Contexte : La cassation prononcée dans cet arrêt rendu le 31 octobre 2012 montre que certains juges du fond résistent à la position de la première chambre civile sur l’application ratione temporis de l’article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 devenu l’article 114-5 du Code de l’action sociale et des familles.
Litige : Le 11 octobre 1999, un test sanguin est pratiqué sur une femme enceinte afin de déterminer les risques d’une éventuelle trisomie ou autre anomalie chromosomique. Le résultat positif de ce test n’est envoyé ni au médecin prescripteur, ni au médecin ayant suivi la grossesse à partir du 7ème mois, ni à la parturiente. Cette dernière n’a donc pas pratiqué une amniocentèse destinée à infirmer ou confirmer le risque d’anomalie chromosomique et a donné naissance, courant 2000, à une fille atteinte de trisomie 21. Le 22 juin 2000, les parents saisissent le juge des référés d’une demande d’expertise, puis, par un acte introductif d’instance en date du 26 juin 2003, le juge du fond aux fins de déclarer les deux médecins gynécologue-obstétricien responsables de leurs dommages. En appel, ils sont déboutés de l’ensemble de leurs demandes.
Solution : La première chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Papeete ayant, sur le fondement de la loi du 4 mars 2002 jugée applicable dès lors que l’instance au fond a été introduite après son entrée en vigueur, considéré que leur préjudice moral, seul réparable, ne pouvait être indemnisé en l’absence de faute caractérisée établie à l’encontre des deux praticiens. Elle retient qu’en statuant ainsi, alors que s’agissant d’un dommage survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles n’était pas applicable, indépendamment de la date d’introduction de la demande en justice, la Cour d’appel a violé l’article 2 du Code civil, ensemble l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles.
Analyse : Cette décision confirme une jurisprudence aux termes de laquelle l’article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles, qui restreint le droit à réparation des parents d’enfant né avec un handicap dû à une faute médicale, n’est pas applicable au dommage survenu avant son entrée en vigueur, indépendamment de la date d’introduction de la demande en justice (Cass. 1re civ., 8 juill. 2008, n° 07-12159 : Bull. I, n° 190 ; D. 2008, p. 1995, obs. I. Gallmeister ; ibid p. 2765, note S. Porchy-Simon ; ibid 2010, pan. p. 604, obs. Gaumont-Prat ; JCP G 2008, I, 186, n° 10, obs. Ph. Stoffel-Munck ; ibid II, 10166, avis C. Mellottée et P. Sargos ; RJPF 2008-12/28, note F. Chabas ; Resp. civ. et assur. 2008, comm. 329, note Ch. Radé ; RDC 2009, p. 90, obs. J.-S. Borghetti).
♦ Il était cependant permis de s’interroger sur la pérennité de cette solution dans la mesure où le Conseil Constitutionnel a semblé suggérer que l’abrogation ne valait que pour les dommages nés antérieurement à son entrée en vigueur pour lesquels les parents avaient d’ores et déjà introduit une action en justice en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice (Cons. Const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC Viviane L. : JCP G 2011, p. 1149, note C. Byk ; RLDC 2011, n° 82, p. 41, note F. Dékeuwer-Défossez ; D. 2010, p. 1976, note D. Vigneau ; D. 2010, p. 1980, note V. Bernaud ; RTD civ. 2010, p. 517, note P. Puig ; D. 2010, p. 2090, note J. Sainte-Rose et Pédrot ; Dr. Famille 2010, étude 34 par Nefussy-Venta ; RLDC 2011/80, n° 4188, obs. Parance). Les motifs de cette décision pouvaient donc laisser à penser que la loi du 4 mars 2002 devait être immédiatement appliquée aux faits antérieurs qui n’avaient encore fait l’objet d’une demande en réparation au moment de son entrée en vigueur. C’est d’ailleurs en ce sens que s’est prononcé le Conseil d’Etat en jugeant « qu’il résulte de la décision du Conseil constitutionnel et des motifs qui en sont le support nécessaire qu’elle n’emporte abrogation, conformément au deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution, du 2 du II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005 que dans la mesure où cette disposition rend les règles nouvelles applicables aux instances en cours au 7 mars 2002 » (CE, ass., 13 mai 2011, n° 317808 et 329290 : RGDM 2011, n° 40, p. 355, note J. Saison-Demars et M. Girer ; JCP A 2011, n° 29, p. 29, note B. Pacteau ; RDSS 2011, p. 749, note D. Cristol ; RFDA 2011, p. 772, concl. J.-Ph. Thiellay).
♦ Toutefois, comme elle l’a déjà fait avant la présente décision (Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, n° 10-27473 : Bull. I, n° 216 ; D. 2012, p. 12, obs. I. Gallmeister ; ibid p. 323, obs. Vigneau ; ibid chron. 297 par Maziau ; RTD civ. 2012, p. 75, obs. Deumier ; Resp. civ. et assur. 2012, comm. 72, obs. Ch. Radé), la Cour de cassation écarte l’application de la loi du 4 mars 2002 au dommage survenu antérieurement à son entrée en vigueur, indépendamment de la date de l’introduction de la demande en justice. Ce faisant, elle élargit la portée de l’abrogation du texte pour inconstitutionnalité, en se fondant vraisemblablement sur la décision de la CEDH ayant déclaré la loi inconventionnelle, en ce qu’elle viole le droit au respect des biens, dès lors qu’elle aboutit à priver les requérants d’une créance d’indemnisation qu’ils pouvaient légitimement espérer voir se concrétiser (CEDH, 6 oct. 2005 : JCP G 2006, II, 10061, note Zollinger ; ibid I, 109, n° 16, obs. F. Sudre ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. 327, obs. Ch. Radé ; RTD civ. 2005, p. 743, obs. Marguénaud ; ibid p. 798, obs. Th. Revet).
♦ En statuant ainsi, la Cour de cassation permet aux parents d’enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, mais qui ont introduit leur action en réparation ultérieurement, d’obtenir réparation de l’ensemble de leurs dommages, et pas seulement de leur dommage moral, sans être tenu de rapporter la preuve d’une faute caractérisée du praticien dont le comportement n’a pas permis de déceler le handicap de l’enfant. Une faute simple suffit, celle-ci paraissant en l’espèce suffisamment constituée par les seules constatations des juges du fond montrant qu’aucun des deux praticiens ne s’est soucié des résultats de la prise de sang qui avait été prescrite durant la grossesse.