RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° E 10-60.189 et H 10-60.191 ;
Sur le moyen unique :
Vu les articles 3 et 8 de la convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail (OIT), 4 de la convention n° 98 de l’OIT, 5 de la convention n° 135 de l’OIT, 11 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 6 de la Charte sociale européenne, 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et L. 2122-1, L. 2122-2 et L. 2143-3 du code du travail ;
Attendu, selon le jugement attaqué, que par lettre du 22 décembre 2009, un syndicat affilié à la CGT-FO a désigné MM. X… et Y… en qualité de délégués syndicaux au sein de l’établissement de Rodez de la société Robert Bosch France ; que l’employeur a contesté ces désignations au motif que ce syndicat n’avait pas obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés lors du premier tour des élections des membres titulaires du comité d’établissement qui s’est déroulé le 8 octobre 2009 ;
Attendu que pour débouter l’employeur de sa demande, le tribunal retient qu’en subordonnant la représentativité des organisations syndicales à une condition d’audience électorale, les articles L. 2122-1, L. 2122-2, L. 2143-3, L. 2324-2, R. 2143-2 et R. 2143-3 du code du travail tels qu’issus de la loi du 20 août 2008 portent atteinte à la liberté syndicale consacrée par les conventions n° 87, 98 et 135 de l’Organisation internationale du travail, les articles 11 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 6 § 2 de la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ;
Qu’en statuant ainsi, alors que les dispositions subordonnant la représentativité des organisations syndicales à la condition d’avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés lors du premier tour des élections des membres titulaires des comités d’entreprise ou d’établissement ne méconnaissent aucune des normes européennes et internationales retenues par le tribunal, ce dernier a violé les textes susvisés ;
Vu l’article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 11 mars 2010, entre les parties, par le tribunal d’instance de Rodez ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Annule les désignations de MM. X… et Y… ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par M. Béraud, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément à l’article 452 du code de procédure civile, en l’audience publique du seize février deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Robert Bosch France
Le pourvoi fait grief au jugement attaqué D’AVOIR dit qu’en raison de la violation des conventions n° 87 (artic les 3 et 8), 98 et 135 de l’OIT, des articles 11 et 14 de la CEDH, de l’article 6 paragraphe 2 de la charte sociale européenne, de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, il n’y a pas lieu de faire application des articles L 2122-1, L 2122-2, L 2143-3, L 2324-2, R 2143-2 et R 2143-3 du Code du travail, tels qu’issus de la Loi du 20 août 2008, et D’AVOIR débouté la SAS Robert BOSCH FRANCE de sa demande d’annulation de la désignation des Sieurs X… et Y… en tant que délégués syndicaux ;
AUX MOTIFS QU’«au terme de l’article 2 de la Loi du 20 août 2008 ne sont représentatives que les organisations syndicales qui ont satisfait aux critères posés à l’article L 2121-1 du Code du Travail dont l’obligation au niveau de l’établissement est d’avoir recueilli 10% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au Comité d’établissement ; Que dans ses écritures, le Syndicat FO fait grief à la Loi du 20 août 2008, d’une part, en supprimant tout accès aux négociations aux organisations syndicales qui n’ont pas atteint ce seuil de résultat, d’autre part en l’admettant pour certaines (syndicats catégoriels) par une application différenciée du périmètre d’appréciation de la représentativité, de violer les dispositions européennes et internationales ; qu’en outre et en tout état de cause, il y aurait atteinte à la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; qu’il importe de se référer à la convention n ° 87 de 1948 (OIT) relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical ; Que l’article 3 dispose que les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit d’élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d’élire librement leurs représentants, d’organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d’action, les autorités publiques doivent s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice légal ; Que l’article 8 fait obligation à la législation nationale de ne pas porter atteinte aux garanties prévues par la Convention ; Que l’article 11 énonce que « toute personne