Il était une fois la fiducie, une belle-endormie du droit des sûretés en sommeil depuis l’Ancien Régime. Le nom de cette sûreté « au bois dormant » (Expression employée par le Pr. C. Champaud, « La fiducie ou l’histoire d’une belle juridique au bois dormant du droit français », RDAI, 1991, p. 689) n’a jamais cessé d’être murmuré aux oreilles du législateur par les acteurs des mondes juridiques et économiques, tant son cousin anglo-saxon, le trust, émerveillait par sa polyvalence. Pour bénéficier d’un outil comparable en droit français, le réveil de la fiducie a été orchestré par loi du 19 février 2007 (Loi n° 2007-211 du 19 février 2007 ; v. F. Barrière, « La fiducie : commentaire de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 », BJS, avril 2007, n° 4, p. 440 ; P. Crocq, « Le cœur du dispositif fiduciaire », RLDC, juillet-août 2007, n° 40, p. 61 ; D. Legeais, « La loi du 19 février 2007 instituant la fiducie », RTD Com., 2007, p. 431). Si l’annonce en fanfare de l’éveil de la fiducie française a été abondamment commentée, son utilisation fut et demeure discrète.
L’atonie de la fiducie-sûreté s’explique par les bouleversements pratiques provoqués par cette figure juridique baroque. Car d’originalité, la fiducie n’en manque pas ! Elle permet à un constituant de transférer la propriété de biens, droits et/ou sûretés dans un patrimoine affecté, détenu par un tiers-fiduciaire ayant pour mission de préserver les actifs cédés afin de désintéresser un créancier en cas d’inexécution de son débiteur. La fiducie n’est donc pas une sûreté réelle classique, car elle ne confère pas au créancier un droit de préférence sur un bien déterminé, mais offre à son bénéficiaire un droit d’exclusivité sur un patrimoine d’affectation (S. Farhi, Fiducie-sûreté et droit des entreprises en difficulté – étude de l’efficacité du mécanisme, préf. P.-M. Le Corre, Bibli. de Droit des Entreprises en Difficulté, LGDJ, tome 6, 2016, p. 91 et s., n° 135 et s.). Insolite par le schéma juridique qu’elle institue, la fiducie-sûreté modifie les usages « civilo-civilistes », sans toutefois rompre avec les principes classiques du droit français. En effet, le patrimoine d’affectation matérialise des développements contenus dans la théorie du patrimoine énoncée par Aubry et Rau, les pères de l’unicité patrimoniale envisageant des exceptions à la doctrine par eux énoncée (C. Aubry et C. Rau, Théorie du patrimoine, d’après l’ouvrage allemand de C. S. Zachariae, tome VI, 4ème éd., 1873, § 573, p. 2 et s.). Si la fiducie-sûreté n’ébranle pas la théorie du patrimoine, elle s’insère tout autant dans la conception du droit de propriété de l’article 544 du Code civil. Cette disposition admet que des restrictions à la propriété soient instituées par des « règlements », notamment par contrat. Malgré les limites à la propriété transférée au fiduciaire par la convention de fiducie, ce droit n’est pas un ersatz de propriété. La propriété fiduciaire constitue simplement une nouvelle incarnation des restrictions visées par cet article 544 (P. Crocq, Propriété et Garantie, préf. M. Gobert, Bibli. de Droit privé, LGDJ, tome 248, 1995, n° 235 et s.).
Outil singulier se parant des principes classiques du droit français, la fiducie-sûreté n’est pas la révolution annoncée. Mais l’asthénie pratique de cette sûreté demeure car une autre cause entrave son développement : les malfaçons du régime institué par la loi du 19 février 2007 aux articles 2011 et suivants du Code civil. Pour éclaircir le futur de la fiducie, le législateur à l’écoute des critiques des praticiens et de la doctrine a corrigé sa copie (P. Crocq, « Lacunes et limites de la loi au regard du droit des sûretés », D. 2007, p. 1354). D’abord, la loi du 4 août 2008, les conditions restrictives initialement imposées aux parties au contrat de fiducie ont été assouplies. Désormais, toutes les personnes physiques et morales peuvent constituer une fiducie et les avocats sont autorisés à exercer la fonction de fiduciaire (Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ; D. Legeais, « Modification du régime de la fiducie par la loi LME du 4 août 2008 », RTD Com., 2008, p. 835). Puis, la coordination de la fiducie-sûreté avec le droit des entreprises en difficulté a été précisée par une ordonnance du 18 décembre 2008 (Ordon. n° 2008-1345 du 18 déc. 2008 ; v. P.-M. Le Corre, « La réforme du droit des entreprises en difficulté : commentaire de l’ordonnance du 18 décembre 2008 et du décret du 12 février 2009 », D., 2009, n° 231.3, p. 98 ; F.-X. Lucas, « Les innovations introduites par l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008 : morceaux choisis », LPA, 22 avril 2010, n° 80, p. 47). Ensuite, l’ordonnance du 30 janvier 2009 a inséré aux articles 2372-1 et 2488-1 et suivants du Code civil des règles relatives à la réalisation et au rechargement de la fiducie constituée à titre de garantie de paiement (Ordon. n° 2009-112 du 30 janvier 2009 ; v. L. Andreu, « Les insuffisances de la nomenclature légale des sûretés réelles (à propos de l’ordonnance du 30 janvier 2009 portant diverses mesures relatives à la fiducie) », LPA, 5 juin 2009, n° 112, p. 5 ; P. Dupichot, « La fiducie en pleine lumière – À propos de l’ordonnance du 30 janvier 2009 », JCP G, 1er avril 2009, n° 14, I, 132). Des disparités demeuraient néanmoins entre les règles applicables au constituant personne physique et au constituant personne morale. La loi du 12 mai 2009 a harmonisé les régimes. Elle a également introduit une dérogation à l’article 2029 du Code civil, afin que la fiducie-sûreté ne disparaisse pas concomitamment au décès du constituant personne physique (Loi n° 2009-256 du 12 mai 2009 ; v. A. Cerles, « Simplification du régime de la fiducie à titre de sûreté », Rev. Dr. et Finan., juillet 2009, n° 4, comm. 124). Enfin, le régime de l’agent des sûretés a été développé par une ordonnance du 4 mai 2017 (Ordon. n° 2017-748 du 4 mai 2017 ; v. D. Legeais, « Publication de l’ordonnance relative à l’agent des sûretés », JCP E, 25 mai 2017, act. 391).
