L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation doit être salué en ce qu’il constitue un récapitulatif clair, bien que non exhaustif, des conditions de mise en œuvre des différents régimes de responsabilité susceptibles d’être invoqués en présence de dommages causés aux voisins par des travaux de construction.
Tout commence par un projet, celui consistant à faire construire deux villas individuelles, qui est rendu réalisable à travers la conclusion de plusieurs contrats liant le maître d’ouvrage à diverses entreprises. Alors que la direction des travaux est confiée à une première entreprise, leur réalisation incombe à une deuxième, tandis qu’un bureau d’études géotechniques ainsi qu’un contrôleur technique sont également sollicités.
Malheureusement, un glissement de terrain entre la propriété du maître de l’ouvrage et celle de son voisin entraine des dommages conséquents résidant non seulement dans le déplacement, mais également dans l’effondrement, d’un mur de soutènement. La société civile immobilière maître de l’ouvrage indemnise alors son voisin et reprend ledit mur, pour ensuite se retourner contre les quatre entreprises intervenues sur le chantier.
Après une première instance devant le Tribunal de Grande Instance de Nice (TGI Nice, 22 janvier 2016, RG n° 13/02691), l’affaire est portée devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui rend un arrêt le 13 septembre 2018 (CA Aix-en-Provence, 3e chambre A, 13 Septembre 2018, rôle n° 16/02034) contre lequel seront formés d’une part un pourvoi par le contrôleur technique, d’autre part un pourvoi provoqué par la SCI maître de l’ouvrage et son gérant.
La Cour de cassation prononce une cassation seulement partielle, validant ainsi une partie du raisonnement des juges du fond.
Ce faisant, elle rappelle la possibilité d’agir, en présence d’un dommage causé par des travaux de construction, sur le fondement du trouble anormal de voisinage ainsi qu’au titre des règles classiques de la responsabilité civile de droit commun. Notons immédiatement toutefois que l’action fondée sur la responsabilité du fait des choses n’est pas évoquée ici, probablement en raison de la qualité des locateurs d’ouvrage dont la responsabilité est mise en cause en l’espèce, tout au moins devant la Haute juridiction. Il apparaît en effet moins probable que le contrôleur technique, tout comme le bureau d’études géotechniques, puissent être qualifiés de « gardiens » au sens du premier alinéa de l’article 1242 du Code civil, à la différence de l’entrepreneur (pour une illustration, v. par exemple Cass. 3e civ., 10 déc. 1970, n° 69-12.183, 69-12.324, Bull. civ. III, n° 690, rendu en application de l’ancien article 1384 du Code civil ; toutefois, des doutes sont émis quant à la pertinence de l’application de ce régime de responsabilité : Ph. Malinvaud, Responsabilité des constructeurs (droit privé) : responsabilité de droit commun, spéc., œuvre collective sous la direction de Ph. Malinvaud, Dalloz, coll. Dalloz action, 2018/2019, n° 477-114, 477.124 et 477.128). Ce fondement n’a ainsi pas été soulevé dans l’affaire rapportée.
Concernant l’action engagée au titre du trouble anormal de voisinage, la Cour de cassation rejoint la Cour d’appel d’Aix-en-Provence mais uniquement dans le raisonnement qu’elle tient à l’égard du bureau d’études géotechniques. Le recours contre ce dernier, formé par le maître de l’ouvrage et le contrôleur technique, ne peut prospérer, faute de démonstration d’une causalité entre l’intervention du bureau d’études et le sinistre. C’est au regard de cette même exigence de causalité que la troisième chambre civile casse l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, au visa du « principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage », rappelant alors aux juges du fond qu’« un contrôleur technique n’est responsable de plein droit d’un trouble anormal du voisinage que s’il a réalisé une mission en relation directe avec celui-ci ». A défaut de démontrer cette causalité, la responsabilité du contrôleur technique, comme celle du bureau d’études géotechniques, ne peuvent être engagées sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage.
