REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés les 15 juin et 4 octobre 2010, présentés pour Mme A, demeurant …, par la SCP Recoules et associés, et le mémoire, enregistré le 2 juillet 2011, par Me Karbowski-Recoules ; Mme A demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0812895/3-3 en date du 13 avril 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 30 mai 2008 par laquelle le ministre du travail a annulé la décision de l’inspecteur du travail refusant d’accorder son licenciement économique et a délivré cette autorisation à la société Deny All ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 7 juillet 2011 :
– le rapport de M. Treyssac, rapporteur,
– les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,
– et les observations de Me Karbowski-Recoules, pour Mme A et celles de Me Feschotte-Desbois, pour la société Deny All ;
Connaissance prise de la note en délibéré présentée le 8 juillet 2011 pour la société Deny All ;
Considérant que dans le cadre d’une procédure de licenciement collectif, la société Deny All a sollicité l’autorisation de l’inspecteur du travail de licencier Mme A, directeur du marketing et déléguée du personnel titulaire ; que l’inspecteur du travail ayant refusé, le 18 décembre 2007, de lui délivrer cette autorisation, la société Deny All a présenté un recours hiérarchique auprès du ministre du travail ; que, par une décision en date du 30 mai 2008, ce dernier a annulé le refus d’autorisation de licenciement prononcé par l’inspecteur du travail et accordé l’autorisation de licencier Mme A ; que celle-ci a demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler la décision ministérielle du 30 mai 2008 ; qu’elle a été déboutée de sa demande ; que Mme A relevé appel du jugement du 13 avril 2010 rejetant sa demande ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 1233-3 du code du travail : Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques (…) ; que l’article L. 1233-4 du même code précise : Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient (…) Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ; qu’en vertu des dispositions des articles L. 425-1 et L. 436-1 du code du travail relatives aux conditions de licenciement respectivement des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise, les salariés légalement investis des fonctions de délégué du personnel et du mandat de représentant syndical au comité d’entreprise bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l’inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la situation de l’entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d’effectifs et de la possibilité d’assurer le reclassement du salarié dans l’entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ; qu’en outre, pour refuser l’autorisation sollicitée, l’autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d’intérêt général relevant de son pouvoir d’appréciation de l’opportunité, sous réserve qu’une atteinte excessive ne soit pas portée à l’un ou l’autre des intérêts en présence ;
Considérant que dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif économique, les propositions de reclassement doivent être écrites, précises et individualisées conformément aux dispositions précitées de l’article L. 1233-4 du code du travail ; que la société Deny All ne saurait dans ces conditions se borner à se prévaloir, pour démontrer qu’elle a satisfait à son obligation de reclassement à l’égard de sa salariée, d’une part, de ce qu’elle a recouru aux services d’un cabinet d’out-placement ou adressé à des cabinets de recrutement des courriers, au demeurant très généraux, pour s’enquérir d’offres d’emplois, alors qu’elle ne justifie pas avoir fait à l’intéressée de proposition écrite, précise et individualisée de reclassement en interne, ni même avoir entrepris la moindre démarche à cet effet, comme par exemple avoir procédé à un simple entretien en vue d’une éventuelle reconversion, d’autre part, de ce qu’il n’existait aucune possibilité de reclassement de Mme A en interne ; que si, à la date de présentation de la demande d’autorisation de licenciement le 21 octobre 2007, il n’est pas contesté que la société Deny All comportait vingt-deux salariés en France, il ressort de l’extrait du registre du personnel produit par Mme A en première instance que, parallèlement à des suppressions d’emplois, son employeur a procédé en 2007 à des embauches, au nombre de dix dans l’année, dans des fonctions commerciales, techniques, d’avant vente, d’administration et finance, et même de support ; qu’alors qu’il appartenait à l’employeur d’étudier la possibilité d’un reclassement de Mme A sur un poste de commercial, une telle éventualité n’a jamais été envisagée ; que par ailleurs, la société Deny All n’a jamais contesté les capacités de Mme A à occuper un tel poste, se bornant à faire état d’une nécessité d’une formation préalable de l’intéressée alors qu’il s’agit pour l’employeur d’une obligation prévue par l’article L. 1233-4 précité du code du travail ; que Mme A fait en outre valoir sans être utilement contredite que l’entreprise a recruté en mai 2008 un ingénieur d’affaires, en septembre suivant un ingénieur avant vente et, en décembre de la même année, un ingénieur support des ventes ; qu’ainsi la société Deny All ne peut être regardée comme établissant avoir satisfait à son obligation de reclassement à l’égard de Mme A, plaçant ainsi l’inspecteur du travail comme le ministre en situation de compétence liée pour refuser l’autorisation de licenciement sollicitée ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 30 mai 2008 par laquelle le ministre du travail a annulé la décision de l’inspecteur du travail refusant d’accorder à la société Deny All l’autorisation de la licencier et a délivré cette autorisation ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la société Deny All une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A dans la présente instance et qui ne sont pas compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 13 avril 2010 est annulé, ensemble la décision du ministre du travail en date du 30 mai 2008.
Article 2 : La société Deny All versera à Mme A une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.