RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-cinq septembre deux mille sept, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle LAUGIER et CASTON, de la société civile professionnelle VUITTON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général FRECHEDE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– X… Gilbert,
contre l’arrêt de la cour d’appel de METZ, chambre correctionnelle, en date du 4 octobre 2006, qui, pour diffamation publique envers un particulier, a confirmé le jugement l’ayant condamné à 750 euros d’amende, ayant ordonné une mesure de publication et ayant prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 35, 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, 1382 du code civil, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Gilbert X… coupable du délit de diffamation publique envers un particulier, en l’occurrence Philippe Y…, et l’a condamné à une amende de 750 euros et à payer à Philippe Y… une indemnité de 1 000 euros ;
« aux motifs que, sur la culpabilité, Philippe Y… a fait citer Gilbert X…, actuel maire de la commune de l’Hôpital et directeur de la publication du magazine d’information municipal de la ville » actions « , aux fins de le voir condamner pour un article qu’il a fait paraître dans ce magazine en octobre 2005 intitulé » rétablir la vérité » et qui comporte selon lui des passages diffamatoires le concernant ; que ces passages sont les suivants : 1 ) » concernant la SCI Mon Capitaine (Gérant Y… Philippe), installée au … (Site du Puits II), elle a bénéficié des largesses de J. Z…, ami politique de Philippe Y… ; en effet, la conduite d’alimentation en eau était branchée sur celle de la commune et Philippe Y… n’a jamais eu à régler de facture d’eau ; de la même façon, il bénéficiait de cadeaux fiscaux puisqu’il ne réglait pas non plus de factures d’ordures ménagères ; c’était aussi le cas pour un autre ami de J. Z…, propriétaire d’une discothèque située autrefois au centre ville ; la nouvelle municipalité a donc émis un titre pour réclamer à la SCI Mon Capitaine ce qu’elle devait à la commune au titre de la consommation d’eau ; pour rétablir ce montant, la commune a fait une estimation ; le tribunal a considéré qu’on ne pouvait pas réclamer le remboursement sur la base d’une estimation mais qu’il fallait établir la consommation exacte ce qui est impossible à réaliser a posteriori ; le tribunal entérine donc la décision de J. Z… qui fournissait l’eau gratuitement à son ami Philippe Y… grâce à l’argent public ; que Philippe Y… n’a jamais demandé à payer
l’eau que les contribuables spitellois ont payée pour lui » ; 2 ) » ces deux affaires sont des illustrations de la façon dont l’ancien maire gérait sa commune : emplois fictifs, népotisme (logement gratuit aux membres de la famille), cadeaux fiscaux à ses amis ; tout le monde a compris que l’équipe battue aux municipales 2001 et ceux qui profitaient des largesses n’ont toujours pas digéré leur défaite ; la population spitelloise qui constate tous les jours l’efficacité de l’équipe actuelle est excédée par l’acharnement mis en oeuvre par les adversaires de notre commune à travers les tracts diffamatoires et l’acharnement judiciaire, en un mot à travers » leur haine » à l’encontre d’élus qui ont remis la commune sur les rails douze affaires donc engagées contre notre commune (surtout par Y…) et qui se sont toutes terminées à l’avantage de la ville ; mais si notre ville les a gagnées, ces procédures nous ont obligés à nous défendre en payant un avocat ; de plus toutes ces procédures donnent une mauvaise image à l’extérieur il existe donc bien un acharnement judiciaire qui n’est pas le fait de notre municipalité mais le fait de gens qui profitaient hier des cadeaux que l’ancien maire leur accordait sur le dos des contribuables spitellois » ; qu’il résulte de la rédaction du premier article que bien que seule la SCI Mon Capitaine ait été locataire de la ville de l’Hôpital et donc seule tenue au paiement des factures litigieuses, son auteur a entendu stigmatiser Philippe Y… personnellement puisqu’après avoir uniquement indiqué au début et entre parenthèses qu’il était le gérant de la SCI, l’article le vise exclusivement par la suite à titre personnel » J. Z…, ami politique de Philippe Y… « , » Philippe Y… n’a jamais eu à régler de facture d’eau « , » il bénéficiait de cadeaux fiscaux « , » il ne payait pas non plus de factures d’ordures ménagères » ; que comme l’ont relevé les premiers juges, au-delà du problème du paiement ou non des factures d’eau et d’ordures ménagères, l’article ne pouvait imputer à Philippe Y… personnellement un manquement à des obligations qui incombaient à la seule SCI Mon Capitaine, personne morale distincte de Philippe Y… ; que cet article, imputant des faits de prévarication à Philippe Y…, porte atteinte à son honneur et à sa considération ; qu’il est dès lors diffamatoire ; que Gilbert X… tente de s’exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant sa bonne foi ; mais que, pour justifier une telle bonne foi, il lui appartient de démontrer qu’il a agi sans animosité personnelle, en poursuivant un intérêt légitime, avec prudence et mesure dans l’expression et en ayant vérifié ses sources ; qu’or, Gilbert X… se borne à invoquer la vérité des imputations diffamatoires ; qu’une telle démonstration n’est pas possible dès lors qu’il n’est pas contesté que les faits invoqués, à les supposer établis, concernent la SCI Mon Capitaine et non Philippe Y… personnellement ;
