RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rouen, 13 mai 2015), que Mme X… épouse Y… est née le 9 février 1946 de Mme Z… et a été reconnue le 30 juin 1965 par Roger X…, qui l’a légitimée par son mariage avec sa mère le même jour ; que ce dernier est décédé le 12 juillet 2001 ; que, le 25 novembre 2005, Mme Y… a été reconnue par Robert A…, lequel est décédé le 13 mai 2006 ; qu’un jugement irrévocable du 20 novembre 2007 a déclaré irrecevable comme prescrite la contestation de la reconnaissance de Roger X… formée par Mme Y… et sa mère et a annulé la reconnaissance de paternité effectuée par Robert A… ; que, par acte du 29 juillet 2011, Mme Y… a assigné les enfants de Robert A… (les consorts A…) sur le fondement de l’article 327 du code civil, afin que soit ordonnée une expertise biologique et que sa filiation avec Robert A… soit établie ;
Attendu qu’elle fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ que l’effectivité du droit de connaître ses origines et de voir établie la filiation correspondante, garantis par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales commande au juge national de délaisser les restrictions posées par des dispositions internes dès lors que celles-ci portent une atteinte substantielle au droit revendiqué ; qu’est à cet égard excessive la restriction procédant de la prescription de l’action en contestation de la paternité prévue par les articles 320 et 321 du code civil quand le délai de prescription ne peut commencer à courir avant que l’enfant, devenu adulte, n’ait eu connaissance de l’identité de son père biologique ; qu’en retenant pour point de départ de la prescription de l’action en contestation de paternité le 9 février 1967, date de la majorité de la requérante, sans tenir compte de l’ignorance de sa filiation réelle, qui ne sera découverte qu’en 2005, la cour a méconnu les exigences de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que toute restriction au droit à la connaissance de ses origines doit être nécessaire et proportionnée ; qu’en retenant que l’intérêt de la famille du père légitime, décédé avant la révélation des origines de la requérante, justifiait une restriction au droit à la connaissance de ses origines, sans autre examen de la position propre du père biologique qui, de son vivant, souhaitait voir reconnaître ledit lien de filiation, la cour n’a pas opéré la balance proportionnée des intérêts en présence et méconnu de ce chef encore les exigences de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
3°/ qu’aux termes des articles 146 du code de procédure civile et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; qu’en refusant d’examiner la demande d’expertise biologique formulée par la requérante, lors même que le père biologique avait consenti de son vivant à la réalisation d’un test génétique et souhaitait voir reconnaître le lien de filiation dont s’agit, sans s’expliquer autrement sur l’éventuelle légitimité d’interdire à la requérante de connaître ses origines et d’établir sa filiation, la cour a derechef méconnu les textes susvisés ;
Mais attendu, en premier lieu, que, contrairement aux énonciations de la première branche du moyen, la cour d’appel n’a pas déclaré l’action en contestation de paternité de Mme Y… irrecevable comme prescrite, mais a constaté l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du 20 novembre 2007 et, par suite, l’existence d’une filiation définitivement établie entre Mme Y… et Roger X…, faisant obstacle, en application de l’article 320 du code civil, à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ;
Attendu, en second lieu, d’abord, que si l’impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’obstacle opposé à Mme Y… est prévu à l’article 320 du code civil et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à garantir la stabilité du lien de filiation et à mettre les enfants à l’abri des conflits de filiations ;
Attendu, ensuite, que l’arrêt relève que Roger X… a reconnu Mme Y… en 1965 et a été son père aux yeux de tous jusqu’à son décès en 2001, sans que personne ne remette en cause ce lien de filiation conforté par la possession d’état ; qu’il ajoute que Mme Y…, elle-même, a disposé d’un délai de trente ans à compter de sa majorité pour contester la paternité de Roger X…, ce qu’elle n’a pas fait, et qu’elle a hérité de ce dernier à son décès ; qu’ayant ainsi constaté que l’intéressée avait disposé de procédures lui permettant de mettre sa situation juridique en conformité avec la réalité biologique, la cour d’appel a pu en déduire que l’atteinte portée au droit au respect de sa vie privée n’était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ; qu’en déclarant irrecevable l’action en recherche de paternité et, par suite, la demande d’expertise biologique, elle n’a donc pas méconnu les exigences résultant de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer aux consorts A… la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq octobre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour Mme Y…
Le moyen reproche à l’arrêt d’avoir rejeté les demandes tendant à l’examen comparé des sangs et l’établissement de la paternité de M. Robert A… à l’égard de la requérante ;
aux motifs que sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, cette demande est à nouveau portée devant la cour par les consorts A… qui soutiennent donc que la demande d’examen des sangs présentée à titre principal par Monique Y… l’avait déjà été par elle dans l’instance ayant donné lieu au jugement du 20 novembre 2007 qui avait par conséquent déjà répondu, même implicitement, à cette même demande, de sorte qu’il convient d’opposer à Monique Y… une fin de non recevoir à sa demande, déjà jugée définitivement ; qu’il s’avère que le jugement du 20 novembre 2007 avait, à titre principal, constaté d’une part l’irrecevabilité de la demande en contestation de la reconnaissance de paternité de Roger X…, dans la mesure où elle était prescrite et, d’autre part, annulé la reconnaissance de paternité de Robert A…, alors que, dans la présente affaire, Monique Y… demande, à titre principal, que soit établie sa filiation avec Robert A…, au besoin après qu’ait