Section VII : La légalité de crise
476.- Adaptation de la légalité aux circonstances.- Les autorités administratives ne sont tenues de respecter les règles normales de la légalité que lorsqu’elles sont placées dans des circonstances elles-mêmes considérées comme normales. Ainsi, lorsque la défense de l’intérêt général l’exige, le principe de légalité va s’atténuer, principalement pour l’édiction de mesures de police. Vont alors s’appliquer des règles spéciales qui peuvent être issues de la jurisprudence.
477.- Les cas d’urgence.- Le principe de légalité peut ainsi être adapté en cas d’urgence. C’est le cas, lorsque l’urgence permet à l’administration de procéder à l’exécution forcée d’une de ses décisions, alors qu’elle aurait dû normalement saisir au préalable un juge (TC, 2 décembre 1902, Société immobilière Saint-Just, requête numéro 00543 : Rec.? p. 713 ; S. 1904, 3, p. 17, note Hauriou). La même adaptation des règles peut être observée dans des cas où l’urgence excuse la violation des règles normales de compétence ou de procédure.
Exemple :
– CE Sect., 19 février 1982, Perez, requête numéro 19723(Rec., p. 83) : la décision contestée avait pour effet de retirer un agrément délivré à un boulanger lui permettant de recruter un apprenti. Ce retrait n’avait pas été précédé des formalités exigées par les textes, mais pour autant il était légal en raison de l’urgence résultant de la nature des infractions au Code du travail relevées à l’encontre du requérant et par la gravité des risques auxquels était exposé son apprenti.
478.- Les circonstances exceptionnelles.- Il existe, par ailleurs des « circonstances exceptionnelles » qui permettront également d’atténuer la portée du principe de légalité.
Ces circonstances peuvent être visées par les textes et d’abord des textes constitutionnels. On retrouve ainsi cette notion dans les articles 16 de la Constitution, relatif aux pouvoirs exceptionnels du Président de la République et 36, relatif à l’état de siège.
Ces textes peuvent également être législatifs. On peut ici mentionner la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combats et milices privées qui autorise le conseil des ministres à procéder à la dissolution d’associations portant notamment atteinte à l’ordre public ou à l’intégrité du territoire ou qui provoquent des manifestations armées dans la rue. Ces dispositions ont été reprises à l’article L. 212-1 du Code de sécurité intérieure (pour des illustrations récentes V. CE, ord. réf., 23 juillet 2013, Association envie de rêver, requête numéro 370305– CE, ord. réf., 3 mai 2021, Génération identitaire, requête numéro 451743.– CE, 24 septembre 2021, Association de défense des droits de l’homme – Collectif contre l’islamophobie en France et a., requête numéro 449215).
Il faut aussi mentionner la loi du 3 juillet 1877 relative aux réquisitions militaires, qui autorise les réquisitions de biens, de services et de personnes en cas de mobilisation partielle ou totale de l’armée. Cette loi a été abrogée et ses dispositions ont été reprises dans le livre II de la partie II du Code de la défense. Il existe aussi des réquisitions civiles, ce qui est un pouvoir notamment reconnu au préfet dans les cas où l’urgence le justifie et « lorsque les moyens dont (il) dispose (…) ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police » (Code général des collectivités territoriales, art. L. 2215-1). Les maires disposent également de ce pouvoir de réquisition qui résulte de la compétence de police administrative générale dont ils sont investis par l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales. Si ce pouvoir ne leur est pas expressément dévolu par les textes, l’existence d’un pouvoir de réquisition est reconnu par le juge administratif (CE, 15 février 1961, requête numéro 36872, Werquin : D. 1961, jurispr. p. 611, note Weil ; JCP G 1961, II, comm. 12259, note Auby ; RDP 1961, p. 321, concl. Braibant).
On peut également citer l’article L. 2141-1 du Code de la défense, qui a repris les dispositions de l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 sur l’organisation générale de la défense, relatif à l’utilisation de la « mise en garde ». Il s’agit, dans cette hypothèse, dans un contexte de risque de guerre, de conférer au Président de la République de très larges pouvoirs permettant la réquisition des personnes, des biens et des services ainsi que la convocation des réservistes.
Ces différents textes législatifs, dont l’application est rare, ne seront pas plus détaillés, contrairement à la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence qui présente une grande actualité. On examinera également le cas particulier de l’état d’urgence sanitaire lié à la crise du covid-19, institué par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020. Il existe enfin, en dehors des textes, une notion de circonstances exceptionnelles dégagée par la jurisprudence.
§I – Les pouvoirs exceptionnels du Président de la République dans le cadre de l’article 16 de la Constitution
479.- Rappel.- On retrouve la notion de circonstances exceptionnelles dans l’article 16 de la constitution que l’on déjà évoqué plus haut (V. supra Première partie, Chapitre deux, Section une). Rappelons que cet article autorise le Président de la République, dans des cas de crise grave, à prendre des mesures relevant à la fois du domaine de la loi et de celui du règlement. La décision de recours à l’article 16 est un acte de gouvernement et elle donc inattaquable. En revanche, s’agissant des mesures prises en application de l’article 16, si celles qui relèvent du domaine de la loi sont inattaquables, celles qui relèvent du domaine du règlement sont des actes administratifs susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE Ass., 2 mars 1962, Rubin de Kervens, requête numéro 55049, requête numéro 55055 préc.).
§II – L’état de siège
480.- Régime juridique.- Doit également être mentionné l’article 36 de la Constitution relatif à l’état de siège qui se caractérise par le transfert de pouvoirs de police de l’autorité civile à l’autorité militaire (Code de la défense, art. L. 2121-2), l’extension de la compétence des juridictions militaires (Code de la défense, art. L. 2121-3 et L. 2121-6) et l’extension des pouvoirs de police (Code de la défense, art. L. 2121-7). L’article 36 se borne à mentionner que « l’état de siège est décrété en conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement ». L’actuel article L. 2121-3 et L. 2121-6 du Code de la défense précise quant à lui que l’état de siège peut être déclaré « en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée » (Code de la défense, art. L. 2121-1).
Dans le cadre de l’état de siège, le principe de légalité est atténué, des mesures qui seraient illégales en temps normal pouvant être considérées comme légales par le juge. Il résulte ainsi de l’arrêt Dame Dol et Laurent du 28 février 1919, requête numéro 61595 (Rec., p. 208 ; S. 1918-1919, III, p. 33, note Hauriou ; RDP 1919, p. 338, note Jèze) que « les pouvoirs de police dont l’autorité publique dispose pour le maintien de l’ordre et de la sécurité (…) ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre où les intérêts de la défense nationale donnent au principe de l’ordre public une extension plus grande et exigent pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses ». En cas de recours « il appartient au juge, sous le contrôle duquel s’exercent ces pouvoirs de police, de tenir compte, dans son appréciation, des nécessités provenant de l’état de guerre, selon les circonstances de temps et de lieu, la catégorie des individus visés et la nature des périls qu’il importe de prévenir ».
Il faut enfin relever que la décision déclarant l’état de siège n’est pas un acte de gouvernement et qu’elle peut donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 23 octobre 1953, requête numéro 912771, Huckel : Rec., p. 452). Par ailleurs, à la différence de l’hypothèse visée par l’article 16 de la Constitution, l’état de siège ne modifie pas la répartition des compétences constitutionnelles.
§III – L’état d’urgence
481.- Loi du 3 avril 1955.- Si l’état de siège n’a jamais été déclaré sous la V° République, il en va tout autrement concernant l’hypothèse de l’état de d’urgence qui est visée par la loi n°55-385 du 3 avril 1955.
L’état d’urgence est généralement considéré comme relevant d’un degré inférieur à l’état de siège notamment parce c’est aux autorités civiles – et non militaires – qu’il confère des pouvoirs exceptionnels.
Plus précisément, l’article 1er de la loi de 1955 prévoit que « l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (…) soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Lorsque ces conditions sont réunies, l’état d’urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Cette décision, comme celle déclarant l’état de siège, n’est pas un acte de gouvernement et elle peut donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (V. CE, ord. réf., 14 novembre 2005, Rolin, requête numéro 286835: Rec., p. 499 ; AJDA 2006, p. 501, note Chrestia). C’est un contrôle restreint qui est alors exercé par le juge administratif. Comme pour ce qui concerne l’état de siège, au-delà de douze jours, la prorogation de l’état d’urgence ne peut être autorisée que par la loi.
482.- Recours à l’état d’urgence.- L’état d’urgence a été déclaré plusieurs fois pendant la guerre d’Algérie, mais également en 1985 lors de troubles en Nouvelle-Calédonie. Plus récemment, l’état d’urgence a été déclaré à l’occasion des violences urbaines d’octobre 2005. Enfin, à la suite des attentats du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été déclaré par le décret n°2015-1475 du 15 novembre 2015, puis prolongé pour des périodes comprises entre trois mois et six mois par la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015, par la loi n°2016-162 du 19 février 2016, par la loi n°2016-629 du 20 mai 2016, par la loi n°2016-987 du 21 juillet 2016, par la loi n°2016-1767 du 19 décembre 2016 et par la loi n°2017-1154 du 11 juillet 2017.
483.- Tentative de constitutionnalisation de l’état d’urgence.- Le caractère inédit des évènements terroristes qui ont été à l’origine du déclenchement de l’état d’urgence en 2015 a relancé le débat sur sa constitutionnalisation. Cette piste avait déjà été évoquée en 2007 par le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions (dit comité Balladur). La révision de 2015 a toutefois échoué, faute d’obtenir un vote identique des deux assemblées, nécessaire pour soumettre le projet au congrès, et alors même que la raison de ce blocage n’était pas liée à la question de l’état d’urgence, mais à celle également inscrite dans le projet, beaucoup plus polémique, de la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation.
484.- Conformité à la Constitution de la loi du 3 avril 1955.- De nombreux types de mesures peuvent être prises dans le cadre de l’état d’urgence. Le Conseil constitutionnel a estimé sur ce point que si « la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence », il lui appartient « dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République » ce qui n’est pas du tout simple à assurer (CC, 22 décembre 2015, numéro 2015-527 QPC : Dr. adm. 2016, comm. 46, note Eveillard ; JCP A 2016, comm. 6, note Verpeaux ; RFDA 2016, p. 123, note Roblot-Troizier ; RFDC 2016, p. 123, note Roux).