qu’en tout état de cause, même si Gilbert X… avait entendu ne viser Gilbert X… qu’en sa qualité de gérant de la SCI Mon Capitaine, il sera relevé qu’il n’a pas formé d’offres de preuve de la vérité de ses allégations dans les formes et délais exigés par les articles 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881 de sorte qu’il n’est plus recevable à invoquer l’exception de vérité et que tous les développements en ce sens doivent être écartés ; que dès lors le jugement entrepris sera confirmé quant à la culpabilité de Gilbert X… ;
« et aux motifs éventuellement adoptés que le passage de l’article, un peu plus loin, qui précise que » le tribunal a considéré qu’on ne pouvait pas réclamer le remboursement sur la base d’une estimation mais qu’il fallait établir la consommation exacte, ce qui est impossible à réaliser a posteriori ; le tribunal entérine donc la décision de J. Z… qui fournissait l’eau gratuitement à son ami Philippe Y… grâce à l’argent public ; Philippe Y… n’a jamais demandé à payer l’eau que les contribuables Spitellois ont payée pour lui « , outre qu’il désigne encore Philippe Y…, et non la SCI Mon Capitaine, fait une mauvaise lecture de la décision du tribunal d’instance de Saint-Avold du 13 juillet 2005 qui, notamment, a annulé le titre exécutoire n° 652 dans la mesure où le maire a motivé la facturation de l’eau à la SCI Mon Capitaine en se basant sur » ce qui lui paraît équitable » sans s’expliquer plus en avant, et notamment en motivant cette notion d’équité par des faits objectifs tels que » le nombre d’occupants, les surfaces utilisées, etc. » ; que le tribunal n’a donc jamais dit » qu’il fallait établir la consommation exacte » mais seulement baser l’estimation de la consommation sur des éléments objectifs et vérifiables, et pas sur la seule notion d’équité, qui est purement subjectif, sans l’accompagner d’éléments objectifs ;
« 1 ) alors que la Cour de cassation contrôle la qualité de victime de propos allégués de diffamatoires, seule la personne physique ou morale visée par le texte retenu par la prévention étant habilitée à agir en diffamation ; que le premier passage visé par Philippe Y… dans ses poursuites le désigne en tant que gérant de la SCI Mon Capitaine, laquelle a bénéficié des amitiés politiques de son gérant, seule la SCI étant concernée par le titre émis par la commune aux fins de la condamner à payer les factures d’eau, le second passage cité par Philippe Y… ne le mentionnant qu’au titre des actions judiciaires qu’il avait engagées contre la commune de l’Hôpital ; que Philippe Y… a soutenu avoir fait l’objet d’une diffamation incidente, alors même qu’il n’était pas personnellement mis en cause par l’article cité ; qu’en décidant que l’article litigieux avait imputé personnellement à Philippe Y… les cadeaux dont il était fait état, en ne s’attachant qu’à la formulation de cet article, qui avait mentionné à diverses reprises son nom, et sans retenir qu’il n’avait été mentionné qu’en sa qualité de gérant de la SCI Mon Capitaine, la cour d’appel, ayant omis de relever que le titre émis par la commune ne concernait que ladite société civile et non son gérant, a violé l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
« 2 ) alors que la prévarication, qui ne fait l’objet d’aucune incrimination pénale, s’entend au sens commun du terme du fait d’une personne de manquer aux fonctions de sa charge ; que l’article visé par la citation ne concerne que les avantages dont la SCI Mon Capitaine a profité grâce aux amitiés politiques de son gérant, Philippe Y… ; que l’arrêt attaqué a retenu à tort que cet article lui imputait personnellement des faits de prévarication, de sorte qu’en l’absence de telles imputations dans les passages cités par la citation, la cour d’appel a violé l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
« 3 ) alors que l’article litigieux n’a visé Philippe Y… qu’en sa seule qualité de gérant de la SCI Mon Capitaine, d’où il suit que Gilbert X… était en droit d’établir sa bonne foi en invoquant des faits qui concernaient cette société ; qu’en décidant que Gilbert X… ne pouvait proposer une telle démonstration au motif que les faits invoqués concernaient ladite société civile et non Philippe Y…, la cour d’appel a méconnu les droits de la défense et a statué moyennant un motif inopérant, violant ainsi l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
