RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Procédure contentieuse antérieure :
M. A…a demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler l’ordre donné
le 21 novembre 2015 par le préfet de police au directeur de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne de procéder sans délai à la perquisition de son domicile situé adresse.
Par un jugement n° 1601058/3-1 du 24 janvier 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 mars 2017, M.A…, représenté par Me B, demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1601058/3-1 du 24 janvier 2017 ;
2°) d’annuler la décision du préfet de police du 21 novembre 2015 ordonnant qu’il soit procédé à la perquisition de son domicile ;
3°) de condamner l’Etat à lui verser une indemnité de 100 000 euros en réparation de ses préjudices subis du fait de cette perquisition ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement ;
– la décision de perquisition contestée ne mentionnant pas l’horaire de la perquisition, en méconnaissance de l’article 11 alinéa 2 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée, n’étant pas justifié par l’urgence et se basant sur des suspicions non établies, n’est pas suffisamment motivé ;
– il est entaché d’une erreur dans la qualification juridique des faits ;
– cet ordre de perquisition étant illégal, ne lui ayant pas été notifié, les forces de l’ordre ayant exercé des violences et des menaces à son encontre en faisant usage de leurs armes et en le menottant, de nuit, en violant son droit au respect de la vie privée et en portant atteinte à sa réputation, il est fondé à obtenir l’indemnisation de ses préjudices.
Par un mémoire, enregistré le 28 juin 2017, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu’aucun des moyens soulevés par M. A…n’est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;
– la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée ;
– la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
– la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
– le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;
– le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
– la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. C, président de chambre,
– les conclusions de Mme D, rapporteur public,
– et les observations de Me B , avocat de M. A.
1. Considérant que M. A…relève appel du jugement du 24 janvier 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’ordre adressé par le préfet de police au directeur de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne,
le 21 novembre 2015, de procéder sans délai à la perquisition de son domicile situé
adresse ; qu’il sollicite par ailleurs en appel, la réparation de ses préjudices résultant de l’illégalité de cette décision de perquisition et des conditions dans lesquelles elle s’est déroulée ;
Sur la régularité du jugement contesté :
2. Considérant qu’il résulte des motifs du jugement attaqué que le Tribunal administratif de Paris, qui n’était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a expressément répondu à tous les moyens soulevés par le requérant ; que, par suite, M. A…n’est pas fondé à soutenir que ce jugement serait entaché d’irrégularité ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
3. Considérant qu’en vertu de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République » soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » ; que selon l’article 2 de la même loi, l’état d’urgence est déclaré par décret en conseil des ministres ; que sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi ; que l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse, conférer au ministre de l’intérieur et aux préfets le pouvoir d’ordonner des perquisitions administratives de jour et de nuit ; que dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015, cet article 11 précise que les perquisitions en cause peuvent être ordonnées » en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d’un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. (…) Lorsqu’une infraction est constatée, l’officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République (…) » ; que ces dispositions de la loi du 3 avril 1955 habilitent le ministre de l’intérieur et les préfets, lorsque le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence l’a expressément prévu, à ordonner des perquisitions qui, visant à préserver l’ordre public et à prévenir des infractions, relèvent de la police administrative, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, et sont placées sous le contrôle du juge administratif ;
4. Considérant qu’en application de la loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain ; qu’il a été prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015 ; qu’aux termes de l’article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 portant application de la loi du 3 avril 1955 : » Outre les mesures prévues aux articles 5, 9 et 10 de la loi du 3 avril 1955 susvisée, sont applicables à l’ensemble du territoire métropolitain et de la Corse, les mesures mentionnées aux articles 6, 8, et au 1° de l’article 11. » ;
5. Considérant, en premier lieu, que les décisions qui ordonnent des perquisitions sur le fondement de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 présentent le caractère de décisions administratives individuelles défavorables qui constituent des mesures de police ; que comme telles, et ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC
du 19 février 2016, elles doivent être motivées en application de l’article 1er de la loi du
11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, désormais codifié à l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration ; que la motivation exigée par ces dispositions doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit, ainsi que des motifs de fait faisant apparaître les raisons sérieuses qui ont conduit l’autorité administrative à penser que le lieu visé par la perquisition est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ; que dès lors que la perquisition est effectuée dans un cadre de police administrative, il n’est pas nécessaire que la motivation de la décision qui l’ordonne fasse état d’indices d’infraction pénale ; que le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié en tenant compte des conditions d’urgence dans lesquelles la perquisition a été ordonnée, dans les circonstances exceptionnelles ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence ; que si les dispositions de
