Au moins deux raisons justifient de s’intéresser 1, aujourd’hui, à l’efficacité du référé liberté pour satisfaire aux obligations que la France tient de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales2. Le vingtième anniversaire de la loi du 30 juin 20003, tout d’abord, à l’origine de ce recours, devenu une pièce maîtresse de la procédure administrative contentieuse, qui a contribué à l’affirmation du juge administratif comme un « véritable » juge protecteur des libertés, c’est-à-dire capable d’intervenir, à bref délai, pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Un autre motif de questionner la portée du référé liberté en matière de conditions de détention, tient à la jurisprudence J.M.B. c. France de la Cour européenne des droits de l’homme4, du 30 janvier 2020. Cette affaire a révélé les limites de la procédure de référé liberté, lorsqu’il s’agit de mettre fin aux conséquences individuelles d’un problème systémique, comme la surpopulation carcérale, dont la résorption nécessiterait une action administrative à grande échelle. Dans cet arrêt, la Cour a condamné la France à raison des conditions de traitement de trente-deux détenus, français et étrangers, incarcérés en métropole ou en outre-mer. Les requérants faisaient état d’un espace personnel insuffisant (moins de 3,5 m2), d’une intimité inexistante, de cellules mal éclairées, insalubres – proximité entre les toilettes et les lieux de prise des repas, présence de nuisibles – d’un déficit d’aération et de tabagisme passif. Ces conditions se prolongeaient pendant au moins quinze heures par jour5. Outre une violation de l’article 3 de la Convention, qui interdit les traitements inhumains et dégradants6, la Cour a constaté une violation de l’article 137, garantissant le droit à un recours effectif, combiné avec ce même article 3. Elle a, dans cette affaire, relevé l’ineffectivité, en pratique, du référé mesures utiles et du référé liberté8. Nous concentrerons notre analyse sur ce dernier, en ce qu’il nous semble plus symptomatique des difficultés que révèle l’affaire J.M.B. c. France, du fait de son caractère symbolique, et car le référé mesures utiles est une procédure subsidiaire, souffrant, aux yeux de la Cour, des mêmes faiblesses que le référé liberté9.
La question de l’effectivité du référé liberté se rattache à celle du rôle du juge administratif. Ce dernier se trouve, lorsqu’il connaît de questions liées à la surpopulation carcérale, pris entre l’impératif d’imposer à l’administration une obligation d’agir et celui de respecter la séparation des pouvoirs, en n’empiétant pas sur le domaine réservé à la décision politique. La jurisprudence de la CEDH pourrait ici bouleverser cet équilibre, en poussant le juge administratif à s’engager plus avant, afin de mettre fin à des situations proprement inacceptables, en l’occurrence des conditions de détentions inhumaines. L’ambition de cette étude est d’identifier les inflexions dans l’office du juge administratif des référés, que la jurisprudence de la CEDH pourrait favoriser, en ce qui concerne la question spécifique du droit à des conditions de détention dignes, voire les ajustements législatifs qui pourraient en découler. En présence d’un phénomène structurel de surpopulation, cet exercice impose de garder à l’esprit qu’une jurisprudence n’a de sens que si elle est exécutable en pratique. Ainsi, si les contraintes matérielles, que le juge administratif prend en compte, ne sauraient faire obstacle à la bonne application du droit conventionnel, elles ne doivent pas être, par principe, exclues de l’analyse.
Le référé liberté semble a priori parfaitement adapté aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de recours face aux conditions de détention indignes (I). Pourtant, des limites jurisprudentielles et temporelles, qui restreignent l’office du juge du référé liberté, amoindrissent sa portée effective, lorsqu’il s’agit de faire cesser des mauvais traitements liés à la surpopulation carcérale (II). Si un ajustement de la jurisprudence administrative pourrait, à court terme, améliorer partiellement les conditions de vie des détenus, la création d’une nouvelle voie de recours ad hoc, contournant les insuffisances du référé liberté, nous semble devoir être envisagée, pour apporter une réelle solution à la question des conditions de détention (III).
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I. Le référé liberté, un recours théoriquement adapté aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme pour mettre fin aux conditions de détention indignes
Appréciant la qualité des conditions de détention à la lumière d’un faisceau de critères, au premier rang desquels l’éventuelle surpopulation des établissements, la Cour attend des Etats parties à la Convention qu’ils mettent en œuvre des recours effectifs pour faire cesser les conditions de détention indignes (A). En permettant au juge administratif d’ordonner rapidement les mesures nécessaires pour mettre fin à une atteinte grave aux droits des détenus, le référé liberté semble a priori satisfaire pleinement aux exigences de la Cour (B).
A. Un bref rappel des principes structurants de la jurisprudence de la Cour en matière de surpopulation carcérale
Le droit à un enfermement respectueux de la Convention et le droit au recours, contre les conditions de détention ne respectant pas cet impératif, ont été affirmés de concert par la jurisprudence européenne, notamment par l’arrêt Kudła, considéré comme la « matrice » du droit à des conditions de détention conformes à la dignité humaine10. Dans cet arrêt, la Cour précise que « l’article 3 (…) impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis »11. Le contenu des exigences relatives aux conditions de détention conformes à la Convention fait, pour sa part, l’objet d’une jurisprudence riche relative, par exemple, aux recours abusifs aux fouilles à corps12, à l’isolement de longue durée13, aux restrictions au droit de visite14 ou, sujet que nous examinerons ici, à des conditions matérielles de détention, liées à la surpopulation carcérale.
Les principes généraux en matière de surpeuplement carcéral sont résumés dans l’arrêt Khlaifia et autres c. Italie ((CEDH, GC, Khlaifia et autres c. Italie, 15 décembre 2016, n° 16483/12, §§ 164‑166.)), où il est souligné que c’est d’abord à travers le critère de l’espace personnel, par définition mis à mal en cas de surpopulation, que la Cour examine la conventionnalité d’une détention dans un établissement pénitentiaire sur-occupé. Dans cette affaire, la Cour estime que « lorsque le surpeuplement atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 »15. L’exiguïté extrême d’une cellule de prison est un aspect particulièrement important pour identifier des conditions de détention dégradantes au sens de l’article 3 de la Convention16. En situation de « surpopulation sévère », c’est-à-dire lorsque l’espace personnel accordé au requérant est inférieur à 3 m²17, soit un seuil déjà en-deçà des 4m2 recommandés par le Comité de prévention de la torture (CPT)18, cet élément seul peut suffire à emporter la violation, comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Torreggiani ((Torreggiani et autres, précité, § 67. La surface de 3m2 se mesure en incluant l’espace occupé par les meubles, mais pas celui occupé par les sanitaires, dans une cellule collective (voy. Muršić, précité, §§ 110 et 114).)). Nuançant sa position, la Cour a toutefois estimé, dans l’arrêt de grande chambre Muršić, que « [l]’appréciation de la compatibilité avec l’article 3 des conditions de détention ne peut (…) se réduire à un calcul du nombre de mètres carrés alloués au détenu » dans la mesure où doit être tenu « compte du fait qu’en pratique, seul un examen de l’ensemble des conditions de détention permet d’appréhender précisément la réalité quotidienne des détenus »19. Ainsi, le fait qu’un détenu dispose de moins de 3 m2 d’espace personnel ne contrevient pas automatiquement à la Convention, mais fait naître une « forte présomption »20 de violation, laquelle ne peut être renversée que dans le cas où la réduction de l’espace personnel par rapport au minimum requis est « courte, occasionnelle et mineure » (critères cumulatifs)21 ou parce que le degré de liberté de circulation et l’offre d’activités hors cellule, ainsi que le caractère globalement décent des autres conditions de détention dans l’établissement en question22, constituent des compensations suffisantes. Dans la configuration où l’espace par détenu est compris entre 3 et 4 m2, d’autres éléments d’inconfort complémentaires peuvent être pris en compte pour caractériser la violation de l’article 3, tels qu’un manque de ventilation ou de lumière dans les cellules23, un accès limité à la promenade en plein air24, la présence de nuisibles25, l’obligation de dormir au sol dans un endroit inondé26, des restrictions dans l’accès à la nourriture27 ou un manque total d’intimité28, en particulier lorsqu’il s’agit d’accéder à des toilettes convenables et suffisamment séparées du reste de la pièce29, raison pour laquelle la Cour estime qu’une annexe sanitaire, partiellement isolée par un muret et un rideau, n’est pas acceptable dans une cellule collective30.