À l’aube de son quinzième anniversaire, la fiducie-sûreté serait-elle enfin arrivée à maturité ? L’auteur de ces lignes aimerait répondre positivement mais les incertitudes qui persistent dans le droit de la fiducie prescrivent une réponse négative. Notamment, la réalisation de la fiducie-sûreté demeure discutée, tant la question n’est que succinctement abordée dans le Code civil (M.-P. Dumont-Lefrand, « Le dénouement de l’opération de fiducie », Rev. Dr. et Pat., juin 2008, n° 171, p. 63.). Les articles 2372-2 et 2488-2 disposent que la fiducie-sûreté est réalisée soit par l’octroi des biens au bénéficiaire, soit par la vente des actifs affectés au profit du créancier-tiers. Une précision supplémentaire est fournie : la valeur des biens doit être évaluée par un expert. Le Code civil ne donne cependant aucune indication sur la date de l’expertise des biens ou sur les modalités de la vente des actifs. Cette absence contraste avec l’abondance d’articles relatifs à la constitution et au régime de la fiducie, alors même que la prévision des modalités d’exécution est essentielle pour toute garantie de paiement. Trop rigide, l’exécution de la sûreté est un répulsif pour les créanciers qui n’utilisent pas un mécanisme n’assurant pas un paiement rapide. Trop souple, l’exécution de la sûreté rebute les débiteurs qui n’osent s’engager avec un instrument peu protecteur. Le législateur est pourtant laconique sur le sujet.
Des ambiguïtés persistent également quant à l’application du formalisme de la fiducie-sûreté (V. Perruchot-Triboulet, « Nouveaux actes notariés solennels », RLDC, juin 2009, n° 61, p. 60.). L’article 2019 du Code civil est particulièrement discuté. Il prévoit l’obligation de réaliser un écrit enregistré en cas de « transmission des droits résultant du contrat de fiducie ». Cette règle est critiquée par les praticiens du droit des affaires qui estiment qu’elle entrave la réalisation de la fiducie-sûreté. Les acteurs économiques plaident pour un assouplissement du formalisme de la fiducie, afin de développer son utilisation comme agent des sûretés. Cette nouvelle fiducie spéciale (Rap. au Président de la République relatif à l’ordo. n° 2017-748 du 4 mai 2017 relative à l’agent des sûretés) permet au fiduciaire de gérer diverses sûretés pour plusieurs créanciers réunis au sein d’une syndication bancaire. La subordination des créances et la gestion des sûretés fiduciées requièrent un régime souple, à l’instar du security trustee anglo-saxon (M. Julienne, « L’agent des sûretés : portée pratique et théorique d’une réforme », RDC, 2017, n° 3, p. 461).
Pour parfaire le régime de la fiducie, de nouvelles modifications sont envisagées. L’article 60 de la loi Pacte du 22 mai 2019 a en effet autorisé le gouvernement à réformer le droit des sûretés par voie d’ordonnance afin de parachever le travail effectué par l’ordonnance du 23 mars 2006 (C. Juillet, « L’article 60 de la loi Pacte, coup d’envoi de la réforme du droit des sûretés », JCP N, 31 mai 2019, n° 22-23, p. 1208). En 2017, un avant-projet a été réalisé par un groupe de travail présidé par le professeur M. Grimaldi, sous l’égide de l’Association Henri Capitant. Ce texte a été soumis à la consultation publique le 18 décembre 2020. À l’écoute de la pratique, l’avant-projet d’ordonnance prévoit des modifications du régime de la fiducie afin de « faciliter l’utilisation de la fiducie-sûreté en matière de crédit syndiqués » et d’« assouplir les conditions de la réalisation de la fiducie-sûreté » (Association H. Capitant, Avant-projet de réforme du droit des sûretés, Version avec indication des modifications apportées et brefs commentaires, 2017, v. ss. art. 2377, 2378, 2488-2 et 2488-3). Si les mesures envisagées vont renforcer le rôle du rédacteur d’actes et transformer le notaire en gardien de l’opération de fiduciaire, il faut néanmoins relever des atténuations à la protection des parties. Car l’avant-projet de réforme propose d’alléger le formalisme de la fiducie (I) et d’aménager l’estimation de la valeur des biens lors de la réalisation de la sûreté (II).
I. L’allégement du formalisme de la fiducie-sûreté
Lors des discussions relatives à l’introduction de la fiducie en droit français, la peur a dominé. Détournements de successions, spoliation du débiteur, fraudes et évasions fiscales constituaient les principales craintes inspirées par la fiducie-sûreté. Pour éviter que la fiducie ne soit « un enfer pavé de bonnes intentions » (Expression utilisée par J. Bertran De Balanda et A. Sorensen, « La fiducie : un enfer pavé de bonnes intentions ? Essai d’analyse critique de la loi du 19 février 2007 du point de vue des sûretés », RLDC, juin 2007, n° 17, p. 35), le législateur a alors institué un régime au formalisme strict. L’avant-projet de réforme du droit des sûretés envisage de « dé-formaliser » la fiducie-sûreté. Le projet propose d’abandonner la mention relative à la valeur des biens fiduciés dans l’acte constitutif de fiducie-sûreté (A) et de ne plus appliquer l’article 2019 du Code civil à la fiducie-sûreté (B).
A. L’abandon de la mention relative à la valeur des biens fiduciés dans l’acte constitutif de sûreté
Les articles 2372-2 et 2488-2 du Code civil imposent un formalisme constitutif rigoureux à la fiducie-sûreté. La rédaction de ces articles est identique, mais ceux-ci se distinguent par leur assiette. L’article 2372-2 est contenu dans le sous-titre du Code consacré aux sûretés mobilières et l’article 2488-2 dans le sous-titre dédié aux sûretés immobilières. Ils prévoient qu’à peine de nullité, le contrat de fiducie doit respecter les mentions imposées par l’article 2018 du Code civil, indiquer la dette garantie et la valeur des actifs cédés dans le patrimoine d’affectation. L’avant-projet de réforme propose d’alléger ce formalisme. Si l’article 2372-2 va être renuméroté et devenir l’article 2377, les modifications envisagées sont similaires à celles de l’article 2488-2. Les auteurs de l’avant-projet prescrivent d’abord de remplacer le terme « dette » par celui de « créance ». Ce changement sémantique a simplement vocation à corriger la malfaçon du texte initial. Issus de l’ordonnance du 30 janvier 2009, les articles 2372-2 et 2488-2 du Code civil imposent aux parties de mentionner le droit garanti par la fiducie-sûreté. Mais de manière inexacte, ces articles évoquent la « dette garantie » par la fiducie, alors même que le droit garanti est une créance et non une dette. Le projet d’ordonnance rectifie cette erreur.
