REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 25 mars 2008 par télécopie et régularisée le 26 mars 2008 par la production de l’original, présentée pour Mme Ida A, demeurant …, par Me Neveux ; Mme A demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 0115739/2 du 19 novembre 2007 qui, après avoir pris acte d’un dégrèvement partiel accordé en cours d’instance, a rejeté le surplus de sa demande en décharge des cotisations d’impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1996 à 1998 et l’a condamnée à payer une amende de 1 000 euros en application de l’article R. 741-12 du code de justice administrative ;
2°) de prononcer la décharge demandée et la restitution de la somme déjà versée de 411 682, 78 euros, compte tenu de la décision de dégrèvement du 23 décembre 2003 ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité modifié du 25 mars 1957, instituant la Communauté économique européenne, devenue Union européenne ;
Vu la convention fiscale conclue entre la France et la Principauté de Monaco le 18 mai 1963 ;
Vu la convention fiscale conclue entre la France et l’Italie le 5 octobre 1989 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 11 juin 2010 :
– le rapport de M. Vincelet, rapporteur,
– et les conclusions de M. Goues, rapporteur public ;
Considérant qu’aux termes de l’article 164 C du code général des impôts : Les personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France mais qui y disposent d’une ou plusieurs habitations, à quel que titre que ce soit, directement ou sous le couvert d’un tiers, sont assujetties à l’impôt sur le revenu sur une base égale à trois fois la valeur locative réelle de celles ou de ces habitations à moins que les revenus de source française des intéressés ne soient supérieurs à cette base, auquel cas le montant de ces revenus sert de base à l’impôt./ Les dispositions du premier alinéa ne s’appliquent pas aux contribuables de nationalité française qui justifient être soumis dans le pays où ils ont leur domicile fiscal à un impôt personnel sur l’ensemble de leurs revenus et si cet impôt est au moins égal aux deux tiers de celui qu’ils auraient à supporter en France sur la même base d’imposition. (…) ;
Considérant qu’au cours des années 1996 à 1998, Mme A, ressortissante italienne qui résidait au Liechtenstein, a disposé d’une villa au Cap d’Ail (Alpes Maritimes) ; que sur le fondement du premier alinéa de l’article 164 C précité du code général des impôts l’administration l’a assujettie, au titre de ces années, à des impositions sur le revenu forfaitairement assises sur une base égale à trois fois la valeur locative de cette villa ; que, saisi par la contribuable d’une demande en décharge de ces impositions, le Tribunal administratif de Paris , après avoir pris acte du dégrèvement partiel prononcé devant lui par l’administration pour une erreur de calcul du quotient familial, a rejeté le surplus de sa demande et a mis à sa charge une amende de 1 000 euros pour requête abusive ; que l’intéressée fait appel de ce jugement en soutenant que les impositions contestées méconnaissent d’une part la clause de non discrimination selon la nationalité prévue à l’article 25 de la convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989, d’autre part les principes communautaires de libre circulation des capitaux et de non discrimination, alors respectivement énoncés aux articles 73 B et 6 du Traité instituant la Communauté économique européenne devenue Union européenne ;
Sur les conclusions en décharge des impositions contestées :
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 25 de la convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989 :
Considérant qu’aux termes de l’article 25 de cette convention : Les nationaux d’un Etat, qu’ils soient ou non résidents de l’un des Etats, ne sont soumis dans l’autre Etat à aucune imposition ou obligation y relative, qui y est autre ou plus lourde que celles auxquelles sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet Etat qui se trouvent dans la même situation ; qu’il ressort des termes mêmes de cet article que Mme A peut se prévaloir de ses stipulations alors qu’elle n’était pas résidente de l’un des Etats contractants ;
Considérant que sont passibles de l’imposition forfaitaire sur le revenu prévue à l’article 164 C du code général des impôts tous les non résidents, quelle que soit leur nationalité, mais que les ressortissants français peuvent cependant en être exonérés s’ils établissent être soumis dans l’Etat de leur résidence, sur l’ensemble de leurs revenus, à un impôt au moins égal aux deux tiers de celui résultant de l’évaluation forfaitaire ; que la clause de non discrimination en fonction de la nationalité stipulée à l’article 25 de la convention précité implique d’autoriser Mme A à établir, comme pourrait le faire un ressortissant français, qu’au titre des années concernées elle a été personnellement assujettie au Liechtenstein à un impôt sur le revenu au moins égal aux deux tiers de l’imposition forfaitaire litigieuse ; que, bien que l’administration lui ait rappelé cette faculté, l’intéressée n’en a pas usé et ne fait toujours état d’aucun élément en ce sens ; qu’elle n’est en conséquence pas fondée à soutenir qu’elle a été victime d’une discrimination en fonction de sa nationalité ;
