Vu la requête, enregistrée le 15 juin 2009, présentée pour M. Orhan A, demeurant à …, par Me Piquois ; M. A demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0902206 du 12 mai 2009 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a annulé l’arrêté en date du 6 mai 2009 du préfet de la Moselle ordonnant sa reconduite à la frontière et fixant le pays de destination ;
2°) d’annuler, pour excès de pouvoir, ledit arrêté ;
3°) d’enjoindre au préfet de la Moselle, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, de délivrer un titre de séjour à l’intéressé en application des dispositions de l’article L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, dans le mois de la notification de la décision à venir ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. A soutient que :
– l’arrêté de reconduite à la frontière n’est pas suffisamment motivé ;
– dès lors qu’il a été réadmis en France en application de la convention de Dublin II, muni d’un laissez-passer délivré par les autorités allemandes, son entrée irrégulière sur le territoire français ne peut lui être reprochée ;
– la décision attaquée, qui le prive de toute possibilité de déposer une demande d’asile, est entachée d’un détournement de procédure ;
– le signataire de l’arrêté préfectoral est incompétent en ce que la délégation n’était en rien justifiée par l’empêchement du préfet de la Moselle ;
– le préfet aurait dû faire un examen plus attentif de sa situation personnelle ;
– il peut invoquer une vie familiale en France ;
– la mesure d’éloignement a méconnu les stipulations de l’article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l’enfant ;
– sa situation justifie qu’il soit protégé au regard des stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le jugement et l’arrêté attaqués ;
Vu, en date du 18 septembre 2009, la décision du président du bureau d’aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Nancy (section administrative), admettant M. A au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 11 février 2010 :
– le rapport de M. Giltard, président de la Cour,
– les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, rapporteur public ;
En ce qui concerne la légalité de l’arrêté de reconduite à la frontière :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article 3 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 : 1. Les Etats membres examinent toute demande d’asile présentée par un ressortissant d’un pays tiers à l’un quelconque d’entre eux (…). La demande d’asile est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (…) ; qu’aux termes de l’article 4 du même règlement : 1. Le processus de détermination de l’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est engagé dès qu’une demande d’asile est introduite pour la première fois auprès d’un Etat membre (…) ; qu’aux termes de l’article 16 du même règlement : 1. L’Etat membre responsable de l’examen d’un demande d’asile en vertu du présent règlement est tenu de : (….) e) reprendre en charge, dans les conditions prévues à l’article 20, le ressortissant d’un pays tiers dont il a rejeté la demande et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d’un autre Etat membre. (…) ; qu’aux termes de l’article 17 dudit règlement : 1. L’Etat membre auprès duquel une demande d’asile a été introduite et qui estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de cette demande peut requérir ce dernier aux fins de prise en charge dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois après l’introduction de la demande d’asile (…) ; qu’aux termes de l’article 19 du règlement du 18 février 2003 susmentionné : (…) 3. Le transfert du demandeur de l’Etat membre auprès duquel la demande d’asile a été introduite vers l’Etat membre responsable s’effectue conformément au droit national du premier Etat membre, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation de la demande de prise en charge. (…) Si nécessaire, le demandeur d’asile est muni par l’Etat membre requérant d’un laissez-passer conforme au modèle adopté selon la procédure visée à l’article 27, paragraphe 2. (…) ; qu’enfin, aux termes de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile : (…) II. L’autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l’étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu’il ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ; (…) ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. A, de nationalité serbe du Kosovo, qui est entré en France irrégulièrement à une date indéterminée, a présenté en 2004 et en 2005 plusieurs demandes tendant à la reconnaissance de la qualité de réfugié, rejetées par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides et par la Commission des recours des réfugiés ; que, par décision en date du 14 novembre 2005, le préfet de la Moselle a invité l’intéressé à quitter le territoire français dans un délai d’un mois ; qu’après s’être maintenu irrégulièrement sur le territoire national jusqu’en novembre 2008, M. A s’est rendu en Allemagne pour y solliciter l’asile ; qu’en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 précitées, l’intéressé, muni d’un laissez-passer, a été repris en charge par les autorités françaises à la demande des autorités allemandes le 6 mai 2009 ; que cette circonstance est à elle seule sans incidence sur la situation de M. A au regard des règles régissant l’entrée et le séjour des étrangers en France ; que le préfet de la Moselle ne pouvait donc pas, sur le fondement dispositions du 1° de l’article L. 511-1, II du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, prendre un arrêté de reconduite à la frontière à l’encontre de l’intéressé au motif qu’il serait entré illégalement en France en provenance d’Allemagne ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêt du préfet de la Moselle en date du 6 mai 2009 ordonnant sa reconduite à la frontière ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat le paiement de la somme de 1 500 euros à M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
En ce qui concerne les conclusions à fin d’injonction :
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L. 512-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : Si l’arrêté de reconduite à la frontière est annulé, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au titre V du présent livre et l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ; qu’il y a lieu d’enjoindre au préfet de la Moselle, non seulement de munir M. A d’une autorisation provisoire de séjour mais aussi, qu’il ait été ou non saisi d’une demande en ce sens, de se prononcer sur son droit à un titre de séjour dans le délai de deux mois suivant la notification ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 12 mai 2009 et l’arrêté du préfet de la Moselle en date du 6 mai 2009 décidant la reconduite à la frontière de M. A sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de délivrer à M. A une autorisation provisoire de séjour et de se prononcer sur sa situation au regard de son droit au séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L’Etat versera à M. A la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Orhan A et au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Metz.