L’avant-projet de réforme du droit des sûretés souhaite ensuite supprimer l’obligation de mentionner la valeur des biens, droits et/ou sûretés transférés dans le patrimoine affecté. Pour constituer valablement un contrat de fiducie-sûreté, seul le formalisme de l’article 2018 du Code civil et la mention de la créance garantie seraient désormais requis. Les parties auraient ainsi l’obligation de désigner les biens, droits et/ou sûretés transférés ; la durée du transfert ; l’identité du constituant ; l’identité du fiduciaire ; l’identité du bénéficiaire ou les règles permettant sa désignation ; la mission et les pouvoirs du fiduciaire ; la créance garantie. Préciser la valeur des actifs transférés dans le patrimoine affecté ne serait plus une condition de formation du contrat de fiducie, imposée à peine de nullité de la convention. La constitution de la fiducie-sûreté va donc gagner en simplicité et en célérité. En effet, estimer la valeur des biens, droits et/ou sûretés fiduciés peut s’avérer délicat, tant certains actifs ne sont pas aisément évaluables. Entre évaluations et expertises, amiables ou judiciaires, une bataille peut avoir lieu entre les parties au contrat, avant même que le transfert de propriété dans le patrimoine d’affectation ne soit réalisé. Les conflits s’accentuent d’ailleurs dès lors qu’une erreur est commise dans la détermination de la valeur des actifs fiduciés, une source de responsabilité naissant ici et alourdissant encore un peu plus le régime de la fiducie.
Pour supprimer la mention relative à la valeur des actifs cédés par le contrat de fiducie, les rédacteurs de l’avant-projet n’évoquent toutefois pas l’allégement du formalisme de la fiducie-sûreté. Ils précisent simplement que la règle « n’a aucune justification » (Association H. Capitant, Avant-projet de réforme du droit des sûretés, Version avec indication des modifications apportées et brefs commentaires, 2017, v. ss. art. 2377 et 2488-2). L’absence de justification ici évoquée se comprend eu égard au régime des autres sûretés réelles. Inscrire dans l’acte constitutif la valeur des biens appréhendés par la garantie de paiement n’est exigé ni dans le régime du gage, ni dans le régime de l’hypothèque. La désignation des biens hypothéqués ou gagés suffit à déterminer l’assiette de la sûreté. Pourquoi la fiducie devrait-elle respecter une obligation supplémentaire, source de conflits entre les parties ? Selon les auteurs du projet de réforme, il n’y a « aucune justification » à cette spécificité de la fiducie-sûreté. Afin d’harmoniser le régime des sûretés contenues dans le Code civil, l’avant-projet propose de supprimer l’obligation imposée aux parties au contrat de fiducie de mentionner la valeur des actifs fiduciés.
Une question se pose alors : pourquoi l’ordonnance du 30 janvier 2009 a-t-elle institué cette obligation dans le régime de la fiducie-sûreté ? Les fondements de cette obligation doivent être recherchés dans l’originalité du mécanisme fiduciaire car à sûreté particulière, règles particulières ! Au contraire du gage ou de l’hypothèque, la fiducie n’entraine pas la création d’un droit de préférence sur un bien demeuré dans le patrimoine du constituant. Elle emporte un transfert de propriété dans un patrimoine d’affectation détenu par un fiduciaire. Ce tiers-fiduciaire doit répondre d’obligations fiscales et comptables. Particulièrement, le fiduciaire a l’obligation de tenir une comptabilité propre au patrimoine affecté (Art. 12 du chap. IV de la loi du 19 février 2007 instituant la fiducie ; v. L. Kaczmarek, « Propriété fiduciaire et droits des intervenants à l’opération », D. 2009, p. 1845.). Tenir cette comptabilité et respecter les prescriptions légales, imposent d’évaluer la valeur les actifs du patrimoine affecté. En imposant l’estimation dans le contrat de fiducie, le législateur aidait le fiduciaire dans sa mission. Or, en supprimant cette règle, les rédacteurs de l’avant-projet étendent mécaniquement la mission du fiduciaire. Pour tenir sa comptabilité et respecter les obligations fiscales, le fiduciaire devra dorénavant procéder ou faire procéder à l’évaluation des actifs du patrimoine affecté, évaluation pouvant être source de responsabilité en cas d’erreur et pour laquelle le législateur ne donne aucune indication. En la matière, les prévisions de la convention de fiducie seront donc essentielles.
Outre la création d’un patrimoine d’affectation, la fiducie-sûreté a pour originalité d’opérer un transfert de propriété pour garantir le paiement d’une ou plusieurs créances. La préservation de la valeur des actifs affectés est alors un enjeu fondamental, tant une diminution de cette valeur est synonyme de perte de protection pour le créancier-bénéficiaire de la sûreté. Plus encore, si le constituant a pour ambition de recharger sa sûreté, la réduction de la valeur des actifs fiduciés circonscrit ses possibilités de rechargement. Pour préserver l’assiette de la sûreté, le fiduciaire est astreint à une obligation de conservation particulièrement lourde (C. Berger-Tarare, Le fiduciaire défaillant, Regards croisés en droit des biens et droit des obligations, préf. B. Mallet-Bricout, Bibli. de Droit Privé, LGDJ, tome 563, 2015 ; P. Puig, « La fiducie et les contrats nommés », Rev. Dr. et Pat., juin 2008, n° 171, p. 68). Il faut toutefois noter que le fiduciaire n’est pas systématiquement débiteur de l’obligation de conservation des actifs fiduciés. Dès lors que le constituant conserve la jouissance des actifs grâce à une convention de mise à disposition, il devient débiteur de l’obligation de conservation (S. Farhi, Fiducie-sûreté et droit des entreprises en difficulté – étude de l’efficacité du mécanisme, op. cit., n° 213 et s., p. 153 et s.). Pour déterminer la bonne exécution d’une obligation de conservation, le droit des obligations prescrit classiquement de comparer l’état des biens lors de la conclusion et de l’achèvement de la convention. Si des biens sont fiduciés, cette comparaison est réalisée sans difficulté grâce à leur description contenue dans le contrat de fiducie. Cependant, le patrimoine d’affectation ne comporte pas uniquement des biens, puisque l’article 2011 du Code civil évoque le transfert de « biens, droits et/ou sûretés ». Pour les autres actifs du patrimoine d’affectation, effectuer une comparaison d’état est une œuvre délicate et même souvent impossible. Sans mention de la valeur des actifs affectés dans le contrat, les bénéficiaires de la sûreté ne pourront que très difficilement démontrer la dégradation éventuelle des actifs et de leur valeur. Pour éviter que le débiteur de l’obligation de conservation dispose d’une quasi-immunité, les praticiens ne continueront certainement à indiquer la valeur des actifs cédés dans la convention de sûreté afin de pouvoir engager sa responsabilité en cas de diminution de la valeur de l’assiette de la fiducie.