485.- Couvre-feu et interdictions de séjour.- L’article 5 de la loi du 3 avril 1955, modifié par la loi n°2017-1154 du 11 juillet 2017 et suite à l’invalidation par le Conseil constitutionnel du 2° de cet article qui permettait d’instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé (CC, 11 janvier 2018, numéro 2017-684 QPC), permet au préfet de prendre deux types de mesures. D’une part, il lui permet d’interdire par arrêté la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures qu’il fixe, ce qui revient pour l’essentiel à établir un couvre-feu. D’autre part, le préfet peut interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Ces dispositions sont issues de la loi n°2017-1154 du 11 juillet 2017 intervenue suite à la censure des anciennes dispositions de l’article 5, 3° de la loi de 1955 par la décision CC, 9 juin 2017, numéro 2017-635 QPC (Dr. adm. 2017, comm. 42, note Eveillard) qui permettaient de prononcer une interdiction de séjour à l’encontre de « toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics », ce qui est une formule beaucoup plus large que l’actuelle rédaction de cet article. En cas d’interdiction de séjour, conformément aux exigences du Conseil constitutionnel, l’arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique, qui ne peut inclure le domicile de la personne intéressée. Le préfet doit également prendre en compte la vie familiale et professionnelle de l’intéressé.
486.- Assignations à résidence.- L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 permet ensuite au ministre de l’Intérieur de prononcer des assignations à résidence qui peuvent concerner, depuis la loi n°2015-501 du 20 novembre 2015, toute personne « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », alors que l’ancienne version de cet article visait seulement les personnes dont « l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics » (sur la conformité à la Constitution de ces dispositions V. CC, 22 décembre 2015, n°2015-527 QPC). Ces mesures ont été particulièrement nombreuses dans le cadre de l’état d’urgence déclenché à partir du 15 novembre 2015 puisqu’on en dénombre pas moins de 752. Si elles peuvent faire l’objet d’une procédure de référé liberté (CE Sect., 11 décembre 2015, Domenjoud, numéro 395009 : Rec., p. 437, concl. Domino ; AJDA 2016, p. 247, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; Dr. adm. 2016, comm. 25, note Eveillard ; JCP A 2015, act. 1068, obs. Erstein ; RFDA 2016, p. 105, concl. Domino et p. 123, note Roblot-Troizier.- CE, ord. réf., Knittel, 4 juillet 2016, numéro 400945), les recours contre ces mesures ont en général été rejetés par le juge des référés du Conseil d’Etat (V. toutefois CE, ord. réf., 22 janvier 2016, M. B., requête numéro 396116). Notons cependant que le juge répressif, sur le fondement de l’article L. 111-5 du Code pénal, peut apprécier la légalité d’un arrêté d’assignation à résidence dès lors que de cet examen dépend la solution du procès pénal qui lui est soumis (Cass. crim., 3 mai 2017, pourvoi numéro 16-86.155).
Il faut aussi relever que la loi n°2016-1767 du 19 décembre 2016, modifiant ces dispositions, avait voulu subordonner la prolongation d’une assignation à résidence au-delà de douze mois à une autorisation préalable du même juge des référés du Conseil d’Etat. Le Conseil constitutionnel a censuré ces nouvelles dispositions au motif qu’elles étaient contraires au principe d’impartialité et au droit à exercer un recours juridictionnel effectif (CC, 16 mars 2017, numéro 2017-624 QPC). En effet, elles conféraient au Conseil d’Etat la compétence d’autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure d’assignation à résidence sur la légalité de laquelle il était susceptible de se prononcer ultérieurement comme juge de dernier ressort. La même décision a également formulé trois réserves d’interprétation encadrant la possibilité qu’une mesure d’assignation à résidence puisse être renouvelée au-delà de douze mois par périodes de trois mois sans qu’il soit porté une atteinte excessive à la liberté d’aller et de venir (sur la prise en compte de ces réserves d’interprétation pour le juge du référé liberté V. CE, ord. réf., 25 avril 2017, numéro 409677).
487.- Dissolution d’associations ou de groupements.- La loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 a ensuite ajouté un article 6-1 à la loi du 3 avril 1955 permettant la dissolution par décret en conseil des ministres des « associations ou groupements de fait qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent ».
488.- Fermetures de salles, débits de boissons, lieux de réunion et lieux de culte.- L’article 8 de la loi permet quant à lui au ministre de l’Intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence, et au préfet, dans le département, d’ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature (V. CE, ord. réf., 6 janvier 2016, requête numéro 395620, requête numéro 395621). Cet article a été complété par la loi n°2016-987 du 21 juillet 2016 qui permet désormais d’ordonner la fermeture « des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes » (sur ce point V. CE, ord. réf., 6 décembre 2016, Association islamique Malik Ibn Anas, requête numéro 405476.– CE, ord. réf., 20 janvier 2017, Association Centre culturel franco-égyptien – Association maison d’Egypte, requête numéro 406618).
489.- Perquisitions administratives.- L’article 11 de la loi autorise enfin le décret déclenchant l’état d’urgence ou la loi le prorogeant à autoriser des perquisitions administratives. Dans sa rédaction actuelle, cet article permet la perquisition « y compris (d’un) domicile (…) lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».
Les nouvelles dispositions issues de la loi du 20 novembre 2015 avaient été déclarées conformes à la Constitution, exceptées celles qui permettaient à l’autorité administrative de copier au cours de la perquisition « toutes les données informatiques auxquelles il aura été possible d’accéder », cette hypothèse étant assimilée par le Conseil constitutionnel à une saisie non autorisée par un juge (CC, 19 février 2016, numéro 2016-536, QPC : Constitutions 2016, comm. 100, note Domingo. – V. également sur la question de la saisie et de l’exploitation des données informatiques et l’inconstitutionnalité résultant du fait que la loi n’avait pas prévu de délai d’effacement des données après l’état d’urgence, CC, 2 décembre 2016, numéro 2016-600 QPC). Suite aux décisions susvisées du Conseil constitutionnel, l’article 11 de la loi de 1955 a été ensuite complété par la loi n°2016-987 du 21 juillet 2016 puis par la loi n°2017-528 du 28 février 2017. Dans sa dernière version, issue de la loi n°2017-258 du 28 février 2017, l’article 11 de la loi de 1955 précise qu’une « perquisition ne peut avoir lieu entre 21 heures et 6 heures, sauf motivation spéciale de la décision de perquisition fondée sur l’urgence ou les nécessités de l’opération ».
Sur le fondement de ces dispositions, ce ne sont pas moins de 4444 perquisitions administratives qui ont été pratiquées dans le cadre de l’état d’urgence déclenché le 15 novembre 2015.
Le régime juridique de ces perquisitions a été précisé par le Conseil d’Etat dans un avis d’Assemblée du 6 juillet 2016, Napol et a. et Thomas et a. (avis numéro 398234, avis numéro 399135 : Rec., p. 320, concl. Bourgeois-Machureau ; AJDA 2016, p. 1635, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; Dr. adm. 2016, comm. 58, note Eveillard ; JCP A 2016, comm. 2256, note Verpeaux ; JCP G 2016, comm. 1079, note Türk ; RDP 2017, p. 491, note Pauliat ; RFDA 2016, p. 943, note Le Bot). Le Conseil d’Etat affirme d’abord la compétence du juge administratif pour connaître des actions contentieuses relatives aux perquisitions, étant précisé que la chambre criminelle de la Cour de cassation s’estime concurremment compétente, en application de l’article L. 111-5 du Code pénal, pour apprécier la légalité de l’ordre de perquisition, lequel détermine la régularité de la procédure pénale (Cass. crim., 13 décembre 2016, pourvoi numéro 16-82.176 : AJ pénal 2017, p. 30, note Herran et Lacaze ; Dr. adm. 2017, comm. 20, note Eveillard ; Dr. pén. 2017, étude 6, Ribeyre ; D. 2017, p. 1175, note Beaussonie ; JCP 2017, comm. 206, note Robert). Le Conseil d’Etat a ainsi admis la recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les décisions prises par l’autorité administrative. Il relève que « la circonstance qu’elles ont produit leurs effets avant la saisine du juge n’est pas de nature à priver d’objet le recours ». Concernant les modalités de contrôle de la légalité des ordres de perquisition, l’avis du 6 juillet 2016 précise d’abord que si leur motivation est exigée, cette exigence, conformément à l’article L. 211-6 du Code des relations entre le public et l’administration, est écartée en cas « d’urgence absolue ». En l’absence de motivation, il appartient au juge « d’apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, si une urgence absolue a fait obstacle à ce que la décision comporte une motivation même succincte » (V. ainsi censurant une perquisition insuffisamment motivée CE, 28 décembre 2017, numéro 410441, Mme G… et a.– V. en revanche concluant au caractère suffisant de la motivation CAA Nancy, 26 septembre 2017, numéro 17NC00246, Ministre de l’Intérieur). Comme le précise l’article 11 de la loi de 1955, la motivation, lorsqu’elle est exigée, doit porter mention du lieu et du moment de la perquisition. Du point de vue du contrôle de la légalité interne de l’ordre de perquisition, ensuite « il appartient au juge administratif d’exercer un entier contrôle du respect » des conditions visées par cet article. Il s’agit ainsi de s’assurer que « la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l’Etat d’urgence » (V. CAA Paris, 12 juillet 2017, numéro 17PA01020, Nacef). Enfin, en cas de perquisition illégale, la responsabilité pour faute de l’Etat peut être recherchée à l’égard des personnes concernées par la perquisition. En revanche, les tiers victimes d’un dommage bénéficient d’un régime de responsabilité sans faute de l’Etat sur le fondement du principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques (sur ces questions V. infra Sixième Partie, Chapitre III, Section III).
