RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
– M. Mohammed X…,
contre l’ordonnance du président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de LIMOGES, en date du 20 décembre 2013, lui ayant retiré un crédit de réduction de peine ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 4 mars 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, MM. Foulquié, Moignard, Castel, Raybaud, Mme Caron, M. Moreau, Mme Drai, conseillers de la chambre, Mme Carbonaro, M. Beghin, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Gauthier ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire LAURENT, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GAUTHIER l’avocat du demandeur ayant la parole en dernier ;
Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, 111- 5 du code pénal, 591, 592 et 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’ordonnance attaquée a confirmé l’ordonnance de retrait de crédit de réduction de peine prise par le juge de l’application des peines du tribunal de grande instance de Brive-la-Gaillarde ;
« aux motifs qu’en l’espèce le premier juge n’était pas appelé à statuer sur une accusation en matière pénale, qu’en outre les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’appliquent qu’à la peine elle-même et non aux mesures de réduction de peine et que la juridictionnalisation des réductions de peines n’est que partielles, le législateur n’ayant pas qualifié les décisions du juge de l’application des peines prises à leur égard de jugement mais d’ordonnance, qu’il s’ensuit que l’appelant n’est pas fondé à invoquer l’absence d’examen de sa requête en audience publique ainsi que son absence devant la commission d’application des peines ;
« 1°) alors que la Cour européenne des droits de l’homme juge de façon constante qu’est assujettie au respect des stipulations du volet pénal de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme la juridiction qui est appelée à prononcer le retrait d’une mesure de réduction de peine et, en conséquence, à prolonger la détention d’un condamné au-delà de la date de libération qui avait été précédemment notifiée officiellement à l’intéressé (Ezzeh et Connors c. Royaume-Uni, GC , n°39665/98 et 40086/98, §100) ; que, dès lors, en refusant d’exercer le contrôle du respect des droits de M. X… à l’égalité des armes, au contradictoire, à la comparution personnelle et à la publicité des débats auquel il était invité, le président de la chambre de l’application des peines a violé les textes susvisés ;
« 2°) alors que, en toute hypothèse, la juridiction appelée à prononcer le retrait d’une mesure de réduction de peine, doit, dès l’instant que le litige met en jeu en substance le droit à la liberté, être regardée comme statuant sur une « contestation sur un droit de caractère civil », au sens des stipulations de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (voir CourEDH, Aerts c. Belgique, arrêt du 30 juillet 1998, § 59 ; CE, 11 juillet 2012, Section française de l’OIP, n° 347146) ; que dès lors, en considérant qu’aucune stipulation de la Convention européenne des droits de l’homme ne faisait obligation au juge de l’application des peines de respecter les exigences du procès équitable, le président de la chambre de l’application des peines a violé les textes susvisés ;
« 3°) alors que les juridictions de l’application des peines sont tenues de statuer par décisions motivées et de répondre aux chefs péremptoires des observations régulièrement déposées par le condamné ; qu’au cas d’espèce, M. X… faisait valoir que les principes relatifs à l’égalité des armes et à la publicité des débats et au caractère contradictoire du procès trouvaient à s’appliquer à l’ordonnance déférée en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et que le juge de l’application des peines aurait dû en conséquences appliquer les dispositions de l’article 712-15 du code de procédure pénale dans le respect de ces exigences constitutionnelles ; que le président de la chambre d’application des peines, qui a confirmé l’ordonnance retirant vingt-cinq jours de crédit de réduction de peine au demandeur ne pouvait omettre de répondre à ce moyen opérant et déterminant, a violé les textes visés au moyen » ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 66 de la Constitution, 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, 591, 593, 712- 4 et 721 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’ordonnance attaquée a confirmé l’ordonnance de retrait de crédit de réduction de peine prise par le juge de l’application des peines du tribunal de grande instance de Brive-la-Gaillarde ;
« aux motifs que M. X… exécute actuellement une peine de trente ans de réclusion criminelle prononcée par la cour d’assises de Meurthe et Moselle le 31 mai 2007 ; qu’il est incarcéré depuis le 17 mai 2002 et libérable le 29 avril 2027 ; qu’à l’appui de sa décision, la juge de l’application des peines a relevé que l’intéressé avait comparu à deux reprises devant la commission de discipline pour mauvaise conduite en détention ; qu’il convient de rappeler qu’en application des dispositions de l’article 721 du code de procédure pénales, les crédits de réduction de peine ne constituent pas un droit mais sont la récompense de la bonne conduite du condamné durant son incarcération ; que l’appelant fait valoir que le premier juge s’en est tenu aux seuls éléments transmis par les services pénitentiaires, que la demande de retrait de réduction de peine n’a pas été examiné en séance publique, qu’il n’a pu prendre part aux débats qui se sont tenus en commission d’application des peines, que la comparution de l’intéressé est de droit devant le premier juge, que le premier juge s’est prononcé dans des termes incertains, la décision étant libellé en ces termes « CDD du 17/09/2013 (5jrs) + (10j) », et que le premier juge ne pouvait se fonder sur une mesure administrative dans laquelle les accusations du surveillant avaient été entérinées purement et simplement ; que par ailleurs la juridictionnalisation des réductions de peines n’est que partielles, le législateur n’ayant pas qualifié les décisions du juge de l’application des peines prises à leur égard de jugement mais d’ordonnance, qu’il s’ensuit que l’appelant n’est pas fondé à invoquer l’absence d’examen de sa requête en audience publique ainsi que son absence devant la commission d’application des peines ; qu’au surplus la formule utilisée par le premier juge est très explicite dès lors qu’elle se réfère précisément à la durée du placement en quartier disciplinaire ; qu’enfin l’appelant ne justifie pas avoir formé un recours contentieux suite au recours hiérarchique devant le directeur régional des services pénitentiaires, que le moyen de la prise en compte par le juge d’une mesure administrative unilatérale n’est donc pas fondée ; qu’en l’espèce en ne respectant pas les dispositions du règlement intérieur de l’établissement, en l’espèce en insultant le personnel et en détenant des objets prohibés M. X… n’a pas eu la bonne conduite exigée ;