a le droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts, l’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la Loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et liberté d’autrui ; le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat ; Qu’enfin l’article 13 dispose que « aux fins de la présente convention, les termes représentants des travailleurs désignent des personnes reconnues comme tels par la législation ou la pratique nationale, qu’elles soient : a) des représentants syndicaux, à savoir des représentants nommés ou élus par des syndicats ou par les membres des syndicats ; b) ou des représentants élus, à savoir des représentants librement élus par les travailleurs de l’entreprise, conformément aux dispositions de la législation nationale ou des conventions collectives et dont les fonctions ne s’étendent pas à des activités qui sont reconnues, dans les pays intéressés, comme relevant des prérogatives exclusives de syndicats» ; qu’en imposant désormais à une section syndicale et à la personne seule susceptible d’être désignée comme déléguée, d’avoir obtenu un certain pourcentage de voix aux élections professionnelle pour pouvoir désigner un Délégué syndical, la Loi du 20 août 2008 se heurte aux dispositions nationales, européennes et internationales sus évoquées ; Qu’en effet, en l’espèce, les dispositions de la Loi du 20 août 2008 ont pour conséquence d’exclure de toutes négociations engagées au sein de l’établissement de Rodez, le syndicat FO y compris celles relatives à la révision d’accords qui avaient pu être antérieurement conclus par ce dernier ; Que c’est à bon droit que le syndicat FO soulève l’atteinte à la liberté syndicale fondamentale, celle d’adhérer au syndicat de son choix, car pour peser dans les négociations les salariés ne peuvent qu’adhérer aux syndicats dont les résultats électoraux sont équivalents ou supérieurs à 10% et non aux syndicats de leur choix ; qu’il convient de tirer les conséquences de cette violation tant des règles internes consacrant le principe de la liberté syndicale que des normes européennes et internationales en rejetant l’application de la Loi du 20 août 2008 en ces dispositions invoquées par la Société Robert BOSCH FRANCE» ;
ALORS, D’UNE PART, QUE l’article 3 de la convention n°87 OIT qui dispose que « les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit d’élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d’élire librement leurs représentants, d’organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d’action» concerne les «représentants statutaires» des organisations de travailleurs ou d’employeurs, tandis que l’article 3 de la convention n°135 OIT de 1971 (et non l’article 13 de la convention n°87 OIT) concerne «les représentants des travailleurs» (syndicaux ou élus) ; de sorte qu’en appliquant aux «représentants des travailleurs» les dispositions propres aux «représentants statutaires», le jugement attaqué viole ensemble les deux textes susvisés et les articles L.2131-3 et L.2143-3 du Code du Travail ;
ALORS, D’AUTRE PART, QUE l’article 3 de la convention n°87 OIT qui protège la libre constitution des syndicats ainsi que la libre élection de leurs représentants statutaires, et qui prohibe toute intervention des Etats de nature à limiter ces droits, n’a ni pour objet ni pour effet d’interdire aux Etats de réserver aux seuls syndicats représentatifs la faculté de désigner des représentants des travailleurs auprès des entreprises ; qu’en statuant comme il l’a fait, le Tribunal a violé le texte susvisé et l’article L.2122-1 du Code du Travail ;
ALORS, DE TROISIEME PART, ET DE TOUTE FACON QUE si le droit de mener des négociations collectives est, en principe, devenu l’un des éléments essentiels du droit de fonder des syndicats et de s’affilier à des syndicats, énoncé à l’article 11 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, les Etats demeurent libres de réserver ce droit aux syndicats représentatifs, ce que ne prohibent ni les dispositions de la convention n°87 OIT, ni celles de la convention n°135 OIT ; de sorte qu’en statuant comme il l’a fait le juge électoral a violé par fausse application les textes susvisés ;
ALORS, ENFIN, QUE l’obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % de voix ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale ; et que, tendant à assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l’entreprise et à conduire les négociations pour leur compte, elle ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical ; qu’en écartant les articles L.2122-1, L.2143-3, le Tribunal a violé par refus d’application la loi du 20 août 2008.