Le toilettage des articles 2372-2 et 2488-2 du Code civil proposé par l’avant-projet de réforme tend à alléger le formalisme constitutif de la fiducie-sûreté. Ils répondent ainsi du souhait des praticiens. Cette modification a cependant pour effet de déléguer une partie de la protection des cocontractants à la convention de sûreté. L’acte de fiducie devra désormais contenir des clauses pour prémunir les contractants de toutes difficultés liées à la perte de valeur des actifs affectés. Quelle tâche périlleuse pour les rédacteurs d’actes, complexité qui sera d’ailleurs accentuée par la future inapplicabilité de l’article 2019.
B. L’inapplicabilité nouvelle de l’article 2019 du Code civil
Les articles 2372-2 et 2488-2 du Code civil traitent du formalisme imposé à la fiducie constituée à titre de garantie de paiement. Si ces dispositions précisent les mentions obligatoires que doit contenir le contrat de fiducie, elles demeurent silencieuses sur l’application de l’article 2019 alinéa 3 du Code civil. Ce texte a pourtant suscité la discussion. Il prévoit que « la transmission des droits résultant du contrat de fiducie et, si le bénéficiaire n’est pas désigné dans le contrat de fiducie, sa désignation ultérieure doivent, à peine de nullité, donner lieu à un acte écrit enregistré dans les mêmes conditions ». Les termes utilisés par le législateur sont imprécis, puisque des « transmissions » de « droits » sont effectuées à tous les stades de la vie du contrat de fiducie. Lors de la naissance de la fiducie, des droits de propriété sont transmis dans le patrimoine d’affectation. Au cours de la vie de la fiducie, le fiduciaire peut être remplacé et transmettre ses droits sur le patrimoine affecté à son successeur. Plus encore, les créanciers-bénéficiaires peuvent céder leur droit d’exclusivité sur le patrimoine fiduciaire selon les subordinations de créances existantes entre eux. À la fin du contrat de fiducie, le fiduciaire doit transférer la propriété des actifs fiduciés soit au créancier, soit au constituant, soit à l’acheteur des actifs. « Transmettre des droits » est donc l’essence de la fiducie-sûreté, transmission pour laquelle l’article 2019 alinéa 3 du Code civil impose un acte écrit et enregistré. Ce formalisme a l’inconvénient d’alourdir la mise en œuvre de la sûreté, mais assure la transparence de l’opération de fiducie-sûreté. Des critiques ont néanmoins été émises par les praticiens, ceux-ci considérant que l’article 2019 alinéa 3 ne devait pas s’appliquer lors de la réalisation de la fiducie-sûreté, mais uniquement lors de sa constitution.
Il est incontestable que les modalités d’enregistrement de la fiducie sont rigoureuses. Elles sont prévues par l’article 2020 du Code civil qui précise que l’enregistrement de la fiducie-sûreté doit être effectué au registre national des fiducies. Ce registre a été créé par un décret du 2 mars 2010 (Décr. n° 2010-219, du 2 mars 2010, JO du 4 mars 2010, p. 4442 ; v. D. 2010, 571, obs. A. Lienhard). Il n’a pas pour ambition de rendre la fiducie opposable aux tiers, mais a simplement pour objectif de lutter contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et l’évasion fiscale. Les modalités d’enregistrement au registre national des fiducies ne sont pas uniformes, elles varient selon la nature des actifs cédés dans le patrimoine d’affectation.
Si le contrat de fiducie porte sur des biens ou droits mobiliers, il doit être enregistré dans le délai d’un mois à compter de sa signature. Cet enregistrement est réalisé au service des impôts du domicile du fiduciaire ou, s’il ne réside pas en France, au service des impôts des non-résidents (CGI, art. 635-I, 8°). Comme le registre national des fiducies n’a pas pour but de permettre l’opposabilité de la convention enregistrée, le contrat peut demeurer occulte si les actifs mobiliers ne sont soumis à aucune formalité de publicité autre. Lorsque le contrat de fiducie a pour objet un bien ou droit immobilier, les formalités de publicité foncière et d’enregistrement sont confondues. Cette formalité unique, dite fusionnée, doit être effectuée dans le délai de deux mois à compter de la signature de l’acte, soit au bureau des hypothèques du lieu de situation du bien ou du droit, soit au bureau où la formalité unique était requise en premier si le bien ou le droit dépend de plusieurs bureaux (CGI, art. 647-I et -III). Grâce à cette formalité fusionnée, la fiducie est enregistrée sur le registre national des fiducies et devient également opposable aux tiers. Si le contrat de fiducie porte sur un actif mobilier ainsi que sur actif immobilier, la formalité fusionnée s’applique (P. Fumenier, J. Hayden-Miller et S. Dorin, « Le régime fiscal de la fiducie », D., 2007, p. 1364).
Les rédacteurs de l’avant-projet de réforme ont entendu la critique des praticiens et proposent d’alléger le formalisme lié à l’enregistrement de la fiducie-sûreté. Pour ce faire, ils envisagent d’ajouter un second aliéna à l’article 2372-2 qui deviendra l’article 2377, et à l’article 2488-2 du Code civil. Ces aliénas, identiques dans les deux dispositions, précisera que « l’article 2019, alinéa 3, n’est pas applicable à la fiducie conclue à titre de garantie ». L’avant-projet de réforme du droit des sûretés lève ainsi le doute sur le périmètre de l’article 2019 alinéa 3 du Code civil : il ne s’applique que lors de la constitution de la fiducie-sûreté. Pour la transmission de droits entre fiduciaires successifs, pour les cessions entre créanciers-bénéficiaires ou lors du transfert de propriété réalisé à l’échéance du contrat, l’écrit enregistré ne sera donc plus obligatoire.
En matière mobilière, l’exemption à l’article 2019 alinéa 3 est bienvenue car imposer un écrit enregistré pour réaliser une telle fiducie nuit à son développement pratique. Cette dispense ne modifie d’ailleurs pas l’opposabilité des transferts fiduciaires mobiliers. En effet, cette opposabilité provient de l’application de l’article 2276 du Code civil qui énonce qu’« en fait de meubles la possession vaut titre », et non de la publication de la sûreté sur le registre national des fiducies. En outre, la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et de la fraude ne devraient pas être perturbées, l’enregistrement de la fiducie lors de sa constitution permettant aux services des impôts de poursuivre leur œuvre en la matière.
La dispense à l’article 2019 alinéa 3 prévue dans l’avant-projet d’ordonnance ne trouble donc pas les fiducies mobilières. Et les rédacteurs de l’avant-projet justifient cette modification en évoquant indirectement les fiducies de nature mobilières. Ils précisent que « l’alinéa 2 prévoit une dérogation à l’application de l’article 2019, alinéa 3, afin de faciliter l’utilisation de la fiducie-sûreté en matière de crédit syndiqué » (Association H. Capitant, Avant-projet de réforme du droit des sûretés, Version avec indication des modifications apportées et brefs commentaires, 2017, v. ss. art. 2377). Le but est ici clairement énoncé : déverrouiller la fiducie-sûreté mobilière pour assurer son utilisation au travers du régime de l’agent des sûretés. L’agent des sûretés – fiducie spéciale – porte uniquement sur des actifs mobiliers. Dans cette opération, l’agent des sûretés reçoit des garanties de paiement à gérer, inscrire et réaliser pour les bénéficiaires de la fiducie. La nature financière – et donc mobilière – de cette fiducie spéciale impose célérité et simplicité pour sa mise en œuvre, caractéristiques que la réforme du droit des sûretés devrait lui offrir grâce à la dispense nouvellement instaurée.Une exemption à l’article 2019 alinéa 3 du Code civil est identiquement prévue pour les fiducies-sûretés immobilières. Les rédacteurs de l’avant-projet de réforme ne donnent aucune justification particulière sous le futur article 2488-2 du Code civil. La cohérence des régimes des fiducies-sûretés mobilières et immobilières sera sûrement évoquée, mais cette dispense interroge néanmoins. La formalité fusionnée actuellement imposée par l’article 2019 assure tant l’enregistrement sur le registre national des fiducies que la publication sur les registres de la publicité foncière. Pourquoi supprimer cette formalité en matière immobilière ? Est-ce à dire que l’opposabilité des cessions fiduciaires immobilières va devenir impossible ? Évidemment non ! Il faut simplement conclure que l’avant-projet dissocie l’enregistrement de la fiducie à des fins fiscales, de la publication à fin d’opposabilité du transfert immobilier.
Par la disparition de l’obligation de réaliser la formalité fusionnée lors de la réalisation de la fiducie-sûreté, il n’y aura plus de « deux en un ». La publication du transfert immobilier sur les registres de publicité foncière ne résultera plus d’une obligation légale. Cette publication ne pourra alors provenir que de la volonté des parties et devra ainsi être prévue dans une clause du contrat. Dans la convention instituant la fiducie-sûreté immobilière, le rédacteur de l’acte – le notaire – devra donc préciser que la sûreté doit être réalisée par un écrit authentique publié afin d’opposabilité de la cession immobilière. L’écrit notarié sera obligatoire, puisque seul l’acte authentique peut être enregistré sur les registres de la publicité foncière (Aux termes de l’art. 4 du décret 55-22 du 4 janvier 1955 : « Tout acte sujet à publicité dans un bureau des hypothèques doit être dressé en la forme authentique »). Le défaut de prévision du rédacteur de l’acte et l’absence de publication du transfert fiduciaire immobilier n’entrainera pas sa nullité, mais son inopposabilité aux tiers. Cette inopposabilité du transfert fiduciaire immobilier peut avoir de lourdes conséquences, notamment en cas de procédure de sauvegarde ou redressement judiciaire du constituant, les règles de paralysie de la fiducie pouvant éventuellement s’appliquer.
En déverrouillant le formalisme imposé à la fiducie-sûreté, les rédacteurs de l’avant-projet de réforme avaient à l’esprit une fiducie spéciale : l’agent des sûretés. Les retouches apportées impactent néanmoins l’intégralité du régime de la fiducie-sûreté et renforcent la place des prévisions contractuelles dans la convention instituant la sûreté. La migration d’une partie du régime de la fiducie de la loi vers le contrat se retrouve également dans les aménagements à l’estimation de la valeur des actifs lors de la réalisation de la fiducie-sûreté.
II. Les aménagements de l’estimation des actifs lors de la réalisation de la fiducie-sûreté
Objet juridique mal identifié, le patrimoine d’affectation assure la sécurité juridique du créancier titulaire de la fiducie-sûreté grâce à la mise en œuvre d’un cantonnement patrimonial d’actifs. Hors de portée des créanciers du constituant, le patrimoine affecté est un rempart protecteur qui permet à la fiducie d’être qualifiée de « reine des sûretés » (Expression employée par A. Cerles, « La fiducie : nouvelle reine des sûretés ? », JCP E, n° 36, 2054). Les actifs transférés dans le patrimoine d’affectation n’ont cependant pas vocation à y demeurer, ceux-ci devant être à nouveau cédés à l’échéance de l’opération. L’avant-projet de réforme du droit des sûretés souhaite modifier les modalités de réalisation de la fiducie. Le texte propose d’assouplir l’estimation des actifs lors de la réalisation de la fiducie-sûreté par un pacte commissoire (A) ou par la vente de ceux-ci (B).
A. La mise en œuvre de la garantie par un pacte commissoire
Le pacte commissoire est « une stipulation qui autorise le créancier à s’approprier le bien grevé en cas de défaut de paiement » (M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac et P. Pétel, Droit des sûretés, coll. Manuel, LexisNexis, 10ème éd., 2015, n° 1087, p. 815). Grâce à l’institution d’un pacte commissoire dans un contrat de sûreté, le créancier non désintéressé à l’échéance de son droit devient propriétaire des biens qui constituent l’assiette de la garantie de paiement.