Il ne s’agit là que d’un rappel, mais qui a le mérite de la clarté, des conditions de mise en œuvre de la responsabilité des locateurs d’ouvrage pour les dommages causés aux voisins par la construction d’un ouvrage, sur le fondement du trouble anormal de voisinage. Outre le maître de l’ouvrage, les locateurs peuvent en effet également voir leur responsabilité engagée pour de tels dommages, sur la théorie du trouble anormal de voisinage. D’abord considérés comme des « voisins occasionnels » (« c’est reconnaître que le voisin auteur du dommage peut n’être qu’un voisin occasionnel, ce qui élargit sensiblement la palette des recours possibles du voisin victime » : A qui s’applique la théorie des troubles du voisinage, Ph. Malinvaud et B. Boubli, note sous Cass. 3e civ., 30 juin 1998, n°96-13.039, RDI 1998.647 ; v. aussi Cass. 3e civ., 22 juin 2005, n° 03-20.068, Bull. civ. III, n° 136 : « ces constructeurs (…) (étaient), pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés »), l’acception de cette dernière qualification a par la suite été jugée insuffisante pour engager la responsabilité des constructeurs visés : encore fallait-il que le locateur d’ouvrage soit identifié comme « auteur du trouble » (la troisième Chambre civile rappelle que les constructeurs sont considérés « pendant le chantier (comme) des voisins occasionnels des propriétaires lésés » mais elle écarte la responsabilité de l’entrepreneur principal en ce qu’il n’est « pas l’auteur du trouble » : Cass. 3e civ., 21 mai 2008, n°07-13.769, Bull. civ. III, n° 90). Enfin, les juges ont fini par exiger la démonstration selon laquelle « les troubles subis (sont) en relation de cause directe avec la réalisation des missions d’études de sol, de maîtrise d’œuvre, de contrôle technique respectivement confiées » aux entreprises dont la responsabilité était envisagée au titre d’un trouble anormal de voisinage (Cass. 3e civ., 9 fév. 2011, n° 09-71.570 et n° 09-72.494, Bull. civ. III, n° 21).
Cette décision permet encore de confirmer, si besoin était, l’identité des conditions de mise en œuvre de la responsabilité du locateur d’ouvrage sur ce fondement spécifique, que l’action soit engagée par le voisin ou qu’elle le soit par le maître de l’ouvrage subrogé dans les droits de ce dernier (pour la validité du recours subrogatoire exercé par le maître de l’ouvrage sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage, après indemnisation du voisin victime, v. Cass. 3e civ., 21 juillet 1999, n° 96-22.735, Bull. civ. III, n° 182). En effet, en l’espèce, l’assignation provient du maître d’ouvrage qui agissait dans le cadre de son action subrogatoire, après avoir indemnisé son voisin.
Enfin, concernant la réparation du dommage causé au voisin à travers la mise en jeu de la responsabilité civile de droit commun, à nouveau, la Cour de cassation procède au rappel des fondamentaux. Qu’il s’agisse d’engager la responsabilité contractuelle ou délictuelle d’un locateur d’ouvrage, la satisfaction des trois conditions classiques est toujours requise : et à défaut, notamment, de la démonstration d’une faute, la responsabilité civile ne pourra être retenue. La Haute Cour le rappelle ici clairement en affirmant, au visa des anciens articles 1147 et 1382 du Code civil, que « les responsabilités contractuelle et délictuelle (…) (du contrôleur technique) ne pouvaient être engagées qu’en raison d’une faute commise dans l’accomplissement de sa mission en relation de causalité avec les préjudices pris en considération ».
Nous pouvons par ailleurs rapprocher cette analyse explicite de la Cour de considérations plus implicites qu’il est possible d’également lui attribuer à propos de l’action menée à l’encontre du bureau d’études géotechniques : la responsabilité civile de droit commun du bureau n’aurait pas davantage rencontré de succès dans la mesure où la démonstration d’une faute n’était pas en l’espèce apportée, la Troisième Chambre civile prenant soin de préciser que les préconisations du rapport émis par ledit bureau attiraient l’attention sur la nécessité de prendre des « précautions particulières pour la réalisation des terrassements dans les zones de grande hauteur ». Or, l’expert avait relevé la non-conformité aux prescriptions de bon sens des études géothermiques, des terrassements réalisés de manière « inconsidérée ». Aucune faute n’étant caractérisée, la responsabilité civile du bureau d’études géotechniques ne pouvait pas davantage être engagée au regard du droit commun de la responsabilité.
Il reste désormais à attendre la réforme du droit de la responsabilité civile pour connaître le sort réservé à la problématique du dommage causé au voisin par des travaux de construction et la pérennité de ces solutions jurisprudentielles.