L’indépendance des autorités de régulation monétaire et financière a été sacralisée dans les années 1990 comme un élément fondateur essentiel et conditionné de la politique monétaire au sein plus particulièrement d’une « Union économique et monétaire » (UEM). Elle a été plus généralement mise en valeur sous forme de discours juridiques, de politiques économiques et de récits judiciaires, matières déjà fortement étudiées et discutées au-delà des sphères académiques et intellectuelles des facultés de droit, de sciences politiques ou de sciences économiques (V. dernièrement, de manière passionnante : CABANES (A. de.) et FONTAN (Cl.), « La Cour de justice face à Gauweiler. La mise en récit de l’indépendance de la BCE », dans BAILLEUX (A.), BERNARD (E.), JACQUOT (S.), Les récits judiciaires de l’Europe. Concepts et typologie, Bruxelles, Bruylant, coll. idées d’Europe, 2019, p.169 sqq.). Il n’en demeure pas moins que le terme d’indépendance est par essence discutable puisqu’il reste toujours relatif et sous-tend, suivant le contexte, l’idée de tel ou tel autre terme par rapport auquel ce dont on parle est dit indépendant : un État est ainsi « indépendant » de tout autre État ; une morale est « indépendante » de toute croyance religieuse ou doctrine métaphysique ; etc. On peut également entendre le terme d’indépendance en parlant du caractère de celui qui aime à ne dépendre de personne, à juger et à décider sans suivre l’opinion et les conseils d’autrui : bref, « on est indépendant parce ce qu’on se rend indépendant. C’est là une visée, un propos, une ambition, un défi dont l’issue n’est jamais assurée» (COURCEL M. (de), Qu’est-ce qu’un esprit indépendant, Géopolitique, printemps 1998, p 75., appliquée à une institution financière et personnalisée par un directeur général, V. BOUDET (J-F.), La Caisse des dépôts et consignations : Histoire, statut, fonction (Préface L. SAÏDJ), Paris, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2006, not. p.145.). Le débat sur l’indépendance des banques centrales ne peut dès lors donner lieu qu’à des comparaisons entre des statuts comparables de banques centrales qui doivent tenir compte de contextes historiques, institutionnels et sociologiques différents (V. notre entrée « Banque centrale » dans HERVOUET (F.), MBONGO (P.) et SANTULLI (C.), (s.d.), Dictionnaire encyclopédique de l’État, Paris, Berger-Levrault, 2014, p.83). Par suite, il faut davantage se soucier des conditions de l’indépendance des institutions bancaires centrales et moins de l’appréhension de la notion même d’indépendance aussi affirmée, décriée ou posée : il y a autant mais seulement une « exigence d’indépendance » vis-à-vis des pouvoirs politiques que des « moyens de l’indépendance » quant à la fonction, l’organisation et l’autonomie financière du banquier central (V. plus spécialement sur ces énoncés : articles 130 et 123 du TFUE pour le cas de Banque centrale européenne – COLLET (M.), Finances publiques, LGDJ, Précis Domat, Série Droit public, 2016, p.180). Cette question des conditions de l’indépendance est par conséquent clairement philosophique et sociologique et relève moins du positivisme juridique ou économique. Elle permet de poser paradoxalement, selon le contexte, autant une indépendance qu’une dépendance des banques centrales à l’égard des autres pouvoirs.
I. Une indépendance contextualisée
L’histoire contextualisée des banques centrales montre que l’indépendance des banques centrales est, par des voies et moyens de sa mise en œuvre, à la fois objective et subjective (PELLET (R.), Droit financier public. Monnaies, Banques centrales, Dettes publiques, Paris, PUF, coll. Thémis droit, 2014, p.187 sqq.). Ainsi, l’opposition traditionnelle entre des banques centrales peu indépendantes (Banque de France avant 1993, Banque d’Angleterre) et des institutions indépendantes (Federal Reserve Bank, Deutsche Bundesbank) est dans les faits une comparaison entre des organismes anciens (la Banque de France a été créée en 1800), voire très anciens (la Banque d’Angleterre est née en 1694) conçu initialement pour émettre des billets en contreparties d’avances de l’État, à l’industrie ou au commerce. Le souvenir de ce lien originel laisse alors à penser sans aucun étonnement que ces institutions n’ont qu’une autonomie limitée. En même temps, l’essor de la monnaie scripturale émise par les banques commerciales et plus tard la marchandisation et la numérisation monétaire ont rendu central le rôle d’émission monétaire attribuée à la banque centrale qui est désormais au cœur des circuits économiques et sociaux nationaux et du système financier mondialisé. Créé il y a quelque cent dix ans, le système fédéral de la Réserve est caractéristique de cette évolution des conceptions aux États-Unis comme l’est également aujourd’hui l’introduction timide d’une Union bancaire en Europe en réaction à la crise financière de 2008-2009 (l’Union bancaire européenne comprend deux éléments : Un mécanisme de surveillance unique (MSU) surveille les banques les plus grandes et les plus importantes de la zone euro directement au niveau européen tandis que l’objectif du et le mécanisme de résolution unique (MRU) est de résoudre les défaillances des banques en difficulté de façon ordonnée et à un coût minimal pour les contribuables et pour l’économie réelle. Un système européen d’assurance des dépôts (SEAD) fait enfin l’objet de discussions). Federal Reserve Bank (FED) et Banque centrale européenne (BCE) doivent ainsi permettre un fonctionnement harmonieux des circuits de règlement entre banques commerciales et contribuer à garantir la stabilité et la sécurité de ces dernières dans leurs régions de compétences respectives. L’histoire des différents pays enseigne aussi que les statuts des banques centrales coïncident avec les modes d’organisation politique des États. On peut ainsi facilement affirmer qu’une forme d’organisation unitaire de l’État conduit habituellement à une banque centrale dépendante de l’État (Japon, France, Royaume-Uni, Italie) alors qu’une forme constitutionnelle fédérale impose une banque centrale indépendante (États-Unis, Allemagne, Suisse, Canada). Cette assurance n’est guère surprenante dès lors que les rédacteurs de toute constitution fédérale ont toujours voulu limiter les pouvoirs de l’autorité fédérale et ont naturellement divisé de ce fait le pouvoir central en érigeant des autorités indépendantes non seulement pour conduire la politique monétaire mais également les politiques économiques, sociales et financières. Dans cette perspective, la révolution de la Banque centrale européenne semble ici complète, même si elle reste dictée par l’histoire politique de la construction européenne : sans structure étatique apparente, l’ « institution qui gouverne l’euro » est une « zone de non droit », c’est-à-dire avec peu de pression juridique (V. PAPDIA (Fr.) et SANTINI (C.), La Banque centrale européenne. L’institution qui gouverne l’euro », Paris, Banque éditeur, coll. Les essentiels de la banque, 1999 et ADALID (S.), « La Banque centrale européenne : une zone de non-droit ? », dans VABRES (R.), La Banque centrale européenne. Regards croisés, droit et économie, Bruxelles, Bruylant, 2016, p.51).
C’est en ce sens que si la BCE (comme d’ailleurs les banques centrales nationales de l’Union européenne aujourd’hui) agit avec la seule contrainte fixée par le Traité, elle exerce en revanche un vaste pouvoir discrétionnaire dans l’utilisation des instruments de la politique monétaire. L’article 127 TFUE (ex-article 105 TCE) dispose à cet égard :
1. L’objectif principal du Système européen de banques centrales, ci-après dénommé « SEBC », est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union, tels que définis à l’article 3 du traité sur l’Union européenne. Le SEBC agit conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, en favorisant une allocation efficace des ressources et en respectant les principes fixés à l’article 119.
2. Les missions fondamentales relevant du SEBC consistent à :
– définir et mettre en œuvre la politique monétaire de l’Union ;
– conduire les opérations de change conformément à l’article 219 ;
– détenir et gérer les réserves officielles de change des États membres ;
– promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement.
3. Le troisième tiret du paragraphe 2 s’applique sans préjudice de la détention et de la gestion, par les gouvernements des États membres, de fonds de roulement en devises.