« 1°) alors que, en retenant que « les crédits de réduction de peine ne constituent pas un droit mais sont la récompense de la bonne conduite du condamné durant son incarcération », quand il résulte des termes mêmes de l’article 721 du code de procédure pénale que le crédit de réduction de peine est accordé de plein droit au condamné et qu’il ne peut être retiré qu’en cas de mauvaise conduite établie par le juge, le président de la chambre de l’application des peines a renversé le principe posé par ces dispositions, en méconnaissance de leur sens et de leur portée ;
« 2°) alors que l’obligation de motivation à laquelle sont assujetties les ordonnances de retrait de réduction de peine implique que le juge de l’application des peines énonce les considérations de fait et de droit l’ayant déterminé ; qu’en se bornant, pour répondre au moyen tiré de ce que l’ordonnance déféré, comportant pour unique mention « CDD du 17/09/2013 (5jrs) + (10j) », était libellée en des termes indéterminés et incertain, à affirmer que « la formule utilisée par le premier juge est très explicite dès lors qu’elle se réfère précisément à la durée du placement en quartier disciplinaire », le président de la chambre de l’application des peines s’est prononcé par des motifs insuffisants ;
« 3°) alors que M. X… faisait valoir qu’en se déterminant exclusivement en considération d’une décision prise par la commission de discipline, le juge de l’application des peines avait méconnu la mission qui lui était confiée par l’article 66 de la Constitution, qui interdit au juge judiciaire appelé à prononcer une mesure affectant la liberté d’aller et de venir d’abdiquer son pouvoir d’appréciation au profit de l’administration ; que s’il a entendu répondre au moyen tiré de ce que l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisait au juge de se fonder sur une mesure administrative non susceptible de faire l’objet d’un recours effectif, le président de la chambre de l’application des peines a totalement perdu de vue la critique faite au premier juge d’avoir méconnu son office, omettant ainsi de répondre à une articulation essentielle du mémoire qui le saisissait ;
« 4°) alors que, pour répondre à M. X…, qui faisait valoir que l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme faisait obstacle à ce que le juge se détermine en considération d’une mesure administrative non susceptible, selon plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, de recours effectif, le président de la chambre de l’application des peines a statué par des motifs inopérants en affirmant que l’intéressé ne justifiait pas avoir exercé un recours devant les juridictions administratives ;
« 5°) alors que, en relevant que M. X… n’avait pas respecté les dispositions du règlement intérieur et avait détenu des objets prohibés, quand il lui appartenait, au regard des observations de l’exposant qui faisait valoir que l’autorité disciplinaire n’avait procédé à aucune enquête et s’était contentée de dénaturer les pièces de la procédure comportant la signature de son avocat, d’énoncer les circonstances sur la base desquelles il considérait que les mises en cause proférées par l’administration étaient fondées, le président de la chambre de l’application des peines a de nouveau privé sa décision de base légale » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour confirmer la décision du juge de l’application des peines, retirant au condamné vingt-cinq jours de crédit de réduction de peine, l’ordonnance attaquée, rendue après réception des observations écrites transmises par l’avocat du condamné, énonce, notamment, qu’en insultant le personnel pénitentiaire et en détenant des objets prohibés, M. X… n’a pas eu la bonne conduite exigée par la loi ;
Attendu qu’en l’état de ces seules énonciations, qui suffisent à caractériser la mauvaise conduite du condamné en détention, au sens de l’article 721, alinéa 3, du code de procédure pénale, le président de la chambre de l’application des peines a justifié sa décision de supprimer un avantage que le condamné ne pouvait espérer conserver malgré son mauvais comportement, et qui n’entraîne, pour celui-ci, aucune privation de liberté distincte de la peine en cours d’exécution, sans méconnaître les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
Qu’en effet, d’une part, le crédit de réduction de peine est inscrit à l’écrou, en début d’exécution de cette peine, à titre précaire, sous condition pour le condamné, qui en est informé, d’observer la bonne conduite nécessaire au fonctionnement normal de l’établissement carcéral, d’autre part, le retrait, total ou partiel, de ce crédit est décidé par un juge, qui n’est pas lié par la décision disciplinaire prise par l’administration pénitentiaire, et dont l’ordonnance est susceptible d’appel, la décision du président de la chambre de l’application des peines pouvant ensuite faire l’objet d’un pourvoi en cassation, de sorte que sont pleinement assurés l’exercice des droits de la défense et l’équité de la procédure ;
D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l’ordonnance est régulière en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze avril deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.