LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Donne acte à M. Kevin X…, devenu majeur, de sa reprise d’instance en son nom personnel ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que dans le courant du mois de mai 1993, Mme X… a débuté une grossesse gémellaire ; qu’il est apparu que l’un des jumeaux était atteint d’une anencéphalie et non viable ; que M. Y…, gynécologue obstétricien qui la suivait, a réalisé des échographies en vue de détecter une éventuelle malformation du second foetus et a demandé à M. Z…, radiologue, des examens iconographiques complémentaires, lesquels n’ont pas révélé d’anomalies ; que M. Y… n’a pas demandé d’autres examens ; que Mme X… a poursuivi sa grossesse jusqu’à son terme ; que le 3 février 1994, le jumeau anencéphale est décédé à la naissance et il s’est avéré que Yoann, l’autre jumeau, était atteint d’une malformation cérébrale complexe et majeure ; que diverses expertises ont été diligentées et que par acte du 21 janvier 1999, les époux X… ont assigné au fond M. Z…, et son assureur, la MACSF, ainsi que la CPAM et la CAF des Côtes-d’Armor en paiement de diverses sommes en réparation du préjudice subi par leur enfant Yoann, de leur préjudice personnel et de celui de leur fils Kevin ; que le 22 novembre 2002, M. Z… a appelé en garantie M. Y… et que le 27 juin 2003 les époux X… ont demandé la condamnation solidaire des deux médecins ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, qui est préalable :
Attendu que M. Z… fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir condamné à payer diverses sommes aux consorts X…, alors, selon le moyen, qu’il invoquait les conclusions de l’expert selon lesquelles «il faut insister sur le fait que l’absence d’anomalie faciale a été un facteur faussement rassurant car l’association des anomalies morphologiques de la face avec les anomalies cérébrales de type holoprosencéphalique est très fréquente ; les résultats de l’étude du liquide d’amniocentèse ont également été faussement rassurants» ; qu’en imputant une faute à M. Z… sans répondre à ces conclusions, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu’ayant relevé que l’examen IRM ne suffisait pas à poser le diagnostic, que M. Z… n’avait pas demandé l’avis d’un radiologue plus confirmé que lui dans cet examen, qu’il n’avait pas pratiqué d’échomorphologie, et que, sans lui conseiller d’y recourir, il avait rassuré son confrère, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a ainsi répondu aux conclusions prétendument délaissées ; que le grief ne peut être accueilli ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal :
Vu les articles 1147 et 1382 du code civil ;
Attendu que dès lors que la faute commise par un médecin dans l’exécution de son contrat avec sa patiente empêche celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, les parents et l’enfant peuvent, lorsque l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles n’est pas applicable à l’action exercée, demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par la faute retenue ;
Attendu que pour déclarer M. Z… responsable du préjudice à raison de cinquante pour cent au titre de la perte de chance, la cour d’appel a énoncé que la faute commise par M. Z…, qui n’avait pas demandé l’avis d’un radiologue plus confirmé que lui dans cet examen, n’avait pas pratiqué d’échographie morphologique, ni conseillé à M. Y… d’en faire et avait rassuré son confrère, avait fait perdre aux parents une chance de découvrir le handicap de l’enfant et de demander une interruption de grossesse pour motif médical ;
Qu’en statuant ainsi, quand une telle faute, n’ayant pas permis à Mme X…, qui avait manifesté son intention d’effectuer une interruption de grossesse pour motif médical, de faire à cet égard un choix éclairé, est en relation directe avec l’intégralité du préjudice en résultant, lequel n’est pas constitué par une perte de chance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Et sur la troisième branche du second moyen du pourvoi principal :
Vu l’article 1er du premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, devenu l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, ensemble les articles 1147 et 1382 du code civil ;
Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que si une personne peut être privée d’un droit de créance en réparation d’une action en responsabilité, c’est à la condition que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que le deuxième de ces textes ne répond pas à cette exigence dès lors qu’il prohibe l’action de l’enfant né handicapé et exclut du préjudice des parents les charges particulières qui en découlent tout au long de sa vie, instituant seulement un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale, tandis que les intéressés pouvaient, en l’état de la jurisprudence applicable avant l’entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice inclurait toutes les charges particulières invoquées, s’agissant d’un dommage survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi susvisée, indépendamment de la date de l’introduction de la demande en justice ;
Attendu que pour débouter les consorts X… de leur demande à l’encontre de M. Y…, la cour d’appel a énoncé, d’une part, que dès lors que les demandeurs n’ont pas formulé de recours contre lui avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, puisque leur première demande de condamnation solidaire des deux médecins est du 27 juin 2003, c’est la loi nouvelle qui s’applique, et d’autre part, qu’il ne peut lui être fait reproche, alors qu’il avait confié le suivi de la patiente à plus compétent que lui en matière d’imagerie médicale, de ne pas avoir fait pratiquer un examen que ce spécialiste n’avait pas jugé utile de faire ;
Qu’en statuant par des motifs erronés, alors que la loi du 4 mars 2002 n’étant pas applicable à cette demande, il lui incombait de rechercher si les divers manquements reprochés à M. Y… constituaient ou non une faute simple, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois principal et incident :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a retenu la faute de M. Z…, l’arrêt rendu le 29 novembre 2006, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Rennes, autrement composée ;
Fait masse des dépens et les laisse par moitié à la charge de M. Y… et de M. Z… ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne, ensemble, M. Y… et M. Z… à payer aux consorts X… la somme de 4 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille huit.