marchandise et les professionnels de santé étrangers aux fins de lutter contre la propagation du covid- 19 du moment qu’ils ne présentent pas de symptômes de la maladie (http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2020/03/cir_44947.pdf?fbclid=IwAR1gxuFpTSrZqnWfbP4a-maqOQsryYOd6F2BqfS_Yg2IxlaGJxxPEZmY93w).
Le Ministre fédéral allemand de l’Intérieur a pris une mesure semblable après décision du cabinet fédéral le 18 mars 2020 limitant la circulation aux frontières intérieures à des raisons impératives (https://www.bmi.bund.de/SharedDocs/pressemitteilungen/DE/2020/03/corona-grenzkontrollen-see-luft.html). Le franchissement de la frontière est permis aux personnes domiciliées en Allemagne, aux travailleurs transfrontaliers et aux personnes ayant une raison impérative de franchir la frontière, l’appréciation étant laissée aux douaniers procédant aux contrôles. Le transit est également permis, si aucune alternative n’est disponible. N’est pas permis le franchissement de frontière à des fins touristiques, pour faire ses courses ou rendre visite à des proches (https://www.bundespolizei.de/Web/DE/04Aktuelles/01Meldungen/2020/03/200317_faq.html). Ces mesures sont complétées par les Länder. Le Ministère de la protection sociale du Bade-Wurtemberg a pris un règlement le 10 avril 2020 portant sur les mesures de quarantaine pour les personnes entrant ou rentrant sur le territoire allemand (Verordnung des Sozialministeriums zu Quarantänemaßnahmen für Ein- und Rückreisende zur Eindämmung des Virus SARS-Cov-2 vom 10.04.2020 pris sur le fondement du § 3a du règlement Corona (Corona-Verordnung du 17.03.2020), https://www.baden-wuerttemberg.de/fr/service/aktuelle-infos-zu-corona/verordnung-fuer-ein-und-rueckreisende/.). Il prévoit, indépendamment de la nationalité des personnes, une mise en quarantaine de 14 jours après une entrée sur le territoire depuis une zone classée à risque (§ 1). Le § 3 prévoit des exceptions notamment pour les transporteurs de marchandises (al. 1.), les personnes exerçant des activités indispensables au maintient du bon fonctionnement des services de l’Etat comme la santé ou la justice (al. 2a-f) ou des personnes qui doivent se rendre en Allemagne quotidiennement ou pour une durée allant jusqu’à 5 jours pour des raisons impérieuses professionnelles ou médicale (al. 4.). Dans ce dernier cas, les déplacements doivent s’effectuer de la façon la plus directe possible. Il est par exemple interdit d’interrompre le voyage pour faire ses courses. Le non-respect de ces interdictions est passible d’amende (§5).
Ces mesures ayant un caractère assez exceptionnel, nous allons nous pencher sur leur ancrage en droit.
En ce qui concerne le refus d’entrée des étrangers aux frontières internes, auxquelles les contrôles ont été rétablis, il convient de distinguer le cas des étrangers issus de pays tiers (A.) du cas des citoyens Européens et assimilés (B.).
A. Les étrangers de pays tiers (sauf assimilés aux citoyens Européens)
En ce qui concerne les étrangers de pays tiers, le refus d’entrée des étrangers peut être fondé sur le chapitre II du Code frontières Schengen : contrôle aux frontières extérieures et refus d’entrée eu égard à son article 32 prévoyant que « lorsque le contrôle aux frontières intérieures et réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II s’appliquent mutatis mutandis ».
La jurisprudence communautaire a eu l’occasion de statuer sur l’impossibilité d’assimiler la frontière interne à une frontière externe au sens du Code frontières Schengen suite à l’invocation des dispositions de réintroduction des contrôles aux frontières internes (CJUE 7 juin 2016, C-47/15 Affum ; 19 mars 2019, C-444/17 Préfet des Pyrénées-Orientales). En revanche, les faits en cause portaient sur la possibilité d’appliquer ou non la procédure simplifiée de refoulement ce qui n’empêche pas l’application des dispositions sur les modalités de refus d’entrée à la frontière.
L’entrée sur le territoire de citoyens issus de pays tiers peut notamment être refusée en vertu des articles 14 et 6 paragraphe 1 cas e) menace pour la santé publique. Dans le cas présent la menace pour la santé publique se trouve justifiée par la dimension mondiale de la pandémie de COVID-19 et par son mode de transmission hautement contagieux comme nous l’avons indiqué plus haut. Toutefois, là aussi, afin de garantir le respect des droits et libertés individuelles, un examen au cas par cas doit avoir lieu pour permettre notamment une admission aux fins de prise en charge sanitaire lorsque l’état de santé de l’étranger l’exige.