490.- Durée exceptionnelle de l’état d’urgence de 2015.- Le prolongement exceptionnel de l’état d’urgence déclaré à partir du 15 novembre 2015 n’a pas manqué de générer des débats nombreux concernant la pertinence de son maintien au regard des nécessités de préservation de l’ordre public. Dans une ordonnance du juge des référés du 27 janvier 2016, le juge des référés du Conseil d’Etat a ainsi refusé de suspendre l’état d’urgence ou d’ordonner au Président de la République d’y mettre fin (CE, ord. réf., requête numéro 286835, Ligue des droits de l’Homme et a. : Rec., p. 8 ; RFDA 2016, p. 355, note Baranger).
491.- Introduction dans le droit commun de certains éléments inspirés du régime de l’état d’urgence.- Finalement, c’est l’introduction de certaines mesures de l’état d’urgence dans le droit commun, par la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui a permis de mettre un terme à l’état d’urgence. Cette loi met en place une véritable police administrative spéciale de la prévention du terrorisme qui confère des pouvoirs particulièrement étendus aux autorités de police.
Peut être mentionnée, en particulier, l’instauration de périmètres de protection, la fermeture de lieux de culte, les assignations à résidence et les perquisitions administratives appelées par la loi « visites à domicile ». Toutefois les modalités de mise en œuvre de ces mesures sont sensiblement différentes que celles existant dans le cadre de l’état d’urgence. Ainsi, par exemple, les « visites à domicile » doivent être autorisées par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, alors que c’est le juge administratif qui opère un contrôle a posteriori de la légalité des perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence. De même, dans le cadre de l’état d’urgence, ces perquisitions peuvent être ordonnées « (s’il) existe des raisons sérieuses de penser (qu’un) comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », alors que dans le cadre de la loi de 2017 elles doivent être justifiées « aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme » (V. Code sécurité intérieure, art. L. 229-1).
L’essentiel de ce dispositif a été jugé conforme à la Constitution (CC, 16 février 2018, numéro 2017-691 QPC, Ben Abbes : D. 2018, p. 830, note Pellé ; Dr. adm. 2018, comm. 28, note Eveillard ; JCP A 2018, act. 175, obs. Friedrich ; JCP A 2018, comm. 2146, note Jobart.- Cons. const., 29 mars 2018, n°2017-695 QPC , Belfredj et a. : JurisData n°2018-004947 ; JO 30 mars 2018, n°111 ; Dr. adm. 2018, comm. 38, note Eveillard ; JCP A 2018, act. 321, obs. M. Touzeil-Divina).
En revanche, certains éléments de la loi ont été censurés et de nombreuses réserves d’interprétation ont été formulées par le Conseil constitutionnel.
Il a notamment jugé que la durée des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ne doit pas dépasser douze mois, consécutifs ou non, ce qui n’est pas le cas, en revanche, des assignations à résidence prononcées dans le cadre de l’état d’urgence (Cons. const., 16 mars 2017, n°2017-624 QPC, préc.). Mais il est important ici de relever que la durée pendant laquelle l’intéressé a été soumis à une assignation à résidence pendant l’état d’urgence n’est pas prise en compte dans cette durée maximale.
Le Conseil constitutionnel a ensuite censuré les dispositions de la loi qui confiaient au juge du référé liberté la compétence pour statuer sur les mesures de renouvellement de ces mesures, cette compétence devant être exercée par un juge du fond.
Il valide en revanche le dispositif des périmètres de protection, qui avait succédé à celui des zones de protection ou de sécurité dont on a vu qu’il avait été censuré par le Conseil constitutionnel (CC, 11 janvier 2018, n°2017-684 QPC, préc.), tout en formulant des réserves d’interprétation concernant notamment les critères de mise en œuvre de ces mesures, et le rôle des agents de sécurité privés.
Le Conseil constitutionnel a également validé les dispositions de la loi qui permettent à l’autorité de police de fermer temporairement des lieux de culte.
§IV- L’état d’urgence sanitaire
492.- Avant la création du régime de l’état d’urgence sanitaire.- Confronté à la pandémie de la covid-19, l’exécutif a dans un premier temps choisi d’intervenir en utilisant des pouvoirs qui lui étaient reconnus à la fois par la loi et par des règles jurisprudentielles.
C’est d’abord le ministre de la Santé qui est intervenu en faisant usage des pouvoirs de police administrative spéciale qu’il détient en cas de menace sanitaire grave en application des articles L. 3131-1 et suivant du Code de la santé publique (V. ainsi A., 30 janvier 2020 et du 20 février 2020 relatifs à la situation des personnes ayant séjourné dans une zone atteinte par l’épidémie de virus 2019-nCov.- A., 4 mars 2020, 9 mars 2020, 13 mars 2020 et du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19).
Il a toutefois été justement relevé que ces arrêtés dépassaient le champ de compétence de ce ministre, dès lors qu’ils prescrivaient, par exemple, la suspension de l’accueil des usagers dans les établissements d’enseignement ou encore la suspension des concours de recrutement de fonctionnaires et de magistrats.
Le Premier ministre est également intervenu en application des articles L. 3131-8 et L. 3131-19 du même code qui lui confèrent des pouvoirs de réquisition en cas « (d’)afflux de patients ou de victimes ou (si) la situation sanitaire le justifie (D. n°2020-190, 3 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19 pris en application de l’article L. 3131-9 du Code de la santé publique afin de procéder à la réquisition de masques de protection respiratoire).
Faisant ensuite une application conjointe des jurisprudences Labonne (préc.), qui attribue au titulaire du pouvoir réglementaire général un pouvoir de police administrative général, et Heyriès (préc.) qui lui confère des pouvoirs exorbitants dans des circonstances exceptionnelles, le Premier ministre a adopté le décret n°2020-260 du 16 mars 2020, modifié par le décret n°2020-279 du 19 mars 2020, interdisant le déplacement de toute personne hors de son domicile, sauf dérogation.
493.- Création d’un cadre législatif spécifique en matière de lutte contre les pandémies.- Le caractère inédit de la crise sanitaire, la nécessité d’intervenir de façon plus efficace, quitte à prendre des mesures liberticides (en particulier des mesures de confinement), mais également la volonté d’associer le Parlement, ont conduit le gouvernement à élaborer dans l’urgence un nouveau cadre législatif. L’expérience de l’état d’urgence de 2015, qui avait conduit à modifier à de nombreuses reprises la loi du 3 avril 1955 pour l’adapter à un autre évènement d’ampleur inédite et finalement aboutir à la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 a certainement également joué.
C’est ainsi qu’ont été adoptées la loi organique n°2020-365 du 30 mars 2020 suspendant jusqu’au 30 juin 2020 les délais de la procédure de QPC, et surtout la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 qui institue un état d’urgence sanitaire spécifique. S’il s’agit d’un outil ad hoc, il ne s’agit toutefois pas d’une loi d’exception puisque l’essentiel de son dispositif a vocation à être pérenne et à s’appliquer aux catastrophes sanitaires en général.
Si la loi du 3 avril 1955 offre un large panel de pouvoirs aux autorités administratives, elle apparaissait en effet mal adaptée à une situation inédite, caractérisée par la diffusion d’un virus extrêmement contagieux pouvant justifier des mesures généralisées de restriction des libertés de l’ensemble des citoyens.
Il ne faut pas rechercher, dans ce texte, de définition précise de la notion d’état d’urgence sanitaire. Rédigé dans des délais très brefs, dicté par les circonstances, il a vocation à permettre aux autorités compétentes de prendre des mesures qui seraient en d’autres temps qualifiées de liberticides.
La loi prévoit d’abord le report du second tour des élections municipales et elle édicte des mesures d’urgence économiques, financières et sociales.
L’état d’urgence sanitaire, en tant que tel, fait l’objet du titre I de la loi. Il insère un nouveau chapitre 1er bis dans le titre III du Livre 1er de la troisième partie du Code de la santé publique consacrée aux menaces et crises sanitaires graves.
494.- Déclenchement de l’état d’urgence sanitaire.- Le nouvel article L. 3131-12 du Code de la santé publique précise que l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire en cas de « catastrophe sanitaire mettant en péril par sa nature et sa gravité, la santé de la population ».
Cette déclaration fait l’objet d’un décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application (Code de la santé publique, art. L. 3131-13).
495.- Prolongation de l’état d’urgence sanitaire.- Suivant la même logique que l’état de siège ou que l’état d’urgence visé par la loi du 3 avril 1955, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi (Code de la santé publique, art. L. 3131-14). Toutefois, à titre dérogatoire, l’article 4 de la loi n°2020-290 du 24 mars 2020 précise que l’état d’urgence sanitaire est déclaré – par la loi elle-même et non pas par l’exécutif – pour une durée de deux mois à compter son entrée en vigueur, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de covid-19. L’état d’urgence sanitaire a ensuite été prorogé pour une nouvelle période de deux mois par la loi n°2020-546 du 11 mai 2020. La loi n°2020-856 du 9 juillet 2020 a ensuite organisé la sortie de l’état d’urgence sanitaire en mettant en place un régime transitoire à partir du 11 juillet autorisant le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles jusqu’au 31 octobre 2020. Ce régime législatif s’est toutefois achevé avant cette date butoir, en raison de l’apparition d’une deuxième vague épidémique, avec l’entrée en vigueur du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 déclenchant une nouvelle fois l’état d’urgence sanitaire. La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 a prolongé, une première fois, l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021. La loi n°2021-160 du 15 février 2021 l’a prolongé une deuxième fois jusqu’au 1er juin 2021.
La situation épidémique s’améliorant, a ensuite été adoptée la loi n°2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dont le dispositif est largement inspiré de celui de la loi du 9 juillet 2020. Cette loi permet notamment d’activer par décret du Premier ministre des mesures de limitation des déplacement et d’utilisation des moyens de transport, de restreindre les conditions d’ouverture de certains établissements recevant du public ou encore de limiter les réunions et rassemblements sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. Elle permet notamment de subordonner l’accès de certaines activités à la présentation d’un test de dépistage ou d’un justificatif de statut vaccinal.
La loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a ensuite prorogé jusqu’au 31 décembre 2021 le terme du régime transitoire et du cadre juridique du passe sanitaire, qui était jusqu’alors fixé au 30 septembre. Elle a aussi prorogé jusqu’au 30 septembre 2021 l’état d’urgence sanitaire en vigueur à La Réunion et à la Martinique (V. plus généralement sur la gestion de la pandémie dans les territoires ultramarins, L. Kessab et E. Sheratt, Les états d’urgence en Outre-mer : Revue des Droits de l’Homme, http://journals.openedition.org/revdh/14628 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.14628).
Le dispositif transitoire a une nouvelle fois été prorogé jusqu’au 31 juillet 2022 par la loi n°2021-1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire. Enfin, la loi n°2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le Code de la santé publique abroge à partir du 1er août 2022 les dispositions du Code de la Santé publique relatives à l’état d’urgence sanitaire, créé au printemps 2020, ainsi que le régime de sortie da crise sanitaire instauré par la loi du 31 mai 2021. La loi maintient néanmoins un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la Covid-19.
496.- Un large panel de compétences.- Les pouvoirs conférés aux autorités administratives dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire sont extrêmement larges et ils peuvent être exercés par trois autorités étatiques distinctes.
497.- Compétence du Premier ministre.- Le Premier ministre, tout d’abord, peut par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique, prendre pas moins de dix types de mesures. Il peut notamment édicter un couvre-feu, ordonner des mesures de placement en quarantaine et de maintien à l’isolement, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ou encore interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé (Code de la santé publique, art. L. 3131-15).
Le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 a dans ce sens édicté de nombreuses mesures de lutte contre l’épidémie de covid-19 dont la plus emblématique est certainement celle prescrivant le confinement de la population, sauf exceptions (sur le rejet d’une demande de confinement généralisé V. CE, ord. réf., 22 mars 2020, requête numéro 439674, Syndicat des jeunes médecins.- V. également, par exemple, validant la mesure de fermeture des marchés, CE, ord. réf., 1er avril 2020, requête numéro 439762, Fédération nationale des marchés de France.- V. en revanche suspendant la mesure interdisant l’usage du vélo, CE, ord. réf., 30 avril 2020, requête numéro 440250 : Rec. tables, p. 60).
Comme cela est classique pour les mesures de police, ainsi que l’indique l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique, ces mesures doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires » (sur la sanction par le juge du référé liberté de mesures disproportionnées V. CE ord. réf., 18 mai 2020, requête numéro 440366, requête numéro 440410, requête numéro 440531, requête numéro 440550, requête numéro 440562, requête numéro 440563, requête numéro 440590.- CE ord. réf., 18 mai 2020, requête numéro 440442, requête numéro 440445, Association La quadrature du net et Ligue des droits de l’homme).
Comme on l’a vu, l’accélération de l’épidémie durant l’automne 2020 a conduit à nouveau à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Saisi d’un certain nombre de recours, le juge du référé liberté du Conseil d’Etat a pu, par exemple, juger légales les restrictions imposées aux universités en terme d’accueil des étudiants (CE, ord. réf., 10 décembre 2020, requête numéro 447015 : JCP A 2021, comm. 2032, note Hul), où celles imposant la fermeture des cinémas, théâtres et salles de spectacles (CE, ord. réf., 23 décembre 2020, requête numéro 447698), mais illégales celles limitant à trente personnes l’accueil dans les lieux de culte (CE, ord. réf., 29 novembre 2020, requête numéro 446930, requête numéro 446941, requête numéro 446968, requête numéro 446975, Association Civitas et a. : JCPA 2020, comm. 692, obs. Pauliat ; JCP G 2020, comm. 1428, note Gonzalez) ou celles interdisant tous les évènements réunissant plus de 500 personnes en tant qu’elles on pour conséquence une interdiction générale et absolue des manifestations (CE, ord. réf., 13 juin 2020, requête numéro 440856, Ligue des droits de l’homme).
L’organisation de la sortie de crise, à partir du printemps 2021 a donné lieu également à de nombreux contentieux, notamment sur la question du passe vaccinal (V. notamment CE, ord. réf., 11 mars 2022, requête numéro 461570 : JCP A 2022, act. 212, obs. Youhnovski Sagon).
498.- Compétence du ministre de la Santé.- Le ministre de la Santé peut prescrire, en dehors des domaines relevant de la seule compétence du Premier ministre, différentes mesures de police administrative. Il peut prendre, par arrêté motivé, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, des mesures qui doivent être, comme celles prises par le Premier ministre « strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriés aux circonstances de temps et de lieu » (Code de la santé publique, art. L. 3131-16).
499.- Compétence des préfets.- Enfin, le Premier ministre, comme le ministre de la santé, peuvent habiliter le préfet de département territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions (Code de la santé publique, art. L. 3131-17).
500.- Compétence très limitée des maires.- Dans ce contexte, la question s’est rapidement posée de savoir si les maires, dans le cadre de leur pouvoir de police administrative générale, étaient également habilités à intervenir. En application de l’article L. 2212-2, al. 5 du Code général des collectivités territoriales font en effet partie des missions de la police municipale « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires … les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ».
Le juge du référé liberté du Conseil d’Etat a rendu sur cette question une décision circonstanciée, mais dans l’ensemble défavorable au pouvoir de police administrative générale du maire (CE, ord. réf., 17 avril 2020, requête numéro 440057, Commune de Sceaux : préc.- V. aussi CE, ord., 16 février 2021, requête numéro 449605, Commune de Nice, préc.).
Il a d’abord considéré que la police dévolue aux autorités de l’Etat par le régime de l’état d’urgence sanitaire est une police spéciale qui confère aux autorités visées par les articles L. 3131-15 et suivants du Code de la santé publique le pouvoir de prendre « les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation ».
Il rappelle ensuite que le maire peut agir en vue de la « la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements ». Ce n’est que de manière exceptionnelle que le maire peut prendre des mesures plus rigoureuses si « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ». Tel n’est pas le cas, en l’espèce, d’un arrêté par lequel un maire avait subordonné les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal. De la même façon est illégal, en l’absence de raison impérieuse liée à des circonstances locales particulières, l’interdiction par le maire de Nice des locations saisonnières du 6 au 20 février 2021, qui porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété et à la liberté du commerce et de l’industrie (CE, ord. réf., 16 février 2021, requête numéro 449605, préc.). Il en va de même, a fortiori, s’agissant d’une mesure imposant le port du masque, a une période où les autorités étatiques organisaient le déconfinement du pays, la concentration de population dans l’espace public de la commune ne suffisant pas à caractériser des raisons impérieuses liées à des circonstances locales rendant indispensable l’édiction de la mesure en cause (CAA Versailles, 12 juillet 2021, requête numéro 21VE00512 : JCP A 2021, comm. 2252, note Grossholz).
§V- La notion jurisprudentielle de circonstances exceptionnelles
501.- Une jurisprudence ancienne.- En dehors de l’application des textes, la notion de circonstances exceptionnelles a également été reconnue par la jurisprudence (CE, 28 juin 1918, requête numéro 63412, Heyriés, préc.). Cette jurisprudence a vocation à s’appliquer dans des circonstances extrêmement troublées, en cas de guerre ou en cas de grave catastrophe naturelle, comme par exemple une éruption volcanique (CE, 18 mai 1983, requête numéro 25308, Rodes : Rec., p. 199) ou la menace d’effondrement d’un immeuble (CAA Lyon, 21 mai 1991, requête numéro LY00406, Ville de Lyon : Rec., p. 524).
502.- Atténuation du principe de légalité.- En cas de circonstances exceptionnelles, l’autorité administrative pourra être dispensée des conditions de forme et de procédure qui sont normalement exigées par les textes. Du point de vue du contenu des actes, elle pourra prendre des décisions qui, dans des circonstances considérées comme normales, seraient considérées comme illégales.
Exemple :
– CE, 18 mai 1983, Rodes (préc.) : le régime d’activité d’une ampleur inhabituelle qu’a connu le volcan « La Soufrière » au début du mois de juillet 1976, l’aggravation qui s’est produite au mois d’août, la menace d’une importante éruption prévue pour le 15 août ont constitué des circonstances exceptionnelles de temps et de lieu autorisant le préfet de la Guadeloupe, dans l’intérêt de l’ordre public et compte tenu de l’urgence et du caractère limité de la zone géographique concernée, à prendre des mesures d’interdiction de la circulation, d’évacuation de la population et d’interdiction de la navigation de certains navires de commerce.
La reconnaissance de circonstances exceptionnelles, si elle permet une extension des compétences et des pouvoirs des autorités administratives, donne toutefois lieu à un étroit contrôle de proportionnalité des mesures prises par le juge administratif. Ainsi, lorsqu’il n’apparaît pas d’impossibilité d’agir légalement, et si la mesure n’est pas strictement nécessaire, elle sera censurée par le juge de l’excès de pouvoir.
Exemple :
– CE Ass., 12 juillet 1969, requête numéro 76089, Chambre de commerce et d’industrie de Saint-Etienne (Rec., p. 379) : les « événements » de mai 1968 ne justifiaient pas que le ministre de l’Education nationale prenne par arrêté des mesures relevant normalement d’un décret. L’annulation des examens n’était par ailleurs pas nécessaire, dès lors que le ministre aurait pu se contenter de prévoir des aménagements.
Pour aller plus loin :
– Drago (R.), L’état d’urgence et les libertés publiques : RDP 1955, p. 670.
– Dupré de Boulois (X.), Eloge d’un état d’urgence sanitaire en « co-construction» : JCP G 2020, comm. 622.
– Haguenau-Moizard (C.), La législation sur l’état d’urgence – une perspective comparative : D. 2016, p. 655.
– Kessab (L.), Sheratt (E.), Les états d’urgence en Outre-mer : Revue des Droits de l’Homme, https://doi.org/10.4000/revdh.14628.
– Mayaud (Y.), L’état d’urgence récupéré par le droit commun ?.- ou de l’état d’urgence à l’état de confusion : JCP A 2016, doctr. 344.
– Wachsmann (P.), De la marginalisation du juge judiciaire en matière de libertés et des moyens d’y remédier : D. 2016, p. 473.