Telle est la modalité naturelle de réalisation de la fiducie-sûreté évoquée aux alinéas 1 et 2 des articles 2372-3 et 2488-3 du Code civil. Ils disposent qu’ « 1. À défaut de paiement de la dette garantie et sauf stipulation contraire du contrat de fiducie, le fiduciaire, lorsqu’il est le créancier, acquiert la libre disposition du bien ou du droit cédé à titre de garantie. 2. Lorsque le fiduciaire n’est pas le créancier, ce dernier peut exiger de lui la remise du bien, dont il peut alors librement disposer ». Si la fiducie n’est pas un pacte commissoire, elle intègre néanmoins ce mécanisme (P. Crocq, Propriété et garantie, op. cit., n° 503 et s., p. 447 et s. ; A. Maynadier, « La fiducie-sûreté face au pacte commissoire : leurre ou panacée ? », JCP E, 1998, n° 24, p. 932). En cas d’inexécution du débiteur, le titulaire de sûreté est autorisé à obtenir la libre disposition des actifs fiduciés en guise de paiement. Il ne faut d’ailleurs pas se leurrer, l’expression « libre disposition » dissimule l’obligation de réaliser un véritable second transfert de propriété, matérialisant ainsi le pacte commissoire (S. Farhi, Fiducie-sûreté et droit des entreprises en difficulté – étude de l’efficacité du mécanisme, op. cit, n° 76 et s., p. 55 et s.). Les actifs fiduciés étant dans le patrimoine d’affectation, seul le titulaire de ce patrimoine peut réaliser le second transfert de propriété. C’est donc le fiduciaire qui a la charge de réaliser le pacte commissoire contenu dans la fiducie-sûreté, soit en transférant la propriété des actifs dans le patrimoine du créancier-tiers, soit en la transférant dans son patrimoine personnel.
L’avant-projet de réforme ne revient pas sur la réalisation de la fiducie-sûreté par un pacte commissoire. Le texte propose simplement de modifier la rédaction de l’alinéa 3 des articles 2372-3 et 2488-3 du Code civil. Une nouvelle numérotation doit également être indiquée, l’article 2372-3 devenant l’article 2378. Les alinéas 3 de ces articles, refondus identiquement, devraient dorénavant préciser que « En cas d’attribution du bien au créancier, la valeur est déterminée par un expert désigné à l’amiable ou judiciairement, sauf si elle résulte d’une cotation officielle sur un marché organisé au sens du code monétaire et financier ou si le bien est une somme d’argent. Toute clause contraire est réputée non écrite ». A priori, les retouches apportées aux articles 2372-3 et 2488-3 du Code civil semblent formelles.
Qualifiées de stylistiques, les modifications opérées par l’avant-projet de réforme aux alinéas 3 des articles 2372-3 et 2488-3 du Code civil sont en réalité sémantiques. Dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 30 janvier 2009, ces dispositions prévoient l’évaluation de l’actif fiducié sans viser de bénéficiaire particulier. Elles se contentent de préciser que « la valeur du droit ou du droit cédé est déterminé par un expert ». Pour réaliser le pacte commissoire contenu dans la fiducie, l’évaluation des actifs affectés est obligatoire, que le bénéficiaire soit le fiduciaire ou un créancier-tiers. Or, en précisant « en cas d’attribution au créancier », l’avant-projet de réforme sème le doute. Le terme « créancier » vise-t-il indifféremment le fiduciaire et le créancier-tiers ? Ou, faut-il comprendre que l’évaluation des actifs fiduciés ne sera obligatoire que si le pacte commissoire est réalisé au profit d’un créancier-tiers ? La question doit être posée à la lumière des alinéas 1 et de 2 ces articles, car ceux-ci distinguent le fiduciaire et le créancier-tiers. Dans les alinéas 1 consacrés au seul créancier-fiduciaire, le législateur indique qu’il peut obtenir « la libre disposition du bien ou du droit cédé ». Dans les alinéas 2 consacrés au créancier-tiers, le législateur précise que ce créancier peut « exiger la remise du bien » ou « la vente du bien ou du droit cédé ». Et les futurs alinéas 3 commencent par « en cas d’attribution du bien au créancier ». Cette expression pourrait renvoyer aux alinéas 2 qui évoquent également la remise des biens au créancier-tiers. Il pourrait donc être avancé que les rédacteurs de l’avant-projet font une référence implicite au créancier-tiers et exclut l’évaluation des biens lorsque le fiduciaire bénéficie du second transfert de propriété.
Admettre que le pacte-commissoire réalisé au profit du fiduciaire ne soit pas précédé de l’évaluation des actifs fiduciés est pourtant difficilement concevable. L’évaluation de l’assiette de la sûreté est indispensable car elle permet de déterminer si les actifs suffisent à désintéresser le créancier et si le constituant doit éventuellement bénéficier de restitutions. Il faut d’ailleurs signaler que la prohibition des pactes commissoires avant l’ordonnance du 23 mars 2006 (S. Hebert, « Le pacte commissoire après l’ordonnance du 23 mars 2006 », D. 2007, p. 2052), trouvait son fondement dans l’évaluation des biens appréhendés. En effet, la crainte d’une absence d’évaluation objective des biens, ainsi que le refus potentiel du créancier de payer une soulte, ont conduit les rédacteurs du Code civil de 1804 à interdire le pacte commissoire dans le droit des sûretés (P.-F. Girard, Manuel de droit romain, t. 2, 1978, Topos Verlag AG/Librairie Duchemin, p. 830). Si le pacte commissoire a été autorisé en 2006, le législateur a systématiquement imposé l’estimation de la valeur des biens dans le régime du gage et de l’hypothèque (pour le gage, C. civ., art. 2348 ; v. P. Crocq, Gage, Rép. Civ. D., n° 160 et s. ; pour l’hypothèque, C. civ., art. 2460).
Pourquoi la règle serait-elle différente pour la fiducie-sûreté ? Pourquoi l’évaluation des actifs fiduciés ne serait plus obligatoire lors de la réalisation du pacte commissoire au profit du fiduciaire ? Rien ne peut justifier une telle dispense. Plus encore, en combinant les différentes mutations du régime de la fiducie proposées par l’avant-projet, il faudrait conclure que la valeur des actifs ne serait plus évaluée lors de la constitution ou de la réalisation de la fiducie, sauf pacte commissoire au profit du créancier-tiers. Une telle hypothèse est inenvisageable et conduit l’auteur de ces lignes à conclure que la nouvelle rédaction des alinéas 3 des articles 2372-3 et 2488-3 n’est pas restrictive. Le terme « créancier » doit être envisagé comme général, ne distinguant pas entre le créancier-fiduciaire et le créancier-tiers.