4. La Banque centrale européenne est consultée :
– sur tout acte de l’Union proposé dans les domaines relevant de sa compétence :
– par les autorités nationales, sur tout projet de réglementation dans les domaines relevant de sa compétence, mais dans les limites et selon les conditions fixées par le Conseil conformément à la procédure prévue à l’article 129, paragraphe 4.
La Banque centrale européenne peut, dans les domaines relevant de sa compétence, soumettre des avis aux institutions, organes ou organismes de l’Union appropriés ou aux autorités nationales.
5. Le SEBC contribue à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier.
6. Le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, à l’unanimité, et après consultation du Parlement européen et de la Banque centrale européenne, peut confier à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit et autres établissements financiers, à l’exception des entreprises d’assurances.
La Banque centrale européenne appartiendrait alors à la catégorie parastatale des « institutions financières à fonction monétaire et bancaire », c’est-à-dire celles qui ne sont pas soumises au pouvoir hiérarchique gouvernemental et auxquelles la Loi attribue un objectif clairement défini ainsi qu’un pouvoir discrétionnaire adéquat pour atteindre ledit objectif (BOUDET (J-Fr.), Institutions financières publiques (Préface R. MUZELLEC), Bruxelles, Larcier, Hors collection, 2013, p.128). Cette institutionnalisation enrichirait alors la tripartition traditionnelle des pouvoirs ou fonctions législative, exécutive et judiciaire, les banques centrales nationales en général et la BCE en particulier n’étant assujetties qu’au Traité pour ce qui est de l’objectif principal comme l’organe judiciaire l’est à l’égard de la Loi étatique. Il n’en reste pas moins que le pouvoir discrétionnaire demeurerait nécessaire parce que la connaissance dont les experts économiques disposent pourrait n’être que parcellaire et ne pourrait pas être codifiée dans un texte de droit dur (La distinction entre droit dur et droit souple n’est pas binaire mais graduelle. En effet, le droit souple doit être entendu en l’espèce comme une simple règle dont l’application est peu sanctionnée et/ou contrôlée. Elle ne s’oppose donc pas à une codification, même sous la forme de littérature grise de la banque centrale). Cette logique juridique serait conforme à l’économie générale présidant les positions keynésiennes et monétaristes de la BCE (en cours de discussions internes et d’évaluation – V. en ce sens la stratégie monétaire de la BCE exposée, sous format pédagogique, sur le site du Parlement européen. Cette stratégie est en cours d’évaluation.)
Cette séparation de l’activité de la banque centrale de celle proprement discrétionnaire du gouvernement expliquerait enfin de quelle manière il est possible de mettre en commun des monnaies communes sous un format de checks and balances, et ce, malgré l’absence d’un véritable gouvernement européen : les organes politiques européens sont totalement indépendants tandis que la BCE a une totale dépendance vis-à-vis du Traité. On estimait plus exactement que, fondée sur aucune souveraineté politique, la légitimité de la Banque centrale européenne devait être d’autant déterritorialisée qu’une rhétorique d’experts soustraits de préoccupations électoralistes, permettrait d’ancrer solidement les anticipations et d’agir sur certaines variables macro-économiques (DESMEDT (L.) et LLORCA (M.), « L’effectivité du discours du banquier central sur la conjoncture », dans VABRES (R.) (s.d.), op. cit., p.83.). La crise économique de 2008-2009 a cependant modifié cette lecture contextualisée puisque si elle a augmenté l’audience des discours des banquiers centraux depuis lors, elle en a paradoxalement réduit leur degré d’indépendance.