La Convention ne se borne pas à prévoir un droit théorique à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants en milieu carcéral. Elle fixe les conditions dans lesquelles un détenu doit être en mesure d’engager des recours « effectifs »31 permettant de mettre fin à ces situations. C’est pourquoi l’arrêt Kudła intègre aussi un rappel des principes fondamentaux du recours effectif, la Cour estimant que « l’objet de l’article 13 est de fournir un moyen au travers duquel les justiciables puissent obtenir, au niveau national, le redressement des violations de leurs droits garantis par la Convention, avant d’avoir à mettre en œuvre le mécanisme international de plainte devant la Cour »32. Pour être effectif et procéder au « redressement » attendu par la Cour, le recours doit permettre soit de prévenir la violation, soit d’y mettre fin soit, subsidiairement, d’indemniser la personne qui en a été victime. Le caractère suffisant de l’indemnisation fait lui-même l’objet d’un examen attentif, en ce qu’il conditionne l’efficacité pratique du recours indemnitaire33. Ainsi la Cour exige-t-elle qu’existent, complémentairement, des recours préventifs et indemnitaires, pour qu’un système de protection soit réellement effectif face à des conditions de détention non-conformes à l’article 334.
B. Le référé liberté, dans son principe, satisfait à tous les critères nécessaires pour mettre fin à des conditions de détention contraires à la Convention
En principe, le référé liberté satisfait aux critères du droit au recours effectif de la Convention. Tout d’abord, la Cour voit dans le juge administratif « un juge qui remplit les conditions d’indépendance, d’impartialité et de compétence »35. Au-delà de cette condition essentielle, le code de justice administrative (CJA) permet sa saisine en référé liberté y compris en l’absence de décision administrative36 et impose au juge une réaction rapide, en moins de 48h, avec une possibilité d’appel et non de simple cassation, directement devant le Conseil d’Etat37, garantissant un double degré de juridiction, en un temps restreint. Le référé liberté, ce faisant, satisfait aussi à l’exigence de célérité qu’attend la Cour38. Il peut également être regardé comme effectif en ce que le juge peut prendre des décisions contraignantes et exécutoires ((Ananyev et autres, précité, § 216.)), étant fondé à ordonner « toute mesure » pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale39.
La Cour reconnaît volontiers l’efficacité du référé liberté, jugeant que la contestation d’une décision administrative par cette procédure participe à éviter tout risque de décision arbitraire40. Il semble donc logique que le référé liberté ait été considéré comme un « formidable accélérateur de la protection juridictionnelle des droits et libertés de la personne détenue »41, a fortiori grâce à une jurisprudence ambitieuse du juge administratif. Depuis 2011, le juge du référé liberté peut en effet prendre les mesures destinées à faire cesser une carence de l’administration, lorsque cette inaction est à l’origine de l’atteinte manifestement illégale42. Désormais, il est fondé à exiger de l’administration qu’elle engage une action positive, si la préservation d’une liberté fondamentale le justifie. Selon Xavier Dupré de Boulois43, ce glissement jurisprudentiel trouve son origine dans la théorie des obligations positives liées à l’application de la Convention, lorsqu’il s’agit de protéger les droits intangibles garantis par ses articles 2 et 344. Cette jurisprudence a rapidement été appliquée à la matière carcérale, dans la célèbre ordonnance Section française de l’observatoire international des prisons de 201245.
En outre, la protection de l’article 3, « l’une des plus fondamentales valeurs de la société démocratique »46, nécessite une analyse concrète de la situation, que la Cour reconnaît comme « relative », car intégrant la durée du traitement, la situation physique et mentale du détenu, son sexe ou même son âge47. Or, justement, le référé liberté permet un examen très concret de chaque situation, le juge statuant au regard des « circonstances particulières du temps présent »48 et recherchant, au besoin, dans les conventions internationales, l’existence d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 CJA49, allant désormais jusqu’à contrôler, si l’urgence le justifie, la conventionnalité de dispositions législatives50. L’audience publique, dont la jurisprudence rendue dans le cadre de l’épidémie de covid-19 a illustré à quel point elle pouvait être déterminante dans la solution donnée au litige51, facilite cet examen concret. Ainsi la prison est-elle un espace de choix pour l’application des pouvoirs du juge en matière de référé liberté : sur ce fondement, le juge administratif a pu enjoindre à l’administration de mettre en œuvre des mesures de dératisation et de désinsectisation d’un établissement pénitentiaire52, d’y suspendre les fouilles intégrales systématiques imposées à un détenu, alors que d’autres moyens de surveillance auraient été plus adaptés53, ou d’ordonner « à l’administration de prendre, dans les meilleurs délais, toute mesure de nature à assurer et à améliorer l’accès aux produits d’entretien des cellules et à des draps et couvertures propres »54.
En comparaison, d’ailleurs, peu d’autres procédures contentieuses semblent pouvoir surpasser le référé liberté, lorsqu’il s’agit de mettre fin à des conditions de détention indignes, y compris les deux autres principaux référés fondés sur l’urgence, le référé suspension55 et le référé mesures utiles56, pour lesquels la jurisprudence n’indique pas que le juge puisse ordonner des mesures plus fortes que celles pouvant être prises sur le fondement de l’article L. 521-2 CJA. Tout au plus le référé suspension semble plus accessible, car exigeant une urgence « moindre » que le référé liberté57 et pouvant aboutir à une suspension en cas de « doute sérieux » et non d’atteinte manifestement grave et illégale58, mais en contrepartie d’un office limité à la suspension et d’un délai pour se prononcer pouvant atteindre un mois59. Quant au référé mesures utiles, il n’a qu’une vocation subsidiaire en cette matière, puisque le juge ne peut que prescrire « toutes mesures, autres que celles régies par les articles L. 521-1 et L. 521-2 du CJA »60. Pour sa part, le recours pour excès de pouvoir (REP) ne semble pas satisfaire à l’exigence de célérité posée par la jurisprudence européenne61, en ce qu’il nécessite plusieurs mois pour être conduit à son terme. Quant au recours indemnitaire, il n’a de sens qu’à titre subsidiaire, lorsque le traitement inhumain ou dégradant ayant cessé, il ne reste plus qu’à tenter de le réparer rétrospectivement.
II. Les limites à l’efficacité du référé liberté en situation de surpeuplement carcéral
En dépit des incontestables atouts de cette procédure, l’office du juge du référé liberté n’en reste pas moins limité par un cadre législatif et par des contraintes matérielles (A). Une approche critique de ces limites montre qu’elles sont, en fait, essentiellement d’ordre jurisprudentiel (B) et difficilement conciliables avec les exigences de la CEDH en matière de détention digne (C).
A. Les limites à l’office du référé liberté en matière de surpeuplement carcéral
L’adéquation théorique, entre le référé liberté et les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme, n’a pas empêché la CEDH de conclure avec sévérité à son ineffectivité, au point que Pauline Parinet-Hodimont qualifie l’arrêt J.M.B. c. France « [d]’anéantissement attendu des espoirs quant à l’effectivité du référé liberté »62, dès lors qu’est en cause le surpeuplement carcéral et les conditions matérielles de détention. Selon la Cour, « [s]i le référé-liberté semble offrir un cadre juridique théorique solide pour juger d’atteintes graves aux droits des détenus, il ne peut être considéré comme le recours préventif qu’exige la Cour (…). »63. En réalité, la Cour avait déjà soulevé des défaillances dans la portée du référé liberté. Dans l’arrêt Gebremedhin c. France du 26 avril 2007, elle avait sanctionné le fait qu’un demandeur d’asile puisse, en toute légalité, être éloigné avant même que le juge ait pu statuer, fût-ce en 48h. L’absence de caractère automatiquement suspensif du référé liberté empêchait qu’il constitue, en l’espèce, un recours effectif64 et la France dut, in fine, créer une nouvelle voie de recours automatiquement suspensive spécifique à l’asile65. Plus récemment, dans l’affaire Yengo, le référé liberté fut également en cause et ce n’est qu’à la lumière de l’ajustement de la jurisprudence observé dans l’ordonnance Section française de l’observatoire international des prisons de 2012, conduisant à une extension du champ des mesures susceptibles d’être ordonnées par le juge66, que la Cour ne remit pas son efficacité en cause, au-delà du cas d’espèce67.
Ces insuffisances sont largement liées au fait que l’office du juge dans le cadre du référé liberté est structurellement réduit. Il l’est, tout d’abord, en ce que cette procédure n’a pas pour objet de mettre fin à une mesure simplement douteuse, mais seulement à celles qui, en plus d’être graves, sont manifestement illégales68. Outre ce filtre, l’office du juge est, en plusieurs manières, guidé par le CJA : conformément à l’article L. 511-1, « le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire (…) »69, c’est-à-dire sont réversibles70. Il doit être en mesure de modifier ou de mettre fin à la mesure qu’il a ordonnée, si des éléments nouveaux le justifient71.