été ordonnée une expertise biologique ; que les fondements de ces deux procédures sont donc bien distincts et aucune autorité de la chose jugée ne peut, dans ces conditions, être retenue (…) ; qu’au fond, l’article 320 du Code civil dispose que tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ; que la reconnaissance de Monique Y… par Roger X… en 1965 est définitivement établie puisque le jugement du tribunal de grande instance d’Évreux du 20 novembre 2007, aujourd’hui définitif, a débouté Monique Y…, de son action en contestation de cette reconnaissance, dans la mesure où elle était prescrite, puisqu’engagée par requête du 12 janvier 2006, soit plus de 30 ans après sa majorité qui était intervenue le 9 février 1967, le jour de ses 21 ans ; que cette prescription résulte des dispositions de l’article 321 du Code civil qui précise que les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame ou a commencé à jour de l’état qui lui est contesté, ce délai étant suspendu pendant la minorité de l’enfant ; que ce délai était d’ailleurs de 30 ans jusqu’au 1er juillet 2006 ; que Monique Y… soutient donc que cette disposition est contraire au principe énoncé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au respect de la vie privée ou familiale dont il est admis qu’il comprend le droit de pouvoir faire établir une filiation conforme à la vérité biologique ; qu’il convient toutefois de rappeler que la cour européenne des droits de l’homme reconnaît aux Etats parties à la Convention le droit d’aménager les dispositions concernant ces aspects de la vie privée ou familiale, de façon à concilier l’intérêt général avec les intérêts particuliers ; qu’en ce qui concerne la filiation, il convient d’assurer, dans l’intérêt général, une stabilité de l’état des personnes qui peut résulter notamment de règles relatives à la prescription qui aboutissent à interdire que ne soit remise en cause une filiation au-delà d’un certain délai raisonnable, en deçà duquel toute personne peut agir pour faire reconnaître la filiation biologique qu’elle pense être la sienne et exprimer ainsi un droit fondamental ; qu’il apparaît toutefois normal qu’une filiation ancienne, jamais contestée, ayant créé une possession d’état et une reconnaissance par la société ne puisse plus être remise en cause après un certain délai, ne serait-ce que pour protéger celui qui ne la conteste pas ; qu’en l’espèce, Roger X… a reconnu Monique Y… en 1965 et a été son père aux yeux de toues jusqu’à son décès en 2001, sans que personne ne remette en cause cet état ; qu’il n’est pas contesté que sa fille a hérité alors de lui sans, elle-même, contester sa filiation ; qu’il apparaît légitime que le déroulement de cette histoire ne puisse plus être modifié totalement au bout d’un certain nombre d’années, au risque de créer une insécurité juridique plus néfaste que l’impossibilité d’établir une vérité biologique à tout prix ; qu’ainsi Monique Y… sera-telle déboutée des fins de sa demande d’établissement d’une filiation à l’égard de Robert A… sans qu’il soit besoin d’examiner sa demande d’expertise biologique qui n’est que le moyen de cette demande principale et n’a d’intérêt que si celle-ci peut prospérer ; que sur les autres demandes, les consorts A… seront déboutés de leur demande d’amende civile fondée sur les dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile, l’action de Monique Y… ne pouvant être qualifiée de façon certaine de dilatoire ou d’abusive ; cette action toutefois, qui fait suite à d’autres actions en justice qui se sont soldées par des refus et manifeste une réelle témérité, a porté préjudice aux consorts A…, notamment en ce que le règlement de la succession de leur père a été retardé pendant plusieurs années et justifie qu’il leur soit accordé la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts ; cette demande, en effet, ne peut être considérée comme nouvelle puisqu’elle est justifiée par l’appel présentement jugé ;
1°) alors, d’une part, que l’effectivité du droit de connaître ses origines et de voir établie la filiation correspondante, garantis par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales commande au juge national de délaisser les restrictions posées par des dispositions internes dès lors que celles-ci portent une atteinte substantielle au droit revendiqué ; qu’est à cet égard excessive la restriction procédant de la prescription de l’action en contestation de la paternité prévue par les articles 320 et 321 du code civil quand le délai de prescription ne peut commencer à courir avant que l’enfant, devenu adulte, n’ait eu connaissance de l’identité de son père biologique ; qu’en retenant pour point de départ de la prescription de l’action en contestation de paternité le 9 février 1967, date de la majorité de la requérante, sans tenir compte de l’ignorance de sa filiation réelle, qui ne sera découverte qu’en 2005, la cour a méconnu les exigences de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
2°) alors que, d’autre part, toute restriction au droit à la connaissance de ses origines doit être nécessaire et proportionnée ; qu’en retenant que l’intérêt de la famille du père légitime, décédé avant la révélation des origines de la requérante, justifiait une restriction au droit à la connaissance de ses origines, sans autre examen de la position propre du père biologique qui, de son vivant, souhaitait voir reconnaître ledit lien de filiation, la cour n’a pas opéré la balance proportionnée des intérêts en présence et méconnu de ce chef encore les exigences de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
3°) alors, subsidiairement, qu’aux termes des articles 146 du code de procédure civile et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; qu’en refusant d’examiner la demande d’expertise biologique formulée par la requérante, lors même que le père biologique avait consenti de son vivant à la réalisation d’un test génétique et souhaitait voir reconnaître le lien de filiation dont s’agit, sans s’expliquer autrement sur l’éventuelle légitimité d’interdire à la requérante de connaître ses origines et d’établir sa filiation, la cour a derechef méconnu les textes susvisés.