Le Code frontières Schengen ne permet pas cependant de porter atteinte à la liberté de circulation des citoyens européens qui n’entre pas directement dans son champ d’application. La liberté de circulation des travailleurs, et par extension celle des citoyens européens dans leur ensemble, étant l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne, les restrictions qui lui sont portées doivent être interprétées de façon stricte (v. p. ex. CJUE, 27 octobre 1977, 30(77), cons. 33.) et sont réglées dans une directive distincte.
B. Les citoyens européens et leur famille
C’est donc dans la directive 2004/38/CE du Parlement Européen et du Conseil relative aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, que l’on retrouve les dispositions pertinentes concernant les conditions d’exercice de ce droit (Article 1 a).
En droit français la directive a été transposée notamment par le Décret n° 2007-371 du 21 mars 2007 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000518604&categorieLien=id; décret n° 2007-371 du 21 mars 2007 relatif au droit de séjour en France des citoyens de l’Union européenne, des ressortissants des autres Etats parties à l’Espace économique européen et de la Confédération suisse ainsi que des membres de leur famille, https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000822461&categorieLien=id). En droit allemand la directive a été transposée par la loi sur la liberté de circulation des citoyens de l’Union Européenne (Freizügigkeitsgesetz/EU) (Gesetz über die allgemeine Freizügigkeit von Unionsbürgern – Freizügigkeitsgesetz/EU, 30. Juli 2004, BGBl. I S. 1950, 1986).
En principe, la directive prévoit un droit d’entrée de tout citoyen de l’Union muni d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité (article 5 paragraphe 1).
Ce droit peut cependant être limité selon les dispositions du chapitre VI.
La liberté de circulation peut ainsi être restreinte pour des raisons de santé publique en vertu des articles 27 alinéa 1 et 29 alinéa 1. Les seules maladies justifiant ces mesures sont les maladies potentiellement épidémiques telles que définies par l’OMS ainsi que les maladies infectieuses ou parasitaires contagieuses qui font l’objet de dispositions de protection également à l’égard des ressortissants de l’Etat membre qui procède à la restriction.
L’organisation mondiale de la santé ayant émis des préconisations aux pays visant à endiguer la flambée de la maladie dès la première déclaration du 23 janvier 2020 (https://www.who.int/fr/news-room/detail/23-01-2020-statement-on-the-meeting-of-the-international-health-regulations-(2005)-emergency-committee-regarding-the-outbreak-of-novel-coronavirus-(2019-ncov) c’est le premier cas de figure qui vient s’appliquer.
La commission a émis une communication actualisée le 30 mars 2020 visant à coordonner les différentes mesures prises par les Etats, à uniformiser les procédures, et à rappeler l’exigence de proportionnalité de toutes les dispositions prises ou à prendre (Communication from the Commission, Guidance on the implementation of the temporary restriction on non-essential travel to the EU, on the facilitation of transit arrangements for the repatriation of EU citizens, and on the effects on visa policy, 30.03.20, C(2020) 2050 final). Comme nous l’avons évoqué plus haut, c’est notamment la question de la proportionnalité des mesures portant atteinte à la libre circulation des personnes par rapport au but recherché de protection de la santé publique qui doit faire l’objet d’une attention particulière.
III. La proportionnalité des mesures
Dans la situation actuelle, qui demande une adaptation rapide des mesures aux changements de situation, ce sont les pouvoirs exécutifs qui choisissent et implémentent les mesures qu’ils jugent nécessaires de prendre. Ils évoluent pour ce faire dans un couloir de marge de manœuvre juridique encadré par le principe de proportionnalité. Par son exigence de poursuite d’un but légitime, d’adéquation et d’efficacité, ce principe constitue le mètre étalon de l’action de l’exécutif agissant en vertu d’une compétence générale de police.
A. Poursuite d’un but légitime
Les mesures doivent poursuivre un but légitime. D’une façon générale, le but est de protéger la population de la propagation du virus Sars-cov-2 en ralentissant sa progression pour ménager les ressources limitées du service public hospitalier.
Dans l’esprit des auteurs du premier texte de Schengen, l’objectif de la réintroduction des contrôles était surtout la possibilité de pouvoir sécuriser les événements d’importance internationale ou les grands évènements sportifs (GAZIN, Accords de Schengen, Répertoire de droit européen, 2020, n° 22.). C’est ce que la France a pu faire en avril 2009 dans le but de sécuriser le Conseil de l’OTAN qui se tenait à Strasbourg.
Aujourd’hui, comme en 2009, on constate sans aucun doute la présence d’un but légitime puisque dans un cas comme dans l’ordre le but consiste à éviter les atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle des personnes que ce soit par violences ou par une maladie. Or la sauvegarde de la santé et de la sécurité des personnes est l’une des missions premières de la police administrative (Dupuis/Guédon/Chrétien, Droit administratif, Sirey, dossier 1 § 1 A.I., 11ème édition).