Considérant, par ailleurs, qu’ainsi qu’il a été dit, la requérante était résidente du Liechtenstein ; qu’elle ne peut en conséquence utilement invoquer le fait qu’elle serait moins bien traitée qu’un ressortissant français résident de Monaco ; que n’étant pas résidente d’un Etat de la Communauté européenne, elle ne peut davantage demander à bénéficier, sur le fondement d’une jurisprudence communautaire, du traitement fiscal réservé au ressortissant français résident monégasque ;
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des principes du droit communautaire :
S’agissant du principe de libre circulation des capitaux :
Considérant que si les impôts directs ne relèvent pas, en tant que tels, du domaine de compétence de la communauté européenne, les Etats membres doivent exercer leur compétence fiscale dans le respect du droit communautaire, et notamment des libertés protégées par le traité C.E., au nombre desquelles la libre circulation des capitaux alors énoncée aux articles 73 B à 73 H du traité C.E., ultérieurement devenus 56 à 60 de ce traité, puis 63 à 66 du traité U.E. ;
Considérant qu’aux termes de l’article 73 B : 1 Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites./ 2 Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ; que selon la clause de sauvegarde prévue à l’article 73 D : 1-L’article 73 B ne porte pas atteinte aux droits qu’ont les Etats membres : a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale (…), de prévoir des procédures de déclaration de mouvements de capitaux à des fins d’information administrative et statistique, ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique. /2- Le présent chapitre ne préjuge pas de la possibilité d’appliquer des restrictions en matière de droit d’établissement qui sont compatibles avec le présent traité. /3- Les mesures ou procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer, ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 73 B ; qu’enfin, en vertu du point II A de la nomenclature annexée à la directive 88/361 du 24 juin 1988, les investissements immobiliers effectués sur le territoire d’un Etat membre par un non résident, même à des fins personnelles, constituent des mouvements de capitaux au sens des dispositions précitées ;
Considérant, en premier lieu, que dès lors que l’article 73 B précité du traité a étendu aux Etats tiers à la Communauté européenne l’interdiction des restrictions aux mouvements de capitaux précédemment limitée par l’ancien article 67 aux seuls mouvements de capitaux effectués à l’intérieur de la Communauté, les résidents des Etats tiers sont, au même titre et dans les mêmes conditions que les résidents des Etats membres, recevables à invoquer le bénéfice de cette liberté à l’encontre d’une mesure qui serait susceptible de restreindre son exercice ; que, dès lors, la requérante, bien que résidente d’un Etat non membre de la Communauté, est recevable à invoquer la méconnaissance par l’article 164 C du code général des impôts du principe de libre circulation des capitaux ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’un investissement immobilier en France, tel que celui effectué par Mme A, résidente d’un Etat non membre de la Communauté européenne, par l’intermédiaire d’une société dont elle était actionnaire et qui a mis à sa disposition la villa du Cap d’Ail, constitue un mouvement de capital au sens des stipulations précitées ; que, par ailleurs, la taxation forfaitaire des non résidents prévue à l’article 164 C du code général des impôts est de nature à dissuader ces derniers d’effectuer ou de conserver un tel investissement en France et restreint donc la libre circulation des capitaux ;
Considérant, en troisième lieu, qu’en rendant passibles d’un impôt sur le revenu établi sur une base forfaitaire et selon le barème du taux progressif les non résidents qui disposent d’une habitation en France, dès lors que leurs revenus de source française sont inférieurs à cette base, alors que les résidents restent imposés sur leurs revenus réels, l’article 164 C du code général des impôts a pour effet d’imposer les non résidents sur une assiette systématiquement supérieure à celle des résidents ;