Quel est alors l’intérêt de la modification opérée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés ? Elle entraine la confusion et impose une fois encore aux rédacteurs du contrat de fiducie d’insérer une clause supplémentaire dans l’acte de fiducie. Il faudra mentionner que l’évaluation des actifs affectés sera imposée préalablement à la réalisation de tout pacte commissoire, au profit du tiers ou du fiduciaire. L’ajout de « en cas d’attribution du bien au créancier » n’est pourtant pas dénué d’intérêt, car cette mention permet de distinguer les modes de réalisation de la fiducie. Les alinéas 3 de l’article 2372-3, futur article 2378, et de l’article 2488-3 sont consacrés à la mise en œuvre de la fiducie par pacte commissoire. Dans ce cas, un expert doit évaluer l’assiette de la sûreté. En revanche, les alinéas 4 de ces dispositions sont dédiés à la réalisation de la fiducie par la vente des biens. Dans ce cas, l’évaluation peut être réalisée par le fiduciaire ou un expert, comme nous le verrons ultérieurement.
L’avant-projet de réforme du droit des sûretés retouchent les articles 2372-3 et 2488-3 du Code civil, mais ne donne aucune précision nouvelle quant aux modalités d’évaluation des actifs fiduciés. Demain comme aujourd’hui, les alinéas 3 de ces articles précisent que l’évaluation est réalisée « expert désigné à l’amiable ou judiciairement, sauf si elle résulte d’une cotation officielle sur un marché organisé au sens du code monétaire et financier ou si le bien est une somme d’argent. Toute clause contraire est réputée non écrite ». La question du « quand » et du « comment » ne sont pas évoquées et relèvent de la convention de fiducie. En effet, le législateur ne détermine pas la date de l’évaluation des biens. Si l’estimation aura fréquemment lieu au jour du transfert de propriété, à quelle date doit être réalisé ce transfert ? Est-ce à l’échéance du droit de créance ? À l’expiration du délai prévu dans la mise en demeure de payer envoyée par le créancier ? Pour éviter toute difficulté, la date du transfert ainsi que la date de l’évaluation des actifs devront être déterminées dans l’acte instituant la fiducie (A. Dadoun, « La date du transfert de propriété en exécution du pacte commissoire », Rev. Dr. et patr. 2009, no 187, p. 42). Pareillement, les modalités de désignation de l’expert ne sont pas déterminées par le législateur, la seule indication concerne le caractère judiciaire ou amiable de la désignation. Une fois encore, la charge est déléguée au rédacteur de l’acte instituant la fiducie. Le contrat doit actuellement et devra continuer à prévoir les conditions de désignation de l’expert. Il sera très souvent désigné à l’amiable, c’est-à-dire par un accord commun des parties. Mais, en cas de désaccord, l’expert pourra être désigné judiciairement. Toutes les figures sont ici envisageables.
La philosophie de la réforme du droit de la fiducie tend à déverrouiller le régime de cette sûreté pour offrir aux praticiens une garantie de paiement adaptable à leur opération. Afin d’assurer l’adaptabilité de la fiducie-sûreté, le moyen privilégié est le contrat, le rôle du rédacteur de l’acte de fiducie-sûreté étant ainsi largement renforcé. La mission du fiduciaire est également accentuée, particulièrement lors de la vente des actifs fiduciés.
B. La mise en œuvre de la garantie par une vente
La fiducie-sûreté peut être mise en œuvre soit par un pacte commissoire, soit par la vente des actifs affectés. Cette dernière modalité de réalisation de la fiducie est prévue aux alinéas 2 des articles 2372-3 et 2488-3 du Code civil. Ils précisent que « lorsque le fiduciaire n’est pas le créancier, ce dernier peut exiger de lui la remise du bien, dont il peut alors librement disposer, ou, si le contrat de fiducie le prévoit, la vente du bien ou du droit cédé et la remise de tout ou partie du prix ». Le législateur offre un choix au bénéficiaire de la fiducie. En cas d’inexécution du débiteur, le créancier peut obtenir paiement par l’exécution d’un pacte commissoire ou par l’obtention du produit de la vente des actifs affectés. Cette seconde modalité doit être autorisée par la convention de fiducie, la vente des biens étant une dérogation contractuelle à la mise en œuvre « naturelle » de la fiducie-sûreté par pacte commissoire.
Le choix entre les différentes modalités de réalisation de la fiducie-sûreté n’est cependant pas offert à tous les bénéficiaires. En effet, les alinéas 2 des articles 2372-3 et 2488-3 du Code civil ne visent que le créancier-tiers. Ils débutent d’ailleurs par une expression éloquente « lorsque le fiduciaire n’est pas le créancier ». Le fiduciaire ne peut donc pas recevoir paiement de sa créance grâce à la vente des actifs fiduciés. Le pacte commissoire est le seul mode de réalisation de la fiducie-sûreté admis, pour le créancier qui exerce la fonction de fiduciaire. Cette interdiction est cohérente, eu égard au rôle attribué au fiduciaire en cas de vente des actifs affectés. Il est chargé de vendre ces actifs, puis de remettre le produit de cette vente au créancier titulaire de la sûreté. Si le fiduciaire pouvait ainsi réaliser la fiducie dont il est bénéficiaire, cela signifierait qu’il pourrait vendre les biens du patrimoine affecté pour se remettre à lui-même les sommes obtenues, sommes qui entreraient alors dans son patrimoine personnel. Une telle figure contractuelle, pour le moins insolite, alourdirait considérablement la réalisation de la fiducie et pourrait entrainer des dérives. Pour éviter cet écueil, le fiduciaire doit transférer la propriété des actifs affectés dans son patrimoine personnel, libre à lui de vendre par la suite.
L’avant-projet de réforme de droit des sûretés ne modifie pas la règle. Il bouleverse toutefois le rôle du fiduciaire lors de la vente des actifs affectés. Les rédacteurs de l’avant-projet prévoient d’ajouter un alinéa 4 à l’article 2372-3, renuméroté 2378, ainsi qu’à l’article 2488-3 du Code civil. Ces alinéas 4, identiques dans les deux dispositions, préciseront que « si le fiduciaire procède à la vente du bien, il le fait soit au prix fixé par expert, soit, si le contrat de fiducie le prévoit, au prix qu’il estime, sous sa responsabilité, correspondre à la valeur du bien. Dans ce dernier cas, il justifie qu’il a vendu à un juste prix ». Par l’ajout de ces alinéas 4 aux articles 2372-3 et 2488-3, les rédacteurs de l’avant-projet offrent un choix supplémentaire aux parties au contrat de fiducie. L’estimation de la valeur des biens fiduciés pourra désormais être confiée soit à un tiers-expert, soit au fiduciaire. Actuellement, l’évaluation de la valeur des biens préalablement à la vente est nécessairement accomplie par un expert désigné à l’amiable ou judiciairement. Cette modalité demeure autorisée. Mais, l’avant-projet de réforme admet la possibilité de déroger contractuellement à l’évaluation de la valeur des biens par un expert, puisque les parties pourront charger le fiduciaire de cette estimation. À l’instar du choix relatif à la réalisation de la fiducie, une clause du contrat devra expressément confier l’évaluation de la valeur des biens au fiduciaire qui sera ensuite chargé de les vendre.