Réduit également l’office du juge du référé liberté, la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle « le caractère manifestement illégal de l’atteinte à la liberté fondamentale [s’apprécie] en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente »72, y compris lorsqu’est en cause un droit « absolu »73 comme le droit à ne pas subir un traitement inhumain et dégradant. Cette approche fait écho au principe selon lequel les obligations positives des Etats dans le champ des articles 2 et 3 trouvent leurs limites dans le caractère « imprévisible de la conduite humaine » ce qui écarte les obligations impossibles ou disproportionnées74. Certes, comme le rappelle Françoise Tulkens75, l’obligation n’est pas disproportionnée lorsque le risque que les autorités doivent prévenir est connu et prévisible76, ce qui est difficilement contestable pour le cas de la surpopulation carcérale. Pourtant, le fait que l’administration ne dispose d’aucun pouvoir de décision en matière de mise sous écrou et qu’une prison soit tenue d’accueillir les détenus, est un argument recevable devant le juge administratif77, pour des raisons pratiques : il ne saurait être reproché au juge d’être réaliste et il est logique qu’il n’exige pas de l’administration qu’elle héberge, dans de bonnes conditions, des détenus, lorsque les moyens pour leur assurer des conditions de détention convenable n’existent tout simplement pas78. En outre, la préoccupation de respecter la séparation des pouvoirs, si elle n’apparaît pas textuellement dans sa jurisprudence, transparaît à travers la motivation du juge. Le « choix de politique publique » et le critère matériel du domaine de la loi – donc l’apanage du législateur – évoqués ouvertement dans l’ordonnance Section française de l’observatoire international des prisons de 202079 mentionnée plus haut en sont, à notre connaissance, la manifestation la plus explicite.
L’arrêt J.M.B. c. France n’a pas conduit le Conseil d’Etat à revoir sa position, qu’il a confirmée et précisée dans une décision du 19 octobre 2020, où la Section française de l’OIP invoquait justement l’acquis de la jurisprudence européenne. La haute juridiction administrative y réaffirme que les limites de l’office du juge du référé liberté sont à la fois législatives et pratiques. Outre la question de leur réversibilité, déduite de l’article L. 511-1 CJA, le juge infère, en effet, de l’obligation qui lui est faite de statuer dans les 48h, que les ordonnances de référé liberté ne peuvent porter que sur des mesures d’urgences susceptibles de produire un effet à bref délai. Liant désormais explicitement la question des moyens de l’administration à celle de la brièveté des délais dans lesquels le juge doit se prononcer, le juge administratif semble ainsi estimer que si l’administration n’a pas, à un instant donné, les moyens de prendre des mesures qu’ordonnerait le juge, alors celles-ci ne pourraient par définition pas être prises à bref délai et sortiraient, ipso facto, du champ de compétence du juge des référés80. Ce raisonnement du juge administratif fait ainsi peser, sur le législateur, la charge d’appliquer l’arrêt J.M.B., dès lors la lettre de l’article L. 521-2 serait insuffisante81 : si les arrêts de la Cour sont déclaratoires et qu’il revient à l’Etat condamné de déterminer les moyens de s’acquitter de l’obligation qui lui incombe, alors le législateur doit intervenir, le juge étant contraint par son office82.
B. Quelques éléments critiques sur les limites à l’office du juge du référé liberté
Le raisonnement développé dans la décision du 19 octobre 2020 n’est toutefois pas exempt de fragilités, en ce que le juge déduit d’une règle procédurale – l’obligation de se prononcer en 48h – des limites matérielles quant aux mesures susceptibles d’être ordonnées, alors même que la rédaction du CJA est extrêmement large, faisant référence à « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale »83 et que, comme le constate Olivier Le Bot84, la loi n’indique ni ce que peuvent être les mesures de sauvegarde ordonnées en référé liberté, ni ne fixe de limitation quant à leur contenu. Ainsi les restrictions à l’office du juge du référé sont-elles largement d’ordre jurisprudentiel et ne sauraient être présentées comme indépassables au regard de la lettre de l’article L. 521-2 CJA. Le juge administratif a, d’ailleurs, démontré la plasticité de son office, par exemple en modulant le principe selon lequel les mesures ordonnées en référé liberté sont provisoires « sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte »85. Pour ce même motif, le juge a admis qu’il pouvait « ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d’organisation des services placés sous son autorité lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. »86. Enfin, certaines suggestions du Conseil d’Etat, formulées dans la décision du 19 octobre 2020, peuvent sembler paradoxales, par exemple lorsqu’il est recommandé aux justiciables de préférer le REP au référé liberté, au motif que le juge de l’excès de pouvoir est moins contraint par son office et pourrait donc ordonner un plus vaste panel de mesures. Or, le REP, on l’a vu, ne satisfait en principe pas au critère de célérité du recours, au contraire du référé liberté. Et si le Conseil d’Etat précise que le juge du REP pourra statuer, eu égard à la nature du contentieux « dans des délais adaptés aux circonstances de l’espèce »87, cette solution est moins sécurisante pour le requérant qu’une procédure où le juge est juridiquement contraint de statuer en 48h.
La décision du 19 octobre 2020, enfin, nous semble aller à l’encontre d’une tendance de fond au renforcement des pouvoirs du juge du référé liberté, observée pendant la crise sanitaire de 2020, qui montre, à nos yeux, que le juge détient encore une marge d’action pour élargir, en matière carcérale, son office.
Certes, la crise liée à la covid-19 a confirmé certaines grandes tendances de la jurisprudence en matière de référés. Ainsi le juge administratif a-t-il fréquemment rejeté les requêtes lui demandant d’ordonner des mesures d’ordre général, qu’elles tendent à ce que les soignants soient suffisamment équipés en protections médicales88, à prévoir des mesures spécifiques aux personnes en situation de précarité89, ou qu’elles portent sur l’administration de soin dans les EHPAD, sur les régimes de visite90 ou sur l’équipement en tests91. De même, en refusant d’ordonner des mesures générales de restriction des épandages agricoles, durant la crise sanitaire, le Conseil d’Etat s’est pleinement inscrit dans le cadre de l’office du juge des référés.
Marie-Odile Peyroux-Sissoko observe pourtant, à la faveur de la crise sanitaire, un renforcement le rôle du juge face au Gouvernement, tout en restant dans le champ de son office92. Rappelons d’abord que les limites de l’office du juge des référés n’ont pas justifié le refus du Conseil d’Etat d’enjoindre au Gouvernement de mettre en œuvre, par décret, un confinement strict de la population93, mesure dont on perçoit mal comment elle aurait pu être qualifiée autrement que structurelle, générale et portant sur un choix de politique publique : certes, le juge prend soin de rappeler le caractère en principe limité de son office en référé liberté94, mais cela ne l’empêche pas d’ensuite contrôler si le Premier ministre a, ou non, fait preuve d’une carence grave et manifestement illégale en ne mettant pas en œuvre un confinement total95. Ainsi, derrière le rappel de l’office limité du juge des référés, une inflexion nous semble avoir eu lieu, à laquelle plusieurs autres ordonnances, dans des domaines très divers, font écho. Mentionnons par exemple un obiter dictum, dans l’affaire Association Respire, où le Conseil d’Etat a intimé à l’administration de faire « preuve d’une vigilance particulière » sur la pollution et, au besoin, de prendre préventivement des mesures destinées à éviter la survenue ou la durée des franchissements des seuils au besoin en limitant les pratiques agricoles polluantes96, recommandation qui dépasse la simple mesure d’urgence et de portée limitée et s’approche de la mesure structurelle et générale. De même, en précisant de sa propre initiative qu’il appartient à l’Etat d’assurer le bon fonctionnement des services publics dont il a la charge, en mettant en œuvre les mesures de protection nécessaires aux auxiliaires de justice, éventuellement en facilitant l’accès des barreaux aux circuits d’approvisionnement, voire en les équipant de gel hydro-alcoolique si la configuration des lieux ou la nature de leur mission fait que les contacts étroits sont inévitables97, le juge accepte, sinon d’ordonner, au moins de suggérer des mesures transversales. Enfin, concernant la matière carcérale, saisi de demandes tendant à la mise en œuvre de mesures générales destinées à l’ensemble du système pénitentiaire, le juge rejette la requête, en estimant que d’autres « instructions de portée générale » ne devraient « en l’état de l’instruction » pas être ordonnées, mention qui peut être lue comme autorisant, en creux, le juge à prescrire de telles mesures générales si les circonstances le commandaient98.
Aussi, l’argument d’un office du juge du référé rigidement encadré par le législateur nous semble discutable, au regard de la souplesse jurisprudentielle dont le Conseil d’Etat a déjà su faire preuve durant les dix dernières années. Cet argument semble d’autant moins soutenable qu’il ne saurait être compatible avec l’approche retenue par la CEDH.