Considérant, cependant, que les résidents d’un Etat membre et les non résidents de cet Etat ne sont en général pas dans une situation comparable au regard de l’impôt sur le revenu, dans la mesure où les revenus perçus sur le territoire d’un Etat par un non résident ne constituent le plus souvent qu’une petite partie de son revenu global, lequel est centralisé dans l’Etat de sa résidence où il souscrit ses déclarations et que cet Etat est le seul à disposer des moyens de contrôle permettant de vérifier la sincérité de ces déclarations et d’apprécier ainsi l’exacte capacité contributive du non résident ; qu’eu égard à cette différence présumée de situation, l’application d’un traitement fiscal différencié à ces deux catégories de contribuables n’est en principe pas discriminatoire, à moins que des éléments plus précis propres à l’impôt concerné et à la situation des intéressés ne fassent apparaître que résidents et non résidents ne se trouvent en fait pas dans une situation objectivement différente au regard de cet impôt ;
Considérant à cet égard, qu’ ainsi qu’il a été dit, la contribuable résidait, non dans un Etat membre de la Communauté Européenne, mais au Liechtenstein, qui appartient à l’Association Européenne de Libre Echange ; que si cette association avait conclu le 2 mai 1992 avec la Communauté un accord intitulé Espace Economique Européen , auquel le Liechtenstein avait adhéré à compter du 1er mai 1995, accord dont l’article 40 étendait aux relations entre les Etats parties à l’accord et ceux de la Communauté les interdictions des restrictions aux mouvements de capitaux existant dans les rapports entre les Etats membres de la Communauté, cet accord ne contient, contrairement au traité ayant institué la Communauté européenne, aucune stipulation relative à la coopération fiscale entre Etats ; que, par ailleurs, le Liechtenstein n’est pas lié à la France par une convention fiscale bilatérale et n’avait alors pas davantage souscrit avec la France d’engagement d’assistance mutuelle incluant des échanges de renseignements, de sorte que la France n’était pas en mesure d’apprécier, comme elle peut le faire pour ses résidents, la capacité contributive réelle de l’intéressée ; que, dans ces conditions, et alors que le législateur a entendu par l’article 164 C incriminé, éclairé par ses travaux préparatoires, faire échec à certaines formes d’évasion fiscale telles que la détention indirecte d’immeubles en France par les résidents d’Etats à fiscalité privilégiée, un résident du Liechtenstein n’était pas placé dans une situation objectivement comparable à celle d’un résident de France au regard de l’impôt concerné ; que, dès lors, la mise en oeuvre de l’article 164 C du code général des impôts à l’égard de Mme A qui, ainsi qu’il a été dit, n’a pas souhaité justifier que l’imposition dont elle était redevable au Liechtenstein atteignait le seuil prévu au second alinéa de cet article, doit être regardée comme entrant dans le champ de la clause de sauvegarde précitée de l’article 73 D du traité ;
S’agissant du principe de non discrimination :
Considérant qu’aux termes de l’article 6 du traité CE, ultérieurement devenu 12 de ce traité puis 18 du traité U.E. : Dans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en fonction de la nationalité (…) ;
Considérant qu’il résulte de sa rédaction même que cet article n’est susceptible de s’appliquer de façon autonome que dans les situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité CE ne prévoit pas de règles spécifiques de non discrimination ; que dès lors que l’article 73 B du traité a prévu une règle spécifique de non discrimination dans le domaine relevant de la liberté de circulation des capitaux en cause dans le présent litige, la requérante ne peut utilement invoquer le principe subsidiaire de non discrimination énoncé à l’article 6 ;
Sur l’amende pour recours abusif :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 741-12 du code de justice administrative : Le juge peut infliger à l’auteur d’une requête qu’il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3 000 euros ; qu’eu égard à l’objet et aux moyens de la demande de Mme A, celle-ci ne présentait pas un caractère abusif ; que c’est donc à tort que les premiers juges l’ont condamnée à payer une amende de 1 000 euros sur le fondement des dispositions précitées ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme A est seulement fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Paris lui a infligé une amende pour recours abusif ; que le surplus des conclusions de sa requête doit être rejeté ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de cet article s’opposent à ce que l’Etat, qui n’est pas principalement la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer à la requérante la somme de 10 000 euros qu’elle demande à ce titre ;
D E C I D E :
Article 1er : L’article 3 du jugement du Tribunal administratif de Paris n° 0115739/2 du 19 novembre 2007 est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejeté.