AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Linda Textile a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l’État à lui verser la somme de 3 799 156,60 euros en réparation des préjudices subis du fait de l’incendie d’un entrepôt qu’elle occupait à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).
Par un jugement n° 1605915 du 23 février 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 avril et 13 juillet 2017, la SAS Linda Textile, représentée par Me A…, avocat, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de condamner l’État à lui verser la somme de 3 799 156,60 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2016, en réparation des préjudices subis du fait de l’incendie d’un entrepôt qu’elle occupait à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le préfet de la Seine-Saint-Denis ne saurait utilement lui opposer l’exception de prescription quadriennale pour la première fois en appel ;
– la destruction de l’entrepôt qu’elle occupait est survenue, au cours de la nuit du 4 au 5 novembre 2005, dans un contexte de violences urbaines généralisé, lequel est constitutif d’un attroupement ;
– la responsabilité de l’État doit, dès lors, être engagée à raison des dommages subis du fait de cette destruction en vertu des dispositions, alors en vigueur, de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, aujourd’hui reprises à l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ;
– l’État doit, par suite, réparer les préjudices de toute nature qu’elle a subi du fait de cette destruction, déduction faite des sommes versées par son assureur.
…………………………………………………………………………………………
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Illouz, conseiller,
– les conclusions de Mme Danielian, rapporteur public,
– et les observations de Me A…, représentant la SAS Linda Textile.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Linda Textile occupait, pour les besoins de son activité, un entrepôt situé à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), qui a été détruit par un incendie d’origine criminelle dans la nuit du 4 au 5 novembre 2005. Son assureur a saisi le 24 janvier 2006, tant en son nom qu’au nom de sa cliente, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise afin que soit ordonnée une expertise. Par une ordonnance du 10 mars 2006, le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à cette demande. Le rapport d’expertise a été déposé le 10 mars 2007. Par un courrier réceptionné le 15 avril 2016, la SAS Linda Textile a présenté une demande indemnitaire préalable auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis, d’un montant de de 3 799 156,60 euros, afin que l’État répare les préjudices qu’elle soutient avoir subis du fait de la destruction de son entrepôt, déduction faite des sommes versées par son assureur de façon amiable, puis en vertu de décisions du juge judiciaire. Le préfet ayant gardé le silence sur cette demande, la société a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l’État à lui verser cette même somme. La SAS Linda Textile fait régulièrement appel du jugement du 23 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, applicable aux faits de l’espèce, dans sa rédaction issue de la loi du 21 février 1996 désormais codifié à l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : » L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (…) « . L’application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l’indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés.
3. Il résulte de l’instruction que, dans la soirée du 4 novembre 2005, un groupe d’individus s’est introduit dans l’entrepôt occupé par la SAS Linda Textile et y a délibérément allumé un incendie, lequel a intégralement détruit les installations et marchandises de cette société. Toutefois, la circonstance que ces faits, commis par des individus isolés, se sont déroulés au cours d’une nuit durant laquelle des violences urbaines ont été commises en attroupement sur l’ensemble du territoire national ne suffit pas à établir que les agissements à l’origine des dommages en cause ont été spontanés et commis par un attroupement ou un rassemblement au sens de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales. En produisant des éléments d’information d’ordre national et un rapport d’enquête, réalisé par une société privée à la demande de son assureur, qui se bornent à indiquer en des termes généraux que » de nombreux faits délictueux ont été commis dans cette agglomération dans la même soirée et dans la nuit qui a suivi « , la SAS Linda Textile n’établit pas, par ces seules pièces, que la commune d’Aubervilliers était spécifiquement en proie à des violences urbaines non préméditées au cours de la nuit du 4 au 5 novembre 2005, alors même que ces violences, qui avaient débuté en certains points du territoire national depuis plus d’une semaine, ne pouvaient continuer à s’analyser, à cette date, comme revêtant un caractère spontané. Par ailleurs, il résulte également de l’instruction que l’entrepôt occupé par la société appelante était régulièrement l’objet de tentatives d’intrusion avant même le début de la période d’émeutes urbaines sur l’ensemble du territoire national au cours de l’automne 2005. Dès lors, le dommage subi par la SAS Linda Textile doit s’analyser comme résultant de l’action d’individus ayant prémédité une action de type » commando » et non pas d’un rassemblement ou d’un attroupement spontané. Par suite, c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de l’État ne pouvait être recherchée, à raison de ce sinistre, sur le fondement des dispositions de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales.
4. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur l’exception de prescription quadriennale opposée en défense, la SAS Linda Textile n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de SAS Linda Textile est rejetée.
2