Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 20 novembre 2018
N° de pourvoi: 17-86661
Non publié au bulletin Rejet
M. Soulard (président), président
SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
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Mme Marion X…,
M.Olivier Y…, parties civiles,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de LIMOGES, en date du 12 octobre 2017, qui, dans l’information suivie, sur leur plainte, contre personne non dénommée du chef d’homicide involontaire, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 octobre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller Bellenger, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, de la société civile professionnelle THOUVENIN, COUDRAY et GRÉVY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général A… ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire, commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Mme Marion X… et M. Olivier Y… ont déposé plainte et se sont constitués parties civiles contre personne non dénommée du chef d’homicide involontaire suite à l’accouchement par Mme X…, au Centre Hospitalier de Limoges, d’un enfant mort-né ; que le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu ; que les parties civiles ont relevé appel de cette décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l’article 221-6 du code pénal ;
« en ce que l’arrêt attaqué a dit qu’il ne résulte pas de l’information des charges suffisantes contre le CHU de Limoges, personne morale prise en la personne de son représentant légal, ni contre quiconque, d’avoir à Limoges le 23 novembre 2011, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, causé la mort de l’enfant B… Y… ;
« aux motifs qu’aux termes de l’information, au vu des éléments qui précèdent, il existe des charges sérieuses que le décès de l’enfant B… Y… soit la conséquence de manquements dans la prise en charge de Mme Marion X… au sein du service de gynécologie obstétrique du CHU de Limoges et de carences dans l’organisation du dit service ; que toutefois, s’il est constant que le foetus était en vie à 14 heures 30, heure à laquelle il a été mis fin au monitoring, il est tout aussi constant que lorsque l’enfant a été extrait du corps de sa mère par césarienne à 16 heures 39, il ne présentait plus aucun signe de vie, l’analyse anatomopathologique ayant confirmé qu’il n’avait pas respiré et qu’il était bien mort-né ; que l’article 221-6 du code pénal énonce que l’homicide involontaire est le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui ; qu’or, en application des principes généraux fixés par l’article 111-3 du code pénal qui énonce notamment que nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi et par l’article 111-4 du même code qui stipule que la loi pénale est d’interprétation stricte, « autrui » ne peut s’entendre que comme un être humain né vivant et ne s’applique pas à l’enfant à naître ; que si le foetus est un être humain dont la loi garantit le respect dès le commencement de son développement, c’est dans le cadre de textes particuliers sur l’embryon et le foetus mais en l’état actuel de notre droit, que les juridictions ont l’obligation d’appliquer, le foetus n’est pas tenu pour un sujet de droit à part entière au même titre que l’enfant né vivant ; qu’en application de ces textes, les circonstances de la mort de l’enfant B… Y… dans le ventre de sa mère ne constituent ni un homicide involontaire ni aucune autre infraction pénale ; que la Cour européenne des droits de l’homme considère que le point de départ du droit à la vie contenu dans l’article 2 de la Convention des droits de l’homme relève de l’appréciation des Etats et qu’à supposer même que ce texte trouve à s’appliquer, ne viole pas cette disposition le système juridique qui, en présence d’autres garanties permettant la réparation du dommage, ne contient pas de recours de nature pénale pour sanctionner l’atteinte involontaire portée à la vie du foetus, ce qui est le cas en l’espèce puisque les parties civiles ont déjà saisi la juridiction administrative pour obtenir réparation de leur préjudice ;
« alors que l’article 221-6 du code pénal, tel qu’interprété par la Cour de cassation, en ce qu’il ne réprime pas, au titre de l’homicide involontaire, l’atteinte portée à l’enfant à naître, privant ainsi le foetus de toute protection, est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 qui garantit le droit au respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » ;
Attendu que, par arrêt du 15 mai 2018, la Cour de cassation a dit n’y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question relative à la constitutionnalité de son interprétation jurisprudentielle de l’article 221-6 du code pénal réprimant l’homicide involontaire ;
D’où il suit que le moyen est devenu sans objet ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 121-3, 222-8, 222-10, 222-19, 223-1 du code pénal, L. 4151-3 du code de la santé publique, 80, 85, 86, 177, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a dit qu’il ne résulte pas de l’information des charges suffisantes contre le CHU de Limoges, personne morale prise en la personne de son représentant légal, ni contre quiconque, d’avoir à Limoges le 23 novembre 2011, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, causé la mort de l’enfant B… Y… ;
« aux motifs propres qu’aux termes de l’information, au vu des éléments qui précèdent, il existe des charges sérieuses que le décès de l’enfant B… Y… soit la conséquence de manquements dans la prise en charge de Mme X… au sein du service de gynécologie obstétrique du CHU de Limoges et de carences dans l’organisation du dit service ; que toutefois, s’il est constant que le foetus était en vie à 14 heures 30, heure à laquelle il a été mis fin au monitoring, il est tout aussi constant que lorsque l’enfant a été extrait du corps de sa mère par césarienne à 16 heures 39, il ne présentait plus aucun signe de vie, l’analyse anatomopathologique ayant confirmé qu’il n’avait pas respiré et qu’il était bien mort-né ; que l’article 221-6 du code pénal énonce que l’homicide involontaire est le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui ; qu’or, en application des principes généraux fixés par l’article 111-3 du code pénal qui énonce notamment que nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi et par l’article 111-4 du même code qui