Section VII : La légalité de crise
476.- Adaptation de la légalité aux circonstances.- Les autorités administratives ne sont tenues de respecter les règles normales de la légalité que lorsqu’elles sont placées dans des circonstances elles-mêmes considérées comme normales. Ainsi, lorsque la défense de l’intérêt général l’exige, le principe de légalité va s’atténuer, principalement pour l’édiction de mesures de police. Vont alors s’appliquer des règles spéciales qui peuvent être issues de la jurisprudence.
477.- Les cas d’urgence.- Le principe de légalité peut ainsi être adapté en cas d’urgence. C’est le cas, lorsque l’urgence permet à l’administration de procéder à l’exécution forcée d’une de ses décisions, alors qu’elle aurait dû normalement saisir au préalable un juge (TC, 2 décembre 1902, Société immobilière Saint-Just, requête numéro 00543 : Rec.? p. 713 ; S. 1904, 3, p. 17, note Hauriou). La même adaptation des règles peut être observée dans des cas où l’urgence excuse la violation des règles normales de compétence ou de procédure.
Exemple :
– CE Sect., 19 février 1982, Perez, requête numéro 19723(Rec., p. 83) : la décision contestée avait pour effet de retirer un agrément délivré à un boulanger lui permettant de recruter un apprenti. Ce retrait n’avait pas été précédé des formalités exigées par les textes, mais pour autant il était légal en raison de l’urgence résultant de la nature des infractions au Code du travail relevées à l’encontre du requérant et par la gravité des risques auxquels était exposé son apprenti.
478.- Les circonstances exceptionnelles.- Il existe, par ailleurs des « circonstances exceptionnelles » qui permettront également d’atténuer la portée du principe de légalité.
Ces circonstances peuvent être visées par les textes et d’abord des textes constitutionnels. On retrouve ainsi cette notion dans les articles 16 de la Constitution, relatif aux pouvoirs exceptionnels du Président de la République et 36, relatif à l’état de siège.
Ces textes peuvent également être législatifs. On peut ici mentionner la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combats et milices privées qui autorise le conseil des ministres à procéder à la dissolution d’associations portant notamment atteinte à l’ordre public ou à l’intégrité du territoire ou qui provoquent des manifestations armées dans la rue. Ces dispositions ont été reprises à l’article L. 212-1 du Code de sécurité intérieure (pour des illustrations récentes V. CE, ord. réf., 23 juillet 2013, Association envie de rêver, requête numéro 370305– CE, ord. réf., 3 mai 2021, Génération identitaire, requête numéro 451743.– CE, 24 septembre 2021, Association de défense des droits de l’homme – Collectif contre l’islamophobie en France et a., requête numéro 449215).
Il faut aussi mentionner la loi du 3 juillet 1877 relative aux réquisitions militaires, qui autorise les réquisitions de biens, de services et de personnes en cas de mobilisation partielle ou totale de l’armée. Cette loi a été abrogée et ses dispositions ont été reprises dans le livre II de la partie II du Code de la défense. Il existe aussi des réquisitions civiles, ce qui est un pouvoir notamment reconnu au préfet dans les cas où l’urgence le justifie et « lorsque les moyens dont (il) dispose (…) ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police » (Code général des collectivités territoriales, art. L. 2215-1). Les maires disposent également de ce pouvoir de réquisition qui résulte de la compétence de police administrative générale dont ils sont investis par l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales. Si ce pouvoir ne leur est pas expressément dévolu par les textes, l’existence d’un pouvoir de réquisition est reconnu par le juge administratif (CE, 15 février 1961, Werquin, requête numéro 36872: D. 1961, jurispr. p. 611, note Weil ; JCP G 1961, II, comm. 12259, note Auby ; RDP 1961, p. 321, concl. Braibant).
On peut également citer l’article L. 2141-1 du Code de la défense, qui a repris les dispositions de l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 sur l’organisation générale de la défense, relatif à l’utilisation de la « mise en garde ». Il s’agit, dans cette hypothèse, dans un contexte de risque de guerre, de conférer au Président de la République de très larges pouvoirs permettant la réquisition des personnes, des biens et des services ainsi que la convocation des réservistes.
Ces différents textes législatifs, dont l’application est rare, ne seront pas plus détaillés, contrairement à la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence qui présente une grande actualité. On examinera également le cas particulier de l’état d’urgence sanitaire lié à la crise du covid-19, institué par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020. Il existe enfin, en dehors des textes, une notion de circonstances exceptionnelles dégagée par la jurisprudence.
§I – Les pouvoirs exceptionnels du Président de la République dans le cadre de l’article 16 de la Constitution
479.- Rappel.- On retrouve la notion de circonstances exceptionnelles dans l’article 16 de la constitution que l’on déjà évoqué plus haut (V. supra Première partie, Chapitre deux, Section une). Rappelons que cet article autorise le Président de la République, dans des cas de crise grave, à prendre des mesures relevant à la fois du domaine de la loi et de celui du règlement. La décision de recours à l’article 16 est un acte de gouvernement et elle donc inattaquable. En revanche, s’agissant des mesures prises en application de l’article 16, si celles qui relèvent du domaine de la loi sont inattaquables, celles qui relèvent du domaine du règlement sont des actes administratifs susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE Ass., 2 mars 1962, Rubin de Kervens, requête numéro 55049, requête numéro 55055 préc.).
§II – L’état de siège
480.- Régime juridique.- Doit également être mentionné l’article 36 de la Constitution relatif à l’état de siège qui se caractérise par le transfert de pouvoirs de police de l’autorité civile à l’autorité militaire (Code de la défense, art. L. 2121-2), l’extension de la compétence des juridictions militaires (Code de la défense, art. L. 2121-3 et L. 2121-6) et l’extension des pouvoirs de police (Code de la défense, art. L. 2121-7). L’article 36 se borne à mentionner que « l’état de siège est décrété en conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement ». L’actuel article L. 2121-3 et L. 2121-6 du Code de la défense précise quant à lui que l’état de siège peut être déclaré « en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée » (Code de la défense, art. L. 2121-1).
Dans le cadre de l’état de siège, le principe de légalité est atténué, des mesures qui seraient illégales en temps normal pouvant être considérées comme légales par le juge. Il résulte ainsi de l’arrêt Dame Dol et Laurent du 28 février 1919, requête numéro 61595 (Rec., p. 208 ; S. 1918-1919, III, p. 33, note Hauriou ; RDP 1919, p. 338, note Jèze) que « les pouvoirs de police dont l’autorité publique dispose pour le maintien de l’ordre et de la sécurité (…) ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre où les intérêts de la défense nationale donnent au principe de l’ordre public une extension plus grande et exigent pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses ». En cas de recours « il appartient au juge, sous le contrôle duquel s’exercent ces pouvoirs de police, de tenir compte, dans son appréciation, des nécessités provenant de l’état de guerre, selon les circonstances de temps et de lieu, la catégorie des individus visés et la nature des périls qu’il importe de prévenir ».
Il faut enfin relever que la décision déclarant l’état de siège n’est pas un acte de gouvernement et qu’elle peut donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 23 octobre 1953, requête numéro 912771, Huckel : Rec., p. 452). Par ailleurs, à la différence de l’hypothèse visée par l’article 16 de la Constitution, l’état de siège ne modifie pas la répartition des compétences constitutionnelles.
§III – L’état d’urgence
481.- Loi du 3 avril 1955.- Si l’état de siège n’a jamais été déclaré sous la V° République, il en va tout autrement concernant l’hypothèse de l’état de d’urgence qui est visée par la loi n°55-385 du 3 avril 1955.
L’état d’urgence est généralement considéré comme relevant d’un degré inférieur à l’état de siège notamment parce c’est aux autorités civiles – et non militaires – qu’il confère des pouvoirs exceptionnels.
Plus précisément, l’article 1er de la loi de 1955 prévoit que « l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (…) soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Lorsque ces conditions sont réunies, l’état d’urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Cette décision, comme celle déclarant l’état de siège, n’est pas un acte de gouvernement et elle peut donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (V. CE, ord. réf., 14 novembre 2005, Rolin, requête numéro 286835: Rec., p. 499 ; AJDA 2006, p. 501, note Chrestia). C’est un contrôle restreint qui est alors exercé par le juge administratif. Comme pour ce qui concerne l’état de siège, au-delà de douze jours, la prorogation de l’état d’urgence ne peut être autorisée que par la loi.
482.- Recours à l’état d’urgence.- L’état d’urgence a été déclaré plusieurs fois pendant la guerre d’Algérie, mais également en 1985 lors de troubles en Nouvelle-Calédonie. Plus récemment, l’état d’urgence a été déclaré à l’occasion des violences urbaines d’octobre 2005. Enfin, à la suite des attentats du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été déclaré par le décret n°2015-1475 du 15 novembre 2015, puis prolongé pour des périodes comprises entre trois mois et six mois par la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015, par la loi n°2016-162 du 19 février 2016, par la loi n°2016-629 du 20 mai 2016, par la loi n°2016-987 du 21 juillet 2016, par la loi n°2016-1767 du 19 décembre 2016 et par la loi n°2017-1154 du 11 juillet 2017.
483.- Tentative de constitutionnalisation de l’état d’urgence.- Le caractère inédit des évènements terroristes qui ont été à l’origine du déclenchement de l’état d’urgence en 2015 a relancé le débat sur sa constitutionnalisation. Cette piste avait déjà été évoquée en 2007 par le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions (dit comité Balladur). La révision de 2015 a toutefois échoué, faute d’obtenir un vote identique des deux assemblées, nécessaire pour soumettre le projet au congrès, et alors même que la raison de ce blocage n’était pas liée à la question de l’état d’urgence, mais à celle également inscrite dans le projet, beaucoup plus polémique, de la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation.
484.- Conformité à la Constitution de la loi du 3 avril 1955.- De nombreux types de mesures peuvent être prises dans le cadre de l’état d’urgence. Le Conseil constitutionnel a estimé sur ce point que si « la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence », il lui appartient « dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République » ce qui n’est pas du tout simple à assurer (CC, 22 décembre 2015, numéro 2015-527 QPC : Dr. adm. 2016, comm. 46, note Eveillard ; JCP A 2016, comm. 6, note Verpeaux ; RFDA 2016, p. 123, note Roblot-Troizier ; RFDC 2016, p. 123, note Roux).