C. La conciliation entre les restrictions de l’office du juge des référés et les exigences conventionnelles, un objectif inatteignable ?
Les restrictions à l’office du juge du référé liberté s’articulent difficilement avec le fait que la Cour considère que le recours préventif doit « consister soit en des mesures ne touchant que le détenu concerné ou – lorsqu’il y a surpopulation – en des mesures plus générales propres à résoudre les problèmes de violations massives et simultanées des droits des détenus résultant de mauvaises conditions dans tel ou tel établissement pénitentiaire »99.
L’argument des moyens, y compris financiers, de l’administration, n’est tout d’abord pas soutenable en droit de la Convention, comme l’a de longue date tranché la Cour par l’arrêt Bourdov, où elle a considéré qu’une « autorité de l’Etat ne saurait prétexter du manque de ressources » pour ne pas se conformer à ses obligations conventionnelles100. Cette exigence s’applique également à la détention, puisqu’un « taux élevé de crime, un manque de ressources financières ou d’autres problèmes structurels ne sont pas des circonstances qui atténuent la responsabilité de l’État et justifient l’absence de mesures destinées à améliorer la situation carcérale.101 ». La Cour rejette donc le positionnement du juge conduisant à faire « dépendre son office, d’une part, du niveau des moyens de l’administration et, d’autre part, des actes qu’elle a déjà engagés ». Elle qualifie de « limité » le pouvoir d’injonction du juge administratif, qui ne peut ni « exiger la réalisation de travaux d’une ampleur suffisante pour mettre fin aux conséquences de la surpopulation carcérale portant atteinte aux droits des détenus énoncés par l’article 3 de la Convention » ni « prendre des mesures de réorganisation du service public de la justice »102. Ces motifs sont essentiels dans le constat de la violation de la Convention103, par lequel la Cour a montré, selon les termes de Julia Schmitz, que « les mesures d’urgence qui peuvent être prononcées par le juge du référé-liberté ne sont que des rustines posées sur une hémorragie systémique »104.
L’argument de la séparation des pouvoirs ne pourrait, pas plus, être objecté au raisonnement de la Cour de Strasbourg. Puisque l’État « est tenu d’organiser son système pénitentiaire de telle sorte que la dignité des détenus soit respectée105 », assurer cette préservation n’est plus un choix politique et il ne saurait y avoir de « gouvernement du juge administratif » dans l’hypothèse où le juge administratif ordonnerait des mesures tirées de l’interprétation souveraine que la CEDH fait de la Convention. Certes, il revient aux autorités nationales de choisir le moyen par lequel mettre fin à une violation106. Mais, lorsque celle-ci est systémique et suffisamment durable pour que la Cour décide de formuler elle-même des recommandations, possibilité se déduisant du caractère obligatoire des décisions de la CEDH107, prévu par le premier paraphe de l’article 46108 de la Convention, le juge national est fondé à les mettre en oeuvre. Patrice Spinosi, lors du colloque du Conseil d’Etat du 29 novembre 2019, consacré au référé109, a rappelé que le juge des référés étant soumis aux obligations positives des articles 2 et 3 de la Convention, il est, de ce fait, tenu d’imposer à l’administration d’agir, en cas d’inertie. Selon Me Spinosi, il appartient d’abord au juge d’ordonner les mesures qui s’imposent, pour conduire l’administration à débloquer les budgets nécessaires. C’est justement au nom de la séparation des pouvoirs que le juge doit s’en tenir au droit et faire abstraction des questions matérielles et budgétaires, dont il n’a en théorie pas à tenir compte dans son office.
Cette pression jurisprudentielle, qu’exerce la Cour, a de fortes chances de s’accentuer au fil du temps, si l’on en croit les termes que la CEDH convoquait déjà il y a vingt ans, dans sa jurisprudence Selmouni c. France, selon laquelle « le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques »110. En toute hypothèse, la CEDH pourrait pousser son raisonnement jusqu’à prononcer un arrêt « pilote » à l’encontre de la France111. De l’aveu de la juge O’Leary, l’objet de l’arrêt J.M.B. est d’être un « catalyseur des changements »112 et, en cas d’inertie, l’arrêt « pilote » est, en toute logique, l’étape suivante.
Selon les mots de Françoise Tulkens, cette « procédure audacieuse », qu’est l’arrêt « pilote », « repousse en quelque sorte les frontières de la nature déclaratoire des arrêts de la Cour » dans un souci de bonne application de la Convention113. Elle permettrait à la Cour de préciser et de compléter ses injonctions par un calendrier. L’arrêt « pilote » est régulièrement utilisé en matière carcérale : en 2013, la Cour a, par exemple, intimé à l’Italie de mettre en œuvre, dans un délai d’un an, un mécanisme de recours permettant de redresser le surpeuplement carcéral des prisons italiennes114. L’année précédente, dans l’affaire Ananyev c. Russie ((Ananyev et autres, précité, §§ 179-240.)), relative au surpeuplement carcéral en Russie durant la détention provisoire, elle avait imposé à la Russie de limiter le recours à la détention provisoire, de mettre en place des recours effectifs, en coopération avec le Conseil de l’Europe dans un calendrier contraignant de six mois. Dans cet arrêt, la CEDH suggère explicitement que les directeurs des maisons d’arrêt puissent refuser d’accueillir un nombre de détenus supérieur à la capacité d’accueil de l’établissement115, recommandations qui illustrent la tension entre la jurisprudence européenne et les critères d’analyse du juge administratif. Soulignons, enfin, que la Cour a condamné, le même jour que le prononcé de l’arrêt J.M.B., l’Ukraine, à raison d’une violation des articles 3 et 13, engendrée par un problème structurel lié aux conditions de détention provisoire. Contrairement au cas français, elle a décidé de recourir à la procédure « pilote », recommandant à l’Etat partie de recourir plus fréquemment à des mesures non-privatives de liberté, d’accroître l’espace dans les cellules, de procéder à des travaux préventifs et de mettre en œuvre de nouvelles voies de recours (effectives), dans un délai de dix-huit mois116.
Les recommandations, adressées à la France dans l’arrêt J.M.B., ressemblent d’ores et déjà à celles formulées dans ces arrêts « pilotes », raison pour laquelle Me Spinosi a qualifié cette jurisprudence de « quasi-pilote »117. La Cour y demande ainsi explicitement à la France de résorber définitivement la population carcérale, notamment en modifiant les règles de calcul des établissements pénitentiaires. Elle lui demande également de créer d’un recours préventif effectif, permettant de « redresser la situation » des détenus exposés à des traitements inhumains et dégradants118.
III. Quelques pistes jurisprudentielles et législatives pour un recours effectif en matière de conditions de détention indignes
A défaut d’un bouleversement du cadre jurisprudentiel applicable au référé liberté, un ajustement à la marge de la jurisprudence administrative pourrait toutefois s’envisager, pour mieux traiter les conditions de détention indignes (A). Cependant, seule la création, par la loi, d’une voie de recours ad hoc, qui corrigerait les insuffisances du référé liberté en cette matière, nous semble pouvoir constituer une solution satisfaisante et durable (B).
A. Des ajustements modérés à la jurisprudence en matière de référé liberté pourraient s’envisager à court terme
Par sa décision du 19 octobre 2020, le Conseil d’Etat semble donc avoir définitivement fermé la porte à un infléchissement majeur de sa jurisprudence quant à l’office du juge du référé liberté. Si, on l’a vu, son raisonnement est critiquable à certains égards, plusieurs arguments justifient aussi cette position du juge administratif. Rappelons qu’ordonner la construction de nouvelles prisons ou des travaux lourds, sur les établissements en fonctionnement, impliquerait une logistique coûteuse pour répartir en attendant les détenus dans d’autres établissements, conséquences qui semblent vertigineuses quand mises en perspective avec une requête individuelle. Si le juge peut certes avoir à l’esprit le caractère systémique de la surpopulation carcérale, il n’est pas certain qu’il soit fondé à le réintégrer dans une affaire individuelle, pour ordonner des travaux d’ordre général. En outre, ceux-ci ne seraient eux-mêmes qu’une solution imparfaite. Même en imaginant – solution strictement théorique et caricaturale – que le juge ordonne à l’administration la rénovation complète et l’extension d’un établissement carcéral, le recours n’en serait pas plus effectif, en ce qu’il mettrait des mois à produire ses effets et la situation des détenus n’en serait pas améliorée à court terme.