« 4 ) alors que la preuve de la bonne foi constitue une question distincte de la preuve de la vérité du fait diffamatoire ; que poursuivi pour diffamation, Gilbert X… a exposé les éléments établissant sa bonne foi ; que la cour d’appel a retenu » qu’il n’a pas formé d’offres de preuve de la vérité de ses allégations dans les formes et délai exigés par les articles 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881 de sorte qu’il n’est plus recevable à invoquer l’exception de vérité et que tous les développements en ce sens doivent être écartés » (arrêt p. 4, 5e alinéa), d’où il suit que l’arrêt attaqué a violé les articles 35, 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881 ;
« 5 ) et, alors que la cour d’appel, qui n’a pas analysé les éléments à partir desquels Gilbert X… excipait de sa bonne foi, a entaché sa décision d’un défaut de motivation ;
« 6 ) alors que la diffamation étant l’imputation d’un fait à un tiers, la seule interprétation d’un jugement, fût-elle erronée, ne peut constituer une diffamation ; qu’à supposer adoptés les motifs du jugement entrepris en ce qui concerne la mention du jugement du tribunal d’instance de Saint-Avold du 13 juillet 2005, le seul fait que Gilbert X… ait éventuellement exposé une lecture erronée de cette décision de justice ne suffit pas à caractériser la diffamation, d’où il suit que la cour d’appel a violé l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 » ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et l’examen des pièces de la procédure mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a, en dépit de l’emploi du terme erroné de prévarication dénoncé à la seconde branche du moyen, exactement apprécié le sens et la portée des propos diffamatoires incriminés et retenu que le prévenu ne rapportait pas la preuve des éléments caractérisant la bonne foi ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 à 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, du principe de la séparation des pouvoirs, des articles 29, 32 et 48 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 du code civil, et des articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que la cour d’appel, retenant sa compétence, a reçu Philippe Y… en sa constitution de partie civile et a condamné Gilbert X…, exerçant les fonctions de maire de la commune de l’Hôpital, à payer à Philippe Y… la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
« aux motifs que Gilbert X…, maire de la commune de l’Hôpital, et directeur de la publication du magazine d’information municipale de la ville de l’Hôpital » actions « , a commis l’infraction de diffamation publique envers un particulier ; que le tribunal correctionnel a reçu à juste titre la constitution de partie civile de Philippe Y… ; que c’est également à bon droit, au vu des pièces justificatives produites, qu’il a alloué à Philippe Y… la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 600 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
« alors que les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public, en raison du fait dommageable commis par l’un de leurs agents ; qu’en outre, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ; que, dès lors, la cour d’appel, se reconnaissant compétente pour statuer sur la responsabilité civile de Gilbert X…, à raison des faits accomplis dans l’exercice de ses fonctions de maire de la commune de l’Hôpital, sans rechercher, comme elle y était tenue même d’office, si la faute imputée à Gilbert X… présentait le caractère d’une faute personnelle détachable de ses fonctions de maire, a violé les textes précités et le principe susvisé » ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ; Attendu que, d’une part, les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents ; que, d’autre part, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si cet acte constitue une faute détachable de ses fonctions ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt confirmatif attaqué que les juges d’appel, après avoir déclaré Gilbert X…, maire de la commune de l’Hôpital, coupable de diffamation publique envers un particulier, l’ont condamné à des réparations en faveur de Philippe Y…, partie civile ;
Mais attendu qu’en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile du prévenu, maire ayant agi dans l’exercice de ses fonctions, sans rechercher si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d’une faute personnelle détachable du service, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe rappelé ci-dessus ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs : CASSE et ANNULE mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Metz, en date du 4 octobre 2006,
Et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, sur les seuls intérêts civils,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n’y avoir lieu à application au profit de Philippe Y…, des dispositions de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Metz, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Guirimand conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;