485.- Couvre-feu et interdictions de séjour.- L’article 5 de la loi du 3 avril 1955, modifié par la loi n°2017-1154 du 11 juillet 2017 et suite à l’invalidation par le Conseil constitutionnel du 2° de cet article qui permettait d’instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé (CC, 11 janvier 2018, numéro 2017-684 QPC), permet au préfet de prendre deux types de mesures. D’une part, il lui permet d’interdire par arrêté la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures qu’il fixe, ce qui revient pour l’essentiel à établir un couvre-feu. D’autre part, le préfet peut interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Ces dispositions sont issues de la loi n°2017-1154 du 11 juillet 2017 intervenue suite à la censure des anciennes dispositions de l’article 5, 3° de la loi de 1955 par la décision CC, 9 juin 2017, numéro 2017-635 QPC (Dr. adm. 2017, comm. 42, note Eveillard) qui permettaient de prononcer une interdiction de séjour à l’encontre de « toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics », ce qui est une formule beaucoup plus large que l’actuelle rédaction de cet article. En cas d’interdiction de séjour, conformément aux exigences du Conseil constitutionnel, l’arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique, qui ne peut inclure le domicile de la personne intéressée. Le préfet doit également prendre en compte la vie familiale et professionnelle de l’intéressé.
486.- Assignations à résidence.- L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 permet ensuite au ministre de l’Intérieur de prononcer des assignations à résidence qui peuvent concerner, depuis la loi n°2015-501 du 20 novembre 2015, toute personne « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », alors que l’ancienne version de cet article visait seulement les personnes dont « l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics » (sur la conformité à la Constitution de ces dispositions V. CC, 22 décembre 2015, n°2015-527 QPC). Ces mesures ont été particulièrement nombreuses dans le cadre de l’état d’urgence déclenché à partir du 15 novembre 2015 puisqu’on en dénombre pas moins de 752. Si elles peuvent faire l’objet d’une procédure de référé liberté (CE Sect., 11 décembre 2015, Domenjoud, numéro 395009 : Rec., p. 437, concl. Domino ; AJDA 2016, p. 247, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; Dr. adm. 2016, comm. 25, note Eveillard ; JCP A 2015, act. 1068, obs. Erstein ; RFDA 2016, p. 105, concl. Domino et p. 123, note Roblot-Troizier.- CE, ord. réf., 4 juillet 2016, Knittel, numéro 400945), les recours contre ces mesures ont en général été rejetés par le juge des référés du Conseil d’Etat (V. toutefois CE, ord. réf., 22 janvier 2016, M. B., requête numéro 396116). Notons cependant que le juge répressif, sur le fondement de l’article L. 111-5 du Code pénal, peut apprécier la légalité d’un arrêté d’assignation à résidence dès lors que de cet examen dépend la solution du procès pénal qui lui est soumis (Cass. crim., 3 mai 2017, pourvoi numéro 16-86.155).
Il faut aussi relever que la loi n°2016-1767 du 19 décembre 2016, modifiant ces dispositions, avait voulu subordonner la prolongation d’une assignation à résidence au-delà de douze mois à une autorisation préalable du même juge des référés du Conseil d’Etat. Le Conseil constitutionnel a censuré ces nouvelles dispositions au motif qu’elles étaient contraires au principe d’impartialité et au droit à exercer un recours juridictionnel effectif (CC, 16 mars 2017, numéro 2017-624 QPC). En effet, elles conféraient au Conseil d’Etat la compétence d’autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure d’assignation à résidence sur la légalité de laquelle il était susceptible de se prononcer ultérieurement comme juge de dernier ressort. La même décision a également formulé trois réserves d’interprétation encadrant la possibilité qu’une mesure d’assignation à résidence puisse être renouvelée au-delà de douze mois par périodes de trois mois sans qu’il soit porté une atteinte excessive à la liberté d’aller et de venir (sur la prise en compte de ces réserves d’interprétation pour le juge du référé liberté V. CE, ord. réf., 25 avril 2017, numéro 409677).
487.- Dissolution d’associations ou de groupements.- La loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 a ensuite ajouté un article 6-1 à la loi du 3 avril 1955 permettant la dissolution par décret en conseil des ministres des « associations ou groupements de fait qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent ».
488.- Fermetures de salles, débits de boissons, lieux de réunion et lieux de culte.- L’article 8 de la loi permet quant à lui au ministre de l’Intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence, et au préfet, dans le département, d’ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature (V. CE, ord. réf., 6 janvier 2016, requête numéro 395620, requête numéro 395621). Cet article a été complété par la loi n°2016-987 du 21 juillet 2016 qui permet désormais d’ordonner la fermeture « des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes » (sur ce point V. CE, ord. réf., 6 décembre 2016, Association islamique Malik Ibn Anas, requête numéro 405476.– CE, ord. réf., 20 janvier 2017, Association Centre culturel franco-égyptien – Association maison d’Egypte, requête numéro 406618).
489.- Perquisitions administratives.- L’article 11 de la loi autorise enfin le décret déclenchant l’état d’urgence ou la loi le prorogeant à autoriser des perquisitions administratives. Dans sa rédaction actuelle, cet article permet la perquisition « y compris (d’un) domicile (…) lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».
Les nouvelles dispositions issues de la loi du 20 novembre 2015 avaient été déclarées conformes à la Constitution, exceptées celles qui permettaient à l’autorité administrative de copier au cours de la perquisition « toutes les données informatiques auxquelles il aura été possible d’accéder », cette hypothèse étant assimilée par le Conseil constitutionnel à une saisie non autorisée par un juge (CC, 19 février 2016, numéro 2016-536 QPC : Constitutions 2016, comm. 100, note Domingo. – V. également sur la question de la saisie et de l’exploitation des données informatiques et l’inconstitutionnalité résultant du fait que la loi n’avait pas prévu de délai d’effacement des données après l’état d’urgence, CC, 2 décembre 2016, numéro 2016-600 QPC). Suite aux décisions susvisées du Conseil constitutionnel, l’article 11 de la loi de 1955 a été ensuite complété par la loi n°2016-987 du 21 juillet 2016 puis par la loi n°2017-528 du 28 février 2017. Dans sa dernière version, issue de la loi n°2017-258 du 28 février 2017, l’article 11 de la loi de 1955 précise qu’une « perquisition ne peut avoir lieu entre 21 heures et 6 heures, sauf motivation spéciale de la décision de perquisition fondée sur l’urgence ou les nécessités de l’opération ».
Sur le fondement de ces dispositions, ce ne sont pas moins de 4444 perquisitions administratives qui ont été pratiquées dans le cadre de l’état d’urgence déclenché le 15 novembre 2015.
Le régime juridique de ces perquisitions a été précisé par le Conseil d’Etat dans un avis d’Assemblée du 6 juillet 2016, Napol et a. et Thomas et a., avis numéro 398234 (Rec., p. 320, concl. Bourgeois-Machureau ; AJDA 2016, p. 1635, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; Dr. adm. 2016, comm. 58, note Eveillard ; JCP A 2016, comm. 2256, note Verpeaux ; JCP G 2016, comm. 1079, note Türk ; RDP 2017, p. 491, note Pauliat ; RFDA 2016, p. 943, note Le Bot). Le Conseil d’Etat affirme d’abord la compétence du juge administratif pour connaître des actions contentieuses relatives aux perquisitions, étant précisé que la chambre criminelle de la Cour de cassation s’estime concurremment compétente, en application de l’article L. 111-5 du Code pénal, pour apprécier la légalité de l’ordre de perquisition, lequel détermine la régularité de la procédure pénale (Cass. crim., 13 décembre 2016, pourvoi numéro 16-82.176 : AJ pénal 2017, p. 30, note Herran et Lacaze ; Dr. adm. 2017, comm. 20, note Eveillard ; Dr. pén. 2017, étude 6, Ribeyre ; D. 2017, p. 1175, note Beaussonie ; JCP 2017, comm. 206, note Robert). Le Conseil d’Etat a ainsi admis la recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les décisions prises par l’autorité administrative. Il relève que « la circonstance qu’elles ont produit leurs effets avant la saisine du juge n’est pas de nature à priver d’objet le recours ». Concernant les modalités de contrôle de la légalité des ordres de perquisition, l’avis du 6 juillet 2016 précise d’abord que si leur motivation est exigée, cette exigence, conformément à l’article L. 211-6 du Code des relations entre le public et l’administration, est écartée en cas « d’urgence absolue ». En l’absence de motivation, il appartient au juge « d’apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, si une urgence absolue a fait obstacle à ce que la décision comporte une motivation même succincte » (V. ainsi censurant une perquisition insuffisamment motivée CE, 28 décembre 2017, Mme G… et a., requête numéro 410441– V. en revanche concluant au caractère suffisant de la motivation CAA Nancy, 26 septembre 2017, Ministre de l’Intérieur, numéro 17NC00246). Comme le précise l’article 11 de la loi de 1955, la motivation, lorsqu’elle est exigée, doit porter mention du lieu et du moment de la perquisition. Du point de vue du contrôle de la légalité interne de l’ordre de perquisition, ensuite « il appartient au juge administratif d’exercer un entier contrôle du respect » des conditions visées par cet article. Il s’agit ainsi de s’assurer que « la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l’Etat d’urgence » (V. CAA Paris, 12 juillet 2017, Nacef, numéro 17PA01020). Enfin, en cas de perquisition illégale, la responsabilité pour faute de l’Etat peut être recherchée à l’égard des personnes concernées par la perquisition. En revanche, les tiers victimes d’un dommage bénéficient d’un régime de responsabilité sans faute de l’Etat sur le fondement du principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques (sur ces questions V. infra Sixième Partie, Chapitre III, Section III).
