RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
ARRÊT N° 2
Attendu que la Société financière Saint-Georges, aux droits de laquelle se trouve la société Royal Saint-Georges banque, a, suivant offre préalable du 19 avril 1989, consenti aux époux X… un crédit immobilier ; que les emprunteurs ne parvenant pas à le rembourser, la banque a engagé une procédure de saisie immobilière, puis consenti à ce que les emprunteurs vendent amiablement l’immeuble, à la condition que lui fût versée une certaine somme ; que, soutenant qu’aucun tableau d’amortissement n’avait été joint à l’offre et que la banque leur avait imposé le paiement de sommes sur le fondement de stipulations qu’ils n’avaient pas acceptées, les époux X… lui ont demandé le remboursement des sommes correspondant aux intérêts perçus et aux indemnités et pénalités en cause ; que l’arrêt attaqué (Paris, 27 juin 1997) les a déboutés de ces prétentions ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que les époux X… font grief à l’arrêt attaqué d’avoir statué comme il l’a fait, alors, 1° que l’article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme énonce que » toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens « , et que » nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international » ; que la créance qui découle, au profit de l’emprunteur, de la déchéance du droit aux intérêts a indiscutablement une valeur patrimoniale et présente donc le caractère d’un bien au sens de l’article 1 du Protocole, qu’en outre la loi du 12 avril 1996 constitue une ingérence dans l’exercice d’un droit de créance, droit dont les emprunteurs pouvaient jusqu’alors bénéficier en droit interne ; que cette ingérence n’est justifiée par aucune cause d’utilité publique et contredit le juste équilibre qui doit exister entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ; que, dès lors, en faisant rétroactivement application, en cours de procédure, de l’article 87-1 de la loi du 12 avril 1996, qui répute régulières, même si elles ne font pas état du taux d’amortissement, les offres de prêt mentionnées à l’article L. 312-7 du Code de la consommation et émises avant le 31 décembre 1994, la cour d’appel aurait violé l’article 1 du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; alors, 2° que l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dispose que » toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; que l’existence d’un différend relatif à la déchéance du droit aux intérêts implique la présence d’une contestation sur les droits de son bénéficiaire, droits qui sont de caractère civil ; que l’application rétroactive de l’article 87-I de la loi du 12 avril 1996 a eu pour effet de modifier, pendant le cours de la procédure, les règles de droit applicables à l’offre de prêt immobilier, règles de droit dont les époux X… ont pu bénéficier en première instance ; que, dès lors, en faisant une application rétroactive, en cours de procédure, de l’article 87-I de la loi du 12 avril 1996, la cour d’appel aurait désavantagé substantiellement les époux X… au profit de la partie adverse, rompu l’égalité des armes et ainsi violé l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, d’une part, que l’intervention du législateur, dans l’exercice de sa fonction normative, n’a eu pour objet que de limiter, pour l’avenir, la portée d’une interprétation jurisprudentielle et non de trancher un litige dans lequel l’Etat aurait été partie ; que, d’autre part, la déchéance du droit aux intérêts est une sanction civile dont la loi laisse à la discrétion du juge tant l’application que la détermination du montant ; que, de ce fait, l’emprunteur qui sollicite la déchéance du droit aux intérêts ne fait valoir qu’une prétention à l’issue incertaine qui n’est, dès lors, pas constitutive d’un droit ; que c’est donc sans violer les textes invoqués par les deux premières branches du moyen que la cour d’appel a statué comme elle l’a fait ;
Sur la troisième branche du même moyen :
Attendu que les époux X… font grief à l’arrêt de les avoir déboutés de leur demande tendant à la restitution du montant des intérêts du prêt, alors que l’article L. 312-8 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 1979, disposait que le prêteur devait, sous peine de déchéance du droit aux intérêts, mentionner dans l’offre préalable de prêt immobilier les modalités du prêt relatives notamment à l’échéancier des amortissements ; que l’article 87-I de la loi du 12 avril 1996 a réputé régulières les offres émises avant le 31 décembre 1994 qui n’avaient pas satisfait à cette obligation, rappelant néanmoins, pour les offres émises depuis cette date, qu’un échéancier des amortissements doit être joint à l’offre préalable, à peine de déchéance du droit aux intérêts ; que, dès lors, en retenant, pour justifier de la rétroactivité, que l’article 87-I précité tranchait une difficulté d’interprétation de l’article L. 312-8, alors que cet article avait pour seul effet de modifier, pour une période limitée, le régime applicable à l’offre de prêt, la cour d’appel aurait violé l’article 2 du Code civil ;
Mais attendu que l’arrêt attaqué retient exactement, justifiant ainsi légalement sa décision, qu’en matière civile, le législateur n’est pas lié par le principe de la non-rétroactivité des lois ; que le grief, qui s’attaque à un motif erroné mais surabondant, est inopérant ;
Et sur les deuxième et troisième moyens :
Attendu que les textes prévoyant des sanctions pénales ou civiles doivent être interprétés restrictivement ; qu’à bon droit, l’arrêt attaqué retient que l’article L. 312-8 du Code de la consommation n’impose pas de mentionner dans l’offre préalable les clauses sanctionnant l’inexécution du contrat ; qu’il relève qu’en l’espèce, les clauses ont été portées à la connaissance des emprunteurs pour figurer à l’article 6 des conditions générales du prêt annexées à l’acte authentique, qu’elles sont conformes aux prescriptions des articles L. 312-22 et L. 312-23 du Code précité et que leur montant n’est pas manifestement excessif ; que les moyens ne sont pas fondés ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.