Ces contraintes ne font, en revanche, pas obstacle à des ajustements modérés de la jurisprudence administrative en matière de conditions de détention, lesquelles pourraient être explorées à droit constant. Il en irait ainsi de l’injonction à l’administration de procéder à des transferts de détenus vers d’autres établissements, à condition de ne pas porter atteinte, ce faisant, à la vie privée et familiale du détenu119. Julia Schmitz a, sur ce sujet, montré qu’une jurisprudence plus favorable au détenu pourrait s’envisager, au regard de l’appréciation pour le moment restrictive du juge administratif120. Cette solution n’est que partielle et insatisfaisante, du fait de l’indépassable contrainte matérielle : où transférer le détenu lorsque la violation survient dans une collectivité d’outre-mer, où il n’y a qu’un seul centre de détention ? Où transférer un détenu lorsque les établissements proches sont également vétustes ou surchargés ?
Une autre voie d’amélioration pourrait être de chercher à réduire le sentiment d’inconfort du détenu, en agissant sur les leviers susceptibles d’être réellement activés, dans la pratique. Le juge administratif s’inscrirait ainsi dans une logique similaire à celle de la Cour, pour laquelle le mauvais traitement doit atteindre un « seuil minimum de gravité » et dépend, outre des faits, des circonstances de l’espèce, telles que les effets physiques ou psychologiques de la détention, ainsi que la situation de la victime (âge, santé)121. Cette appréciation, paradoxalement relative122 de l’atteinte à un droit absolu, enseigne qu’il est possible de chercher à éviter la violation, non pas en agissant sur la surpopulation elle-même, mais en prévenant le cumul des critères pour ainsi éviter le dépassement du seuil de souffrance matérialisant la violation123. Schématiquement, le juge administratif pourrait ordonner à une prison d’améliorer drastiquement l’éclairage des cellules, de refaire les fenêtres, ou d’améliorer la ventilation, voire d’augmenter le nombre des promenades ou des prestations hors cellule, afin que les détenus soient confrontés certes à une situation, irrésolue, de surpopulation, mais partiellement « compensée » par des conditions de détention dignes par ailleurs. Il s’agirait déjà d’une ambitieuse de l’office du juge administratif : ordonner des travaux à l’échelle d’un établissement constitue une tâche lourde, accroître les promenades une mesure d’organisation complexe et coûteuse. Mais cette perspective nous semble toutefois plus réaliste qu’ordonner la construction de nouvelles prisons ou de cellules plus grandes. En outre, ce glissement jurisprudentiel s’inscrirait dans la suite de mesures que le juge a déjà pu ordonner, par exemple en matière d’élimination des nuisibles124, en constituant durcissement proportionné de la jurisprudence, sans impliquer pour autant une rupture drastique.
Dans une approche plus individuelle, s’il ne souhaite pas ordonner des mesures d’une telle ampleur, le juge pourrait, selon les termes d’Anne Jennequin, faire de la vulnérabilité du détenu le « point d’ancrage de l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », qui s’appuierait sur un examen plus subjectif de la situation de chaque détenu, au regard de son ressenti et de sa perception, en tant qu’individu vulnérable125, ce qui supposerait un changement de logique dans l’approche jusqu’ici retenue par le juge administratif, notamment en période d’état d’urgence, tendant à s’appuyer plutôt sur les consignes globales passées aux établissements pénitentiaires, que sur la situation propre à chaque requérant126.
Enfin, plus prosaïquement, la voie de l’astreinte, disposition applicable au référé liberté127, pourrait être plus intensément exploitée, notamment pour assurer l’exécution par l’administration des mesures ordonnées précédemment lorsqu’elles n’ont pas été suivies d’effet128. Un recours généralisé à l’astreinte inciterait de facto l’administration à procéder aux rénovations nécessaires, faute de faire face à des dépenses contentieuses élevées et croissantes. Dans sa décision du 19 octobre 2020, le Conseil d’Etat invite d’ailleurs les requérants à se saisir de cette faculté dans le cas où des décisions rendues par le juge administratif ne seraient pas suivies d’effet129.
B. Vers la création d’une nouvelle voie de recours spécifique en matière de conditions de détention indignes ?
L’arrêt J.M.B. a également eu des conséquences sur la jurisprudence de la Cour de cassation et sur celle du Conseil constitutionnel, ce qui invite à penser la gestion de la surpopulation carcérale d’une manière systémique, transcendant à tout le moins la séparation entre les deux ordres administratif et judiciaire.
En effet, la réduction d’une peine d’emprisonnement a déjà été identifiée par la Cour comme un moyen valable pour compenser des conditions de détention contraires à l’article 3130. Alors que l’arrêt Yengo avait montré que les procédures permettant une libération anticipée pour motif de santé demeuraient trop lentes et nécessitaient des éléments difficiles à prouver (mise en danger grave de la santé physique ou morale du détenu)131, la récente jurisprudence de la Cour de cassation a, au moins partiellement, rebattu les cartes. Mentionnant explicitement l’affaire J.M.B. c. France, la Cour de cassation a rompu avec sa jurisprudence initiale, selon laquelle une atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention pouvait engager la responsabilité de la puissance publique, mais pas constituer un obstacle légal au placement en détention provisoire132. Elle estime désormais que, si un requérant placé en détention provisoire fournit, dans sa demande de mise en liberté, des éléments « crédibles, précis et actuels » pour justifier d’une éventuelle violation de l’article 3 de la Convention, existe alors un commencement de preuve du caractère indigne de la détention et le requérant doit être mis en liberté. Le juge peut, le cas échéant, ordonner son assignation à résidence avec surveillance électronique ou un contrôle judiciaire. Il est difficile, à ce stade, de déterminer si Cour de cassation choisira d’étendre sa jurisprudence au-delà du seul cas, très spécifique, de la détention provisoire, qui concerne des détenus présumés innocent. Il est, de plus, délicat d’anticiper avec certitude les conditions d’application, par les juges des libertés et de la détention (JLD), de cette jurisprudence nouvelle133. Reste que d’autres terrains d’application pourraient s’envisager, par exemple si la Cour de cassation venait à suggérer la prise en compte des conditions de détention, dans la décision des juridictions de l’application des peines d’accorder ou non une liberté conditionnelle134.
La question sera probablement résolue par le législateur, auquel il reviendra de tirer les conséquences de la décision Geoffrey F. du 2 octobre 2020135, où le Conseil constitutionnel a reconnu que l’interprétation du code pénal, selon laquelle aucun recours devant le juge judiciaire ne permettait au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité, était contraire à la Constitution. Bien que se limitant au cas de la détention provisoire, point sur lequel le Conseil constitutionnel était saisi, ce raisonnement a vocation à s’appliquer à l’ensemble des conditions de détention, le fait d’avoir été, même définitivement, condamné, ne justifiant pas une atteinte à la dignité humaine, principe absolu et ne souffrant aucune dérogation136.
Il est possible que les conséquences de la censure constitutionnelle, dont l’entrée en vigueur a été fixée au printemps 2021137, soient traitées en même temps que la réponse à l’appel adressé par le Conseil d’Etat au législateur quant à la portée du référé liberté. Reste, dans cette hypothèse, à s’interroger sur ce que serait, ou pourrait être, le ou les nouveau(x) recours créé(s) pour tirer à la fois les conséquences des jurisprudences constitutionnelle et administrative. Se conformer à la QPC Geoffrey F. implique au moins une approche individuelle, tendant à considérer qu’une personne exposée à des conditions de détention indigne doit pouvoir y échapper, au besoin via un aménagement de peine, sur décision du JLD, durant la détention provisoire, ce qui reviendrait à codifier la jurisprudence de la Cour de cassation. Un raisonnement similaire pourrait être appliqué après la condamnation, en confiant cette décision au juge d’application des peines, dont la marge d’action sera toutefois plus limitée. En effet, une libération ou un ajustement est parfois impossible, au regard de la gravité des crimes commis ou du danger que représente la personne incarcérée, raison pour laquelle une intervention efficace du juge administratif semble indispensable, pour ordonner une amélioration des conditions de la détention, lorsque celle-ci est appelée à perdurer.
L’introduction, devant le juge administratif, d’une nouvelle voie de recours, spécifique aux conditions de détention, pourrait donc s’envisager, sous la forme d’un « entre deux », entre recours au fond et référé liberté. Dans le cadre de ce recours, habilité par le législateur, le juge administratif serait fondé à ordonner des mesures structurelles, notamment des travaux lourds, destinées à mettre fin à des conditions de détention indignes. Il ne serait pas nécessaire que le recours s’appuie expressément sur une décision de l’administration pénitentiaire, la matérialisation d’un traitement indigne pouvant être identifiée à une forme de carence fautive de celle-ci. Toutefois, comme dans un recours au fond à l’encontre d’une décision administrative, le juge statuerait en formation collégiale, dans un délai lui permettant d’examiner l’affaire de manière approfondie, avant de se déterminer. Pour ménager un équilibre entre cette latitude laissée au juge et l’exigence de célérité du recours, il pourrait ainsi être contraint de statuer en deux ou trois mois. Dans sa décision, il lui reviendrait de fixer des délais pour la mise en œuvre, éventuellement échelonnée dans le temps, des mesures qu’il ordonne.