Un second but ayant été invoqué et relayé dans les médias paraît plus problématique. Les mesures de restriction auraient notamment été prises afin d’empêcher ce que les allemands appellent des « Hamsterkäufe » (des achats de hamster) de la part des frontaliers, afin de préserver les commerces allemands proches de la frontière de pénuries dommageables à la population allemande locale. Cependant il s’avère à ce stade qu’il s’agit là également d’un but légitime en ce qu’une pénurie même partielle peut porter atteinte à la tranquillité publique en conduisant à des émeutes ou des mouvements de foule, qui eux présentent également un danger pour la sécurité des personnes et des biens.
B. Adéquation des mesures avec le but poursuivi
Le rétablissement des contrôles aux frontières et la restriction du droit d’entrée des étrangers ne résidant pas sur le territoire assorti de la possibilité de contrôler la présence de symptômes du virus, notamment par prise de température permet de limiter le brassage de population et ainsi de limiter le nombre de transmissions d’homme à homme.
C. Mesure ultima ratio
Est-ce que les mesures constituent des mesures de dernier recours ? En d’autres mots, des mesures ayant la même efficacité tout en portant une atteinte moindre à la liberté de circulation sont-elles envisageables ?
Concernant le but décrit supra de protéger la population locale des effets de pénurie engendrés par les courses des frontaliers, la réponse est négative. En effet il serait par exemple suffisant de limiter simplement la quantité de produit pouvant être vendue par client ou encore d’en limiter l’exportation comme c’est déjà le cas concernant les cigarettes ou les feux d’artifices (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F804; http://www.bas-rhin.gouv.fr/Politiques-publiques/Activites-et-professions-reglementees/Petards-et-Artifices ).
En ce qui concerne le but de limitation de la circulation pour ralentir la contagion, la réponse est moins aisée.
Une mesure alternative envisageable pourrait être l’obligation du port du masque. Cette mesure est certainement moins attentatoire aux libertés que l’est le rétablissement des contrôles et le refus d’entrée de la majorité des personnes désireuses de passer la frontière. Cependant, outre le fait que sa mise en œuvre pratique se heurte à la situation de pénurie actuelle de ce type d’équipement de protection, se pose la question de l’efficacité. Celle-ci devrait être au moins égale à la mesure de fermeture de frontière ce qui n’est en tous cas pas établi. Or les Etats disposent en la matière d’une marge d’appréciation importante et peuvent considérer, notamment eu égard au principe de précaution, que l’efficacité du masque n’a pas été établie dans les situations du quotidien.
Une alternative envisageable serait également de confiner la population à son domicile ou de restreindre les contacts des personnes. Le confinement de la population au domicile entraine automatiquement une suppression quasi intégrale des déplacements et empêche l’infection des personnes saines par des personnes malades même asymptomatiques. Il s’agit là d’une mesure efficace, mais elle est plus attentatoire aux libertés que la simple interdiction de traverser les frontières. Par ailleurs elle ne vise pas les mêmes populations. Chaque Etat ne pouvant prendre la décision de confiner que les citoyens vivant sur son territoire, il ne peut pas influer directement sur les déplacements sur le territoire de son voisin, la seule solution étant alors d’interrompre le flux de personnes entre ces deux territoires. Alors même que l’organisation mondiale de la santé ne considère pas les restrictions de circulation comme les mesures les plus efficaces pour contrer la pandémie, elles constituent néanmoins des mesures complémentaires efficaces (Communication fromt the Commission to the European Parliament, the European Council and the Council, Covid-19 : TEmporary Restriction on Non-Essential Travel tu the EU, COM(2020) 115 final, 16.03.2020, https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2020/EN/COM-2020-115-F1-EN-MAIN-PART-1.PDF.).
En ce sens il s’agit bien d’une mesure de dernier recours car aucune alternative n’est pas envisageable.
Même si la coordination à l’échelle européenne est souhaitable, les décision prises unilatéralement par la France et l’Allemagne, qui ont fait l’objet des notifications (https://www.bmi.bund.de/SharedDocs/pressemitteilungen/DE/2020/03/corona-grenzkontrollen-see-luft-fr.html; ) prévues sont bien fondées sur une base juridique de droit européen.
La Commission affiche pour objectif de coordonner les réponses étatiques et de renforcer les frontières externes tout en évitant au maximum les atteintes portées à la liberté de circulation à l’intérieur de l’espace Schengen. En revanche, en prenant en compte aussi bien les différences au niveau de la disponibilité des soins de réanimation en France et en Allemagne, que les capacités de test et de traçage de personnes infectées il est compréhensible que les Etats, qui font toujours preuve de différences structurelles flagrantes malgré la durée de leur intégration à l’Union, cherchent à imperméabiliser leurs frontières. Il n’en demeure pas moins que l’esprit de coopération européen reste présent, ce qui s’exprime notamment par l’offre de l’Allemagne d’accueillir des patients en réanimation face à la saturation des hôpitaux français (https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/24/coronavirus-l-allemagne-accueille-des-malades-de-france-et-d-italie_6034299_3210.html).
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