l’article 4 de la loi du 11 juillet 1979, codifié à l’article L. 211-6 du code des relations entre le public et l’administration, prévoient qu’une absence complète de motivation n’entache pas d’illégalité une décision lorsque l’urgence absolue a empêché qu’elle soit motivée, il appartient au juge administratif d’apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, si une urgence absolue a fait obstacle à ce que la décision comporte une motivation même succincte ; qu’outre l’énoncé de ses motifs, la décision qui ordonne une perquisition doit, en vertu des dispositions expresses de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015, porter mention du lieu et du moment de la perquisition ; que l’indication du lieu a pour objet de circonscrire les locaux devant être perquisitionnés de façon à permettre de les identifier de façon raisonnable ; que le moment indiqué dans la décision est celui à compter duquel la perquisition peut être mise à exécution, en fonction des contraintes opérationnelles ; que si la loi prévoit que doit être indiqué le moment de la perquisition, elle n’impose pas que la décision, par une motivation spéciale, fasse apparaître les raisons qui ont conduit à retenir ce moment ;
6. Considérant, en l’espèce, que la décision attaquée du 21 novembre 2015 vise les dispositions légales et réglementaires applicables et précise qu' » il existe des raisons sérieuses de penser que dans l’appartement occupé par M. A…(…) se trouvent des personnes, armes ou objets liés à des activités terroristes compte tenu notamment de la radicalisation ancienne de l’intéressé » ; qu’elle comporte ainsi l’énoncé des circonstances de droit et de fait ayant conduit le préfet de police à ordonner une perquisition ; que si l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 modifiée impose d’indiquer le moment de la perquisition, ceci constitue celui à compter duquel elle peut être mise à exécution en fonction des contraintes opérationnelles pesant sur l’autorité administrative ; qu’elle a donc pu intervenir le 22 novembre 2015 à 1h 30 du matin ; que le moyen tiré de ce que la décision contestée ne serait pas suffisamment motivée doit donc être écarté ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient M.A…, il a pu prendre connaissance du contenu de l’ordre de perquisition ; qu’il a signé cet acte lors de la perquisition, et s’est vu remettre, à cette occasion, un feuillet portant mention des voies et délais de recours ; qu’en tout état de cause, les conditions de notification d’une décision administrative sont sans incidence sur sa légalité ;
8. Considérant, en troisième lieu, que l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 permet aux autorités administratives compétentes d’ordonner des perquisitions dans les lieux qu’il mentionne lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ces lieux sont fréquentés par au moins une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ; qu’il appartient au juge administratif d’exercer un entier contrôle sur le respect de cette condition, afin de s’assurer, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC
du 19 février 2016, que la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l’état d’urgence ; que ce contrôle est exercé au regard de la situation de fait prévalant à la date à laquelle la mesure a été prise, compte tenu des informations dont disposait alors l’autorité administrative sans que des faits intervenus postérieurement, notamment les résultats de la perquisition, n’aient d’incidence à cet égard ;
9. Considérant, en l’espèce, qu’il ressort des pièces du dossier que pour prendre l’arrêté attaqué, le préfet de police s’est fondé sur la circonstance qu’il existait des raisons sérieuses de penser que dans l’appartement de M. A…se trouvaient » des personnes, armes ou objets liés à des activités terroristes, compte tenu notamment de la radicalisation ancienne de l’intéressé » ; que le ministère de l’intérieur affirme, en se référant aux informations transmises par les services de police du 13ème arrondissement et à un compte-rendu d’audition, que ce dernier s’est radicalisé depuis plusieurs années et a effectué, depuis 2011, de nombreux voyages à l’étranger, alors qu’il était sans emploi, notamment en Algérie, à Dubaï, en Indonésie, Thaïlande et Turquie, pays dans lesquels agissent des groupes terroristes radicalisés ; qu’en outre, il ressort des pièces du dossier que, pour prendre la décision attaquée, le préfet de police s’est également fondé sur les antécédents judiciaires de M. A…, l’intéressé s’étant fait connaître, entre 2007 et 2012, en raison de faits délictueux, au nombre desquels figure en 2009 la fabrication non autorisée d’engin explosif incendiaire ou de produit explosif, ainsi que des violences volontaires ou des menaces de mort notamment à l’égard des forces de police ;
10. Considérant que, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, qui ne sont pas sérieusement contredits par l’intéressé, et dans le contexte particulier d’urgence et de menaces qui prévalait durant les jours qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015, le préfet de police a pu, sans méconnaître la matérialité des faits ou commettre des erreurs d’appréciation, estimer que M. A… constituait alors une menace pour la sécurité et l’ordre public justifiant une perquisition de son domicile, ladite mesure de nature préventive étant adaptée, nécessaire et proportionnée ;
11. Considérant que, pour les mêmes motifs, M. A…ne peut soutenir utilement que cette mesure de perquisition a porté atteinte au respect de sa vie privée et à son honneur et sa réputation ;
Sur la responsabilité de l’Etat :
12. Considérant que la demande de M. A…tendant à obtenir une indemnité a été présentée pour la première fois devant le juge d’appel ; qu’il s’agit de conclusions nouvelles qui sont par suite irrecevables ;
13. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. A…n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A…est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A…et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l’audience du 4 juillet 2017, à laquelle siégeaient :
– M. C, président de chambre,
– Mme F, président assesseur,
– M. G, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 juillet 2017.
Le président rapporteur,
C L’assesseur le plus ancien,
F
Le greffier,
ELa République mande et ordonne au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.