En parallèle de ce recours, pour permettre la résorption à très court terme des atteintes les plus graves, un référé spécifique pourrait être créé, devant un juge unique distinct de ceux participant à la formation de jugement, afin d’éviter tout préjugement ou déjugement. Via cette procédure, le requérant pourrait demander au juge d’ordonner, à titre conservatoire, des mesures d’urgences permettant d’améliorer à très court terme ses conditions de détention. Charge ensuite à la formation collégiale de les confirmer ou de les réformer. Cette procédure de référé, spécifique à la question des conditions de détention, reprendrait les garanties qui ont fait le succès du référé liberté : les mesures d’urgences pourraient être ordonnées sous 48h, ne se limiteraient pas à la suspension d’une décision formalisée ou révélée et pourraient impliquer des injonctions à l’administration. Leur objet, cependant, ne serait plus de préserver une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale, mais de permettre des conditions de détention respectueuses de la dignité humaine.
*
En matière de surpopulation carcérale, le juge administratif est aujourd’hui confronté à un dilemme : celui de soit respecter à la lettre le droit international, soit de maintenir une position plus réservée, fondée sur le respect de la séparation des pouvoirs et sur un principe de réalité. Toujours est-il qu’aucune norme écrite ne l’empêche formellement d’adapter sa jurisprudence. Plus encore, en s’en tenant à la stricte obligation juridique, la jurisprudence de la Cour est explicite quant à l’obligation faite à la France, et par conséquent aux juges internes, d’agir à un niveau structurel pour mettre fin aux mauvais traitements liés à la surpopulation carcérale.
Selon nous, un infléchissement, même limité, de la jurisprudence administrative, articulé avec la jurisprudence de la Cour de cassation, peut contribuer à cet objectif. Il pourrait, au moins, juguler à court terme le risque de nouvelle violation de la Convention et éviter à la France de faire l’objet d’un arrêt « pilote ».
Le juge ayant fait le choix de ne pas étendre, par la voie jurisprudentielle, le champ de son office en matière de référé liberté, la création, par la loi, d’une voie de recours spécifique à l’amélioration des conditions de détention nous semble cependant inévitable à terme. Et s’il appartiendra au juge judiciaire d’agir sur le levier – parfois essentiel, comme a pu l’illustrer la crise sanitaire138 – qu’est l’aménagement de la peine, c’est bien au juge administratif que reviendra la tâche de contraindre l’administration à agir dans un sens ou dans l’autre, raison pour laquelle il ne saurait être oublié par le législateur.
Reste que l’on peut regretter que le référé liberté se trouve ainsi limité dans sa portée et soit, finalement, inadapté à produire, en matière carcérale, les effets attendus d’un recours conforme à cette maxime du Huron de Rivero : « la justice est faite pour le justiciable » et « sa valeur se mesure en termes de vie quotidienne »139. Cela est d’autant plus vrai pour celui qui est enfermé plus de dix heures chaque jour.
- L’auteur tient à remercier les relectrices et relecteur de cette publication, pour leurs précieuses observations et corrections. Il souhaite adresser un remerciement tout particulier à M. François Sobry, pour ses éclairages quant à l’office du juge administratif. Les positions, exprimées dans cette publication, reflètent ses seules opinions de l’auteur et ne sauraient engager, d’une quelconque manière, les autorités administratives ou les juridictions françaises. [↩]
- Ci-après « la Convention ». [↩]
- Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives. [↩]
- Ci-après « la Cour » ou « la CEDH ». [↩]
- CEDH, 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c. France, requêtes nos 9671/15 et 31 autres, voy. par ex. les §§ 30, 53, 60, 72, 240, 251, 303 et s. [↩]
- Article 3 de la Convention : interdiction de la torture – « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ». [↩]
- Article 13 de la Convention : droit au recours effectif – « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. ». [↩]
- Procédures fixées respectivement aux articles L. 521-3 et L. 521-2 du code de la justice administrative (CJA). [↩]
- L. 521-3 CJA ; J.M.B., précité, § 220. [↩]
- Françoise TULKENS, « Les prisons en Europe. Les développements récents de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Déviance et Société, vol. 38, no. 4, 2014, pp. 425-448 ; voir aussi Béatrice BELDA, « L’innovante protection des droits du détenu élaborée par le juge européen des droits de l’homme », in Actualité juridique. Droit administratif, 2009, p. 406. [↩]
- CEDH, GC, Kudła c. Pologne, 26 octobre 2000, n° 30210/96, § 94. [↩]
- CEDH, Frérot c. France, 12 juin 2007, n° 70204/01 ; CEDH, Khider c. France, 9 juillet 2009, n° 39364/05 ; CEDH, El Shennawy c. France, 20 janvier 2011, n° 51246/08. Voy. aussi : Julien PORTIER, « L’acquis jurisprudentiel de la CEDH en matière de fouilles à corps en milieu carcéral », in Actualité juridique. Droit administratif, 2019, p. 1738. [↩]
- CEDH, 17 avril 2012, Piechowicz c. Pologne, n° 20071/07 ; CEDH, 29 mai 2018, Hansen c. Norvège, n° 48852/17. [↩]
- CEDH, 28 mai 2019, Chaldayev c. Russie, n° 33172/16 ; CEDH, 18 février 2020, Kungurov c. Russie, n° 70468/17. [↩]
- Khlaifia et autres, précité, §§ 164 et s. [↩]
- CEDH, GC, 20 octobre 2016, Muršić c. Croatie, n° 7334/13, § 104. [↩]
- Voy. p.ex. CEDH, Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09 et al., § 68. [↩]
- Torreggiani et autres, précité, § 68. L’intitulé officiel du CPT est désormais « Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Cet organe du conseil de l’Europe est chargé de la mise en œuvre de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants entrée en vigueur en 1987. [↩]
- Muršić, § 123. [↩]
- Muršić, précité, §§ 124. [↩]
- Muršić, précité, §§ 129 et 130. [↩]
- Muršić, précité, §§ 122 et s. [↩]
- Torreggiani et autres, précité, § 69. [↩]
- Voy. par ex. CEDH, 21 juin 2011, Yevgeniy Alekseyenko c. Russie, n° 41833/04, §§ 88-89 ; CEDH, 17 janvier 2012, István Gábor Kovács c. Hongrie, n° 15707/10, § 26. [↩]
- CEDH, 10 janvier 2012, Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 159. [↩]
- CEDH, 23 juillet 2020, Lautaru et Seed c. Grèce, n° 29760/15, § 58. [↩]
- Lautaru et Seed, précité, § 61 et 63. [↩]
- Voy. p. ex. CEDH, 15 décembre 2015, Szafransky c. Pologne, no 17249/12, §§ 39-41. [↩]
- Ananyev et autres, précité, §§ 156 et 157. [↩]
- CEDH, 25 avril 2013, Canali c. France, n° 40119/09, § 52. [↩]
- Pour un développement approfondi de la notion d’effectivité et un rappel des riches débats doctrinaux quant aux différentes acceptions possibles du mot, voy. Julien BETAILLE, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustration en droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, thèse dirigée par Michel Prieur, soutenue publiquement le 7 décembre 2012. [↩]
- Kudła, précité, § 152. [↩]
- Voy. p. ex. CEDH, 19 novembre 2020, Barbotin c. France, requête n°25338/16, §§ 57 à 59 : détenu dans des conditions attentatoires à la dignité humaine, le requérant avait engagé recours indemnitaire. Il avait obtenu 500€ d’indemnité à l’issue d’une période de détention indigne de quatre mois, somme qu’il estimait insuffisante. En outre, avaient été mis à sa charge des frais d’expertise à hauteur de 773,57 €, ce qui l’avait finalement conduit à être débiteur de l’Etat, à hauteur de 273,57 € (§ 30). Si le recours indemnitaire est, en théorie et dans son principe, effectif aux yeux de la Cour, en l’espèce, la modicité de la somme versée au requérant, comparée à une détention dans des conditions de détention contraires à la dignité humaine, a privé le recours de son effectivité en méconnaissance de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention. La Cour a finalement condamné la France à verser au requérant 2 000 € au titre du préjudice moral plus 1 500 € au titre des frais et dépends (§67). [↩]
- CEDH, déc., 14 novembre 2017, Domján c. Hongrie, n° 5433/17, § 25 ; Kudła, précité, § 157 et 158. [↩]
- CEDH, GC, 13 décembre 2012, De Souza Ribeiro c. France, n° 22689/07, § 92 ; CEDH, 15 mai 2015, Hirtu et autres c. France, n° 24720/13, §§ 87 et 89. [↩]
- Art. L. 521-2 CJA. [↩]
- Art. L. 523-1 CJA. [↩]
- CEDH, 4 mai 2006, Kadikis contre Lettonie n°2, n°62393/00, § 62. [↩]
- Art. L. 521-2 CJA. [↩]
- Voy. p. ex. CEDH, dec., 15 avril 2020, Astruc c. France, n° 5499/15, § 47. [↩]
- Anne JENNEQUIN, « Les référés administratifs d’urgence à l’épreuve des décisions pénitentiaires», Revue des droits et libertés fondamentaux, 2017 chron. n°37 (www.revuedlf.com), consulté le 23 juin 2020. [↩]
- CE, ord., 16 novembre 2011, Ville de Paris et SEM ParisSeine, n° 353172. [↩]
- Xavier DUPRE DE BOULOIS, « On nous change notre…. référé-liberté (obs. sous CE ord., 22 mars 2020, n°439674) », Revue des droits et libertés fondamentaux, 2020 chron. n°12 (www.revuedlf.com), consulté le 9 juin 2020. [↩]
- Pour ce qui concerne le droit à la vie, par exemple, il revient à l’Etat de « prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction » en prenant « toutes les mesures requises pour empêcher que la vie [du requérant] ne soit inutilement mise en danger. », y compris en édictant les réglementations nécessaires à la protection des personnes dans les espaces publics. Voy. CEDH, 9 juin 1998, L.C.B. c. Royaume-Uni, n° 14/1997, voy. aussi CEDH, 16 octobre 2008, Renolde c. France, n° 5608/05, § 110. [↩]
- CE, ord., 22 décembre 2012, Section française de l’observatoire international des prisons et autres, nos 364584, 364620, 364621, 364647. [↩]
- CEDH, GC, 6 avril 2020, Labita c. Italie, n° 26772/95, § 119. [↩]
- Voy. p. ex. CEDH, GC, 17 septembre 2009, Enéa c. Italie, n° 74912/01, § 55 ; CEDH, Potoroc c. Roumanie, 2 juin 2020, n° 37772/17, § 61. [↩]
- Voy. p.ex. CE, ord., 26 mars 2020, GISTE, ADDE et autres, n° 439720. [↩]
- CE, ord., 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin, n° 245697. [↩]
- CE, Ass., 31 mai 2016, Mme Gonzalez-Gomez, n° 396848. [↩]
- CE, ord., 8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière et autres, n° 439821 ; CE, ord., 8 avril 2020, Section française de l’observatoire international des prisons et autres, n° 439827. Dans ces deux affaires, le juge administratif fait explicitement référence aux échanges ayant eu lieu au cours de l’audience, comme un critère déterminant dans la solution apportée au litige. Voy., pour l’ordonnance n° 439821, les paragraphes nos 13, 16, 18 et 19. Voy., pour l’ordonnance n° 439827, les paragraphes nos 18, 23, 28, 29 et 31. [↩]
- CE, 22 décembre 2012, précitée. [↩]
- TA Cergy, ord., M.G…, 13 janvier 2020, n° 2000114. [↩]
- CE, ord., 30 juillet 2015, Section française de l’observatoire international des prisons, n°392043, 392044, § 20. [↩]
- Art. L. 521-1 CJA. [↩]
- Art. L. 521-3 CJA. [↩]
- Voir en ce sens « Le référé », colloque du vendredi 29 novembre 2019 au Conseil d’État – Table ronde n° 2 – L’urgence (11h15 – 12h30) – Intervention du professeur Benoît Plessix. [↩]
- Art. L. 521-1 CJA. [↩]
- « Les procédures d’urgence », Fiches pratiques du Conseil d’Etat (https://www.conseil-etat.fr), consulté le 29 juillet 2020. [↩]
- CE, Section, 27 mars 2015, Section française l’Observatoire international des prisons, n° 385332. [↩]
- Nicolas FERRAN, « La personne détenue encore à la recherche de son juge en France », Déviance et Société, vol. vol. 38, no. 4, 2014, pp. 469-489. [↩]
- Pauline PARINET-HODIMONT, « Le référé-liberté face aux conditions de détention : la France doit revoir sa copie ! », Revue des droits et libertés fondamentaux, 2020 chron. n°25 (www.revuedlf.com). [↩]
- J.M.B., précité, § 220. [↩]
- CEDH, 26 avril 2007, Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, n° 25389/05, §§ 53 à 67. [↩]
- Loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, art. 24. [↩]
- CE, 22 décembre 2012, précitée. [↩]
- CEDH, 25 mai 2015, Yengo c. France, n° 50494/12 : condamnation de la France pour l’absence de recours effectif permettant de mettre fin à des conditions de détention inhumaines et dégradantes au centre pénitentiaire de Nouméa. [↩]
- Art. L. 521-2 CJA. [↩]
- Olivier LE BOT, « Référé-liberté à la maison d’arrêt de Nîmes », Actualité juridique. Droit administratif, 2015, p.2216. [↩]
- CE, ord., 24 janvier 2001, Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis, n° 229501 : par exemple, le juge administratif ne peut, au titre des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2, prononcer l’annulation d’une décision administrative. [↩]
- Art. L. 521-4 CJA. [↩]
- CE, 30 juillet 2015, précitée, § 19. Précisons que le juge administratif prend également en compte les moyens de l’administration dans le cadre du référé suspension, par exemple en refusant de suspendre le placement de détenus en quartier disciplinaire, en retenant « que l’administration n’était pas en mesure de proposer une solution alternative à la mise à l’isolement dans les quartiers disciplinaires eu égard, notamment, au taux d’occupation de 130 % de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et à la vétusté des locaux », dans une logique de préservation de l’ordre public (CE, 9 avril 2008, Section française de l’Observatoire international des prisons, n° 311707). [↩]
- J.M.B., précité, § 191. [↩]
- Françoise TULKENS, op. cit. [↩]
- Françoise TULKENS, op. cit. [↩]
- CEDH, 3 avril 2001, Keenan c. Royaume-Uni, n° 27229/95, §§ 88-89. Voy. aussi CEDH, déc., 7 janvier 2003, Younger c. Royaume-Uni, n° 57420/00. [↩]
- CE, 30 juillet 2015, précitée, § 19. [↩]
- Pauline PARINET-HODIMONT, op. cit. [↩]
- CE, 8 avril 2020 précitée (SFIOP et autres), § 13. [↩]
- CE, 10ème et 9ème chambres réunies, 19 octobre 2020, Section française de l’OIP, n° 439372, § 6. [↩]
- CE, 19 octobre 2020, précitée, § 7. [↩]
- CE, 19 octobre 2020, précitée, § 10. [↩]
- Art. L.521-2 CJA. [↩]
- Olivier LE BOT, op. cit. [↩]
- CE, 28 juillet 2017, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 410677. Voy. aussi CE, ord., 28 mars 2020, Infin’dels et autres, n° 439693 ; CE, ord., 20 avril 2020, Ordre des avocats aux barreaux de Marseille et Paris, nos 439983, 440008 ; CE, ord., 22 mai 2020, Syndicats Jeunes Médecins (2), n° 440321 [↩]
- CE, 27 mars 2015, précitée, § 11. [↩]
- CE, 19 octobre 2020, précitée, § 11. [↩]
- CE, 28 mars 2020, précitée. [↩]
- CE, ord., Association mouvement citoyen tous migrants et autres, 9 avril 2020, n° 439895. [↩]
- CE, ord., 15 avril 2020, Association Coronavictimes et autres, n° 439910. [↩]
- CE, ord., 7 mai 2020, Ministre de la Justice c. l’Ordre des avocats du barreau de Martinique, n° 440151, §§ 33 et 34. [↩]
- Marie-Odile PEYROUX-SISSOKO, « Quel rôle pour le Conseil d’État dans le confinement des libertés ? », in Libertés publiques, Le blog Droit Administratif, 5 mai 2020, consulté le 7 juin 2020. [↩]
- Xavier DUPRE DE BOULOIS, op. cit. [↩]
- CE, ord., 22 mars 2020, Syndicat jeunes médecins, n° 439674, § 5. [↩]
- Xavier DUPRE DE BOULOIS, op. cit. ; CE, ord., 22 mars 2020, Syndicat jeunes médecins, précitée, § 8. [↩]
- CE, ord., 20 avril 2020, Association Respire, n° 440005, § 11. [↩]
- CE, 20 avril 2020, précitée (Ordres des avocats aux barreaux de Marseille et Paris). [↩]
- CE, 8 avril 2020, précitée (SFIOP et autres), § 19. [↩]
- Pauline PARINET-HODIMONT, op. cit. [↩]
- CEDH, 15 janvier 2009, Bourdov c. Russie (no 2), n° 33509/04, § 70. [↩]
- J.M.B., précité, § 218. [↩]
- J.M.B., précité, § 217. [↩]
- J.M.B., précité, § 218. [↩]