490.- Durée exceptionnelle de l’état d’urgence de 2015.- Le prolongement exceptionnel de l’état d’urgence déclaré à partir du 15 novembre 2015 n’a pas manqué de générer des débats nombreux concernant la pertinence de son maintien au regard des nécessités de préservation de l’ordre public. Dans une ordonnance du juge des référés du 27 janvier 2016, le juge des référés du Conseil d’Etat a ainsi refusé de suspendre l’état d’urgence ou d’ordonner au Président de la République d’y mettre fin (CE, ord. réf., 27 janvier 2016, Ligue des droits de l’Homme et a., requête numéro 396220: Rec., p. 8 ; RFDA 2016, p. 355, note Baranger).
491.- Introduction dans le droit commun de certains éléments inspirés du régime de l’état d’urgence.- Finalement, c’est l’introduction de certaines mesures de l’état d’urgence dans le droit commun, par la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui a permis de mettre un terme à l’état d’urgence. Cette loi met en place une véritable police administrative spéciale de la prévention du terrorisme qui confère des pouvoirs particulièrement étendus aux autorités de police.
Peut être mentionnée, en particulier, l’instauration de périmètres de protection, la fermeture de lieux de culte, les assignations à résidence et les perquisitions administratives appelées par la loi « visites à domicile ». Toutefois les modalités de mise en œuvre de ces mesures sont sensiblement différentes que celles existant dans le cadre de l’état d’urgence. Ainsi, par exemple, les « visites à domicile » doivent être autorisées par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, alors que c’est le juge administratif qui opère un contrôle a posteriori de la légalité des perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence. De même, dans le cadre de l’état d’urgence, ces perquisitions peuvent être ordonnées « (s’il) existe des raisons sérieuses de penser (qu’un) comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », alors que dans le cadre de la loi de 2017 elles doivent être justifiées « aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme » (V. Code sécurité intérieure, art. L. 229-1).
L’essentiel de ce dispositif a été jugé conforme à la Constitution (CC, 16 février 2018, Ben Abbes, numéro 2017-691 QPC: D. 2018, p. 830, note Pellé ; Dr. adm. 2018, comm. 28, note Eveillard ; JCP A 2018, act. 175, obs. Friedrich ; JCP A 2018, comm. 2146, note Jobart.- Cons. const., 29 mars 2018, n°2017-695 QPC , Belfredj et a. : JurisData n°2018-004947 ; JO 30 mars 2018, n°111 ; Dr. adm. 2018, comm. 38, note Eveillard ; JCP A 2018, act. 321, obs. M. Touzeil-Divina).
En revanche, certains éléments de la loi ont été censurés et de nombreuses réserves d’interprétation ont été formulées par le Conseil constitutionnel.
Il a notamment jugé que la durée des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ne doit pas dépasser douze mois, consécutifs ou non, ce qui n’est pas le cas, en revanche, des assignations à résidence prononcées dans le cadre de l’état d’urgence (Cons. const., 16 mars 2017, n°2017-624 QPC, préc.). Mais il est important ici de relever que la durée pendant laquelle l’intéressé a été soumis à une assignation à résidence pendant l’état d’urgence n’est pas prise en compte dans cette durée maximale.
Le Conseil constitutionnel a ensuite censuré les dispositions de la loi qui confiaient au juge du référé liberté la compétence pour statuer sur les mesures de renouvellement de ces mesures, cette compétence devant être exercée par un juge du fond.
Il valide en revanche le dispositif des périmètres de protection, qui avait succédé à celui des zones de protection ou de sécurité dont on a vu qu’il avait été censuré par le Conseil constitutionnel (CC, 11 janvier 2018, n°2017-684 QPC, préc.), tout en formulant des réserves d’interprétation concernant notamment les critères de mise en œuvre de ces mesures, et le rôle des agents de sécurité privés.
Le Conseil constitutionnel a également validé les dispositions de la loi qui permettent à l’autorité de police de fermer temporairement des lieux de culte.
§IV- L’état d’urgence sanitaire
492.- Avant la création du régime de l’état d’urgence sanitaire.- Confronté à la pandémie de la covid-19, l’exécutif a dans un premier temps choisi d’intervenir en utilisant des pouvoirs qui lui étaient reconnus à la fois par la loi et par des règles jurisprudentielles.
C’est d’abord le ministre de la Santé qui est intervenu en faisant usage des pouvoirs de police administrative spéciale qu’il détient en cas de menace sanitaire grave en application des articles L. 3131-1 et suivant du Code de la santé publique (V. ainsi A., 30 janvier 2020 et du 20 février 2020 relatifs à la situation des personnes ayant séjourné dans une zone atteinte par l’épidémie de virus 2019-nCov.- A., 4 mars 2020, 9 mars 2020, 13 mars 2020 et du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19).
Il a toutefois été justement relevé que ces arrêtés dépassaient le champ de compétence de ce ministre, dès lors qu’ils prescrivaient, par exemple, la suspension de l’accueil des usagers dans les établissements d’enseignement ou encore la suspension des concours de recrutement de fonctionnaires et de magistrats.
Le Premier ministre est également intervenu en application des articles L. 3131-8 et L. 3131-19 du même code qui lui confèrent des pouvoirs de réquisition en cas « (d’)afflux de patients ou de victimes ou (si) la situation sanitaire le justifie (D. n°2020-190, 3 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19 pris en application de l’article L. 3131-9 du Code de la santé publique afin de procéder à la réquisition de masques de protection respiratoire).
Faisant ensuite une application conjointe des jurisprudences Labonne (préc.), qui attribue au titulaire du pouvoir réglementaire général un pouvoir de police administrative général, et Heyriès (préc.) qui lui confère des pouvoirs exorbitants dans des circonstances exceptionnelles, le Premier ministre a adopté le décret n°2020-260 du 16 mars 2020, modifié par le décret n°2020-279 du 19 mars 2020, interdisant le déplacement de toute personne hors de son domicile, sauf dérogation.
493.- Création d’un cadre législatif spécifique en matière de lutte contre les pandémies.- Le caractère inédit de la crise sanitaire, la nécessité d’intervenir de façon plus efficace, quitte à prendre des mesures liberticides (en particulier des mesures de confinement), mais également la volonté d’associer le Parlement, ont conduit le gouvernement à élaborer dans l’urgence un nouveau cadre législatif. L’expérience de l’état d’urgence de 2015, qui avait conduit à modifier à de nombreuses reprises la loi du 3 avril 1955 pour l’adapter à un autre évènement d’ampleur inédite et finalement aboutir à la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 a certainement également joué.
C’est ainsi qu’ont été adoptées la loi organique n°2020-365 du 30 mars 2020 suspendant jusqu’au 30 juin 2020 les délais de la procédure de QPC, et surtout la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 qui institue un état d’urgence sanitaire spécifique. S’il s’agit d’un outil ad hoc, il ne s’agit toutefois pas d’une loi d’exception puisque l’essentiel de son dispositif a vocation à être pérenne et à s’appliquer aux catastrophes sanitaires en général.
Si la loi du 3 avril 1955 offre un large panel de pouvoirs aux autorités administratives, elle apparaissait en effet mal adaptée à une situation inédite, caractérisée par la diffusion d’un virus extrêmement contagieux pouvant justifier des mesures généralisées de restriction des libertés de l’ensemble des citoyens.
Il ne faut pas rechercher, dans ce texte, de définition précise de la notion d’état d’urgence sanitaire. Rédigé dans des délais très brefs, dicté par les circonstances, il a vocation à permettre aux autorités compétentes de prendre des mesures qui seraient en d’autres temps qualifiées de liberticides.
La loi prévoit d’abord le report du second tour des élections municipales et elle édicte des mesures d’urgence économiques, financières et sociales.
L’état d’urgence sanitaire, en tant que tel, fait l’objet du titre I de la loi. Il insère un nouveau chapitre 1er bis dans le titre III du Livre 1er de la troisième partie du Code de la santé publique consacrée aux menaces et crises sanitaires graves.
494.- Déclenchement de l’état d’urgence sanitaire.- Le nouvel article L. 3131-12 du Code de la santé publique précise que l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire en cas de « catastrophe sanitaire mettant en péril par sa nature et sa gravité, la santé de la population ».
Cette déclaration fait l’objet d’un décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application (Code de la santé publique, art. L. 3131-13).
495.- Prolongation de l’état d’urgence sanitaire.- Suivant la même logique que l’état de siège ou que l’état d’urgence visé par la loi du 3 avril 1955, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi (Code de la santé publique, art. L. 3131-14). Toutefois, à titre dérogatoire, l’article 4 de la loi n°2020-290 du 24 mars 2020 précise que l’état d’urgence sanitaire est déclaré – par la loi elle-même et non pas par l’exécutif – pour une durée de deux mois à compter son entrée en vigueur, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de covid-19. L’état d’urgence sanitaire a ensuite été prorogé pour une nouvelle période de deux mois par la loi n°2020-546 du 11 mai 2020. La loi n°2020-856 du 9 juillet 2020 a ensuite organisé la sortie de l’état d’urgence sanitaire en mettant en place un régime transitoire à partir du 11 juillet autorisant le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles jusqu’au 31 octobre 2020. Ce régime législatif s’est toutefois achevé avant cette date butoir, en raison de l’apparition d’une deuxième vague épidémique, avec l’entrée en vigueur du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 déclenchant une nouvelle fois l’état d’urgence sanitaire. La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 a prolongé, une première fois, l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021. La loi n°2021-160 du 15 février 2021 l’a prolongé une deuxième fois jusqu’au 1er juin 2021.
La situation épidémique s’améliorant, a ensuite été adoptée la loi n°2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dont le dispositif est largement inspiré de celui de la loi du 9 juillet 2020. Cette loi permet notamment d’activer par décret du Premier ministre des mesures de limitation des déplacement et d’utilisation des moyens de transport, de restreindre les conditions d’ouverture de certains établissements recevant du public ou encore de limiter les réunions et rassemblements sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. Elle permet notamment de subordonner l’accès de certaines activités à la présentation d’un test de dépistage ou d’un justificatif de statut vaccinal.
La loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a ensuite prorogé jusqu’au 31 décembre 2021 le terme du régime transitoire et du cadre juridique du passe sanitaire, qui était jusqu’alors fixé au 30 septembre. Elle a aussi prorogé jusqu’au 30 septembre 2021 l’état d’urgence sanitaire en vigueur à La Réunion et à la Martinique (V. plus généralement sur la gestion de la pandémie dans les territoires ultramarins, L. Kessab et E. Sheratt, Les états d’urgence en Outre-mer : Revue des Droits de l’Homme, http://journals.openedition.org/revdh/14628 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.14628).
Le dispositif transitoire a une nouvelle fois été prorogé jusqu’au 31 juillet 2022 par la loi n°2021-1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire. Enfin, la loi n°2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le Code de la santé publique abroge à partir du 1er août 2022 les dispositions du Code de la Santé publique relatives à l’état d’urgence sanitaire, créé au printemps 2020, ainsi que le régime de sortie da crise sanitaire instauré par la loi du 31 mai 2021. La loi maintient néanmoins un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la Covid-19.
496.- Un large panel de compétences.- Les pouvoirs conférés aux autorités administratives dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire sont extrêmement larges et ils peuvent être exercés par trois autorités étatiques distinctes.
497.- Compétence du Premier ministre.- Le Premier ministre, tout d’abord, peut par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique, prendre pas moins de dix types de mesures. Il peut notamment édicter un couvre-feu, ordonner des mesures de placement en quarantaine et de maintien à l’isolement, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ou encore interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé (Code de la santé publique, art. L. 3131-15).
Le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 a dans ce sens édicté de nombreuses mesures de lutte contre l’épidémie de covid-19 dont la plus emblématique est certainement celle prescrivant le confinement de la population, sauf exceptions (sur le rejet d’une demande de confinement généralisé V. CE, ord. réf., 22 mars 2020, Syndicat des jeunes médecins, requête numéro 439674.- V. également, par exemple, validant la mesure de fermeture des marchés, CE, ord. réf., 1er avril 2020, Fédération nationale des marchés de France, requête numéro 439762.- V. en revanche suspendant la mesure interdisant l’usage du vélo, CE, ord. réf., 30 avril 2020, requête numéro 440250 : Rec. tables, p. 60).
Comme cela est classique pour les mesures de police, ainsi que l’indique l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique, ces mesures doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires » (sur la sanction par le juge du référé liberté de mesures disproportionnées V. CE ord. réf., 18 mai 2020, requête numéro 440366, requête numéro 440410, requête numéro 440531, requête numéro 440550, requête numéro 440562, requête numéro 440563, requête numéro 440590.- CE ord. réf., 18 mai 2020, Association La quadrature du net et Ligue des droits de l’homme, requête numéro 440442, requête numéro 440445).
Comme on l’a vu, l’accélération de l’épidémie durant l’automne 2020 a conduit à nouveau à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Saisi d’un certain nombre de recours, le juge du référé liberté du Conseil d’Etat a pu, par exemple, juger légales les restrictions imposées aux universités en terme d’accueil des étudiants (CE, ord. réf., 10 décembre 2020, requête numéro 447015 : JCP A 2021, comm. 2032, note Hul), où celles imposant la fermeture des cinémas, théâtres et salles de spectacles (CE, ord. réf., 23 décembre 2020, requête numéro 447698), mais illégales celles limitant à trente personnes l’accueil dans les lieux de culte (CE, ord. réf., Association Civitas et a., 29 novembre 2020, requête numéro 446930, requête numéro 446941, requête numéro 446968, requête numéro 446975 : JCPA 2020, comm. 692, obs. Pauliat ; JCP G 2020, comm. 1428, note Gonzalez) ou celles interdisant tous les évènements réunissant plus de 500 personnes en tant qu’elles on pour conséquence une interdiction générale et absolue des manifestations (CE, ord. réf., 13 juin 2020, Ligue des droits de l’homme, requête numéro 4450846).
L’organisation de la sortie de crise, à partir du printemps 2021 a donné lieu également à de nombreux contentieux, notamment sur la question du passe vaccinal (V. notamment CE, ord. réf., 11 mars 2022, requête numéro 461570 : JCP A 2022, act. 212, obs. Youhnovski Sagon).
498.- Compétence du ministre de la Santé.- Le ministre de la Santé peut prescrire, en dehors des domaines relevant de la seule compétence du Premier ministre, différentes mesures de police administrative. Il peut prendre, par arrêté motivé, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, des mesures qui doivent être, comme celles prises par le Premier ministre « strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriés aux circonstances de temps et de lieu » (Code de la santé publique, art. L. 3131-16).
499.- Compétence des préfets.- Enfin, le Premier ministre, comme le ministre de la santé, peuvent habiliter le préfet de département territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions (Code de la santé publique, art. L. 3131-17).
500.- Compétence très limitée des maires.- Dans ce contexte, la question s’est rapidement posée de savoir si les maires, dans le cadre de leur pouvoir de police administrative générale, étaient également habilités à intervenir. En application de l’article L. 2212-2, al. 5 du Code général des collectivités territoriales font en effet partie des missions de la police municipale « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires … les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ».
Le juge du référé liberté du Conseil d’Etat a rendu sur cette question une décision circonstanciée, mais dans l’ensemble défavorable au pouvoir de police administrative générale du maire (CE, ord. réf., 17 avril 2020, Commune de Sceaux, requête numéro 440057: préc.- V. aussi CE, ord., 16 février 2021, Commune de Nice, requête numéro 449605, préc.).
Il a d’abord considéré que la police dévolue aux autorités de l’Etat par le régime de l’état d’urgence sanitaire est une police spéciale qui confère aux autorités visées par les articles L. 3131-15 et suivants du Code de la santé publique le pouvoir de prendre « les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation ».
Il rappelle ensuite que le maire peut agir en vue de la « la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements ». Ce n’est que de manière exceptionnelle que le maire peut prendre des mesures plus rigoureuses si « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ». Tel n’est pas le cas, en l’espèce, d’un arrêté par lequel un maire avait subordonné les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal. De la même façon est illégal, en l’absence de raison impérieuse liée à des circonstances locales particulières, l’interdiction par le maire de Nice des locations saisonnières du 6 au 20 février 2021, qui porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété et à la liberté du commerce et de l’industrie (CE, ord. réf., 16 février 2021, Commune de Nice, requête numéro 449605, préc.). Il en va de même, a fortiori, s’agissant d’une mesure imposant le port du masque, a une période où les autorités étatiques organisaient le déconfinement du pays, la concentration de population dans l’espace public de la commune ne suffisant pas à caractériser des raisons impérieuses liées à des circonstances locales rendant indispensable l’édiction de la mesure en cause (CAA Versailles, 12 juillet 2021, requête numéro 21VE00512 : JCP A 2021, comm. 2252, note Grossholz).
§V- La notion jurisprudentielle de circonstances exceptionnelles
501.- Une jurisprudence ancienne.- En dehors de l’application des textes, la notion de circonstances exceptionnelles a également été reconnue par la jurisprudence (CE, 28 juin 1918, Heyriés, requête numéro 63412, préc.). Cette jurisprudence a vocation à s’appliquer dans des circonstances extrêmement troublées, en cas de guerre ou en cas de grave catastrophe naturelle, comme par exemple une éruption volcanique (CE, 18 mai 1983, Rodes, requête numéro 25308 : Rec., p. 199) ou la menace d’effondrement d’un immeuble (CAA Lyon, 21 mai 1991, Ville de Lyon, requête numéro LY00406 : Rec., p. 524).
502.- Atténuation du principe de légalité.- En cas de circonstances exceptionnelles, l’autorité administrative pourra être dispensée des conditions de forme et de procédure qui sont normalement exigées par les textes. Du point de vue du contenu des actes, elle pourra prendre des décisions qui, dans des circonstances considérées comme normales, seraient considérées comme illégales.
Exemple :
– CE, 18 mai 1983, Rodes, requête numéro 25308: le régime d’activité d’une ampleur inhabituelle qu’a connu le volcan « La Soufrière » au début du mois de juillet 1976, l’aggravation qui s’est produite au mois d’août, la menace d’une importante éruption prévue pour le 15 août ont constitué des circonstances exceptionnelles de temps et de lieu autorisant le préfet de la Guadeloupe, dans l’intérêt de l’ordre public et compte tenu de l’urgence et du caractère limité de la zone géographique concernée, à prendre des mesures d’interdiction de la circulation, d’évacuation de la population et d’interdiction de la navigation de certains navires de commerce.
La reconnaissance de circonstances exceptionnelles, si elle permet une extension des compétences et des pouvoirs des autorités administratives, donne toutefois lieu à un étroit contrôle de proportionnalité des mesures prises par le juge administratif. Ainsi, lorsqu’il n’apparaît pas d’impossibilité d’agir légalement, et si la mesure n’est pas strictement nécessaire, elle sera censurée par le juge de l’excès de pouvoir.
Exemple :
– CE Ass., 12 juillet 1969, Chambre de commerce et d’industrie de Saint-Etienne, reuqête numéro 76089 (Rec., p. 379) : les « événements » de mai 1968 ne justifiaient pas que le ministre de l’Education nationale prenne par arrêté des mesures relevant normalement d’un décret. L’annulation des examens n’était par ailleurs pas nécessaire, dès lors que le ministre aurait pu se contenter de prévoir des aménagements.
Pour aller plus loin :
– Drago (R.), L’état d’urgence et les libertés publiques : RDP 1955, p. 670.
– Dupré de Boulois (X.), Eloge d’un état d’urgence sanitaire en « co-construction» : JCP G 2020, comm. 622.
– Haguenau-Moizard (C.), La législation sur l’état d’urgence – une perspective comparative : D. 2016, p. 655.
– Kessab (L.), Sheratt (E.), Les états d’urgence en Outre-mer : Revue des Droits de l’Homme, https://doi.org/10.4000/revdh.14628.
– Mayaud (Y.), L’état d’urgence récupéré par le droit commun ?.- ou de l’état d’urgence à l’état de confusion : JCP A 2016, doctr. 344.
– Wachsmann (P.), De la marginalisation du juge judiciaire en matière de libertés et des moyens d’y remédier : D. 2016, p. 473.
Table des matières