Les auteurs de l’avant-projet de réforme motivent l’ajout de ce nouvel alinéa 4. Ils précisent que la modification des articles 2372-3 et 2488-3 a pour but d’« assouplir la réalisation de la fiducie-sûreté lorsque celle-ci se dénoue par le biais d’une mise en vente des biens par le fiduciaire. Le texte permet alors aux parties de dispenser le fiduciaire d’avoir à faire expertiser les biens, à charge pour lui de justifier, en cas de contestation, que le prix de cession correspond à la valeur du bien ». L’argument tient ici de l’évidence. Il est certain que si le fiduciaire n’a pas à faire expertiser par un tiers les biens préalablement à leur vente, la mise en œuvre de la fiducie-sûreté gagne en célérité. Le fiduciaire chargé de déterminer la valeur des biens n’a pas besoin d’effectuer des opérations complexes pour définir le prix des actifs. Grâce à la comptabilité qu’il a l’obligation de tenir, le fiduciaire est censé avoir connaissance de la valeur des actifs qui composent le patrimoine d’affectation. Dès la défaillance du débiteur et la mise en œuvre de la sûreté, le fiduciaire connait donc la valeur des biens qu’il peut alors vendre rapidement pour offrir prompt paiement au créancier titulaire de la garantie.
Si le fiduciaire devrait pourvoir évaluer la valeur des biens du patrimoine d’affectation afin de déterminer le prix de vente de ceux-ci, l’avant-projet ne donnent aucune indication concernant les modalités de cette estimation. Le fiduciaire pourra-t-il se contenter de se référer à sa comptabilité ? Devra-t-il justifier le prix par rapport à des éléments extérieurs ? Le texte est muet sur le sujet. Il précise en revanche que le fiduciaire sera responsable de l’estimation de la valeur et de la détermination du prix. Pour ce faire, le fiduciaire devra justifier avoir vendu les biens du patrimoine d’affectation à un « juste prix » en cas de contestation.
La notion de prix juste provient du droit de la vente. Vendre à un prix juste signifie que le prix de vente doit correspondre à la valeur du bien (O. Barret et P. Brun, Vente : formation, Rép. Dr. Imm. D., déc. 2020, n° 503 et s.). Cette notion tend à assurer la justice contractuelle entre les parties. Elle n’est toutefois pas absolue puisque les parties peuvent librement déterminer le prix du contrat de vente. Le législateur n’apporte donc que des correctifs très marginaux au prix librement fixé par les contractants (C. civ., art. 1674 qui prévoit la lésion immobilière ; CPI, art. L. 131-5 et loi 8 juil. 1907 qui prévoient une lésion mobilière). En cas de déséquilibre du prix par rapport à la valeur du bien et en l’absence de correctif légal accessible, il est fréquent que la partie déçue engage la responsabilité civile de son cocontractant afin d’obtenir des dommages-intérêts en guise de complément du prix injuste (J. Mestre et B. Fages, « Le juste prix contractuel… sous forme de dommages-intérêts », RTD Civ. 2004, p. 502). Et c’est exactement ce que prévoit l’avant-projet de réforme du doit des sûretés ! Si le fiduciaire n’a pas vendu les biens affectés à un prix juste, c’est-à-dire à un prix qui correspond à la valeur des biens fiduciés, sa responsabilité peut être engagée par le créancier-bénéficiaire ou le constituant de la sûreté. Le fiduciaire devra alors justifier le prix de vente. En l’absence de justification ou en cas de faute, la responsabilité contractuelle du fiduciaire pourra être engagée et le contraindre à verser des dommages-intérêts. Cette indemnisation permettra alors de compenser le prix de vente déterminé de manière erronée ou frauduleuse par le fiduciaire. La responsabilité civile du fiduciaire est donc utilisée comme une arme de protection du prix juste. Responsable sur son patrimoine personnel des fautes commises dans l’exercice de sa mission (C. civ., art. 2026 ; v. C. Berger-Tarare, Le fiduciaire défaillant, Regards croisés en droit des biens et droit des obligations, préf. B. Mallet-Bricout, Bibli. de Droit Privé, LGDJ, tome 563, 2015 ), lors de l’institution du contrat de fiducie, le fiduciaire ne souhaitera alors peut-être pas obtenir la charge de déterminer la valeur des biens préalablement à leur vente.
L’avant-projet de réforme du droit des sûretés prévoit d’alléger considérablement le régime de la fiducie afin d’assurer son utilisation massive. Qu’il s’agisse du formalisme ou de la réalisation de la fiducie-sûreté, une libéralisation du droit de la fiducie est en marche. En matière mobilière, particulièrement pour l’agent des sûretés, ces modifications sont les bienvenues. Mais pour les fiducies de droit commun, notamment immobilières, l’avant-projet de réforme peut faire craindre une perte de protection des contractants dont le sort va largement dépendre des prévisions de l’acte instituant la sûreté. La protection des parties change donc de camp : pleinement légale, elle devient partiellement contractuelle. La réforme du droit des sûretés rénove ainsi le rôle du rédacteur de l’acte de fiducie. Au centre de l’opération fiduciaire, le rédacteur de l’acte aura la charge grâce aux prévisions de la convention, d’adapter la sûreté selon les actifs fiduciés et les cocontractants. Quel étrange retournement de situation pour les professionnels de la rédaction d’actes : les notaires. Ils n’avaient pas souhaité exercer la fonction de fiduciaire en 2007 pour ne pas alourdir leur responsabilité (H. De Richemont, Proposition de loi instituant la fiducie, rapport n° 11, art. 2014 et 2015 : qualité des parties au contrat de fiducie, disponible sur www.sénat.fr), mais vont devenir les piliers de l’opération de fiducie.
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