stipule que la loi pénale est d’interprétation stricte, « autrui » ne peut s’entendre que comme un être humain né vivant et ne s’applique pas à l’enfant à naître ; que si le foetus est un être humain dont la loi garantit le respect dès le commencement de son développement, c’est dans le cadre de textes particuliers sur l’embryon et le foetus mais en l’état actuel de notre droit, que les juridictions ont l’obligation d’appliquer, le foetus n’est pas tenu pour un sujet de droit à part entière au même titre que l’enfant né vivant ; qu’en application de ces textes, les circonstances de la mort de l’enfant B… Y… dans le ventre de sa mère ne constituent ni un homicide involontaire ni aucune autre infraction pénale ; que la Cour européenne des droits de l’homme considère que le point de départ du droit à la vie contenu dans l’article 2 de la Convention des droits de l’homme relève de l’appréciation des Etats et qu’à supposer même que ce texte trouve à s’appliquer, ne viole pas cette disposition le système juridique qui, en présence d’autres garanties permettant la réparation du dommage, ne contient pas de recours de nature pénale pour sanctionner l’atteinte involontaire portée à la vie du foetus, ce qui est le cas en l’espèce puisque les parties civiles ont déjà saisi la juridiction administrative pour obtenir réparation de leur préjudice ;
« Et aux motifs adoptés que l’article 221-6 du code pénal réprime le fait de causer dans des conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3 du code pénal, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi la mort d’autrui ; que pour être constituée, l’infraction d’homicide involontaire suppose que soit rapportée la preuve d’une faute pénale ayant causé la mort d’autrui ; qu’il résulte des investigations que l’enfant était viable in utero puisque son rythme cardiaque a été relevé pour la dernière fois à 14 heures 25 ; que néanmoins, malgré les mesures de réanimation tentées après son extraction du ventre maternel, les expertises médicales réalisées permettent de conclure à un décès in utero, avant la césarienne pratiquée, l’examen des viscères de l’enfant ayant confirmé l’absence de respiration à l’air libre des poumons de l’enfant ; que cette absence de vie de l’enfant in utero est par ailleurs confirmée par l’absence de battements cardiaques perçue par le monitoring effectué à 16 heures lors de la prise en charge de la mère au bloc opératoire ; que l’infraction d’homicide involontaire suppose que la mort d’autrui ait été causée, ce qui ne saurait s’appliquer à un enfant mort in utero, la personnalité juridique n’étant reconnue qu’à un enfant né vivant ; que dès lors, si des manquements ont pu être relevés par les expertises et investigations réalisées permettant de s’interroger sur les conditions de prise en charge de Mme X… lors de son accouchement et sur l’existence d’une faute civile, ces manquements ne sauraient suffire à voir engager la responsabilité pénale de quiconque, Eliott Y… n’étant pas né vivant ;
« 1°) alors que les juridictions d’instruction qualifient librement les faits dont elles sont saisies et au regard desquels elles ont l’obligation d’informer ; qu’elles ne peuvent prononcer un non-lieu que si elles estiment que les faits ne constituent ni crime, ni délit ; qu’il leur appartient dès lors de s’assurer que les faits pour lesquels le non-lieu est prononcé ne sont pas susceptibles d’être poursuivis sous toute autre qualification que celle visée par la plainte ; qu’en l’espèce, en se bornant à rechercher s’il existait des charges suffisantes pour renvoyer devant une juridiction de jugement le CHU de Limoges du chef d’homicide involontaire sur l’enfant que portait Mme X…, la chambre de l’instruction, qui n’a pas examiné les autres qualifications possibles, notamment celle de risque causé à autrui au préjudice de Mme X…, a violé les textes susvisés ;
« 2°) alors que les juridictions d’instruction qualifient librement les faits dont elles sont saisies et au regard desquels elles ont l’obligation d’informer ; qu’elles ne peuvent prononcer un non-lieu que si elles estiment que les faits ne constituent ni crime, ni délit ; qu’il leur appartient dès lors de s’assurer que les faits pour lesquels le non-lieu est prononcé ne sont pas susceptibles d’être poursuivis sous toute autre qualification que celle visée par la plainte ; que lorsqu’une femme est enceinte sa vie devient étroitement associée à l’être qui se développe en elle ; que dès lors toute atteinte portée à cet être humain en devenir constitue également une atteinte portée à l’intégrité de sa mère ; qu’en l’espèce, la chambre de l’instruction a expressément constaté qu’ « aux termes de l’information, au vu des éléments qui précèdent, il existe des charges sérieuses que le décès de l’enfant B… Y… soit la conséquence de manquements dans la prise en charge de Mme X… au sein du service de gynécologie obstétrique du CHU de Limoges et de carences dans l’organisation du dit service » ; qu’en se bornant à rechercher s’il existait des charges suffisantes pour renvoyer devant une juridiction de jugement le CHU de Limoges du chef d’homicide involontaire sur l’enfant que portait Mme X…, sans examiner les autres qualifications possibles, notamment celle de blessures involontaires au préjudice de cette dernière, la chambre de l’instruction a violé les textes susvisés » ;
Attendu que, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu, l’arrêt énonce que les circonstances de la mort de l’enfant dans le ventre de sa mère ne constituent ni un homicide involontaire, ni aucune autre infraction pénale ;
Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que si les juridictions d’instruction ont l’obligation d’informer sur les faits résultant de la plainte avec constitution de partie civile sous toutes ses qualifications possibles, elles ne peuvent, sans excéder leur saisine, requalifier des faits, qualifiés dans la plainte avec constitution de partie civile d’homicide involontaire concernant un enfant mort-né, en mise en danger de la vie d’autrui ou en blessures involontaires commises sur la mère de l’enfant, la chambre de l’instruction a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt novembre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
ECLI:FR:CCASS:2018:CR02623
Analyse
Décision attaquée : Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Limoges , du 12 octobre 2017