- Julia SCHMITZ, « La CEDH, le juge du référé-liberté, et l’architecture de l’exécution des peines privatives de liberté (commentaire sous CEDH, 31 janv. 2020, J.M.B. et autres c. France, Req. n° 9671/15) », Revue des droits et libertés fondamentaux, 2020 chron. n°46 (www.revuedlf.com), consulté le 7 juin 2020. [↩]
- CEDH, 22 octobre 2009, Norbert Sikorski c. Pologne, n° 17599/05, § 158, J.M.B., précité, § 218. [↩]
- CE, Sect., 4 octobre 2012, Baumet : « eu égard à la nature essentiellement déclaratoire des arrêts de la Cour, il appartient à l’Etat condamné de déterminer les moyens de s’acquitter de l’obligation qui lui incombe ainsi ; » (§ 6). [↩]
- Voy. J.M.B., précité, § 314 : « Toutefois, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à lui indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qu’il pourrait prendre pour mettre un terme à la situation constatée (…). » [↩]
- Article 46 de la Convention : force obligatoire et exécution des arrêts – « 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties. ». [↩]
- « Le référé », colloque du vendredi 29 novembre 2019 au Conseil d’État – Table ronde n° 4 – La protection des libertés publiques (11h15 – 12h30) – Intervention de Me Patrice Spinosi. [↩]
- Françoise TULKENS, op. cit. ; CEDH, GC, 28 juillet 1999, Selmouni c. France, § 101. [↩]
- L’objet d’un « arrêt pilote » est de mettre fin à une menace pour le fonctionnement efficace du système de la Convention et de faciliter la résolution la plus rapide et efficace d’un dysfonctionnement affectant la protection des droits de la Convention dans l’ordre juridique national, en conduisant à la création d’un recours interne capable de traiter des affaires similaires. S’appuyant sur l’article 46 de la Convention (force obligatoire des arrêts), la procédure consiste à identifier des problèmes structurels – donnant lieu à des affaires répétitives – pour demander aux Etats de résoudre le problème à la source. Ce faisant, la Cour dépasse le simple constat de la violation, ou non, de la Convention, puisqu’elle indique à l’Etat partie les mesures à prendre pour remédier à la situation, ce de manière claire et explicite et dans un délai donné (Nicolas FERRAN, op. cit.). [↩]
- J.M.B., précité, opinion concordante de la juge O’Leary. [↩]
- Françoise TULKENS, op. cit. [↩]
- Torreggiani et autres, précité. [↩]
- CEDH, 30 janvier 2020, Sukachov c. Ukraine, n° 14057/17, §§ 154 à 159. [↩]
- Sukachov, précité, § 160. [↩]
- « La France condamnée par la CEDH pour surpopulation carcérale », in L’Obs (en ligne), 30 janvier 2020, consulté le 29 juillet 2020. [↩]
- J.M.B., précité, § 316. [↩]
- Julia SCHMITZ, op. cit. [↩]
- Julia SCHMITZ, op. cit. [↩]
- CEDH, 6 novembre 1980, Guzzardi c. Italie, n° 7367/76, § 107 ; CEDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, n° 14038/88, § 111. [↩]
- Françoise TULKENS, op. cit. ; Kudła c. Pologne, § 84. [↩]
- Voy. en ce sens Canali, précité. Voy. aussi : CEDH, 4 mai 2006, Kadikis c. Lettonie [n° 2], n° 62393/00, § 4 ; CEDH, 20 novembre 2008, Isyar c. Bulgarie, n° 391/03, § 39. [↩]
- CE, 22 décembre 2012, précitée. [↩]
- Anne JENNEQUIN, op. cit. [↩]
- Marie-Odile PEYROUX-SISSOKO, op. cit. [↩]
- CE, ord., 19 février 2009, Syndicat autonome de la fonction publique territoriale de la Réunion, n° 324864. [↩]
- CE, 27 juillet 2015, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, n° 389007. [↩]
- CE, 19 octobre 2020, précitée, § 11. [↩]
- CEDH, déc., Dîrjan et Ştefan c. Roumanie, 15 avril 2020, nos 14224/15 et 50977/15. [↩]
- Pauline PARINET-HODIMONT, op. cit. [↩]
- Cass., crim., 18 septembre 2019, pourvoi n°19-83.950. [↩]
- Pourrait, par exemple, soulever des difficultés, la situation où le JLD devrait arbitrer entre la poursuite d’une détention provisoire, effectuée dans des conditions dégradantes et le risque d’atteinte grave à l’ordre public que ferait courir la libération d’un détenu identifié comme particulièrement dangereux. [↩]
- La libération conditionnelle permet à la juridiction compétente pour l’application des peines d’ordonner la libération d’une personne condamnée, s’il lui reste au maximum la moitié de sa peine à effectuer et si des efforts sérieux de réinsertion le justifie (hors risque de récidive et période de sûreté). La personne libérée fait par la suite l’objet d’un suivi, par un juge de l’application des peines et par un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, pendant la durée de sa peine. Elle peut en outre être soumise à des mesures restrictives de liberté ou à des obligations particulières (suivi de soin, indemnisation des victimes). Le non-respect de ces obligations expose la personne à une révocation de la liberté conditionnelle. En application de la loi de programmation de la justice du 23 mars 2019, le suivi socio-judiciaire peut, dans certains cas, s’effectuer via une surveillance électronique mobile (voy. art. 729 à 733 CPP). [↩]
- Décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre [Conditions d’incarcération des détenus], §§ 14 à 17. Cette décision fait suite à la transmission, par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, d’une QPC portant sur la conformité, au principe de sauvegarde de la dignité humaine (dont la Cour de cassation déduit un principe constitutionnel « nouveau » d’interdiction des traitements inhumains et dégradants), à la liberté individuelle, au droit à la vie privé et au droit au recours effectif, du fait que les articles 137-3, 144 et 144-1 du code de procédure pénale ne prévoient pas que le juge d’instruction, ou le JLD puisse, de manière effective, redresser la situation dont sont victimes les détenus dont les conditions d’incarcération constituent un traitement inhumain et dégradant (voy. Cass., crim., M… X…, arrêt n°1434 du 8 juillet 2020, (20-81.739). En effet, l’article 137-3 CPP se borne à imposer au JLD de motiver son choix d’ordonner ou de prolonger une détention provisoire au regard des insuffisances du contrôle judiciaire, de l’assignation à résidence, mis en balance avec l’infraction soupçonnée, sans référence aux conditions de détention. L’article 144, qui prévoit un recours subsidiaire à la détention provisoire, énumère les motifs qui justifient d’y recourir, sans mentionner qu’elle ne peut pas être mise en œuvre si elle expose le détenu à un traitement inhumain et dégradant. Or, l’article 144-1 impose au juge d’instruction, comme au JLD, d’ordonner la mise en liberté immédiate d’une personne en détention provisoire, dès lors que les conditions de l’article 144 ne sont plus remplies, ce qui n’implique pas la prise en compte de conditions de détention contraire à la Convention. De même, l’article 144-1 ne comporte pas, en lui-même, de disposition permettant de libérer une personne sur ce motif. [↩]
- Voir. Not. Muriel Fabre-Magnan , « La dignité en droit : un axiome » Université Saint-Louis – Bruxelles | Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2007/1 Volume 58 | pages 1 à 30 , ISSN 0770-2310. [↩]
- Afin d’éviter des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel a en effet choisi de reporter l’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité au 1er mars 2021 (QPC, Geoffrey F. et autre, précitée, § 19). [↩]
- La crise liée à l’épidémie de covid-19 a permis une diminution de la surpopulation carcérale, permettant une réduction de 11 500 du nombre de personnes détenues, aboutissant à la fin du mois d’avril 2020 à un taux d’occupation historiquement inférieur à 100% en moyenne et 110% en maison d’arrêt, contre 140% au début du mois de mars (Jean-Baptiste JACQUIN, « Cette crise nous apprend que la surpopulation carcérale n’est pas une fatalité » : 11 500 détenus de moins en six semaines… et après ?, in Le Monde (en ligne), 29 avril 2020, consulté le 7 juin 2020). [↩]
- Jean RIVERO, « Le Huron au Palais-Royal », Dalloz, Chronique – VI, 1962, p. 37-40, in Pages de doctrine, LGDJ, ed. 1980, p. 334. [↩]