II. Une dépendance contextualisée
L’intervention massive des institutions d’émission dans l’économie depuis 2008 a inévitablement fait entrer les grandes banques centrales dans un nouveau régime « tacite d’indépendance faible » en appliquant des instruments monétaires non conventionnels (BLANCHETON (B.), “Central bank independence in a historical perspective. Myth lessons and a new model”, Economic Modelling, n°52, 2016, p.101.). Si ces achats massifs de titres financiers ont permis d’injecter de la liquidité sur les marchés, ils ont en effet gonflé le bilan de la plupart des grandes banques centrales – par un facteur de cinq pour la Federal Reserve Bank et pour la Banque centrale européenne, par un facteur de dix pour la Banque d’Angleterre – et ont radicalement modifié le rôle que ces institutions jouent désormais dans les économies nationales. Aussi, peut-on dire que les nombreux débats économiques et politiques jusqu’en 2008 portaient essentiellement sur les formes juridiques de l’indépendance des banques centrales mais qu’il fallait encore bien en préciser alors le contenu économique et la signification politique. Bien au contraire, ces deux derniers questionnements ont, sous la force d’un boomerang, mis à mal cette croyance dominante de l’indépendance des banques centrales et de la régulation monétaire typiquement limitée à la stabilité des prix. Dans un contexte de mutations rapides et pandémiques de l’économie et de la société, les banques centrales sont plus exactement devenues les seules responsables de la stabilisation de systèmes financiers volatiles et risqués, de telle sorte que l’on peut clairement affirmer que leurs indépendances posées du point de vue tant organique que fonctionnelle par des dispositions statutaires ou de coutumes décrivent simplement aujourd’hui la manière dont ces instituts d’émission en tant que rouage d’un mécanisme s’articule aux autres rouages (De manière conjoncturelle, parmi d’autres : « Coronavirus : la BCE lance un plan d’urgence historique pour calmer les marchés », Le Monde, 19 mars 2020 ; « États-Unis : le bilan de la Fed atteint un nouveau record à 4 700 milliards de dollars », L’Opinion, 20 Mars 2020 ; « En pleine pandémie, la Banque d’Angleterre se réunit à nouveau », AFP, 26 mars 2020 ; « CEMAC : la Banque centrale dévoile enfin ses mesures de riposte face à la pandémie du Coronavirus », Agence Ecofin, 29 mars 2020). On pourra toujours étudier les aspects institutionnel, instrumental, personnel et financier des banques centrales comme conditions de leurs indépendances mais ce qui importe davantage aujourd’hui sera de mesurer leur situation dans des mécanismes institutionnels complexes construit au fils des années en interface des gouvernements et des marchés financiers (BEAUVIRONNET (E.), « La BCE et la dette publique des Etats membres », dans BOUDET (J-F.) et LEQUESNE-ROTH (C.) (s. d.), Les administrations publiques à l’épreuve de leur dette, Paris, Mare & Martin, coll. droit public, 2019, p.163.).
C’est en ce sens que la BCE a décidé d’agir de manière non conventionnelle pour remédier à la crise des dettes souveraines tout d’abord, puis aujourd’hui pour lutter contre la catastrophe pandémique du Covid-19. Elle a notamment développé, au titre de sa politique monétaire, une politique de rachat des titres de dettes publiques selon plusieurs programmes successifs : securites markets programme (SMP) en 2010 ; Outright monetary transactions (OMT) en 2012 ; Quantitative easing (QE) depuis 2015 afin de sauver l’Euro « whatever its takes » (pour reprendre les mots prononcés à Londres le 26 juillet 2012 par le président de la BCE – Verbatim of the remarks made by Mario Draghi Speech by Mario Draghi, President of the European Central Bank at the Global Investment Conference in London 26 July 2012.) En septembre 2016, la BCE avait ainsi dépassée les 1000 milliards de dettes rachetées, détenant un septième de la dette des États européens. Cette politique coordonnée de la BCE suscite cependant de nombreuses interrogations bien au-delà de la question juridique de sa compétence s’agissant plus particulièrement des bénéficiaires premiers (encore et d’abord les marchés financiers), sur son impact en termes de liquidité (notamment pour les entreprises) ou sur les capacités d’emprunter des États (et par voie de conséquence sur la mise en œuvre effective de réformes structurelles et de réduction de la charge de leurs dettes – V. dans la littérature juridique commune : ALBERT (J-L.), Finances publiques, Paris, Dalloz, coll. Cours, 2019, 11èmeéd., p.287 ou DAMAREY (S.), Droit public financier, Paris, Dalloz, coll. Précis, 2019, p.343). Entretenus, ces questionnements politiques sur les effets distributifs des actions des banques centrales sèment même le doute sur la formulation d’une politique monétaire laissée à des technocrates hautement qualifiés et isolés des institutions démocratiques, craintes d’autant plus certaines qu’ils menacent selon banquiers centraux, financiers et universitaires autorisés l’indépendance même des banques centrales (Group of Thirty (s.d.), Fundamentals of Central Banking: Lessons from the crisis, Washington, DC, Group of Thirty, 2015.). La nomination de Madame LAGARDE, avocate d’affaires, ancienne ministre française des finances et ancienne directrice du FMI le 1ernovembre 2019 à la présidence de la BCE parachève cette croyance perdue de l’indépendance sacralisée dans le marbre du Traité puisque cette dernière, plus politique, n’est pas passée par les cénacles des banquiers centraux. Elle apparaît alors comme l’incendiaire par pyromanie qui doit éteindre le feu d’un système financier hérité de la deuxième moitié du siècle dernier (V. par exemple dans la presse française : « La faute professionnelle de Christine Lagarde », Le Monde, 17 mars 2020 ; « La nuit où Christine Lagarde a sorti le grand jeu », Le Figaro, 17 mars 2020); et ce, parce que la conduite problématique de la politique monétaire dans un contexte de domination des marchés financiers a largement été passée sous silence jusqu’aux crises sanitaires nationales que nous nous connaissons de part le monde depuis décembre 2019 et alors même que des organisations aussi libérales que l’OCDE, la Banque mondiale ou le FMI suggéraient dès 2016 des relances budgétaires en matière d’infrastructures, de recherche ou de formation professionnelle et montraient par la même les limites d’action des banques centrales. La désignation de la directrice générale du FMI à la présidence de la BCE justifierait peut-être cela pour les européens. La question fort pressante posée par Peter DIETSCH, François CLAVEAU et Clément FONTAN dans un ensemble de séminaires européens et canadiens courant 2017-2018 est donc celle de savoir si les banques centrales servent encore depuis 2008-2009 l’intérêt public (DIETSCH (P.), CLAVEAU (Fr.) et FONTAN (Cl.), Les banques centrales servent-elles nos intérêts ?, Paris, Raisons d’agir éditions, 2019.). La réponse à cette question paraît évidente tant les instruments non conventionnels comme l’assouplissement quantitatif que les banques centrales utilisent depuis la crise ont des répercussions négatives indésirables, à savoir une exacerbation des inégalités de revenus et de richesse pourtant déjà considérables. Par suite et si l’on croit Forrest CAPIE et Geoffrey WOOD, « l’indépendance des banques centrales n’a jamais survécu à une crise et ne le peut pas ». Mais l’on peut affirmer aussi sans complication que seule une crise – réelle ou perçue – crée un véritable changement. Cette opportunité historique et sacrificielle est au cœur de cette « mécanique d’État » que sont la monnaie et l’institution considérée comme la plus apte à en préserver banalement la confiance : la banque centrale. Elle expose davantage le processus de légitimation du « pouvoir monétaire » en général et du « capital symbolique » de la violence et du sacré en particulier qu’est la banque centrale d’un État ou d’un espace monétaire comme l’Union européenne (CARBONNIER (J.), Droit civil, Paris, PUF, coll. Thémis Droit privé, t. 3,1992, p.27.). Cette opportunité est donc bien plus qu’une crise de souveraineté politique entendue récemment au sens étroit du pouvoir de l’État : il s’agit d’une crise de la légitimité sociale qui doit être abordée au moyen de deux autres concepts, les anticipations des agents et la crédibilité des autorités politiques (LAURENT (E.), L’économie de la confiance, Paris, La Découverte, coll. Repères – économie, 2019, p.81.). Le sujet ainsi posé rend nécessaire alors une réflexion d’ensemble sur la coordination entre politique sanitaire, politique sociale, politique économique, politique monétaire et politique budgétaire afin que l’impasse actuelle justifiée ou non par la catastrophe pandémique devienne l’inévitabilité politique d’un monde meilleur.
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